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Placements responsables

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De l’engagement à l’action : En écho à l’héritage de Bâle

le 23 novebre 2023

En 1988, le Comité de Bâle s’est lancé dans une mission visant à redéfinir le monde financier en publiant un ensemble de normes minimales de fonds propres pour mieux réguler le secteur bancaire. Ce périple a débuté avec les Accords de Bâle, communément appelés Bâle I, traitant du capital, des marchés et du risque opérationnel afin d’assurer que les institutions financières disposent de suffisamment de capitaux pour couvrir les pertes inattendues. Par la suite, Bâle II et III ont vu le jour, Bâle III étant une réponse à la crise financière mondiale de 2007-2008. Plus tôt cette année, en janvier 2023, Bâle IV a été introduit, marquant une transformation notable de 35 ans dans la régulation d’un secteur vital de l’économie mondiale.

Dans cette évolution de la réglementation financière, on peut voir des similitudes avec le cheminement vers un monde des affaires durable et responsable. Tout comme il a fallu plus de trois décennies pour affiner les Accords de Bâle, le monde des affaires est désormais en route pour s’aligner sur les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Transition climatique : de la réglementation à l’action des entreprises

 

Face à l’urgence du changement climatique, il est désormais évident qu’une action significative est nécessaire pour éviter des conséquences catastrophiques.

Des engagements isolés ne suffisent pas, un plan de transition crédible est indispensable.

Ces dernières années, les entreprises ont renforcé leurs ambitions climatiques, notamment en passant d’objectifs climatiques autoproclamés à des objectifs de réduction des émissions basés sur la science et validés. Toutefois, le rapport du CDP dépeint une réalité où les entreprises sont manifestement en retard. Selon les évaluations du CDP, sur toutes les entreprises ayant un objectif basé sur la science et validé, seulement un cinquième est en phase avec ses objectifs, et beaucoup ne fournissent pas de feuille de route claire pour atteindre l’objectif.

Fixer des objectifs basés sur la science avec des échéances est un premier pas dans la bonne direction, mais la réduction absolue des émissions dans l’économie réelle doit être au cœur des préoccupations. Étant donné que le changement climatique affecte le fonctionnement des entreprises, il présente des risques financiers, réputationnels et réglementaires. Il est essentiel d’examiner de près les plans de transition des entreprises en termes de faisabilité et de crédibilité. De plus, les investisseurs sont également désireux d’évaluer et de comparer les plans de transition des entreprises pour protéger la performance à long terme, car le changement climatique est un risque financier concret et prévisible.

Les piliers d’une voie de transition crédible

 

Des informations sont fournies sur les travaux du Transition Plan Taskforce (TPT), créé pour conseiller les régulateurs britanniques sur leur futur cadre des exigences en matière de divulgation sur la durabilité, et coprésidé par un PDG du secteur privé et un ministre du gouvernement britannique. Le TPT vise à fournir un cadre complet pour des plans de transition crédibles où des éléments clés tels que l’ambition, l’action et la responsabilité sont pris en compte. L’ambition devrait être en phase avec un objectif stratégique permettant à l’entreprise de contribuer à une transition à l’échelle de l’économie, et surtout, le plan doit être quantifié.

Les actions à court terme devraient se concentrer sur la décarbonation et répondre aux risques liés au climat. Enfin, pour la responsabilité, une gouvernance solide est nécessaire. L’engagement est également un indicateur essentiel, garantissant que les activités de lobbying sont en phase avec les ambitions de l’entreprise. Mais cela est-il en accord avec d’autres initiatives ?

Les attentes des investisseurs sont essentielles pour établir une base réglementaire

Pour favoriser le changement, diverses initiatives d’investisseurs se font également entendre et elles partagent clairement les points de vue conceptuels du TPT. Le groupe des investisseurs institutionnels sur le changement climatique (IIGCC), par exemple, a publié les principales attentes à l’égard des entreprises. Si de nombreuses initiatives se concentrent sur les entreprises à fortes émissions, il est nécessaire d’étendre l’adoption aux entreprises moins importantes qui n’ont peut-être pas les moyens de divulguer des données ou de fixer des objectifs quantitatifs. Les investisseurs engagent de plus en plus les entreprises pour provoquer le changement, ayant ainsi un impact réel sur l’économie. Cependant, des approches nuancées sont essentielles pour répondre aux différents secteurs et à leurs plans respectifs de décarbonation. Mais un cadre d’attentes des investisseurs à lui seul ne suffira pas, une réglementation doit suivre et elle doit être ambitieuse.

La réalité de la communication d’entreprise : un risque commercial ou plutôt une opportunité ?

 

Avec la montée de la pression pour plus de transparence, une approche continue basée sur le risque devient essentielle. Bien que des intervenants du monde de l’entreprise affirment qu’ils adoptent des objectifs ambitieux, cela engendre une pression considérable et un surcroît de travail. Les coûts pour atteindre ces objectifs ne sont donc pas négligeables. Néanmoins, les autorités saluent ces ambitions. Plusieurs entreprises ne craignent pas ces nouvelles exigences de divulgation car elles sont en adéquation avec leur mode de fonctionnement. La transparence et la capacité d’évaluer les fournisseurs grâce à des données standardisées sont essentielles pour les approches de chaîne de valeur, sachant que pour certaines entreprises, la majorité (jusqu’à 95 %) de leurs émissions se trouve dans leur chaîne de valeur. Par conséquent, elles voient d’un bon œil les cadres de divulgation anticipant un tournant positif pour le secteur, où le partage de données ESG vérifiées deviendra une partie intégrante des affaires.

Naviguer entre les risques et opportunités venant de l’extérieur de l’entreprise

Les entreprises sont confrontées non seulement à des risques environnementaux, mais aussi juridiques. Les litiges remettent en question la précision des revendications écologiques et des engagements, ainsi que la viabilité des plans de transition, soulignant que les litiges suivent plus le risque que le plan de transition lui-même. Cependant, le plus grand risque réside dans l’inaction et l’incapacité d’établir un plan de transition crédible. Un exemple en est la chute de Kodak, bien que non liée à la décarbonisation. De nombreuses opportunités se présentent, comme celle d’accroître sa part de marché dans les industries axées sur la décarbonisation, mais cela nécessite également une divulgation appropriée aux investisseurs. Les entreprises leaders voient généralement l’accroissement de la transparence et une plus grande divulgation comme une opportunité dans cette ère de transformation pour surpasser leurs concurrents et entraîner un mouvement positif dans le secteur.

KPI pour évaluer une transition crédible

Mais quel indicateur ou KPI obligatoire devrait être fourni par tous et utilisé pour évaluer la crédibilité et l’impact de la transition ?

Les plans de transition crédibles devraient se concentrer sur les stocks de capitaux durables, évitant ainsi le piège du carbone qui entrave la transition vers la durabilité. De plus, la manière dont une entreprise gère ses actifs échoués, ou le montant des dépenses d’investissement alignées sur l’accord de Paris peuvent être des indicateurs clés. L’accent devrait être également mis sur les réductions absolues, avec une méthodologie claire et en accord avec les définitions de portée. Cependant, prendre un seul et unique indicateur pour évaluer les ambitions des entreprises irait à l’encontre de l’objectif de durabilité qui prend en compte différents aspects comme les émissions de carbone, la biodiversité, l’utilisation de l’eau, les droits de l’homme, la diversité de la main-d’œuvre, l’éthique des affaires…

De la réglementation à la responsabilité sociale des entreprises

 

On peut aussi souligner la nécessité pour les entreprises de considérer les risques sociaux de manière plus approfondie. Étant donné la complexité du cadre réglementaire actuel, il est de plus en plus nécessaire d’avoir une approche cohérente vers une économie durable, plaidant pour une base commune pour une conduite responsable des affaires afin d’assurer une cohérence entre les différentes législations et orientations. Actuellement, différents mécanismes réglementaires peuvent être définis, tels que le mécanisme axé sur l’entreprise (Directive sur le reporting de durabilité des entreprises – CSRD et ses normes, Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité  – CSDDD), et le mécanisme axé sur la finance (SFDR, Taxonomie verte, éventuelle Taxonomie sociale à venir). Ces mécanismes exigent des entreprises qu’elles agissent en matière de droits de l’homme et de risques environnementaux en tenant compte de la diligence raisonnable et de l’engagement, des plans climatiques et de transition, et des exigences de divulgation et de transparence.

Parallèlement à ces évolutions, les lignes directrices de l’OCDE sur la conduite responsable des entreprises ont également été mises à jour, mettant en évidence l’évolution de la conduite responsable des entreprises et l’intégration de nouveaux éléments tels qu’une définition plus spécifique du climat et de l’environnement, une transition juste, l’engagement des parties prenantes et un accent sur la diligence raisonnable en aval en plus de celle en amont. D’autres initiatives ont vu le jour dans certains pays, comme la diligence raisonnable obligatoire en matière de droits de l’homme au Brésil, la Corée du Sud agissant en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement pour une gestion durable des entreprises, et le gouvernement japonais établissant des lignes directrices en matière de diligence raisonnable sur les droits de l’homme pour les entreprises. Cette nouvelle vague réglementaire montre l’élargissement du champ d’application réglementaire aux questions sociales et aux droits de l’homme.

L’Alliance mondiale pour l’évaluation (World Benchmark Alliance – WBA) joue un rôle actif dans la définition des politiques pour faire avancer la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD), afin d’en faire une réglementation pratique et efficace pour les entreprises à mettre en œuvre. À cette fin, la WBA s’appuie sur des cadres existants, tels que les lignes directrices de l’OCDE, et analyse la performance actuelle des entreprises pour identifier les lacunes et les domaines nécessitant des améliorations, soulignant la nécessité de la CSDDD comme base fondamentale pour définir des attentes collectives pour toutes les entreprises.

Le rôle d’entités comme la WBA devient de plus en plus crucial pour renforcer la responsabilité, la transparence et les pratiques responsables dans le monde de l’entreprise, d’autant plus que les cadres réglementaires évoluent continuellement. La WBA veille à ce que les entreprises intègrent les attentes réglementaires évolutives dans leur gouvernance d’entreprise, permettant à des tiers d’utiliser les recherches de la WBA pour évaluer la conformité des entreprises aux nouveaux cadres réglementaires.

Les cadres réglementaires peuvent constituer un défi persistant, y compris la charge des informations réglementaires, en particulier pour les petites entreprises. Une bonne pratique pour aborder l’écart d’information entre les grandes et les petites entreprises consiste à privilégier l’engagement avec les entreprises les plus axées sur la durabilité, en consacrant plus de temps, d’efforts et de ressources pour favoriser des interactions significatives, dans le but de maximiser les résultats en matière de durabilité et d’atténuer les disparités résultant de la divulgation.

L’impact de ces réglementations sur les stratégies opérationnelles des entreprises

Malgré la lourdeur des obligations d’information que certaines petites entreprises peuvent rencontrer, de nombreuses sociétés considèrent toujours ces nouvelles exigences réglementaires comme des catalyseurs de changement positif, favorisant l’amélioration continue de leur culture d’entreprise, avec un accent mis sur l’évitement des aspects négatifs tout en promouvant des résultats positifs.

Certaines entreprises ont vu ce cadre réglementaire comme une opportunité et ont été proactives dans l’établissement d’une conduite des affaires et la gestion des risques liés aux droits de l’homme. Par exemple, Ahold Delhaize, un géant mondial de la distribution alimentaire, a été un précurseur dans l’adoption de pratiques commerciales responsables. En 2018, l’entreprise a lancé une due diligence approfondie sur les droits de l’homme, étape cruciale préparant le terrain pour des efforts ultérieurs. De façon notable, Delhaize a fait preuve de transparence et de proactivité en publiant son premier rapport sur les droits de l’homme en 2020. Pour le groupe Borregaard, qui exploite l’une des bioraffineries les plus avancées et durables du monde, il ne s’agit pas simplement de rendre compte, mais d’aligner fondamentalement leurs pratiques sur les principes du respect des droits de l’homme. Leur stratégie consiste à garantir que les personnes responsables de sujets et départements spécifiques sont également responsables des KPI et des mesures relatives aux droits de l’homme. Cette approche inclusive étend la responsabilité à différents acteurs au sein de l’organisation, favorisant une culture de transparence et de responsabilité.

Reconnaissant la gravité des risques liés aux droits de l’homme dans la chaîne d’approvisionnement, les entreprises orientent stratégiquement leur attention vers ce domaine crucial. Elles croient fermement en une vérification rigoureuse à travers un processus de due diligence complet pour évaluer et traiter les préoccupations relatives aux droits de l’homme à travers leurs opérations et chaînes d’approvisionnement. Le rôle du conseil d’administration, en tant qu’organe de gouvernance de haut niveau, demeure essentiel pour garantir cette responsabilité et cette reddition de comptes, et pour orienter l’intégration des considérations relatives aux droits de l’homme dans les processus décisionnels stratégiques de l’entreprise.

Retour à Bâle

 

En conclusion, le chemin vers un avenir durable reflète l’évolution de la réglementation financière, demandant aux entreprises de fixer des objectifs ambitieux, de mettre en œuvre des actions, de maintenir la responsabilité et d’avoir un processus de due diligence pour évaluer et traiter les préoccupations relatives aux droits de l’homme à travers leurs opérations et chaînes d’approvisionnement. Face à la pression croissante pour l’information, les entreprises doivent naviguer à travers ces défis, mais les opportunités d’innovation et de croissance dans la transition juste vers une économie à faible émission de carbone sont indéniables. En fin de compte, la transition du monde des affaires vers un avenir plus durable aura des implications majeures pour l’économie mondiale, à l’instar de la transformation du secteur bancaire sous les Accords de Bâle.

 


Disclaimer : Toute forme d’investissement comporte des risques. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures


Quelle influence de l’État chinois sur les investissements durables ?

Par Matthew Welch, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 28 septembre 2023

L’intérêt des investisseurs pour la Chine a considérablement augmenté ces dernières années. La montée de la classe moyenne du pays, ainsi que son leadership dans les technologies émergentes telles que le solaire et les batteries pour véhicules électriques, offrent des opportunités intéressantes pour les investisseurs.

Le potentiel de croissance de la Chine est indéniable, mais les réformes récentes mettent en évidence à quel point il est difficile d’investir de manière durable dans le pays. Naviguer dans le contexte national complexe pour investir en Chine avec une perspective ESG nécessite une connaissance approfondie du pays.

Une évolution dans le temps

En 75 ans, la Chine est passée d’une nation affamée ravagée par l’impérialisme et la guerre à une puissance économique mondiale. Le progrès n’a pas été linéaire, mais le fait de sortir plus de 770 millions de personnes de la pauvreté est indéniablement impressionnant et explique en partie le soutien du Parti. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant alors que le gouvernement tente d’affirmer sa position dans la vie quotidienne des citoyens et des entreprises. Si Deng Xiaoping a libéré le génie capitaliste de la bouteille, entraînant une croissance économique et des inégalités sans précédent, Xi Jinping cherche maintenant à le contenir.

La prospérité commune, la centralisation du pouvoir et le contrôle des entreprises ne sont pas des concepts nouveaux. L’influence du Parti a augmenté régulièrement sous Xi. C’est démontré à travers des amendements constitutionnels impactant l’éducation, l’immobilier et les plateformes Internet.

L’intérêt des investisseurs pour la Chine

Avec l’augmentation de l’influence de l’État, il est d’autant plus nécessaire pour les investisseurs de veiller à ce que les entreprises se développent de manière responsable et soient alignées sur les objectifs politiques. Lorsque la politique nationale entre en conflit avec les normes mondiales, il y a la responsabilité de maintenir des normes plus élevées et d’intervenir en cas de doutes sur la conformité. La croissance peut avoir ralenti, mais le PIB par habitant de la Chine représente toujours moins d’un quart de celui des États-Unis. Un regain d’attention sur l’environnement et l’égalité sociale n’est pas une mauvaise chose. Cela accroît la complexité et le défi de l’investissement en Chine, mais le rend tout aussi attractif à long terme.

Toi, moi et Xi : partage de la garde des entreprises actives en chine

Depuis 2009, le Parti communiste chinois (PCC) a de plus en plus suivi la voie de l’autoritarisme, caractérisée par une centralisation croissante de la prise de décision et un contrôle de plus en plus grand du parti sur différents aspects de la vie. Le 20e congrès du parti a renforcé cette tendance, avec des amendements à la Constitution qui élèvent le statut de Xi Jinping au cœur du PCC. Ce chapitre met en lumière les méthodes et les lois actuelles que le gouvernement utilise pour influencer les entreprises actives en Chine.

L’importance des entreprises d’État (SOE) est si grande que certaines estimations suggèrent que jusqu’à 45 % de l’économie chinoise est contrôlée par les SOE, avec un grand nombre d’industries exclues pour les entreprises privées. Les SOE sont un outil important pour le PCC, fournissant des biens publics et exerçant des fonctions sociales, économiques et politiques. La relation étroite entre la direction supérieure des SOE et les hauts responsables du parti témoigne des agendas complexes de ces entreprises.

L’influence du Parti sur les entreprises privées a également considérablement augmenté depuis l’accession au pouvoir de Xi Jinping en 2012. Le Parti communiste chinois (PCC) a réussi cela à travers deux organes différents. Le Département de l’Organisation est une agence qui agit comme le « service des ressources humaines » du Comité central du Parti et gère les postes de près de 70 millions de membres du Parti à travers le pays. Le « Département de travail du Front Uni » (UFWD) est une organisation-cadre chargée d’accroître le contrôle et l’influence du PCC en Chine et à l’étranger.

En septembre 2018, la Commission de réglementation des valeurs mobilières de Chine a annoncé un Code de gouvernance d’entreprise pour les entreprises cotées. En vertu de ce code, les entreprises privées cotées sur le marché intérieur doivent établir une cellule ou une organisation du Parti et fournir les « conditions nécessaires » pour les activités du PCC. Le Parti a exigé que les entreprises SOE et du secteur privé non seulement déclarent leur loyauté au PCC, mais aussi affirment le rôle central des cellules et des sections de base du PCC dans les opérations commerciales et la prise de décision.

Le Département de l’Organisation du PCC a joué un rôle crucial dans cette expansion. Les statistiques officielles indiquent qu’en 1998, environ 0,9 % des entreprises privées avaient ce que le journal théorique du PCC, Qiushi, a décrit comme des « connexions » avec le Parti. En 2008, ce chiffre atteignait 16 %, et à la fin de 2014, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, 53,1 % des entreprises privées (soit 1,58 million d’entreprises) avaient établi de telles connexions.

Les considérations environnementales : un casse-tête complexe

La couverture médiatique traditionnelle présente souvent les politiques et ambitions de la Chine en matière de changement climatique sous un jour négatif. Le pays demeure le plus grand contributeur aux émissions mondiales de CO2. Néanmoins, en considérant la taille du pays et sa population, les émissions de gaz à effet de serre par habitant en Chine sont en réalité similaires à celles de l’Allemagne.

Un autre facteur atténuant est constitué par les émissions externalisées des pays développés qui considèrent la Chine comme l’usine du monde. Par conséquent, certaines émissions de GES devraient être attribuées aux pays qui achètent des produits fabriqués en Chine. Des chiffres datant de 2015 ont révélé que près de 13 % des émissions de GES de la Chine proviennent de la production destinée à d’autres pays. Malheureusement, la nature se soucie peu des émissions par habitant ou des chiffres de production, et les conséquences du changement climatique continueront à se faire sentir à mesure que le niveau absolu des émissions augmentera.

Les données de l’Agence internationale de l’énergie (IEA) et les calculs effectués par la Banque mondiale montrent que les principaux moteurs des émissions en Chine sont les secteurs de l’énergie (45 %) et de l’industrie (33 %), suivis du secteur des transports (8 %) et des bâtiments (5 %).

 

Mise en avant de la production d’énergies renouvelables

L’Asia Europe Clean Energy Advisory Co a révélé que la capacité de polysilicium de la Chine devrait passer d’environ 530.000 tonnes à la fin de 2021 à  1,2 million de tonnes en 2022, pour atteindre 2,5 millions de tonnes en 2023 et jusqu’à 4 millions de tonnes en 2024. Cependant, ce chiffre peut être du côté élevé du spectre, car Bloomberg New Energy Finance suggère que la capacité totale de polysilicium dans le monde atteindra 1,5 million de tonnes d’ici la fin de 2023.

Lors du Sommet de l’Ambition Climatique en 2020, Xi Jinping a annoncé que la Chine prévoit d’installer 1.200 GW de capacité d’énergie solaire et éolienne d’ici 2030. Cet objectif sera nécessaire compte tenu de la demande croissante en électricité due, d’une part, à une augmentation de la demande énergétique liée à la lutte contre la pauvreté, au passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables, et, d’autre part, à l’électrification de l’économie.

Le pays est bien placé pour atteindre ces objectifs impressionnants, ayant développé une expertise dans la production d’énergies renouvelables au cours des dernières décennies. Les importantes subventions et la concentration de la production de polysilicium en Chine ont été les bases de l’industrie prospère de fabrication de panneaux solaires du pays. La Chine est déjà en tête dans la production de divers composants de panneaux solaires. En raison de tensions géopolitiques, ce rôle pourrait diminuer, mais étant donné l’héritage et le savoir-faire de la Chine, cela ne se produira pas du jour au lendemain.

 

Les considérations sociales

Il est difficile de discuter des risques sociaux auxquels sont confrontées les entreprises opérant en Chine sans aborder les infractions sociales rendues possibles par la législation nationale. On peut épingler ici deux éléments spécifiques : les droits numériques et la poursuite des Ouïghours dans la région du Xinjiang.

En ce qui concerne la protection des informations des utilisateurs contre le gouvernement chinois, les entreprises ont des options limitées. Le gouvernement a un accès illimité aux données des clients grâce à une série de réglementations qui peuvent être utilisées pour surveiller, suivre et poursuivre les dissidents politiques ou les citoyens critiques envers le gouvernement. Il est souvent difficile de faire la distinction entre les organisations qui acquièrent activement des données pour le gouvernement et celles qui se conforment simplement à la réglementation. Des questions éthiques plus claires se posent pour des entreprises telles que Hikvision, qui ont joué un rôle plus actif dans l’identification des groupes minoritaires faisant l’objet de persécutions gouvernementales. Leurs produits de surveillance ont été découverts dans ce que l’on appelle ‘les centres de formation professionnelle’ de l’ouest de la Chine et ont été utilisés pour identifier des personnes lors de récentes manifestations de masse liées à la COVID-19. Cette facilitation active des atteintes aux droits de l’homme est différente de la participation passive par le partage de données imposée par les lois nationales. Il est difficile d’identifier le niveau de participation, en particulier compte tenu de la réticence des entreprises à discuter de l’impact de la réglementation gouvernementale sur leurs activités.

La catégorisation des instruments juridiques du gouvernement qui contrôlent la gestion des données est difficile car ils sont vagues et étendus.  « La Grande Muraille électronique », une série de lois et de technologies utilisées pour appliquer la censure numérique en Chine, bloque le contenu étranger et les entreprises du marché chinois. Elle influence également le développement de l’économie internet interne de la Chine en favorisant les entreprises nationales et en réduisant l’efficacité des produits des entreprises internet étrangères. Diverses lois sur la cybersécurité déterminent comment les entreprises doivent collecter et partager des données avec l’État. La formulation de la loi est délibérément vague, permettant au gouvernement de l’utiliser et de l’interpréter de manière flexible tout en refusant toute contestation. Les lois sur la sécurité des données interdisent que les données stockées en Chine soient fournies aux autorités légales ou d’application étrangères sans l’approbation des autorités chinoises compétentes. Cette restriction sur le transfert et la production de données semble s’appliquer à tous les types de données et n’est pas limitée aux « données importantes », qui sont déjà soumises à des restrictions en vertu de la loi sur la cybersécurité. Les organisations sont empêchées de rendre compte de quelles données sont partagées avec le gouvernement, ce qui rend difficile d’avoir une vue correcte de la collaboration entre les organisations et le gouvernement dans le cadre de répressions autoritaires ou non démocratiques.

En plus du rôle que jouent certaines entreprises dans la violation des droits numériques, la poursuite des Ouïghours est un autre problème clé. On estime que plus d’un million de personnes ont été placées dans des camps de rééducation au Xinjiang et sont contraintes de soutenir les entreprises opérant dans la région. En réponse, la loi américaine sur la prévention du travail forcé des Ouïghours (UFLPA) est entrée en vigueur en 2022. Elle interdit l’importation aux États-Unis de tous les biens entièrement ou partiellement produits dans la région du Xinjiang, en présumant que le travail forcé est impliqué. Cette présomption s’applique également aux biens fabriqués dans d’autres pays (y compris la Chine) qui incluent des composants produits dans la région du Xinjiang. Des propositions législatives similaires sont en cours de discussion en Europe, le Parlement européen ayant adopté une résolution en juin de l’année dernière condamnant les crimes contre l’humanité commis contre les Ouïghours en Chine et appelant à une interdiction de l’importation de produits fabriqués par le travail forcé. À la suite de cette résolution, la Commission européenne a publié un règlement proposé interdisant les produits fabriqués avec du travail forcé sur le marché de l’Union, donnant aux États membres de l’UE le pouvoir de détenir, saisir ou ordonner le retrait de tels produits du marché de l’UE.

On prétend que le travail des Ouïghours est utilisé dans une grande variété de secteurs, de l’informatique à la fabrication de textiles, de panneaux solaires et d’éoliennes. Un examen accru des chaînes d’approvisionnement des entreprises occidentales fournira une image plus complète et attirera davantage l’attention sur les entreprises opérant dans la région du Xinjiang.

Bien sûr, la Chine n’est pas le seul pays où les entreprises sont confrontées à de graves violations des droits de l’homme. Néanmoins, la Chine se distingue par la participation significative du gouvernement dans l’activité des entreprises chinoises et le lien entre les allégations de violations des droits de l’homme et les programmes de travail gouvernementaux.

Disclaimer : Toute forme d’investissement comporte des risques. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.


Comment combiner un investissement dans l’IA avec un angle ESG ?

Par Florent Griffon, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 11 septembre 2023

Le fait marquant sur les marchés pour l’année 2023 sera, on peut déjà l’annoncer, l’émergence de l’Intelligence Artificielle (IA) comme thème d’investissement incontournable. Cet engouement des marchés reflète les gains de productivité colossaux que l’Intelligence Artificielle devrait apporter, et ce à travers de nombreux secteurs. Mais comment faire en sorte que l’Intelligence Artificielle ne déstabilise pas nos économies, nos sociétés, nos démocraties ? Et donc, comment combiner investissement dans l’IA avec un angle ESG ? En somme, comment investir dans l’IA de manière responsable et durable ?

Quelle approche ESG pour l’investisseur responsable et durable?

On a vu que le champ d’application de l’Intelligence Artificielle génératives est très étendu et que ses implications ne sont pas toutes connues. D’ores et déjà, on peut anticiper que l’IA aura un impact transversal sur les trois piliers de l’ESG. Sur l’environnement, d’abord sur les enjeux climatiques et énergétiques. Dans la sphère sociale, à travers les enjeux d’inégalités, d’éducation, de formation et d’emplois. Et, enfin, en matière de gouvernance, avec des questions clés dans les domaines de la cybersécurité, de la protection des données et de l’anonymat, de la lutte contre la corruption, et de la conformité au droit en général.

Ne pas être complice de sa mauvaise utilisation…

Etant donné les potentialités importantes de l’IA, son usage devra être encadré, pour s’assurer que nos sociétés bénéficieront de ses apports, sans pâtir de ses risques ou de ses dérives. Plus que l’IA en elle-même, c’est donc la manière avec laquelle elle est déployée qui importe.

Pour ce faire, il appartient aux investisseurs durables de vérifier les quatre points suivants :  la finalité des solutions IA développées par les entreprises, mais aussi la gouvernance de ces modèles IA ainsi que les bonnes pratiques mises en place pour les encadrer. Enfin, on vérifiera leur éventuelle implication dans des controverses ESG et leur conformité aux normes globales de durabilité notamment le Pacte Mondial des Nations Unies.

Sur le critère de la finalité des modèles IA, on recommandera par exemple d’exclure toute application IA destinée à l’armement (par ex. robots tueurs…), ou visant à influencer (deepfakes…) ou à identifier l’utilisateur (face recognition), ou encore à analyser ses émotions ou à prédire son comportement futur. Au-delà, on pourra aussi se référer aux Objectifs de Développement Durable de l’ONU et s’abstenir d’investir dans des modèles IA dont la finalité va à l’encontre de leur réalisation.

Pour l’analyse de la gouvernance des solutions IA, on pourra s’appuyer sur le cadre de l’OCDE pour la classification des systèmes d’IA, qui doit aider à identifier les modèles présentant des risques pour les humains ou pour la planète[1]. Ce cadre pose notamment les questions clés suivantes : l’utilisateur conserve-t’il la liberté de se soustraire au modèle IA? Les données utilisées sont-elles propriétaires, publiques ou privées ? Ces données ont-elles été prélevées conformément au droit (GDPR)? Ces données sont-elles anonymisées ? « Pseudonymisées »? Le modèle donne-t-il suffisamment d’information à l’utilisateur pour que celui-ci comprenne ses résultats ? Dans quelle mesure le modèle est-il soumis à une supervision humaine ? En cas de réponses négatives à ces questions, l’investisseur durable devra probablement s’abstenir d’investir.

Il conviendra aussi de passer en revue les bonnes pratiques adoptées par les entreprises fournissant ces modèles IA, par exemple (liste non-exhaustive): l’utilisation de smart datacenters fonctionnant à l’électricité renouvelable, l’intégration de l’objectif d’efficience énergétique dans le code du modèle IA[2], l’application de correctifs anti-discrimination, des mesures de protection de l’anonymat en particulier des données médicales, des restrictions sur les contenus générés pour s’assurer qu’ils ne sont pas néfastes, dangereux, et qu’ils ne vont pas à l’encontre de la loi.

Enfin, on recommandera d’exclure les modèles IA sujets à des controverses ESG sévères ou soupçonnés de violer les principes du Pacte Mondial des Nations Unies. Ainsi on s’abstiendra d’investir dans des modèles IA présentant des risques significatifs pour les droits de l’homme (la dignité humaine, la liberté d’expression, la santé mentale et physique des personnes, le droit à la non-discrimination), pour les droits au travail (bien-être au travail, qualité des emplois, formation et compétences), pour l’environnement (risques climatiques, eau) et, enfin, pour la lutte contre la corruption (criminalité et cybercriminalité, fraudes, protection de l’état de droit).

Mais soutenir ses applications les plus responsables et durables

Par contraste, l’IA a aussi le potentiel d’apporter de nombreux bénéfices sociétaux et environnementaux, là encore dans de nombreux domaines. Par exemple elle peut aider au développement de solutions technologiques dans le domaine de la transition énergétique, de la conception des équipements de génération, de stockage et de transport de l’énergie, à la gestion de ces infrastructures. L’IA devrait notamment aider à gérer les réseaux de transport et de distribution électriques, une tâche rendue de plus en plus complexe du fait du développement des énergies renouvelables intermittentes. En renforçant la recherche scientifique, l’IA pourrait aussi aider à mettre au point de nouvelles solutions. Aussi, l’IA devrait améliorer fortement la fiabilité des prévisions météorologiques, et aider à identifier les vulnérabilités de nos pays aux événements climatiques extrêmes. Ce faisant l’IA aidera à orienter les efforts d’adaptation au changement climatique.

D’un point de vue social aussi, l’IA présente des potentialités intéressantes, notamment à travers des solutions éducatives personnalisées plus efficaces, de meilleurs diagnostiques de santé, des avancées scientifiques, une meilleure capacité à rassembler et à traiter de l’information, entre autres. Des exemples concrets existent déjà. Citons des bâtiments intelligents qui optimisent leur consommation énergétique en fonction des prévisions météorologiques et donc en anticipant la disponibilité d’électricité renouvelable. Ou encore des solutions d’éducation et de formation personnalisées qui identifient les lacunes de chaque utilisateur et génèrent une solution d’apprentissage adaptatif. Des modèles IA d’audits passant en revue les comptes et publications des entreprises et estimant des risques d’implications dans des problèmes de corruption, de fraudes, de conformité, et qui établissent leur profil ESG. Des solutions IA adaptées aux administrations, permettant des gains de productivité importants.

Ainsi l’investissement durable a un important rôle à jouer en finançant les sociétés qui développent les applications d’intelligence artificielle les plus bénéfiques aux populations et à l’environnement. Les potentialités de l’IA sont vastes et variées. Son usage malveillant ou non-encadré nous fait encourir des risques importants. Mais bien utilisée, l’IA présente aussi des opportunités pour nos sociétés. Aux investisseurs durables d’identifier les investissements présentant un impact durable positif et ce, en matière environnementale, sociale et de gouvernance.

Disclaimer : Toute forme d’investissement comporte des risques. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

[1] https://oecd.ai/fr/classification

[2] MIT Technology review, These simple changes can make AI research much more energy efficient, https://www.technologyreview.com/2022/07/06/1055458/ai-research-emissions-energy-efficient/


L’intelligence Artificielle est-elle  « ESG compatible »?

Par Florent Griffon, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 22 août 2023

Le fait marquant sur les marchés pour l’année 2023 sera, on peut déjà l’annoncer, l’émergence de l’Intelligence Artificielle (IA) comme thème d’investissement incontournable. En atteste l’entrée de Nvidia Corp dans le club très fermé des entreprises dont la capitalisation boursière dépasse le trillion de dollars. Cet engouement des marchés reflète les gains de productivité colossaux que l’Intelligence Artificielle devrait apporter et ce, à travers de nombreux secteurs. Mais quel impact social et environnemental aura cette nouvelle « révolution » économique ? L’Intelligence Artificielle ne risque-t-elle pas de déstabiliser nos économies, nos sociétés, nos démocraties ? Et donc, l’IA est-elle « ESG compatible » ?

Les promesses de l’IA…

L’Intelligence Artificielle générative (c’est-à-dire l’IA qui produit du texte, des images, des vidéos, de la musique, des codes, du design) devrait transformer nos vies. En reproduisant des réseaux de neurones, et en les multipliant, l’IA imitait déjà les compétences humaines (via le processus du « deep learning »). L’IA générative va déjà au-delà, en ce qu’elle est capable de raisonner comme une personne, ce qui étend fortement le type de contenus qu’elle est capable de générer. De fait, l’IA générative devrait donc trouver des applications dans une grande variété de domaines et dans tous les secteurs économiques. D’une manière générale, l’IA devrait rendre les employés beaucoup plus efficients, notamment en prenant en charge des tâches de production de contenus, de synthèse de données, des tâches administratives et de support. Les employés passeront donc moins de temps à « produire », et plus de temps à vérifier le résultat de la production de l’IA générative. Notamment, l’IA ayant la capacité de générer des contenus factices, le besoin de vérification par des humains devrait fortement augmenter. Au total, l’IA générative pourrait entraîner un nouveau « supercycle de productivité », et pourrait améliorer la productivité mondiale de près d’un pour cent par an[1].

Mais l’IA pose de sérieuses questions éthiques

L’IA pourrait générer des inégalités Mais l’IA pose de sérieuses questions éthiques. A commencer par son impact sur le marché du travail. Si on se réfère au concept de destruction créatrice de Joseph Schumpeter, les gains de productivité réalisés généreront une croissance économique de long terme. Sur le court terme cependant, celles et ceux dont les emplois auront été détruits devront retrouver un emploi, ce qui suscite des inquiétudes. Ainsi, le nombre de requêtes Google « mon emploi est-il menacé » a doublé sur les premiers mois de l’année, et des chercheurs d’OpenAI estiment que pour 80% des employés des Etats-Unis, au moins 10% des tâches seraient modifiées par l’arrivée de l’IA[2]. En réalité, l’impact sur l’emploi reste incertain. D’une manière générale, l’IA devrait améliorer la productivité dans tous les secteurs, et en particulier dans les services. La nature des emplois évoluera. Les employeurs comme les employés ont donc intérêt à accompagner ces changements, notamment par la formation.

L’IA et les discriminations ?

Un second enjeu est celui des discriminations. Plusieurs articles[3] ont souligné les risques de discrimination raciale, de genre, et contre les minorités et les handicapés, que certains algorithmes IA ont pu générer, dans des domaines comme l’accès au crédit, le recrutement ou les assurances. Ces biais proviennent généralement des bases de données qui nourrissent l’IA, qui sont elles-mêmes affectées par ces biais. Heureusement, il est possible d’enseigner à l’IA de ne pas reproduire ces biais. Les cadres réglementaires ont aussi un rôle à jouer.

Le besoin de contrôle des résultats

L’IA générative n’est pas infaillible non plus et elle peut générer des résultats incorrects voire néfastes. Mal calibrés, les premiers modèles d’IA peuvent, par exemple, relayer des informations biaisées ou fausses au corps électoral, donner accès à des contenus nuisibles à des populations fragiles (enfants, personnes âgées), ou engendrer des erreurs de diagnostic médical. On perçoit ici le besoin de contrôles de qualité efficaces tant par les fournisseurs de services IA, que par leurs utilisateurs.

La protection des données et la cybersécurité

L’IA générative exacerbe aussi les problématiques de l’usage illicite des données personnelles, de la reproduction illicite de contenus, et de la protection de l’anonymat. Elle rend aussi possible de la génération de publicité, d’information et de prix totalement personnalisée pour chaque utilisateur. En matière de cybersécurité, l’IA facilite la production de « deepfakes » et rend les fraudes plus convaincantes et donc plus dangereuses. Dans le même temps, l’IA devrait aussi renforcer les capacités de détection des tentatives de piratage et d’hameçonnage, et des logiciels malveillants.

Le risque d’une perte de contrôle

L’IA suscite aussi des craintes nettement plus fondamentales. Ainsi, le 30 mai 2023, plusieurs centaines d’experts dans le domaine de l’IA parmi les plus reconnus ont signé une déclaration sur les risques liés à l’IA[4] mettant en avant le risque d’extinction de l’espèce humaine. Aussi, Geoffrey Hinton l’un des pères scientifiques du « deep learning » et de l’IA a démissionné de Google affichant publiquement son inquiétude par rapport aux conséquences du développement très rapide de l’IA et, en particulier, de son utilisation par des acteurs malintentionnés. Le cœur du problème réside dans le fait que l’IA apprend si vite que ses créateurs humains ne la comprennent plus. L’IA pourrait alors développer ses propres objectifs, sans supervision humaine et prendre des décisions défavorables aux humains. Il est donc essentiel de développer des capacités étendues de contrôle de l’IA, de son mode de fonctionnement, de ses résultats, et de son usage.

Les régulateurs y travaillent déjà

Et les régulateurs y travaillent déjà. Toutefois, le développement rapide de l’IA générative et son adoption éclair sont si rapides que même les régulateurs les plus réactifs ont un temps de retard. L’Union européenne a été la première à réagir, avec son « Artifical Intelligence Act » qui devrait être voté d’ici la fin 2023. L’Union européenne vise à s’assurer d’un usage de l’IA « centré sur l’humain ». Cette législation devrait notamment interdire les pratiques les plus à risque : la manipulation cognitivo-comportementale de personnes ou de groupes vulnérables spécifiques, la notation sociale, les systèmes d’identification biométrique et la catégorisation des personnes physiques, entre autres[5]. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, le Canada, l’Inde (…) adaptent eux aussi leurs cadres réglementaires, avec des approches différentes.

Quid de l’impact environnemental ?

Se pose aussi la question de l’impact environnemental de l’IA. Jusqu’à présent, les grands acteurs de l’IA se gardent bien de publier des données. On sait néanmoins que la consommation d’énergie et d’eau nécessaire à la production des équipements (ordinateurs, semiconducteurs…), à la création des modèles IA, à leur entrainement, à leur mise à jour et enfin à leur utilisation est très importante. Et, effectivement, au plus grand est le modèle IA, au plus le modèle incorpore de données et a un plus lourd impact environnemental. On estime qu’une seule requête d’IA générative générerait quatre à cinq fois plus d’émissions de gaz à effet de serre qu’une requête sur un moteur de recherche conventionnel[6]. Alors que Google et Microsoft intègrent de plus en plus d’IA dans leurs moteurs de recherche, services de messagerie, et autres applications, l’extension de l’IA devrait logiquement conduire à une augmentation de leur impact environnemental. Alors que le « cloud » représente d’ores et déjà entre 2.5% et 3.7% des émissions globales de carbone (c’est-à-dire plus que l’aviation)[7], ces enjeux vont donc rapidement gagner en importance.

 

Le potentiel disruptif de l’IA générative est tel, que les enjeux ESG associés sont nécessairement très importants. Il est encore trop tôt pour prédire précisément comment et dans quelle mesure l’IA générative modifiera nos modes de vie, et si son apport sera globalement positif ou négatif pour nos sociétés et pour l’environnement. Mais d’ores et déjà il apparait nécessaire de la canaliser, pour la mettre au service « de l’humain » et de notre planète. L’investissement durable a un rôle à jouer en soutenant les modèles les plus bénéfiques et en s’abstenant de financer les modèles risqués.

 

 

Disclaimer : Toute forme d’investissement comporte des risques. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

 

Consultez aussi le corner Placements responsables

[1] Exane, GenAI : How to Use It, 31st May 2023

[2] https://openai.com/research/gpts-are-gpts

[3] Reuters, Amazon scraps secret AI recruiting tool that showed bias against women, 11 October 2018, https://www.reuters.com/article/us-amazon-com-jobs-automation-insight-idUSKCN1MK08G

[4] https://www.safe.ai/statement-on-ai-risk

[5] https://www.europarl.europa.eu/news/en/headlines/society/20230601STO93804/eu-ai-act-first-regulation-on-artificial-intelligence

[6] Associated Press, ChatGPT: What is the carbon footprint of generative AI models?, https://www.euronews.com/next/2023/05/24/chatgpt-what-is-the-carbon-footprint-of-generative-ai-models

[7] OECD.AI, Catalogue of Tools & Metrics for Trustworthy AI, https://oecd.ai/en/catalogue/tools/data-carbon-ladder


Un fonds durable crée-t-il un impact pour la société ?

Ophélie Mortier, Chief Sustainable Investment Officer chez DPAM

Le 12 juin 2023

 

Pour rappel, un fonds est investi en actions et/ou obligations émises par les Etats/les entreprises. En général, ces actions et obligations sont échangées principalement sur le marché dit secondaire alors que les émissions sur le marché primaire ou les premières introductions en bourse restent une partie plus réduite des investissements du portefeuille.

 

Le marché secondaire, un échange de titre de propriété

 

L’impact de l’investissement sur le marché secondaire peut être questionnable à juste titre puisqu’il ne s’agit pas d’allocation de nouveaux capitaux mais principalement un échange de propriété entre un acheteur et un vendeur. C’est d’ailleurs tout le débat de l’efficacité des politiques d’exclusions des fonds durables puisque s’ils désinvestissent, par exemple, dans le tabac, il y a un acheteur de l’autre côté qui reprend les parts dans le même secteur d’activité.

Plusieurs études se sont penchées sur la question de l’efficacité des exclusions et la conclusion générale est plutôt de favoriser l’expression actionnariale (voter aux assemblées générales) et l’engagement avec les entreprises. Cependant, dans un monde idéal, on peut aspirer qu’un jour certaines activités nuisibles à la Société au sens large ne trouveront plus du tout d’acheteurs pour reprendre les titres qui seront donc des actifs déchus (concept du stranded assets).

L’allocation limitée de nouveaux capitaux est cependant à nuancer. En achetant une action d’une entreprise, ce n’est pas uniquement son bilan à l’instant T dans lequel l’acheteur investit mais également sa politique en matière d’investissements futurs à savoir ses flux d’investissement notamment en matière de recherche et développement et d’innovation future. Car un fonds durable a vocation d’être un investisseur à moyen et long terme, désireux d’accompagner l’entreprise dans son développement futur.

Ainsi le gestionnaire d’un fonds est attentif, d’une part, à la manière dont l’entreprise opère (sa licence sociale opérationnelle) et, d’autre part, aux produits et services qu’elle développe.

Car il faut sans doute distinguer l’impact de l’entreprise et l’impact de l’investisseur quand on parle d’impact sur le marché secondaire.

Impact de l’investisseur

 

En tant qu’investisseur, le gestionnaire d’un fonds durable vérifie un certain nombre de pratiques de l’entreprise, que ce soit sur le plan environnemental, social ou de gouvernance. Il pourrait être appelé à exclure certaines entreprises par suite de manquements sévères et répétitifs sur ces pratiques ESG ou encore dialoguer avec elles afin d’améliorer leurs pratiques en la matière en ligne avec les meilleures pratiques du marché. De cette manière, les entreprises peuvent voir une amélioration de leur coût du capital à la suite de la meilleure gestion de leurs risques de durabilité. De plus, la Société dans son ensemble bénéficiera de ces améliorations de pratiques que ce soit, par exemple, une amélioration des conditions de travail et protection des employés ou une meilleure gestion des déchets ou consommation énergétique.

Le changement de comportement de l’entreprise peut également s’opérer par la pression des actionnaires. Un fonds durable a, en principe, une politique de vote définie et alignée sur ses convictions en matière d’environnement, de social et de gouvernance. Certains diront que la pression actionnariale est efficace uniquement dans les cas d’emprise significative du fonds dans l’entreprise. Face à un actionnaire de référence ou majoritaire, l’impact des votes de l’actionnaire minoritaire peut être limité. Cependant, chaque année, plusieurs exemples nous rappellent que les minoritaires peuvent faire bouger les lignes. Les assemblées générales des pétrolières, où les minoritaires gagnent chaque année plus de transparence et d’alignement des politiques environnementales, ou encore les assemblées générales en Italie où de plus en plus d’actionnaires minoritaires parviennent à présenter leur liste de candidats au conseil d’administration afin d’atteindre un meilleur équilibre d’indépendants face aux exécutifs et non exécutifs de l’entreprise en sont des exemples concrets.

 

Impact de l’entreprise

L’impact de l’entreprise peut s’estimer à deux niveaux.

Tout d’abord au niveau de son comportement. Comme mentionné ci-dessus, le gestionnaire d’un fonds durable dispose de plusieurs leviers pour faire bouger les lignes depuis l’intérieur de l’entreprise que ce soit le vote, le dialogue, l’engagement et, en dernier recours, l’exclusion.

Ensuite, au niveau des produits et services développés par l’entreprise. Ces dernières années ont vu le développement croissant de mesures d’impact des produits des entreprises par rapport à leur contribution aux défis du développement durable. De plus en plus souvent, il est attendu des fonds durables non pas qu’ils se contentent d’investir dans les meilleurs de la classe en termes de comportements mais bien dans des entreprises qui contribuent aux défis futurs. Le cadre de référence repris pour ceci est régulièrement les 17 objectifs de développement durables des Nations Unies reconnus de manière universelle.

C’est d’ailleurs dans cette philosophie qu’a été construite la Taxinomie européenne en matière d’objectifs environnementaux et c’est encore dans cette optique que le premier jet de taxinomie sociale a été proposé. Il s’agit donc de décortiquer le chiffre d’affaires d’une entreprise et les sources de ce dernier par rapport aux objectifs environnementaux ou sociaux. Ces derniers peuvent être définis par la Taxinomie ou par d’autres cadres de référence.

Enfin, un deuxième impact à ne pas négliger est la communauté des investisseurs dits durables. En effet, derrière le fonds durable il est intéressant de voir les engagements pris par le promoteur du fonds et l’effet de masse auquel il peut contribuer. Plusieurs initiatives de collaboration peuvent être citées comme pertinentes en la matière :

  • Principes des Investissements Responsables : la communauté des signataires des PRI représente aujourd’hui plus de 4.900 investisseurs institutionnels et 121,3 trillions de dollars d’actifs sous gestion. A travers les principes que ses membres promeuvent et les initiatives d’éducation (partage de bonnes pratiques) et d’engagements, la communauté a un impact important sur l’évolution de la gestion des actifs à travers le monde.

 

  • Climate Action 100+ : en visant les 100 entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre au monde, cette initiative pousse ces dernières à des engagements concrets en matière de stratégie de réductions carbone.

 

  • Net Zero initiative : plusieurs initiatives existent sur la question de la décarbonisation des portefeuilles d’investissement. Même si la déclaration d’un investisseur, aujourd’hui, ne montre pas un effet immédiat sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, les investisseurs sont appelés à s’engager de manière à accélérer la transition des entreprises et des pays sur la question. Par ricochet, l’impact sera donc progressivement plus visible et direct au fil des engagements et, essentiellement, au fil des programmes et échéances clairs de décarbonisation d’ici 2050.

En conclusion, oui définitivement il y a un impact pour la Société en investissant en bourse. Toute décision d’investissement a un impact. Quand on choisit une obligation verte plutôt qu’une obligation traditionnelle, on décide d’investir dans un projet précis. Quand on choisit une entreprise plutôt qu’une autre, on décide de financer certains produits/services et la promotion de bonnes pratiques ESG.

Quand on regarde les engagements pris par l’investisseur, que ce soit en matière de responsabilité actionnariale, d’engagement, on peut vérifier l’adéquation avec ses valeurs et convictions.


Pourquoi le vote des actionnaires en assemblée générale est-il si important ?

Par Ophélie Mortier, Chief Sustainable Officer chez DPAM

Le 24 mars 2023

 

A la veille de la saison des assemblées générales des actionnaires des entreprises européennes et nord-américaines, quelles sont les grandes tendances ?  De quelle manière les actionnaires peuvent-ils vraiment influer les entreprises dans lesquelles ils investissent ?

Certains diront que la responsabilité actionnariale n’a qu’un impact limité sur les entreprises et, en particulier, sur leurs obligations et leurs engagements de durabilité.

En effet, les propositions à l’agenda des assemblées sur des questions d’ordre environnemental, social ou de gouvernance restent très limitées soit moins de 4% des points sur lesquels les actionnaires sont invités à s’exprimer.

 

Evolution de l’acte de vote

 

En effet, les sujets majoritaires restent ceux de gouvernance d’entreprise purs tels que l’élection du conseil d’administration, l’approbation des comptes, le paiement du dividende, éventuellement des modifications de structure de capital ou encore des questions de rémunérations des fonctions exécutives.

 

Et pourtant, le vote est un outil de plus en plus utilisé par les investisseurs engagés pour s’exprimer par rapport à la politique durable et les engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance des entreprises. D’une part, les règlementations globales rendent les conseils d’administration de plus en plus responsables de la supervision des enjeux ESG. D’autre part, l’acte de vote évolue vers plus de proactivité de la part des investisseurs. Alors que dans le passé, ces derniers avaient tendance à plutôt réagir face aux points d’agenda sur lesquels ils étaient interrogés, aujourd’hui, ils anticipent les assemblées générales des entreprises visées et élaborent une stratégie de vote en fonction de leurs attentes sur les engagements durables de ces dernières.

 

Un levier en matière environnementale

 

Ainsi sur la question environnementale et du changement climatique, d’une part les propositions de « Say on Pay » continuent à progresser et bien qu’elles restent aujourd’hui hors cadre réglementaire et non contraignante, l’étude de cas de TotalEnergies va sans doute marquer un tournant. D’autre part, sur un principe de comptabilité climatique, de plus en plus d’investisseurs engagés sur l’initiative de Net Zero (zéro émissions d’ici 2050) utilisent leur vote comme levier pour faire pression sur les entreprises et leurs stratégies de réduction de gaz à effet de serre.

 

Dès lors, même en l’absence de point relatif de loin ou de près à la stratégie climatique de l’entreprise, l’investisseur peut mettre une stratégie de vote dite « campagne du Non » en place. Il peut alors voter contre un membre ou le président ou l’ensemble du conseil d’administration de manière à exprimer son mécontentement sur les progrès enregistrés par l’entreprise sur la question climatique. Contester la nomination d’un ou plusieurs membres du conseil reste un outil de résistance ESG important durant la saison des votes.

 

Le cas de TotalEnergies

 

Mais revenons sur l’intéressant cas de TotalEnergies qui lors de l’assemblée générale de juin dernier a refusé de mettre à l’agenda une proposition d’actionnaires sur un alignement de ses émissions dites de scope 3 (émissions indirectes) et sa stratégie Net Zero, argumentant dans un communiqué de presse que la proposition était non recevable étant donné qu’elle empiétait sur la compétence du conseil d’administration en matière de politique publique pour définir la stratégie de l’entreprise.

 

L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) française s’est déclarée incompétente pour délibérer le cas et TotalEnergies a obtenu gain de cause. En réaction, le groupe d’actionnaires n’a pas supporté la proposition de stratégie climatique déposée par l’entreprise même. Ce cas pourrait faire office de précédent pour l’avenir des résolutions sur le climat à l’instar de l’affaire Carlos Ghosn et la rémunération du CEO de Renault qui a fini par donner lieu à une obligation légale de transparence sur la rémunération des fonctions exécutives. En attendant l’image de meilleur de la classe du pétrolier français a été quelque peu entachée.

 

Affaire à suivre…

 

A l’heure où le flottant des entreprises européennes tend à augmenter en général et que les actionnaires du flottant restent ceux qui expriment le plus leur mécontentement aux assemblées générales, il sera intéressant de suivre les évolutions des votes sur les points clés tels que la nomination du conseil d’administration ou la rémunération des fonctions exécutives. D’une part, ces points restent des leviers importants d’une résistance certaine sur les enjeux de durabilité des entreprises. D’autre part, on continue à observer un écart entre les déclarations des investisseurs, notamment sur la question des rémunérations des fonctions exécutives jugées excessives et leur implémentation en vote (la majorité des points de politique et rapport de rémunération a été largement supportée malgré les critiques vocales).

 

La saison 2023 sera intéressante à plusieurs égards sur les avancements en termes de durabilité d’abord pour vérifier si la constatation d’un support décroissant aux propositions des actionnaires se confirme. Ensuite le contexte socio-économique devrait inciter les actionnaires à rester attentifs d’une part aux enjeux ESG et leur supervision par le Conseil d’administration et d’autre part à la question de la rémunération des fonctions exécutives entre guerre des talents et ralentissement économique.

 

Degroof Petercam Asset Management (DPAM) SA/NV l rue Guimard 18, 1040 Bruxelles, Belgique l RPR Bruxelles l TVA BE 0886 223 276 l

 

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Les informations fournies dans le présent document doivent être considérées comme ayant un caractère général et ne constituent pas un conseil en investissement. Investir comporte des risques. Les performances passées ne garantissent pas les résultats futurs. Toutes les opinions contenues dans ce document reflètent la situation au moment de sa publication et peuvent être modifiées sans préavis. Une évolution des conditions de marché peut rendre les opinions et les déclarations contenues dans ce document invalides.

 


Quel lien entre facteurs ESG et impact ?

Par Matthew Welch, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 7 mars 2023

Le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité (SFDR) a été le principal sujet d’intérêt pour les investisseurs durables au cours de 2022. Cette évolution marquante de la réglementation est nécessaire, mais pourrait détourner les investisseurs durables de l’impact qu’ils pourraient générer sur l’économie réelle.

 

Cet impact devient tangible lorsqu’on investit dans des entreprises dites « de transition », mais cela ouvre également la porte à un risque accru de greenwashing. Quelle est la différence entre l’intégration ESG et l’impact ? L’amalgame de ces deux termes est souvent à l’origine de critiques sur l’investissement durable et responsable.

 

Une incompréhension de certains principes

 

Selon Elon Musk, les critères ESG seraient devenus trop « politiques » et manqueraient de fiabilité.  Cette affirmation se base sur le fait que, selon la notation S&P, ExxonMobil compte parmi les 10 entreprises les plus durables au monde alors que Tesla ne figure même pas dans cette liste. A première vue, cela peut paraître surprenant : pour quelles raisons un géant pétrolier est-il noté positivement sur la base de facteurs ESG alors qu’un constructeur de véhicules électriques n’est même pas pris en compte ?

 

Mike Pence a quant à lui affirmé dans un récent discours portant sur la politique énergétique que les intérêts des entreprises et de leurs employés étaient sacrifiés sur l’autel d’objectifs politiques. Ce propos faisait allusion aux pressions exercées par des investisseurs activistes dans le but d’obliger les entreprises à adopter les principes d’investissement socialement responsables.

 

Les propos de ces deux personnalités démontrent que certains principes de base de l’approche ESG sont encore mal compris.

 

Catalogue de risques

 

En premier lieu, il est nécessaire de faire une nette distinction entre « ESG » et « impact ». Les notes ESG attribuées par des prestataires de services tels que S&P cherchent à présenter un catalogue des risques environnementaux, sociétaux et de gouvernance liés aux activités d’une entreprise et à sa chaîne de valeur, risques qui sont susceptibles d’avoir un impact financier sur l’entreprise. En resituant cette dernière dans un contexte élargi, la note ESG est censée fournir aux investisseurs une mesure concise qui reflète les retombées de l’activité de l’entreprise sur ses parties prenantes (employés, actionnaires et utilisateurs finaux).

 

Par conséquent, les fournisseurs de notations ESG tendent à se focaliser sur les informations fournies par l’entreprise en matière de politiques de santé et de sécurité, de recyclage, de recours aux énergies renouvelables, de diversité au sein du conseil d’administration ou encore sur les éventuels sujets de controverse liés aux facteurs ESG. En revanche, leurs notes ne mettent pas nécessairement l’accent sur l’impact des produits et services finaux offerts par l’entreprise. Si tel était le cas, ExxonMobil ne pourrait pas se positionner aussi bien dans un classement basé sur les notes ESG.

 

Incidence sur les parties prenantes

 

De là découle la différence très nette entre notations ESG et impact. Alors que la première résulte de l’examen des risques ESG liés à l’élaboration d’un produit ou d’un service, le second reflète les incidences de ce produit ou service sur les parties prenantes. Si l’on reprend l’exemple d’ExxonMobil, sa notation ESG élevée peut s’expliquer par des politiques strictes sur le plan de la santé et de la sécurité, des exigences élevées sur le plan de l’éthique et la mise en place d’un important système de gestion environnementale. En revanche, sa notation d’impact sera nettement moins bonne puisque, produisant environ 3% du pétrole mondial, cette entreprise aura un effet négatif sur la plupart de ses parties prenantes. Tesla au contraire n’obtient pas une très bonne note ESG (méthodologie S&P) du fait de politiques internes de santé et de sécurité jugées inappropriées ainsi que d’allégations de pratiques discriminatoires (1).

 

Faire la distinction

 

Au niveau de leur palette de produits et en conformité avec la réglementation européenne, les gérants d’actifs doivent distinguer les objectifs d’investissement durables, c’est-à-dire l’impact, des caractéristiques de cet investissement, c’est-à-dire les facteurs ESG.  Tous deux sont évidemment complémentaires. A cet effet, le régulateur cherche d’un côté à définir et identifier les activités d’impact au travers de la taxonomie européenne et de l’autre à éviter la confusion entre ESG et impact au moyen de la réglementation SFDR qui distingue clairement les objectifs des facteurs ESG.

 

Tout ceci montre que la tâche d’un gérant d’actifs véritablement responsable et engagé dans la durabilité est double. D’une part, il doit s’intéresser aux externalités ESG de l’activité des entreprises, encourageant celles qui sont positives et incitant à réduire celles qui sont négatives. D’autre part, il se doit de promouvoir les investissements responsables en détenant en portefeuille des entreprises aux produits et services plus durables.

 

Les réponses adéquates aux défis qui se posent au plan mondial ne se trouvent pas toujours dans un classement, une note ou un indice : en témoignent les fortes divergences observées au niveau des notations ESG proposées par les différents fournisseurs de données. Ceux qui prétendent le contraire tirent parti de la confusion des investisseurs. En effet, seule une approche active, durable et axée sur la recherche permet de relever les défis, de dissiper la confusion et d’identifier les véritables opportunités d’investissement.

 

Ne pas oublier l’engagement actif

 

Enfin, lorsqu’on évoque l’impact, un point de vue qui gagne en popularité consiste à regarder au-delà de l’impact des produits et services des entreprises en portefeuille, mais plutôt de se concentrer sur l’impact des gérants d’actifs sur leur investissement. L’intégration ESG et l’investissement à impact sans engagement actif et sans vote manquent de crédibilité. En effet, il faut un engagement actif aux côtés des entreprises en portefeuille, ainsi qu’un engagement collaboratif pour influencer et orienter les décisions des entreprises dans le bon sens.

 

Les résolutions d’actionnaires, par exemple, peuvent avoir un impact sur les statuts de l’entreprise en poussant à l’amélioration de la gouvernance et à l’adhésion à l’initiative SBTi (Scientific Based Target Initiative) qui incite les entreprises à se fixer des objectifs environnementaux et à orienter les investissements de capitaux. Cet impact des gérants d’actifs sur les entreprises dans lesquelles ils investissent prend souvent la forme d’engagements officiels de la part des entreprises ou d’une participation active aux assemblées générales par le biais de propositions d’actionnaires ou de votes.

En incitant les entreprises à améliorer soit leurs produits et services offerts, soit leurs aspects ESG opérationnels, les sociétés de gestion d’actifs peuvent elles-mêmes générer un impact tangible sur la société.

 

  • Dans l’usine Tesla située à Fremont aux Etats-Unis, les normes concernant la santé et la sécurité ont été estimées inférieures à la moyenne. Par ailleurs, le constructeur a été mal noté en raison d’une gestion prétendument déficiente des enquêtes portant sur les blessures et décès intervenus à la suite de l’utilisation du système d’assistance à la conduite de Tesla (Autopilot).

 

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Placements responsables en 2022 : une déception mais surtout plusieurs bonnes nouvelles

 

Par Florent Griffon, Responsible Investment Specialist at DPAM

Le 22 février 2022

 

Dans un contexte difficile, l’ISR a bien résisté en 2022, avec une collecte nette qui reste positive en Europe. La COP27 restera la seule véritable déception. Mais l’année s’est clôturée sur un cortège de bonnes nouvelles, notamment la COP15 sur la biodiversité et les accords de l’Union Européenne sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), sur la réforme du marché carbone, et sur la taxation minimum des profits des entreprises. Le « Momentum » ESG continue donc, et 2023 s’annonce sous de bons auspices.

 

Une déception…

 

Le bilan mitigé de la COP27 est la seule véritable déception de l’année passée, mais c’est une déception de taille. Tout d’abord, il y a le manque d’ambition de la plupart des gouvernements. En effet, ils n’ont pas révisé leurs Contributions déterminées au niveau national (« NDCs »). Or, le monde serait sur une trajectoire à +2.5 degrés au moins et certains refusent encore de s’engager sur une sortie des carburants fossiles. Aussi, l’aide à la transition et à l’adaptation des pays développés vers les pays en voie de développement reste clairement insuffisante. Les gouvernements ne se sont pas engagés à ce que les émissions globales diminuent après 2025.

 

Par ailleurs, plusieurs émetteurs majeurs de gaz à effet de serre comme la Chine ou l’Arabie Saoudite refusent toujours d’adopter des objectifs à la hauteur de leurs émissions. La principale avancée de la COP27 restera la création d’un nouveau fonds « pertes et préjudices » pour les pays vulnérables. Ce fonds est, jusqu’à présent, insuffisamment alimenté. Mais il fera l’objet de négociations lors de la COP28. Finalement, la COP27 a mis l’accent sur les mesures d’adaptation au changement climatique. En revanche, elle a péché sur le volet « transition ». Il y a une incohérence dans cette approche, puisqu’un dérapage au-delà de la trajectoire à +1.5 degrés ferait exploser les besoins de financement d’adaptation.

 

De bonnes raisons d’espérer pour l’avenir

 

Les bonnes nouvelles se sont multipliées ces dernières semaines.

 

  • Tout d’abord il y a la COP15 Biodiversité de Montréal et l’accord historique signé par 195 états. Cet accord prévoit de créer des aires protégées sur 30 % de la planète, de restaurer 30 % des écosystèmes dégradés, de réduire de moitié les risques liés aux pesticides et de doubler les financements globaux en faveur de la protection de la nature.

 

Cet accord est un premier pas important et nécessaire. Néanmoins, c’est son implémentation par chaque gouvernement qui déterminera si nous parvenons collectivement à inverser l’effondrement de la biodiversité mondiale. A cet égard, la COP 16 qui se tiendra en 2024 en Turquie s’annonce déjà déterminante.

 

  • Autre bonne nouvelle, l’accord européen sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Cet accord permettra de taxer les importations d’acier, de ciment, d’engrais et d’autres produits fortement carbonés, issues de pays en retard sur l’Union européenne en matière de taxation du carbone. L’idée est d’empêcher le « dumping écologique » par des entreprises produisant à moindres coûts dans des régions non soumises à des réglementations carbone équivalentes à celles de l’Union européenne. Il incitera aussi ces pays à adopter des politiques ambitieuses de réduction de leurs émissions et ce faisant d’éviter les « fuites de carbone ».

 

Concrètement, les importateurs de ces produits devront acheter des certificats d’émissions sur le marché de l’Union européenne. Si le pays d’origine de leurs produits est déjà soumis à un marché carbone, ils ne paieront que la différence avec les prix du carbone sur le marché européen. On voit ici l’incitation faite aux pays exportateurs vers l’Europe d’adopter un marché des quotas carbone. Ce mécanisme permettra aussi à l’Union Européenne d’aller plus loin dans les efforts de réduction des émissions de ses industries.

 

  • Quelques jours plus tard, l’Union européenne annonçait un accord sur la réforme du marché carbone. Cet accord comprend notamment une réduction plus rapide des quotas d’émissions carbone disponibles sur le marché européen, la fin des quotas d’émissions gratuites (d’ici 2034) et donc une augmentation attendue du prix du carbone.

 

L’accord prévoit aussi d’inclure progressivement dans le marché certains secteurs fortement émetteurs, notamment le transport maritime, le transport aérien intra-Union européenne, les immeubles de bureaux, et le transport routier. Il crée également un fonds social pour le climat, destiné à aider les ménages et les entreprises les plus vulnérables à diminuer leurs émissions. Ces mesures sont indispensables à l’atteinte de l’objectif d’une réduction des émissions de 55% d’ici 2030 dans le cadre du plan « fit for 55 ». Elles le deviendront encore plus lorsque l’Union européenne adoptera des objectifs encore plus ambitieux, lors des prochaines COP.

 

  • Une autre composante du pacte vert de l’Union Européenne est l’accord sur l’interdiction à l’importation des produits contribuants à la déforestation qui a été validé début décembre. Cette interdiction frappe les denrées alimentaires (soja, huile de palme, viande de bœuf, café, cacao) et les matériaux (bois, cuir, papier, charbon de bois) issus de zones déforestées après décembre 2020. Les entreprises importatrices seront tenues responsables de leurs chaines d’approvisionnement, et des contrôles seront organisés notamment au moyen de photos satellites et de traçage ADN. L’Union européenne travaille déjà à élargir le périmètre d’application de cette régulation à d’autres commodités, comme le caoutchouc et le maïs, et à d’autres types d’écosystèmes comme les savanes et les tourbières, qui jouent un rôle important de séquestration du carbone.

 

  • Enfin, l’Union européenne a annoncé à la mi-décembre un accord autour d’un taux de taxation minimum de 15% sur les bénéfices des entreprises multinationales enregistrées sur son sol. A partir de 2024, cet accord permettra de limiter la concurrence fiscale entre états. Il devrait inciter d’autres juridictions à s’aligner, à commencer par les Etats-Unis. Le second volet de la réforme devrait permettre de diminuer les pratiques de « prix de transfert » utilisées par certaines multinationales pour déclarer leurs profits dans les juridictions les plus favorables. On touchera là au cœur de l’optimisation fiscale. On n’est donc pas encore au bout du chemin, mais cet accord constitue néanmoins un jalon important.

 

 

Finalement, l’année 2022 aura donc été marquée par le renforcement des régulations qui accompagnent, modèlent et soutiennent l’ISR. Le fait que les régulateurs visent principalement le changement climatique, la déforestation, la biodiversité, les inégalités sociales et la transparence n’est pas anodin. Et, selon toute vraisemblance, ces sujets resteront des éléments moteurs de la finance durable pour les années à venir. L’ISR poursuivra sa mue vers plus de transparence, de meilleures mesures d’impact et donc plus d’exigence vis-à-vis des investisseurs comme des entreprises. Le « Momentum » ESG continue donc, et 2023 s’annonce sous de bons auspices.

 

Communication marketing. Il ne s’agit pas de recherche en investissements. Toute forme d’investissement comporte des risques. Les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

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2022, une bonne année pour l’ESG?

 

Par Florent Griffon, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 29 décembre 2022

 

En cette fin d’année, quel bilan tirer de 2022 pour la finance durable ? Après plusieurs années marquées par des collectes record, l’année 2022 montre un ralentissement dans la croissance des actifs sous gestion ESG en Europe. Faut-il s’en inquiéter ? Apparemment, non. L’ISR est résilient et le « Momentum » ESG continue.

 

L’ISR est résilient

 

L’année 2021 s’était achevée sur des chiffres de collecte historique estimée à 300 milliards d’euros nets en Europe. Les fonds ISR au sens large représentaient près des deux tiers de la collecte globale, et le marché européen de l’ISR était estimé à près de 3.000 milliards d’euros d’encours. Cet engouement pour l’ISR s’était traduit par un quasi doublement du nombre de fonds « ISR » sur l’année, de nombreux fonds conventionnels faisant la conversion. A ce rythme, on anticipait que les encours ISR puisse représenter la moitié du marché européen d’ici 2025-2026, et un cinquième des encours mondiaux[1].

 

L’euphorie semble un peu retombée en 2022. Néanmoins, malgré un marché baissier affecté par un environnement politico-économique difficile (inflation, hausse des taux, conflit en Ukraine, récession), les fonds ESG européens ont mieux résisté que les fonds traditionnels, avec une collecte nette positive sur chaque trimestre, alors que les fonds traditionnels enregistraient des sorties nettes de fonds[2]. Au niveau mondial aussi, les encours totaux des fonds ISR ont mieux résisté que les fonds conventionnels. Et le dynamisme de l’offre de fonds ISR se poursuit, avec près de 150 nouveaux fonds ISR lancés sur le troisième trimestre, l’Europe demeurant le plus gros marché avec près de 82% des encours ISR mondiaux et 76% des fonds enregistrés.

 

 

Vers une finance durable plus mature, plus claire

 

Doit-on s’inquiéter de ce ralentissement de la croissance du marché de l’ISR ? Après plusieurs années de très forte croissance, conduisant au lancement d’un nombre important de fonds, l’offre est très abondante, et la grande variété des approches ESG, plus ou moins ambitieuses, rend difficile la tâche des sélecteurs de fonds.

 

Il y a donc bien un besoin réel de faciliter les comparaisons entre fonds, de les classer selon leur niveau d’ambition ESG, et de vérifier si ces ambitions ESG sont bien effectivement mises en œuvre dans les portefeuilles d’investissements. Et c’est précisément l’objectif recherché à travers la réglementation SFDR.

 

Il est heureux que les différents régulateurs aient progressivement précisé les conditions requises pour qu’une stratégie soit classée « article 9 », « article 8 » ou « autres ». Un nombre limité de fonds est aligné avec cette définition resserrée et restrictive des stratégies « article 9 » (c’est-à-dire poursuivant un objectif environnemental ou social), représentant 5.2% du marché européen à la fin septembre[3], constituant une « niche » de marché de fonds « à impact ». En parallèle, le segment des fonds article 8 (ceux qui promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales) apparait particulièrement encombré, représentant près de 48% du marché européen. Cette catégorie des fonds article 8 recouvre une grande variété d’approches ESG hétérogènes et il importera de distinguer les stratégies durables les plus ambitieuses (notamment celles poursuivant un objectif environnemental ou social partiel), de celles ne promouvant des caractéristiques environnementales ou sociales que de manière limitée, voir superficielle. Il appartient aux maisons de gestion d’apporter plus de clarté aux clients et prospects, tant sur les filtres ESG en place, que sur le « contenu » effectif des portefeuilles. C’est là une tendance de fond de marché ISR.

 

Au total, l’année 2022 aura donc été marquée par le renforcement des régulations qui accompagnent, modèlisent et soutiennent l’ISR. Les sujets clés de 2022 (le changement climatique, la déforestation, la biodiversité, les inégalités sociales et la transparence) devraient demeurer les éléments moteurs de la finance durable d’une année 2023 qui s’annonce sous de bons auspices.

 

[1] PWC, Asset and wealth management revolution 2022 Exponential expectations for ESG, October 2022

[2] Morningstar, Global Sustainable Fund Flows: Q3 2022 in Review, October 2022

[3] Morningstar, SFDR Article 8 and Article 9 Funds: Q3 2022 in Review, Octobre 2022


Cop27 : nouvelles promesses conditionnelles?

Le 30 novembre 2022

 

Au cours des deux dernières semaines, tous les regards étaient à nouveau tournés vers la Conférence annuelle des Parties sur le climat, la 27ème du genre. Il n’est malheureusement pas surprenant qu’une certaine constance soit maintenue dans toutes les conférences à savoir un manque de promesses et d’engagements ambitieux.

Trois questions-clés étaient sur la table avant la COP. Qu’en est-il à la clôture de celle-ci ?

 

Première question-clé : Combler le fossé

 

Les nouveaux engagements sont-ils conformes à la stratégie de Paris ou sont-ils encore complètement à côté de la plaque ?

 

Résultat de l’après COP27 : Négatif

 

Nous sommes encore loin d’être sur la voie d’un scénario à 1,5°C, voire en dessous de 2°C. Aucune mise à jour remarquable des CDN, comme prévu et déjà annoncé dans la période précédant la COP27. Mises à part quelques annonces par-ci par-là telles que celles de l’Union européenne (57 % de réduction des émissions d’ici 2030), du Mexique sur une future mise à jour de ses ambitions avec le soutien financier des États-Unis et du Botswana, qui a doublé son objectif de CDN, la situation ne changera guère.

 

L’Inde a suscité de grands espoirs en promettant une réduction progressive des combustibles fossiles. Avec les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni à bord, l’idée a gagné en crédibilité et en popularité, mais les grands exportateurs de combustibles fossiles comme l’Arabie saoudite ne se sont pas joints aux efforts.

 

Aucun engagement de réduction ou d’élimination progressive des combustibles fossiles (même en excluant le charbon « réduit » de l’engagement), ni aucun engagement de plafonnement des émissions d’ici à 2025 n’ont atteint le texte final, et n’ont probablement même pas été envisagés. Nous restons sur la version de la COP précédente, aucun progrès sur la question des combustibles fossiles malgré l’urgence soulignée par tous les rapports scientifiques. Un lien peut-être avec le nombre multiplié par quatre des déléguées de l’industrie des combustibles fossiles présents à la COP (plus de 600 !).

 

Comme lot de consolation, on peut mentionner la nouvelle alliance trilatérale entre le Brésil, l’Indonésie et la République démocratique du Congo sur la conservation des forêts. C’est une victoire importante, bien que probablement davantage attribuable au retour de Lula da Silva comme président du Brésil, qu’à la COP elle-même.

 

Deuxième question-clé : Une facture toujours plus lourde

 

Est-il enfin temps de combler le déficit de financement de la transition ?

Résultat post-COP27 : Négatif

 

Les engagements nationaux de financement de la transition sont toujours à la traîne. Les besoins annuels d’adaptation sont estimés entre 160 et 340 milliards de dollars d’ici à 2030 et entre 315 et 565 milliards de dollars d’ici à 2050. Les engagements actuels des pays développés sont loin d’atteindre la promesse collective de 100 milliards de dollars, sans parler des besoins d’adaptation totaux. Un nouvel objectif collectif de financement du climat est attendu pour 2024. La procrastination est à son comble.

 

Pour sa part, la Belgique a annoncé un objectif de financement de 138 millions d’euros d’ici à 2024, en mettant l’accent sur le financement de l’adaptation par des subventions, afin de soutenir ses pays partenaires africains et les pays les moins avancés.

 

Heureusement, les partenariats public-privé ont le vent en poupe, et force est de constater que les États-Unis et l’Union européenne jouent un rôle de premier plan dans ce domaine. Grâce à un mélange de subventions, de prêts et d’investissements, le financement du secteur privé parvient aux pays en développement, tout en permettant un partage des risques. Des initiatives telles que les partenariats pour une transition énergétique équitable (déjà annoncés l’année dernière) soutiennent la transition de l’Afrique du Sud vers l’abandon du charbon et ont clairement déclenché d’autres initiatives. Ainsi, l’Indonésie a annoncé un accord de 20 milliards de dollars lors du sommet du G20, le Viêtnam travaille sur un accord et l’Égypte a annoncé un nouveau partenariat majeur lors de la COP27.

 

Mais ces engagements sont-ils suffisamment fermes ? Les changements politiques (par exemple, les élections américaines) ou les tensions géopolitiques (crise énergétique, guerre) vont-ils entraver la réalisation de ces engagements ?

 

Concernant l’article 6 de l’accord de Paris et un marché international du carbone, aucun progrès n’a été réalisé. Bien que les développements sur les principes de crédits carbone à haute intégrité avant la COP27 aient été une bonne nouvelle, les négociateurs de la COP n’ont pas semblé désireux d’intégrer le concept dans un texte formel.

 

Un accord a été conclu pour créer un fonds d’aide en cas de catastrophe climatique. Cela peut être considéré comme une victoire majeure pour les nations les plus vulnérables, étant donné la longue résistance des économies développées à créer un fonds dédié aux pertes et dommages.

 

L’Union européenne a, en outre, tenté de modifier la base de financement d’un tel fonds en y ajoutant la Chine (non pas pour ses émissions historiques, mais pour ses émissions actuelles, son manque d’ambition et sa puissance économique). Une initiative qui n’a pas été bien accueillie par les pays en développement. Toutefois, si des économies à croissance rapide comme la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite ne se joignent pas aux objectifs et aux engagements ambitieux, les concentrations de GES ne diminueront pas.

 

Un autre constat positif est l’accord entre le président français Emmanuel Macron et la première ministre de la Barbade Mia Mottley pour mettre en place un groupe chargé de suggérer des changements lors de la prochaine réunion des gouverneurs du FMI et de la Banque mondiale au printemps 2023. L’inscription du financement de la résilience climatique à l’ordre du jour officiel du FMI et de la Banque mondiale peut être considérée comme une étape positive. Cela va-t-il réformer complètement les institutions financières internationales ? On peut l’espérer.

 

Troisième-question clé : L’innovation et la collaboration vont-elles nous sauver tous ?

 

Résultat après la COP27 : Neutre

 

Bien qu’elles ne soient pas directement liées à l’innovation en termes industriels, de nouvelles normes ISO ont été publiées sur le Net Zero et les plans de transition, tant pour les investisseurs que pour les entreprises. Il s’agit d’une mesure positive visant à normaliser le marché et à garantir que des changements crédibles sont effectués.

 

Conclusion

 

La COP27 peut être considérée comme un nouvel échec. Les efforts de réduction des émissions, les fameux NDC, ne sont pas suffisamment renforcés, les actions de financement de la transition des pays développés vers les pays en développement sont toujours en deçà des montants promis et le fonds pour les pertes et dommages annoncé semble être une autre promesse conditionnelle ou un vœu pieux.

 

Les pays riches doivent comprendre qu’un fonds pour les pertes et dommages, l’étape majeure de la COP27, ne sera financièrement viable que si nous maintenons le réchauffement de la planète à 1,5°C et donc si nous renforçons les objectifs de réduction et d’élimination progressive des combustibles fossiles. L’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ce changement sont liées et entremêlées.

 

En outre, la COP n’a pas réussi, une fois de plus, à aborder la question délicate des économies à croissance rapide comme la Chine, la Russie et l’Arabie saoudite. Sans la participation de ces nations à des objectifs et des engagements ambitieux, les concentrations de GES ne diminueront pas.

 


Résolution d’actionnaire, engagement et désinvestissement : trois pistes pour changer la donne

Le 27 octobre 2022

Les investisseurs disposent de trois leviers pour faire infléchir le comportement des sociétés en matière de responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance : la résolution d’actionnaire, l’engagement, ou le désinvestissement. Mais laquelle de ces trois options est la meilleure ? Analyse.

 

L’expression actionnariale : un outil efficace mais limité

 

En règle générale, une action achetée est assortie d’un droit de vote. Par conséquent, une première méthode d’engagement est le vote, par lequel les investisseurs, mais très rarement les détenteurs de dettes, peuvent exercer leur droit de vote lors de l’assemblée générale annuelle, notamment sur les propositions et résolutions des actionnaires.

Ces dernières semblent efficaces

 

  • Si elles sont déposées chaque année pour maintenir la pression constante de mise en œuvre des changements demandés.
  • Quand leur taux d’adoption augmente.
  • Quand elles exercent une influence plus large en alarmant potentiellement les pairs et en ayant donc un impact sur l’ensemble du secteur.

 

Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer la difficulté de déposer une résolution d’actionnaire.  Il y a la question juridique qui consiste à connaitre chaque règle nationale et locale de dépôt. Ensuite, il y a la question administrative des actions bloquées temporairement.

 

Le vote reste – au-delà de la résolution d’actionnaire – un levier important pour s’exprimer en tant qu’actionnaires (minoritaires) et donner un poids supplémentaire à sa politique durable en définissant proactivement ses lignes de conduite de vote en fonction de ses priorités ESG. Ainsi, un suivi de son action d’engagement sur la question de l’alignement à l’Accord de Paris peut s’accompagner systématiquement d’un vote défavorable sur les points du conseil d’administration pour une entreprise qui refuserait d’aligner sa trajectoire sur l’Accord.

 

L‘engagement, une question de dialogue

 

Les investisseurs dans les entreprises – que ce soit les actionnaires ou les détenteurs de dettes  –  peuvent tirer parti de leur position d’investisseurs pour s’engager auprès des entreprises afin de mettre en œuvre des changements au niveau de l’entreprise (stratégies, politiques, pratiques) dans le meilleur intérêt à long terme de toutes les parties prenantes.

 

Par le biais d’un dialogue personnalisé avec les entreprises à huis clos ou de lettres adressées aux services des relations avec les investisseurs, les investisseurs peuvent faire part des changements positifs souhaités concernant les meilleures pratiques de gouvernance, les objectifs en matière d’émissions de carbone, la gestion des risques liés à l’eau, l’impact des produits sur la santé et la sécurité, etc.

 

Une approche plus formelle est l’engagement collaboratif, dans le cadre duquel différents investisseurs institutionnels se regroupent en mettant en commun leurs capitaux pour accroître leur influence sur l’entreprise.

 

Le désinvestissement : efficace si public

 

Enfin, le désinvestissement pourrait induire une diminution du coût du capital de l’entreprise cible et donc affecter le nombre d’opportunités d’investissement à valeur actuelle nette et finalement diminuer son taux de croissance. Cependant, les universitaires ont constaté que l’impact de la cession est trop faible pour déclencher un changement dans la prise de décision de l’entreprise.

 

En outre, tout investisseur qui désinvestit perd sa participation dans l’entreprise et donc sa voix. Dès lors, le désinvestissement n’a d’impact que s’il revêt un caractère public, une annonce officielle qui fait tache d’huile pour les autres investisseurs et pour les sociétés pairs. Comme une entreprise n’aime pas se retrouver sur la liste noire d’investisseurs médiatisés, l’annonce d’un désinvestissement est néfaste à sa réputation.

 

En conclusion

 

Selon les praticiens, le seul pouvoir des actionnaires réside dans leur vote. Par conséquent, les investisseurs doivent rester investis dans les entreprises et tirer parti de leur position d’actionnaires pour préconiser des changements « de l’intérieur » en s’engageant par le biais d’un dialogue individuel, d’un engagement collaboratif ou en déposant des résolutions d’actionnaires. La propriété active est préférable au désinvestissement, et l’engagement et le vote actifs sont des éléments essentiels pour atteindre les objectifs sociétaux dans le cadre des défis ESG.

 


Placements durables : les réglementations sont-elles la solution à l’éco-blanchiment ?

Par Ophélie Mortier, Chief Sustainable Officer chez DPAM.

Le 27 septembre 2022

Les derniers scandales d’accusation d’éco-blanchiments et les articles très critiques sur l’ESG parus récemment dans le renommé magazine The Economist laissent à penser que les régulateurs ont bien fait de prendre à bras le corps le sujet !

A quelques semaines de l’échéance d’implémentation du niveau deux de la réglementation SFDR, peut-on faire déjà quelques bilans provisoires ?

Certainement ! Le manque de clarté et de compréhension pour l’investisseur, la complexité pour remplir au mieux les exigences réglementaires et le risque encore plus grand d’éco-blanchiment ressortent unanimement des premiers résultats.

 

Un manque de clarté et de compréhension

 

La réglementation SFDR vise à plus de transparence sur les produits financiers et, en particulier, sur leurs ambitions vertes (un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout). Les préférences de durabilité dans le règlement MIFID visent à interroger le client sur celles-ci et y répondre de la manière la plus adéquate et la plus transparente.

 

Nous ne parlerons pas ici de la problématique de timing non aligné entre les deux réglementations. On peut encore s’en accommoder. Mais concentrons-nous surtout sur la complexité du langage exigé dans lequel les professionnels qui s’y penchent depuis plusieurs mois en arrivent parfois à s’arracher les cheveux ! Imaginez la situation d’un investisseur privé qui ne s’est très probablement pas penché sur tous les tenants et aboutissants des différents indicateurs demandés !

 

Quelques exemples concrets pour illustrer :

 

  • L’investisseur peut exprimer ses préférences selon un degré d’objectifs de durabilité tels que définis par SFDR pour les produits éligibles. Premier problème : le taux minimum d’objectifs durables n’est pas imposé par SFDR de sorte que les premières recherches montrent un taux variable de 5 à 80% d’objectifs durables selon les produits d’une même catégorisation. Deuxième problème : alors que la Commission Européenne a voulu être claire sur l’ambition d’un article dit 9 et son taux minimum de durabilité ç’est à dire l’objectif de 100% d’instruments durables hors liquidités et dérivés, le marché s’est prononcé sur un minimum entre 20 et 70% maximum sur ce type de produits.

 

  • L’investisseur peut également exprimer ses préférences selon les fameux « PIN » en français (principales incidences négatives) plus connues sous leur acronyme anglo-saxon « PAI » (principale adverse impact indicators). Il s’agit d’une liste exhaustive de 14 indicateurs obligatoires sur la dimension environnementale et sociale qui doivent être intégrés et mesurés par les produits visant un objectif de durabilité. Si ces indicateurs sont définitivement pertinents ( tels que les émissions carbones, la gestion de l’eau, les déchets dangereux, les écarts de salaire entre genres ou encore la diversité des conseils d’administration), il faut reconnaître que, d’une part, les indicateurs métriques demandés ne sont ni mesurables ni disponibles pour l’ensemble des secteurs et des acteurs et, d’autre part, ils sont rapportés sous la forme d’une moyenne pondérée du portefeuille, leur interprétation est alors très discutable pour l’investisseur.

 

La complexité des informations à fournir accroit le risque d’accusation d’éco-blanchiment

 

Les produits financiers, selon leur classification SFDR, doivent remplir un document dans un canevas strict et précis, qui est annexé au prospectus du produit ou au contrat de gestion du client et approuvé par les autorités de contrôle avec une date butoir du 1e janvier 2023.

Ainsi les produits dits article 9 devront cocher la colonne de gauche de l’annexe et s’engager pré-contractuellement sur un certain nombre de pourcentages minimaux à atteindre sur leurs objectifs environnementaux et sociaux.

 

Ainsi, le produit doit s’engager sur un minimum d’objectifs alignés à la taxonomie européenne, sur un minimum d’objectifs environnementaux qui ne seraient pas de l’ordre de la taxonomie européenne et sur un minimum d’objectifs sociaux.

 

Tout d’abord, au niveau de la taxonomie européenne, il est communément connu que les données disponibles, en principe rapportées par les entreprises elles-mêmes, sont encore de l’ordre de l’exception tant de la règle que des méthodologies qui n’ont pas encore été suffisamment éprouvées. L’alignement d’un émetteur d’un pourcentage X aujourd’hui pourrait être alors assez différent dans 6 ou 12 mois toutes choses étant égales par ailleurs suite à une correction de la méthodologie ou de l’approche.

 

Or, le produit financier doit s’engager à respecter le minimum du prospectus ou du contrat de gestion et rapporter sur une base annuelle sur la réalisation de cette promesse contractuelle.

Ensuite, il faut s’engager sur un objectif minimal environnemental et social. Cela implique, pour un portefeuille d’actions cotées ou d’obligations d’entreprises – nous ne parlerons même pas ici de l’enjeu au niveau des obligations d’Etat – , d’être en mesure de distinguer la part de l’activité de l’entreprise qui répond à un objectif social distinct de son objectif environnemental, supposant dès lors que ces dimensions ne sont pas régulièrement interconnectées.

 

Le degré de précision des engagements contractuels pousse le marché à une grande prudence ! En effet, l’épée de Damoclès d’une accusation d’éco-blanchiment n’est jamais loin. Dès lors, la prudence se traduit par des taux d’engagement minimaux afin d’avoir une certitude de les atteindre dans un an à l’heure du reporting obligatoire et/ou par une révision à la baisse non pas des ambitions durables du produit mais des ambitions en apparence du produit sur la question de la durabilité pour échapper à un cadre réglementaire où le risque d’accusation d’éco-blanchiment est trop important vus les métriques requises.

 

Avec la revue à la baisse des classifications des produits, nous arrivons à la situation d’une masse substantielle de produits dits catégorie 8 présentant des formes diverses et variées d’engagements durables. C’est une masse hétérogène dans laquelle l’investisseur reste perdu et ne trouve pas son chemin.

 

C’est une période de défi pour le secteur financier et le régulateur aujourd’hui face aux investissements durables. L’heure est à la preuve et à la démonstration de la véracité des engagements dans un monde où la métrique et le quantitatif tendent à prendre le dessus sur le qualitatif. Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain. S’il y a urgence climatique et sociale, il faut néanmoins laisser le temps à la réglementation de trouver le juste milieu entre idéal universel et réalité pragmatique.


Où en est-on dans le « say on climate » ?

Par Ophélie Mortier, DPAM

Le 18 août 2022

 

Nous en avions parlé dans le blog du 24 juin 2021, les résolutions à l’assemblée générale des entreprises sur le « say on climate » continuent à s’amplifier. Elles ont été un sujet majeur de la saison de vote 2022.

 

Pour rappel, le « Say on Climate » est une résolution qui figure à l’ordre du jour des assemblées générales. Elle peut être déposée par l’entreprise elle-même ou par ses actionnaires, afin que ces derniers votent chaque année sur la politique climatique des sociétés cotées et assurent ainsi un dialogue permanent autour des défis écologiques. La société espagnole Ferrovial était à l’avant-garde. Depuis lors, la demande n’a cessé d’augmenter.

 

Taux d’approbation important

 

En Europe, une trentaine de résolutions climat ont été déposées lors de la saison 2022. Elles se sont parfois accompagnées de manifestations notamment d’ONG (particulièrement auprès des pétrolières) et ont connu en général un taux d’approbation important.

 

De l’autre côté de l’Atlantique, il est intéressant de voir que de nombreuses résolutions climat ont été déposées par les actionnaires de banques canadiennes. Les institutions financières ont clairement un rôle également à jouer dans leur acceptation de crédit. Cependant, en Europe, ce sont davantage les entreprises non financières qui sont visées par la résolution climatique.

 

Si la résolution climatique ne garantit pas parfaitement la transition énergétique de l’entreprise en ligne avec l’Accord de Paris, elle permet cependant d’avoir une visibilité sur la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre et une transparence accrue sur les moyens mis en œuvre par les entreprises comme leviers crédibles de transition énergétique.

 

Quels sont les critères d’une résolution climat à soutenir en tant qu’actionnaire ?

 

Tout d’abord, il faut vérifier l’origine de la résolution : émane-t-elle des actionnaires ou de l’entreprise même ? Dans le premier cas, on aurait tendance à soutenir la résolution qui forcera l’entreprise à davantage de transparence sur la question.

 

Lorsqu’il s’agit d’une résolution émanant directement de l’entreprise, il semble pertinent qu’il y ait une cohérence entre la résolution proposée et l’engagement général de l’entreprise.

 

Il faut également être attentif à certains éléments clés de la proposition comme par exemple :

 

  • Que le conseil d’administration soit bien en charge de superviser l’engagement
  • Que le reporting au CA soit régulier sur ce dernier
  • Que les objectifs long terme soient bien accompagnés d’objectifs à moyen terme, compatibles avec un scénario 1.5° degré
  • Qu’il y ait un engagement de publication des objectifs intermédiaires et des progrès enregistrés.
  • Il est également important que le projet de rapport et de stratégie concerne bien les émissions directes et indirectes de l’entreprise, appelées également émissions scope 1, 2 et 3.

Il est évident que l’exercice n’est pas aisé pour les non-initiés et les investisseurs retail.  C’est aux institutionnels que reviendra essentiellement la responsabilité de soutenir ou non une résolution et de faire la part des choses vis-à-vis des recommandations des conseillers de vote (proxy advisors) qui ont tendance à ne pas soutenir les résolutions d’actionnaires sous prétexte de s’immiscer dans la gestion quotidienne et l’implémentation de la stratégie de l’entreprise.

 

Quel impact réel attendre de ces résolutions climat ?

 

Pour rappel les votes sur les résolutions climat, qu’elles émanent de l’entreprise ou des actionnaires, ne sont pas contraignants. Ils manifestent uniquement le support ou le mécontentement des actionnaires lorsque les taux de votes défavorables sont importants. En effet, ces votes sur résolutions restent un moyen d’expression des actionnaires important pour exprimer son opinion sur la stratégie climat générale d’une entreprise.

 

Cependant, il est probable que le sujet suive la même direction que sa résolution « grande sœur » sur la rémunération. En effet, le « say on pay » a été longtemps une résolution non contraignante aux Etats-Unis et en Europe. Le cas très médiatisé de la rémunération de Carlos Ghosn lors de l’AG de Renault en 2016 avait poussé l’Etat français à adopter une loi sur l’obligation de transparence des rémunérations des fonctions exécutives.

 

A l’instar de l’AG Renault en 2016, l’AG de TotalEnergies cette année a également fait couler beaucoup d’encre et ce, essentiellement suite à la tentative (avortée) d’actionnaires de déposer une résolution climat pour une meilleure transparence de la stratégie de réduction des émissions indirectes (scope 3) de l’entreprise. TotalEnergies a refusé la proposition de résolution et l’affaire a été déposée devant l’autorité des marchés financiers française (AMF) qui s’est déclarée incompétence pour trancher le cas. Si TotalEnergies a dès lors gagné la partie, elle a vu son image de « meilleure de la classe » dans le secteur écornée par ce manque de coopération et de transparence. Sa propre résolution sur le rapport de progrès en matière de durabilité et climat a d’ailleurs été boudée par les investisseurs institutionnels engagés. Ce fût un moyen d’expression de leur mécontentement sur la gestion du cas.

 

Il n’est pas exclu que ce cas fasse jurisprudence pour l’initiative de projet de loi sur une meilleure transparence obligatoire des stratégies climatiques. A noter qu’en Europe, la directive sur le reporting extra financier (NFRD), qui deviendra la directive sur la publication d’information en matière de durabilité (CSRD), augmentera la transparence sur les données environnementales des entreprises mais sur base des données réelles (historiques) et non sur les ambitions et les objectifs des entreprises.


ESG et impact: les deux faces d’une même médaille

Le29 juin 2022

 

Le défi du durable ne se relèvera pas à coups de notations, il exige une approche active et de la recherche. Au moment où la majorité des investisseurs reconnaît les avantages de l’investissement durable, deux célèbres personnalités américaines élèvent leurs voix pour critiquer ce dernier. Mike Pence, ancien vice-président des Etats-Unis, a récemment manifesté son opposition à une réglementation ESG centrée sur le climat. Cette prise de position n’a cependant rien de très surprenant puisqu’elle émane d’une personne connue pour son scepticisme vis-à-vis du changement climatique.

 

Quant à la seconde critique, elle a été formulée par le célèbre milliardaire Elon Musk, acteur clé dans le secteur des véhicules électriques. Bien que ces deux personnalités ne représentent qu’une petite minorité, leurs propos sont susceptibles de toucher un large public. Il paraît donc important de les analyser de manière objective afin d’éviter toute confusion et de déceler d’éventuelles affirmations fallacieuses.

 

Des critères ESG trop politiques ?

 

Selon Elon Musk, les critères ESG seraient devenus trop «politiques» et manqueraient de fiabilité.  Cette affirmation se base sur le fait que, selon la notation S&P, ExxonMobil compte parmi les 10 entreprises les plus durables au monde alors que Tesla ne figure même pas dans cette liste. A première vue, cela peut paraître surprenant : pour quelles raisons un géant pétrolier est-il noté positivement sur la base de facteurs ESG alors qu’un constructeur de véhicules électriques n’est même pas pris en compte ?

 

Mike Pence a, quant à lui, affirmé dans un récent discours portant sur la politique énergétique que les intérêts des entreprises et de leurs employés étaient sacrifiés sur l’autel d’objectifs politiques. Ce propos faisait allusion aux pressions exercées par des investisseurs activistes dans le but d’obliger les entreprises à adopter les principes d’investissement socialement responsables. Les propos de ces deux personnalités démontrent que certains principes de base de l’approche ESG sont encore mal compris.

 

Une différence essentielle

 

En premier lieu, il importe de faire une nette distinction entre «ESG» et «impact». Les notes ESG attribuées par des prestataires de services tels que S&P cherchent à présenter un catalogue des risques environnementaux, sociétaux et de gouvernance liés aux activités d’une entreprise et à sa chaîne de valeur, risques qui sont susceptibles d’avoir un impact financier sur l’entreprise. En resituant cette dernière dans un contexte élargi, la note ESG est censée fournir aux investisseurs une mesure concise qui reflète les retombées de l’activité de l’entreprise sur ses parties prenantes (employés, actionnaires et utilisateurs finaux).

 

Par conséquent, les fournisseurs de notations ESG tendent à se focaliser sur les informations fournies par l’entreprise en matière de politiques de santé et de sécurité, de recyclage, de recours aux énergies renouvelables, de diversité au sein du conseil d’administration ou encore sur les éventuels sujets de controverse liés aux facteurs ESG. En revanche, leurs notes ne mettent pas nécessairement l’accent sur l’impact des produits et services finaux offerts par l’entreprise. Si tel était le cas, ExxonMobil ne pourrait pas se positionner aussi bien dans un classement basé sur les notes ESG.

 

De là découle la différence très nette entre notations ESG et impact. Alors que la première résulte de l’examen des risques ESG liés à l’élaboration d’un produit ou d’un service, la seconde reflète les incidences de ce produit ou service sur les parties prenantes. Si l’on reprend l’exemple d’ExxonMobil, sa notation ESG élevée peut s’expliquer par des politiques strictes sur le plan de la santé et de la sécurité, des exigences élevées sur le plan de l’éthique et la mise en place d’un important système de gestion environnementale. En revanche, sa notation d’impact sera nettement moins bonne puisque, produisant environ 3% du pétrole mondial, cette entreprise aura un effet négatif sur la plupart de ses parties prenantes. Tesla au contraire n’obtient pas une très bonne note ESG (méthodologie S&P) du fait de politiques internes de santé et de sécurité jugées inappropriées ainsi que d’allégations de pratiques discriminatoires(1).

 

De la double mission du gérant d’actifs

 

Au niveau de leur palette de produits et en conformité avec la réglementation européenne, les gérants d’actifs doivent distinguer les objectifs d’investissement durables, c’est-à-dire l’impact, des caractéristiques de cet investissement, c’est-à-dire les facteurs ESG. Tous deux sont évidemment complémentaires.

 

Cependant, le régulateur cherche, d’un côté, à définir et identifier les activités d’impact au travers de la taxonomie européenne et de l’autre à éviter la confusion entre ESG et impact au moyen de la réglementation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) qui distingue clairement les objectifs des facteurs ESG.

 

Tout ceci montre que la tâche d’un gérant d’actifs véritablement responsable et engagé dans la durabilité est double. D’une part, il doit s’intéresser aux externalités ESG de l’activité des entreprises, encourageant celles qui sont positives et incitant à réduire celles qui sont négatives. D’autre part, il se doit de promouvoir les investissements responsables en détenant en portefeuille des entreprises aux produits et services plus durables.

 

Les réponses adéquates aux défis qui se posent au plan mondial ne se trouvent pas toujours dans un classement, une note ou un indice. En témoignent les fortes divergences observées au niveau des notations ESG proposées par les différents fournisseurs de données. Ceux qui prétendent le contraire tirent parti de la confusion des investisseurs.

 

(1) Dans l’usine Tesla située à Fremont aux Etats-Unis, les normes concernant la santé et la sécurité ont été estimées inférieures à la moyenne. Par ailleurs, le constructeur a été mal noté en raison d’une gestion prétendument déficiente des enquêtes portant sur les blessures et décès intervenus à la suite de l’utilisation du système d’assistance à la conduite de Tesla (Autopilot).

 


10 points à vérifier pour une bonne « Corporate Governance »

Par Florent Griffon, Responsible Invesment Specialist chez DPAM

31 Mai 2022

 

Dans l’investissement ESG, entre le pilier Environnemental toujours aussi important (lutte contre le changement climatique, réduction de la biodiversité) et le retour sur le devant de la scène des problématiques Sociales (précarité énergétique, choc alimentaire), les enjeux de Gouvernance passent parfois au second plan. Or, une Gouvernance d’entreprise saine reste cependant un bon moyen de se prévaloir tant des risques ESG que de déconvenues financières. Mais quels sont les points essentiels à analyser pour une bonne gouvernance ?

 

10 points d’attention

 

Voici quelques points essentiels constitutifs d’une bonne Gouvernance[1] :

 

  1. Un conseil de surveillance en majorité indépendant …et compétent

 

Dans le modèle de gouvernance dual, le rôle du conseil de surveillance est notamment de définir la politique générale et la stratégie de la société. Il doit aussi  « surveiller » sa bonne mise en œuvre par l’équipe dirigeante de l’entreprise (le conseil de direction). Le conseil de surveillance se pose donc en contre-pouvoir vis-à-vis des directeurs exécutifs. Il importe qu’il soit constitué en majorité d’administrateurs indépendants vis-à-vis de l’équipe dirigeante (et autant que possible vis-à-vis des actionnaires principaux). On attendra des administrateurs indépendants qu’ils aient une expertise comptable et financière ou sectorielle solide, qu’ils ne soient pas débordés (pas plus de cinq mandats), et qu’il ne reste pas plus de six ans.

 

  1. Des comités pleinement indépendants

 

Les sous-comités du conseil de surveillance doivent être constitués d’experts indépendants et en nombre suffisant (au moins trois).

Le comité d’audit supervise la production des rapports financiers, la conduite d’audits, et la conformité aux lois et aux règlements. Son indépendance est un gage de qualité des comptes présentés.

Le comité de rémunération définit la politique de rémunération de la société, de manière à aligner les intérêts de l’équipe dirigeante sur ceux de la société et de ses actionnaires. Il veille à éviter une gestion « court-termiste ».

Le comité de nomination passe en revue le profil et l’expertise des membres du conseil de surveillance et promeut la nomination d’administrateurs compétents et indépendants.

 

  1. Un auditeur (surtout) payé pour auditer les comptes

 

La leçon a été apprise à la suite du scandale Enron / Arthur Andersen au début des années 2000 : la rémunération de l’auditeur pour des services non-liés à l’audit ne doit pas dépasser 15%.

 

  1. Des comptes certifiés « sans réserve »

 

Une opinion « sans réserve » émise par l’auditeur confirme que les états financiers ont été établis de manière juste et appropriée, ne contiennent pas d’anomalies significatives, et sont conformes aux principes comptables généralement acceptés et reconnus.

 

  1. Un package de rémunération aligné sur les intérêts des actionnaires et de l’entreprise

 

La part variable de la rémunération des dirigeants exécutifs devra être principalement assise sur des indicateurs de performance de la société à moyen et long terme. La part de court terme devra être plafonnée. De même les stocks options devront être détenues au moins trois ans après leur attribution. Elles peuvent être recouvrées par la société sous certaines conditions que l’entreprise doit préciser. Conformément au Code Belge de Gouvernance d’Entreprise[2], le conseil de surveillance définit un seuil minimum d’actions que l’équipe dirigeante doit détenir et vote le package de rémunération.

 

  1. La séparation des rôles de Directeur Général et de Président du conseil de surveillance

 

Le rôle du Conseil de surveillance étant de superviser l’action de l’équipe dirigeante, par définition, le président du conseil de surveillance ne doit pas être le Directeur général, puisqu’il devrait alors se superviser lui-même, ce qui constitue un conflit d’intérêt évident.

 

  1. Le respect du principe « une action, un droit de vote, un dividende »

 

Le respect du principe « une action, un droit de vote, un dividende » est indispensable au traitement équitable de tous les actionnaires, en particulier des minoritaires.

 

  1. La présence d’actionnaires principaux ou ayant le contrôle

 

On préférera que l’actionnariat d’une société soit atomisé plutôt que d’y voir figurer un actionnaire principal (+ de 10% du capital) dont l’influence sur la gestion de la société n’est pas toujours favorable aux actionnaires minoritaires.

 

  1. Pas de « poison pills»

 

Les « poison pills » et autres mécanismes destinés à décourager les offres de rachat font encourir aux actionnaires un risque de dilution et tendent à surprotéger les équipes dirigeantes. On y verra donc un signal négatif, notamment dans une perspective de moyen et long terme.

 

  1. Les aspects ESG suivi au niveau du conseil de surveillance

 

« Last but not least », le conseil de surveillance a un rôle important à jouer de définition de la stratégie de durabilité de l’entreprise, d’accompagnement du déploiement de cette stratégie par l’équipe dirigeante, de vérification de l’atteinte des objectifs, et plus généralement de suivi de la performance ESG. Ce rôle est de plus en plus souvent assuré par un comité dédié à l’ESG, qui doit lui aussi être pleinement indépendant de l’équipe dirigeante.

 

Atténuation du risque

 

Les bonnes pratiques ici présentées permettent d’atténuer le risque de voir survenir un accident comptable, financier ou ESG, sans pour autant les supprimer totalement. Un nombre croissant d’entreprise adopte ces bonnes pratiques, avec un degré d’alignement plus ou moins fort selon les zones géographiques et la taille des entreprises.

 

Le Royaume-Uni et le Nord de l’Europe font figure de bons élèves, alors que les petites capitalisations sont plus souvent en retard. On assiste néanmoins à un alignement par le haut, et les investisseurs peuvent légitimement attendre de toutes les entreprises qu’elles s’y conforment, progressivement.

 

[1] Nous nous concentrons ici sur la Gouvernance d’entreprise et laissons de côté les autres sujets de Gouvernance que sont la lutte contre la corruption, le respect du droit de la concurrence, ainsi que les problématiques de fiscalités.

[2]https://www.corporategovernancecommittee.be/sites/default/files/generated/files/page/code_belge_de_gouvernance_dentreprise_2020_0.pdf


Comment concilier critères ESG et principes démocratiques ?

Le 27 avril 2022

 

Le conflit Ukraine/Russie nous rappelle quotidiennement ô combien libertés et démocratie sont des valeurs extrêmement précieuses et la sécurité un besoin essentiel. Et paradoxalement, c’est dans ce contexte que les investissements dits ESG durables connaissent une certaine crise d’identité. En effet, quasi unanimement, ces investissements excluent le secteur de la défense car ils ne financent pas l’armement. De plus, si les biais sectoriels ne sont pas systématiquement comparables, la sous-pondération au secteur de l’énergie dans un contexte de hausse des prix (et donc de surperformance relative) est également une constante de ces investissements.

 

Conflit Ukraine/Russie et armement

 

Comme mentionné, les investissements durables sont généralement non exposés au secteur de la défense pour des raisons éthiques. La majorité des labels européens sur le marché exige l’exclusion des armements controversés (loi belge dite loi Mahoux – obligation réglementaire – interdit le financement direct et indirect des armements controversés) mais des armements dans leur ensemble.

 

Le conflit actuel remet en lumière tout le débat du désinvestissement versus l’engagement. Cependant, il est fort peu probable que ce type d’investissements revienne sur la question de l’exclusion de l’armement. Au-delà des performances financières, les compétences durables et la défense des valeurs sont tout aussi importantes pour ce type d’investissements aux yeux de leurs investisseurs.

 

Délocalisations et démocratie

 

Ensuite, l’Europe a délocalisé des industries stratégiques telles que les semi-conducteurs ou les telecoms vers des pays tiers tels que l’Asie et dépend aujourd’hui de pays dont les minimums démocratiques sont discutables. Si le climat continue à prédominer la recherche ESG, la pandémie avait déjà remis sur le devant de la scène la question sociale et en particulier celle de la sécurité des employés. Aujourd’hui, c’est la question de gouvernance relative au respect des droits politiques et libertés civiles qui est mise en lumière.

 

Les investissements durables tendent à ne pas financer certains pays qui ne respecteraient pas les minimums démocratiques ou mis sous embargo. Cependant force est de constater que d’une part, la majorité des investissements en obligations durables souveraines reste exposée à des pays tels que la Russie ou la Chine, à l’instar des indices de marché traditionnels, et questionne la crédibilité de l’approche dite responsable et durable.

 

D’autre part, les investissements durables distinguent généralement le pays (et l’investissement en obligations d’Etat) des entreprises localisées dans celui-ci. Ainsi, il y a lieu de séparer un investissement dans la dette russe et un investissement dans une entreprise localisée en Russie. Cependant, si les deux sont distincts, la frontière n’est pas si tranchée. Le lien étroit entre des entreprises étatiques telles que Gazprom et la dictature régnante freine la majorité des investisseurs responsables.

 

Cependant la situation est rarement toute noire ou blanche et plusieurs exemples notamment d’investissements en entreprises chinoises ont démontré l’implication dans des controverses de respect de droit humain lié à la politique gouvernementale malgré la privatisation des entreprises.

 

L’exemple du fabricant américain de microprocesseurs Intel présentant ses excuses à la suite des réactions négatives suscitées par sa lettre invitant ses fournisseurs à ne pas s’approvisionner en produits ou en main-d’œuvre dans la région chinoise du Xinjiang est parlant à ce sujet. La situation est donc complexe et la délocalisation d’opérations clés est au cœur du débat. Au-delà de la préoccupation des fonds durables, c’est la question d’une relocalisation des industries clés à l’Ouest qui est donc sur la table.

 

A noter également qu’en matière de requis démocratiques, l’ONG Freedom House publie un rapport annuel sur l’état de la démocratie dans le monde et n’a eu de cesse ces dernières années d’alerter sur le déclin de cette dernière et ce de manière globalisée y compris en Europe.

 

Hausse des prix de l’énergie

 

La hausse des prix de l’énergie se fait au détriment de la performance relative des investissements durables et pourrait conduire à une réallocation de ceux-ci vers des investissements dits plus mainstream et davantage exposés au secteur de l’énergie.

 

Cette crainte d’un renversement des flux est cependant limitée. En effet, la crise énergétique et la situation géopolitique pourraient conduire au contraire à une accélération de la transition énergétique, au cœur des objectifs des investissements durables.

 

D’une part, le dernier rapport de l’IPCC est sans équivoque : le changement climatique est scientifiquement prouvé comme étant une menace pour le bien être humain et la santé planétaire. D’autre part, plusieurs pays tels que le Royaume Uni[1] ou l’Allemagne[2] ont encore renforcé leur politique et projets vers les énergies renouvelables.

 

Le 6e rapport d’évaluation sur le changement climatique (IPCC) montre une hausse de 14% des émissions de gaz à effet de serre depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015 avec une année record en 2021 alors que les signataires se sont engagés à une baisse de 45% d’ici 2030. Pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique à 1.5% en 2100 les émissions de gaz à effet de serre doivent atteindre leur pic d’ici 2025.

 

Sans débattre la question d’un prix carbone universel crédible et de taxes potentielles hors sujet d’aujourd’hui, cela implique une décarbonisation agressive et un véritable financement de la transition énergétique à savoir un réel mouvement des flux financiers vers cette dernière.

 

Or, aujourd’hui, la taxonomie européenne – et d’autres taxonomies font leur apparition hors du continent européen – est le seul instrument relativement efficace pour cet objectif bien qu’il présente plusieurs faiblesses d’opportunités d’investissement étant donné les limites de son éligibilité. Mais l’extension aux 4 autres objectifs environnementaux devrait déjà corriger en partie la situation.

 

Le paradoxe des investissements durables

 

En conclusion, les investissements durables vivent une situation paradoxale aujourd’hui. D’une part, le conflit Ukraine/Russie nous rappelle l’importance de valeurs clés telles que la démocratie, la sécurité et les libertés. Des valeurs qui doivent être au cœur de l’approche durable des investissements qualifiés ISR.

 

D’autre part, l’exclusion quasi standardisée du secteur de la défense et de l’armement et la sous-pondération forte et généralisée dans le secteur de l’énergie, jouent en la défaveur de ce type d’investissements qui peut dès lors souffrir d’une certaine sous-performance relative et temporaire. Il est important dès lors de rappeler que la performance financière est tout aussi importante que la crédibilité des compétences durables de ce type d’investissement.

 

Il est bon de rappeler que l’investissement durable est avant tout un investissement à moyen et long-terme qui vise à accompagner les entreprises et les Etats dans leur croissance pérenne et durable et qui vise une performance durable sur cet horizon.

 

La réglementation européenne, en particulier SFDR, est claire à ce niveau : les fameux produits dits article 9 (dark green) de la classification SFDR mettent l’objectif durable en priorité devant tout objectif, financier ou autre. Le cadre de référence restant le plan d’action de la commission européenne pour une finance durable à savoir financer une transition énergétique durable et inclusive. Les preuves scientifiques sont là également pour nous rappeler que l’appât du gain à court terme ne sera pas bénéfique et qu’il est important de s’interroger constamment sur les valeurs essentielles que les entreprises et les états peuvent promouvoir ou négliger.

 

Consultez aussi le corner Placements responsables

 

[1] Le gouvernement britannique a dévoilé le 7 avril sa nouvelle stratégie énergétique : le pays mise en particulier sur les énergies renouvelables, le nucléaire… mais aussi sur de nouveaux projets E&P pétrole & gaz

[2] En Allemagne, le gouvernement a annoncé un nouveau paquet législatif pour une forte accélération des énergies renouvelables.


Durabilité : quel est l’impact des sociétés pharmaceutiques ?

Le 15 mars 2022

 

Lorsqu’il s’agit de l’impact des entreprises pharmaceutiques mesuré par des indicateurs spécifiques, le plus important à prendre en considération est la recherche et le développement. En effet, la R&D est à la base du développement, de la sécurité et de la qualité des produits. Elle est également un facteur clé de l’augmentation des ventes pour les entreprises du secteur pharmaceutique.

 

Mesurer la productivité

 

La R&D a été fortement impactée par l’apparition de la pandémie de COVID-19, conduisant les entreprises pharmaceutiques à réviser leurs dépenses et projets en R&D ces deux dernières années. Un aspect important des dépenses en R&D est leur niveau de productivité, qui représente la relation entre la valeur médicale ou commerciale créée par un nouveau médicament et les investissements nécessaires pour créer ce nouveau médicament.

 

Cependant, la productivité de la R&D est difficile à mesurer car les résultats peuvent être très différents, ce qui crée une complexité supplémentaire pour comparer la R&D des différentes entreprises.

 

Impact du Covid-19

 

Vraisemblablement, l’épidémie de COVID-19 a constitué un tournant majeur pour les entreprises pharmaceutiques et a orienté la majeure partie de leur R&D vers les coronavirus, tandis que les autres types de risques de pandémie ont été mis de côté. En effet, selon “l’Access to Medicine Foundation”, parmi les projets relatifs aux maladies pandémiques, la plupart s’attaque à la pandémie de COVID-19, tandis que seuls une minorité de projets porte sur cinq maladies non coronavirales.

 

On voit ici clairement que d’autres risques de pandémie, tels que les Maladies Infectieuses Emergentes (MIE), ne sont pas abordés. Les efforts déployés pour ces autres maladies ne restent que très faibles depuis l’épidémie de COVID-19, bien qu’elles aient été identifiées par l’OMS et Policy Cures Research comme présentant un risque d’épidémie ou de pandémie.

 

En 2020, 17 entreprises pharmaceutiques ciblaient les coronavirus, parmi lesquelles seulement 9 ont également ciblé d’autres MIE. Il est important de garder à l’esprit que ces autres maladies pourraient être les prochaines à provoquer un pic des taux de mortalité, selon l’OMS.

 

R&D, frais de licence et coûts d’acquisition

 

La pandémie a été à l’origine des dépenses substantielles de R&D dans l’industrie en 2020. Néanmoins il y a également eu des dépenses importantes couvrant les frais de licence et autres coûts d’acquisition. Le classement des entreprises pharmaceutiques, mis en place par Drug Discovery & Development, est une base de données qui couvre toutes les stratégies et technologies liées à la recherche pharmaceutique et au développement de médicaments. Il classe les entreprises en fonction du pourcentage de leurs revenus par rapport à leurs dépenses en R&D.

 

Incyte est en tête de liste, avec 83,10 % de ses revenus consacrés à la R&D, ce qui est nettement plus que les autres entreprises pharmaceutiques. Les autres entreprises ont consacré entre 32,19 % et 18,45 % de leurs revenus à la R&D.

 

Il est important de garder à l’esprit que le classement ne tient pas compte du fait que certaines entreprises sont considérées comme des entreprises BioTech, qui dépensent plus en R&D, et que d’autres sont considérées comme des entreprises Big Pharma. De plus, les Big Pharma sont probablement plus efficaces car elles diversifient généralement leur portefeuille de R&D tout en se concentrant sur plusieurs domaines thérapeutiques fondamentaux dans lesquels elles possèdent un savoir-faire approfondi. Certaines entreprises ont également des divisions non-pharmaceutiques, ce qui signifie que leurs dépenses en R&D sont également destinées à ces divisions-là.

 

Un autre classement a également été réalisé par Drug Discovery & Development. Cette fois-ci les entreprises ont été classées par rapport au montant des dépenses de R&D en valeur absolue. Le classement est assez différent, avec Incyte en 20ème position, et Merck en première position, suivi de Roche Pharmaceuticals, Bristol Myers Squibb, Janssen et Pfizer.

 

Accès aux médicaments

 

En ce qui concerne la R&D, différents facteurs sont également à prendre en compte lorsqu’on parle des entreprises pharmaceutiques, comme l’accès aux médicaments, la diversité des essais cliniques et les maladies ciblées par les entreprises.

 

Parmi ces trois facteurs-là, l’accès aux médicaments reste une priorité majeure. Les entreprises peuvent également être classées en fonction de l’indice d’accès aux médicaments. Il s’agit d’un outil qui identifie les meilleures pratiques et suit les progrès réalisés, en tenant compte du fait que les entreprises considèrent l’accès aux médicaments comme une question stratégique ou non et qu’elles le gèrent comme tel.

 

L’indice examine les stratégies des entreprises en matière d’accès aux médicaments qui visent spécifiquement à améliorer cet accès dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Actuellement, 12 entreprises considèrent l’accès aux médicaments comme une priorité au sein de leur conseil d’administration. Il s’agit d’Astellas, AstraZeneca, Bayer, Daiichi Sankyo, Eisai, Eli Lilly, Gilead, GSK, Novo Nordisk, Novartis, Pfizer, Sanofi et Takeda.

 

 

Aujourd’hui, au-delà d’une simple « stratégie d’accès aux médicaments », huit entreprises ont adopté des processus systématiques spécifiquement dédiés à l’accès aux médicaments pour tous les nouveaux produits. Parmi ces entreprises, GSK couvre 80 % de ses projets, suivie de J&J, Pfizer, Takeda, Novartis et Sanofi. Mais ces plans d’accès ne couvrent que 155 projets sur 394 projets de R&D à un stade avancé. Cependant, pour avoir un impact maximal, les plans d’accès devraient avoir une portée géographique plus large, afin d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes touchées par une maladie ou ayant besoin d’un vaccin ou d’un nouvel outil de diagnostic.

En réalité, il existe un lien étroit entre la R&D et l’accès aux médicaments. En effet, de nouveaux modèles de R&D sont nécessaires pour accroître l’accès à des médicaments abordables, selon le Comité européen de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire. Les entreprises peuvent alors mettre en place plusieurs stratégies de R&D afin de faciliter cet accès. Le Comité européen a exposé différentes stratégies, dont les suivantes :

 

  • Créer de nouveaux partenariats pour accéder à de nouvelles sources d’innovation.
  • Stimuler les fonds de capital-risque des entreprises pharmaceutiques, utilisés pour des investissements dans des start-ups de biotechnologie afin de soutenir l’innovation.
  • Unir les forces lorsqu’il s’agit de mener des recherches et de développer de nouveaux produits pour les mêmes maladies, ce que l’on appelle les partenariats de partage des risques.

 

Indicateurs ESG

 

La leçon tirée de l’épidémie de COVID-19 illustre le fait qu’il est nécessaire de disposer d’un éventail solide et diversifié d’entités, des secteurs privé et public, engagées dans la recherche contre les MIE, pour pouvoir se préparer à de futures pandémies. La R&D ciblant ces différentes MIE doit absolument commencer avant l’apparition des épidémies. Afin de contrer la réticence des entreprises pharmaceutiques à s’engager dans certains projets de R&D, et plus précisément dans le développement de vaccins, la “Coalition for Epidemic Preparedness Innovations” (CEPI) finance, grâce à des dons, des projets de recherche indépendants axés sur les maladies infectieuses émergentes.

 

Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a entraîné des retards importants dans les essais cliniques tout en obligeant les promoteurs à repenser la conception de ces essais pour protéger les participants. Mais la pandémie a également clairement souligné l’importance de l’industrie pharmaceutique dans la société.

 

Dans l’ensemble, on peut considérer que les dépenses en R&D restent un indicateur clé à prendre en compte pour évaluer le profil ESG des entreprises pharmaceutiques et leur impact sur la société. Il doit néanmoins être considéré avec d’autres indicateurs pour créer une meilleure image globale de l’impact des entreprises, comme l’efficacité de la R&D et l’accès aux médicaments.

 

Outre ces indicateurs, une analyse solide prend également en compte les stratégies des entreprises visant à rendre les médicaments plus abordables, et le modèle du Comité européen de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire peut constituer un point de départ solide. La pandémie de COVID-19 a démontré le rôle crucial des entreprises pharmaceutiques dans la société, et il appartient aux investisseurs durables et responsables de séparer le bon grain de l’ivraie par une analyse approfondie, avec l’aide de plusieurs classements externes.


Quels droits et libertés dans le « far west » numérique ?

Le 27 janvier 2022

 

En se promenant dans Londres filmé par plus de 600 000 caméras de surveillance, en faisant défiler son flux Facebook ou en demandant à son enceinte intelligente de résumer les prévisions météorologiques, on est confronté aux droits numériques. Ces droits sont de plus en plus connus à la fois des consommateurs et des régulateurs. Par conséquent, les entreprises subissent une pression supplémentaire pour intégrer ces droits dans leurs processus internes et leurs offres de produits.

 

Droits numériques : une extension logique des droits de l’homme ?

 

Les droits numériques concernent tous les droits de l’homme dans un environnement numérique. Cette définition est assez large, c’est pourquoi ces droits ont tendance à se concentrer sur des questions distinctes. Ils comprennent, entre autres, le droit à la vie privée, la liberté d’expression et le droit d’accès à l’internet.

 

En décembre 2013, l’Assemblée générale des Nations unies s’est penchée sur le droit à la vie privée à l’ère numérique. Elle a précisé que ce droit devait être protégé aussi bien en ligne que hors ligne. Les activités des entreprises peuvent avoir un impact sur ces droits de nombreuses façons. Il peut s’agir de ne pas protéger la confidentialité des données personnelles des utilisateurs. Cela concerne aussi la vente d’équipements technologiques à des gouvernements dont le bilan en matière de droits de l’homme est médiocre et qui sont utilisés pour suivre ou surveiller les communications et les mouvements des individus.

 

Naturellement, le secteur des technologies de l’information peut aussi être un moteur de promotion des droits de l’homme en permettant une communication ouverte entre les personnes et en leur donnant la possibilité de s’exprimer, ce qui renforce la liberté d’expression. Néanmoins, les droits de l’homme peuvent être affectés négativement si ces droits sont restreints de manière systémique.

 

Liberté d’expression débridée ou bridée ?

 

Récemment, une série d’entreprises du secteur des technologies de l’information, telles que Meta (ex-Facebook) et Google, ont pris une position ferme contre la restriction de la liberté d’expression en refusant de supprimer les messages en ligne qui ont permis les manifestations de masse en faveur de Navalny qui ont eu lieu au début de l’année en Russie.

 

D’un autre côté, une liberté d’expression incontrôlée peut également causer des dommages, notamment en raison de la nature algorithmique des plates-formes, qui vise à accroître l’engagement des utilisateurs et à faciliter la commercialisation de la publicité ciblée.

 

Des inexactitudes sensationnelles ou des mensonges purs et simples peuvent être poussés de manière proactive par les plateformes, car ils sont susceptibles de générer plus d’interaction avec les utilisateurs que de simples articles d’information objectifs. Les externalités négatives de ces processus peuvent être illustrées par la diffusion d’informations trompeuses sur le coronavirus ou la diffusion continue de fausses informations sur les élections américaines « truquées » en 2020.

 

Le rôle des données personnelles

 

Compte tenu de ces droits numériques et du rôle que jouent les entreprises informatiques, les données personnelles constituent un moteur économique et une ressource pour l’innovation. En effet, ces données sont un atout essentiel pour les entreprises, mais elles sont également liées à des risques clés à gérer dans les stratégies et les activités des entreprises.

 

Premièrement, un déficit de confiance numérique pourrait éroder la réputation et la marque. Les entreprises du secteur des paiements, par exemple, attirent les clients en se basant sur la confiance des consommateurs. Une violation de cette confiance peut nuire considérablement à ces entreprises. Deuxièmement, les violations et les utilisations abusives de la protection des données peuvent entraîner des amendes et des pénalités élevées, qui ont une incidence sur les résultats de l’entreprise. Il suffit de voir les multiples actions en justice en cours contre Alphabet, qui réclament plus de 3 milliards de dollars de dommages et intérêts en raison de la collecte illégale présumée de données sur les enfants à des fins de publicité ciblée via YouTube.

 

Pression des parties prenantes et réglementation

 

La pression des investisseurs et de la société civile pour intégrer les droits numériques dans les processus de diligence raisonnable des entreprises est importante, mais la législation à venir pourrait être encore plus puissante pour permettre un changement de paradigme.

 

Appliquée en 2018, la législation du Règlement général sur la protection des données (RGPD) de l’Union européenne a été l’un des premiers textes législatifs à accroître le contrôle et les droits des utilisateurs sur leurs données personnelles. Deux propositions législatives européennes à venir, la loi sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA), vont provoquer un bouleversement encore plus important pour les plateformes de médias sociaux et les entreprises Big Tech.

 

La DSA et la DMA visent, respectivement, à clarifier les responsabilités des grandes plateformes en matière de surveillance et à limiter leurs pouvoirs sur le marché. L’ASM, en particulier, va générer un certain nombre de bouleversements car elle obligera les grands acteurs à publier, entre autres, les paramètres de leurs algorithmes de modération du contenu et de publicité ciblée. Le Royaume-Uni fait de même avec un projet de loi sur la sécurité en ligne (Online Safety Bill) qui sera présenté l’année prochaine pour répondre aux préoccupations concernant l’impact sociétal des grandes entreprises technologiques.

 

Naturellement, la réglementation européenne à venir ne peut être considérée comme une simple protection des consommateurs. Elle sera probablement introduite avec des considérations géopolitiques, car la souveraineté technologique est une priorité stratégique de la Commission européenne (CE) et la nouvelle réglementation aura un impact important sur le fonctionnement des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). La DMA se concentrera probablement uniquement sur les GAFAM, car elle a été rédigée pour limiter les pratiques commerciales déloyales et freiner le pouvoir de marché des grandes entreprises informatiques.

 

Un dernier élément réglementaire qui devrait être discuté, est le projet de taxonomie sociale de l’Union européenne récemment publié. L’objectif de cette taxonomie est d’établir un moyen complet de définir ce qu’implique une activité ou une entreprise socialement durable. Une taxonomie similaire a été développée pour les activités environnementales, qui est déjà plus avancée que son homologue social. Le texte préliminaire sur la taxonomie sociale décrit comment les entreprises devront internaliser leurs effets négatifs potentiels sur les droits de l’homme. Cela inclut également les droits numériques, lorsqu’ils sont importants pour les activités de l’entreprise.

 

Evaluation des pratiques des entreprises

 

Parmi les différents risques ESG, les risques sociaux ont tendance à être plus difficiles à évaluer. Un manque de normalisation a conduit à la perception répandue qu’il est impossible de mesurer la performance sociale des entreprises, et que les données existantes ne sont ni fiables ni comparables. Ce problème de cohérence est exacerbé par la faible corrélation entre les scores sociaux définis par les fournisseurs de données extra-financières.

 

Heureusement, il existe plusieurs initiatives qui s’efforcent de résoudre les problèmes liés aux données sociales, et plus particulièrement aux données relatives à la gestion des droits numériques par les entreprises. L’une de ces initiatives est le classement « Ranking Digital Rights ». L’indice de responsabilité des entreprises 2020 du RDR[1], publié en février 2021, a classé 26 entreprises (14 plateformes numériques et 12 opérateurs de télécommunications) en fonction des engagements, politiques et pratiques qu’elles ont divulgués et qui affectent la liberté d’expression et la vie privée des internautes dans le monde.

 

Cette initiative vise à promouvoir la liberté d’expression et la vie privée sur Internet en créant des normes mondiales et en incitant les entreprises à respecter et à protéger les droits des utilisateurs. Chaque année, elle établit un classement des plateformes numériques et des entreprises de télécommunications les plus puissantes, évalué sur la base des politiques et des engagements des entreprises divulgués à leurs utilisateurs et au public.

 

Les points à retenir

 

  • Les droits numériques sont de plus en plus pertinents dans le monde actuel, axé sur la technologie.
  • Nous devons veiller à ce que les droits de l’homme soient pleinement présents dans l’espace numérique.
  • La loi sur les services numériques (DSA) et la loi sur les marchés numériques (DMA) de l’Union européenne feront œuvre de pionnier à cet égard.
  • L’évaluation des pratiques des entreprises en matière de droits numériques reste difficile en raison du manque de normalisation.
  • La technologie de reconnaissance faciale peut avoir un impact sur les droits de l’homme

 

[1] Ranking Digital Rights (RDR) est un projet indépendant hébergé par New America et affilié à l’Open Technology Institute.


Durabilité : Quels sont les cinq messages clés pour 2022 et au-delà ?

Le 30 décembre 2021

Cette décennie a été extraordinaire pour les investissements durables. Nous avons assisté à la confluence d’actions menées par les entreprises, les particuliers et les décideurs politiques. Ces derniers ont été particulièrement actifs au cours des trois dernières années. Le pouvoir croissant de la réglementation change complètement la donne pour la durabilité, et pour les données durables en particulier. La fameuse réglementation SFDR (Sustainable Financial Disclosure Regulation) met la barre de plus en plus haute non seulement pour la divulgation d’informations extra-financières mais aussi pour la discipline et l’approche concernant les cadres durables.

 

Au cours des deux ou trois dernières années, l’accent a été mis principalement sur une seule dimension : l’environnement et en particulier le climat. Néanmoins, la crise sanitaire a démontré le rôle clé du pilier social et la façon dont les trois dimensions – environnement, social et gouvernance – sont interconnectées et nécessitent donc une approche globale.

 

Et pour la suite ?

 

Voici cinq messages clés pour 2022 en termes de durabilité.

 

  1. Le marché ESG a connu une croissance très rapide au cours des 5 dernières années pour devenir aujourd’hui mainstream. Rien ne laisse penser que les flux importants vers les actifs durables de ces derniers trimestres vont s’arrêter subitement. Le suivi de ces flux est essentiel dans la gestion de portefeuille.

 

  1. La réglementation est là pour soutenir – si ce n’est pousser – ces flux. Le règlement SFDR en particulier est un véritable catalyseur pour recycler les actifs d’investissement en solutions d’investissement ESG.

 

  1. La demande est donc clairement en hausse. Du côté de l’offre, l’univers des actifs verts reste relativement restreint, avec des biais géographiques et sectoriels. Cela pourrait peser sur la valorisation. Il est impératif que l’univers s’élargisse afin d’éviter une surcharge de risques d’investissement parmi les suspects habituels dits verts. Les portefeuilles gérés activement peuvent faire la différence.

 

  1. Suite à la récente hausse des valorisations, les actifs dits ESG pourraient être mal évalués. Dès lors, la corrélation positive entre ESG et performance financière pourrait être contestée. Compte tenu de la diversité des approches durables, la réponse n’est pas toujours évidente. Néanmoins, une récente méta-analyse2 du NYU Stern Center for Sustainable Business et de Rockefeller Asset Management a confirmé la corrélation positive et/ou neutre entre l’ESG et la performance financière. Le consensus du marché est clair : l’ESG peut conduire à une surperformance.

 

  1. Enfin, la question des données est un défi bien connu. Le règlement SFDR et la taxonomie en particulier ont changé la donne pour le monde de la donnée en investissement ESG. Les besoins des investisseurs sont passés des évaluations ESG subjectives des fournisseurs de données aux données ESG brutes objectives provenant directement des entreprises. Le monde financier a besoin de données adéquates, fiables et prospectives pour prendre des décisions d’investissement appropriées, en parfaite adéquation avec l’agenda politique 2030-2050. L’annonce par la Fondation des normes internationales d’information financière (IFRS) de la création de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) a donc été bien accueillie par les marchés. Cette initiative permettra de développer une base mondiale complète de normes de divulgation de la durabilité pour le marché financier, ce qui constitue un pas prometteur dans la bonne direction.

 

La course aux émissions zéro n’est pas une simple déclaration !

 

Presque tous les pays se sont engagés à atteindre la neutralité carbone dans les décennies à venir. Cela a des conséquences économiques et financières. Premièrement, cela signifie une sortie complète des combustibles fossiles d’ici 2050 et un processus agressif de décarbonisation. Deuxièmement, cela représente un coût d’investissement estimé à plus de 5.000 milliards de dollars par an jusqu’en 2030, ce qui nécessite un financement considérable.

 

Les cinq dernières années ont été des années record en termes d’obligations dites vertes et d’émissions similaires. Ce n’est qu’un début. Ces instruments devraient être émis massivement dans les années à venir. Ils apporteront une meilleure diversification et une plus grande profondeur aux marchés. Qu’ils soient volontairement attirés par ces instruments ou poussés par la réglementation, les investisseurs sont enclins à acheter des actifs « verts » dont les valorisations commencent à montrer quelques signes de forte demande.

 

En effet, la taxonomie européenne, entre autres, pousse les investisseurs à acheter les titres qui leur permettront d’afficher les meilleurs taux d’alignement sur les deux premiers objectifs du changement climatique (atténuation et adaptation). Les quatre objectifs suivants ont été récemment rédigés[1].

 

Pour rappel, la taxonomie vise à apporter de la clarté sur ce qui doit être considéré comme vert et permet de réallouer les capitaux vers les activités économiques et les entreprises contribuant aux objectifs environnementaux alignés sur la taxonomie.

 

Et la COP 26 ?

 

Bien que les ambitions des pays soient importantes, pour réussir, elles doivent être réalisées à l’échelle mondiale. En ce sens, les résultats de la COP 26 ne sont pas rassurants. « Une COP des pays riches pour les pays riches », comme l’ont déclaré plusieurs experts, et avec un écart important entre les déclarations officielles de la première semaine et les concessions concrètes sur papier de la seconde semaine. Cela a créé un contexte de méfiance entre les pays – et notamment entre les pays développés et les pays émergents – sans précédent que les prochaines conférences devront résoudre rapidement. La guerre de leadership climatique entre la Chine et les Etats-Unis crée déjà quelques tensions géopolitiques. L’échec de la COP 26 sur plusieurs points essentiels de la coopération internationale et la méfiance entre les Etats vont renforcer les tensions géopolitiques sur le sujet.

 

Qu’en est-il sur le front social et de la gouvernance ?

 

L’impact de la réglementation concernant les exigences sociales et de gouvernance a été assez limité pour le moment, notamment sur la valorisation.

 

Sur le front social, l’accent reste mis sur la prise en compte complexe des droits humains tout au long de la chaîne de valeur, le fameux devoir de diligence mis en place par la France et le Royaume-Uni. Cependant, la première version de la taxonomie sociale a été publiée l’été dernier, et elle promet des débats animés et certes subjectifs sur la mise en œuvre.

 

Même constat en matière de gouvernance : les garanties minimales à appliquer d’un point de vue réglementaire renforcent l’examen des incidents et scandales auxquels les émetteurs peuvent être confrontés. De plus, le passage de la suprématie des actionnaires à la gouvernance des parties prenantes met au premier plan la notion de « mission » de l’entreprise envers la société. Cela ouvre la voie à des débats intéressants sur l’équilibre fragile de tout ce microcosme.

 

[1] Durabilité et protection des ressources en eau et des ressources marines (1), transition vers une économie circulaire (2), prévention et contrôle de la pollution (3) et protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes (4).


COP26 : Et après ?

 

Le 24 novembre 2021

 

Et voilà c’est terminé ! La COP 26 de Glasgow, attendue comme la grande COP majeure après la COP 21 de Paris, a fermé ses portes et conclut ses débats dans 3 documents principaux  à savoir :

 

  • Le Pacte de Glasgow pour le climat (Glasgow Climate Pact)
  • Plan de mise en œuvre du financement climatique (Climate Finance Delivery Plan)
  • Le cadre de reporting des engagements de décarbonisation des pays dans le livre des règles de Paris

 

S’il y a eu quelques avancées importantes en termes d’engagement politique, le consensus s’accorde sur une COP décevante, et particulièrement au vue des attentes. Tentons de rester objectif et identifier les acquis également.

 

Le Pacte de Glasgow pour le Climat

 

La COP 26 devait être la COP de l’accélération avec un engagement plus ambitieux de la part des pays signataires. Il est maintenant clairement identifié que les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de 45% par rapport à leurs niveaux de 2010 d’ici 2030 pour pouvoir s’aligner sur un scénario de 1.5°C.

 

(+) Si beaucoup de pays n’y sont pas encore, la définition d’un budget intermédiaire 2030 aux objectifs de neutralité carbone 2050 (et après) permet une identification claire des exigences.

(-) La révision des ambitions à la COP 26 a été reportée à 2022 pour de nouveaux objectifs et une porte de sortie en cas de « circonstances nationales » qui ne permettraient pas la révision des ambitions.

Pour la première fois dans l’histoire de 26 conférences, le charbon est clairement noté et identifié comme source principale des émissions de gaz à effet de serre et donc le besoin de le réduire drastiquement.

(+) C’est une avancée également d’avoir une source majeure identifiée et ciblée.

(-) La proposition initiale anglaise mentionnait la sortie du charbon alors que le texte parle de réduction. L’Inde a été ici fortement montrée du doigt comme le principal détracteur de la proposition initiale. A la décharge de l’Inde, la Chine et les Etats-Unis ont déjà fortement enclenché leur plan d’action de la sortie du charbon, comme l’Europe d’ailleurs. Le duo sino-américain avait plutôt intérêt à pointer du doigt une énergie fossile fortement polluante dont il sort progressivement que de risquer un pointage du doigt plus général vers l’ensemble des énergies fossiles en ce compris pétrole et gaz dont il est clairement plus dépendant énergétiquement et commercialement. A noter que sur cet accord Global Coal to Clean, l’Inde et la Chine qui représentent deux tiers de la consommation n’ont pas accepté l’ensemble de l’accord et que ni les Etats Unis ni l’Australie ne se sont engagés.

 

Le plan de mise en œuvre du financement climatique

 

C’est sans doute la plus grande déception de la conférence, en particulier pour les économies émergentes. Plusieurs experts ont titré d’ailleurs la COP 26 comme une conférence des pays riches pour les pays riches…

 

Petit rappel historique : lors de la COP de Copenhague en 2009, il était question d’une aide aux pays émergents de 100 milliards de dollars par an pour financer la transition. Cette devait aider à diminuer les émissions d’une part et adopter les mécanismes d’adaptation d’autre part. Jusqu’ici seulement 82 à 83 milliards de dollars ont été versés.

 

(+) Il est acté qu’entre 2020-2025, le montant sera versé chaque année avec un plan de financement progressif de manière à ce qu’en 2023 les 100 milliards de dollars soient versés et avec un rattrapage des montants encore dus.

(-) Rien n’a été prévu ou acté pour après 2025. Cela devra être remis sur la table des négociations de la COP 27 en Egypte et les suivantes.

(-) Sur la partie réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’aide se fait essentiellement sous forme de prêts qui peuvent être récupérés suite aux améliorations opérées et aux autres coûts liés aux émissions se réduisant. Cependant, pour la partie adaptation au changement climatique, il était prévu essentiellement des dons et, finalement, ce sera sous forme majoritairement de prêts sur lesquels les pays n’ont pas la possibilité de récupérer l’argent. D’où la remarque d’une COP de riches pour les riches.

(-) enfin dernier point majeur sur lesquels les pays en développement se sont sentis floués est sur la question des pertes et dommages puisqu’aucun mécanisme de financement n’a été défini sur ce point. Les pays en développement, en général les plus exposés au changement climatique alors que pas nécessairement les plus contributeurs, n’ont rien obtenu sur ce point. Ces pertes et dommages sont relativement immatériels aujourd’hui et dès lors non mesurables ou mesurés.

 

L’article 6 – avancée de reporting technique et comptable

 

Une avancée de la COP de Glasgow est également l’avancée sur le cadre de reporting des efforts de réduction et l’échange des émissions. L’accord de Paris permettait déjà l’échange d’émissions entre pays d’un même système de crédit carbone. Aujourd’hui, les pays sont autorisés à acheter des crédits carbones aux pays générateurs de réductions carbone. C’est une avancée technique et comptable afin d’éviter certains doubles comptages dans les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de sphère. Cependant, il n’y a pas eu d’annonces de nouveaux marchés carbones et ces permis de polluer rachetés aux meilleurs élèves ne permettent pas la réduction réelle des émissions à effets de sphère dont la planète dans son ensemble a besoin. Le cadre pour rapporter les réductions de ces dernières tel que défini à Glasgow permettra néanmoins une meilleure appréhension des efforts de chacun et un cadre parfaitement comparatif.

 

Quelques acquis privés, à côté de la COP 26

 

La COP 26 s’accompagne également de plusieurs initiatives privées telles que :

 

  • Engagement mondial sur le méthane (Global Methane Pledge), engagement volontaire de 105 états engagés sur une réduction de 30% de leurs émissions méthane d’ici 2030. Cela devrait impacter l’innovation agricole.
  • Déclaration des dirigeants de Glasgow sur l’utilisation des forêts et des terres (Glasgow leaders declaration on forest and land use), dans laquelle 100 états s’engagent sur l’arrêt de la déforestation (et renversement de la tendance !) d’ici 2030. Mais le Brésil, encore récemment pointé du doigt pour sa déforestation continue, et l’Indonésie ne se sont que partiellement engagés. De plus, rien n’a été mentionné sur l’argent requis pour cet objectif.
  • Alliance au-delà du pétrole et du gaz (Alliance beyond Oil & Gas) et la sortie du financement public à l’étranger des énergies fossiles d’ici 2022 de 24 pays, sous l’impulsion du Costa Rica et du Danemark.
  • Et l’Alliance financière de Glasgow pour Net Zero (Glasgow Financial Alliance for Net Zero), soit plus de 450 établissements financiers et 130.000 milliards d’euros sous gestion pour l’engagement de l’alignement des portefeuilles Net Zero d’ici 2050. C’est un engagement massif puisque les Principes des Nations-Unies, malgré un succès important, n’ont pas réuni un tel nombre d’acteurs et actifs sous gestion ces deux dernières années. Il faudra bien entendu vérifier l’implémentation d’une si belle promesse puisqu’elle a des implications majeures sur la construction des portefeuilles et des activités économiques à potentiellement exclure.

 


Durabilité : Même dans les élections des prix Nobel !

Le 26  octobre 2021

Définir la durabilité n’a jamais été une tâche facile jusqu’à ce que la Commission Brundtland, en 1987, tente de la définir. « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

 

Dans le monde de la finance, c’est l’intégration des facteurs environnementaux (E), sociaux (S) et de gouvernance qui tente de couvrir cette notion de durabilité. Dans le passé, le travail de plusieurs lauréats au prix Nobel pouvait être lié au développement durable, notamment le pionnier de l’agriculture Norman Borlaug qui, en tant qu’initiateur de la révolution verte, a remporté le prix Nobel de la paix en 1970.

 

Focus sur le développement durable

 

Cette année, le développement durable aura été au cœur de la sélection de la plupart des Prix Nobel. En effet, le prix dans toutes ses catégories, est clairement réservé à ceux qui œuvrent courageusement à un avenir durable dans le cadre des trois grands piliers de la durabilité (ESG).

 

Prix Nobel de physique : nous pouvons enfin partager des nouvelles positives sur le climat.

 

2021 a été secoué par un nouveau rapport sur le climat. Le rapport est plus dramatique que jamais, notamment en raison de la fiabilité accrue des modèles de prédiction scientifique. Nous devons remercier Syukuro Manabe (JP) et Klaus Hasselmann (DE) pour leurs recherches sur la prédiction fiable du réchauffement climatique.

 

Prix Nobel de chimie : y a-t-il un avenir vert pour l’industrie chimique ?

 

Les chercheurs Benjamin List (DE) et David MacMillan (US) ont reçu le prix Nobel de chimie cette année pour avoir mis au point une méthode inventive permettant de construire des molécules de manière plus propre et plus efficace afin de contrôler ou d’accélérer les réactions chimiques, appelées « catalyseurs ». Bien que les métaux ou les enzymes soient à l’origine utilisés comme catalyseurs, les deux scientifiques ont travaillé (indépendamment) à la mise au point de catalyseurs organiques, beaucoup plus respectueux de l’environnement (et aussi moins chers et plus faciles à produire). Ces catalyseurs durables peuvent ensuite être utilisés dans le développement de cellules solaires ou même de médicaments. Ils contribuent ainsi à l’ « écologisation » et à la « durabilité » des processus chimiques et, en définitive, à un monde durable.

 

Prix Nobel d’économie : l’augmentation du salaire minimum n’entraîne pas de pertes d’emplois !

 

D’importantes recherches ont également été menées (et récompensées !) dans le domaine social. L’économiste du travail et professeur américain David Card est spécialisé dans le rôle des salaires et de la migration. Ses recherches empiriques pionnières mettent fin au mythe selon lequel l’augmentation du salaire minimum entraîne de toute façon des pertes d’emplois.

Cette question fait l’objet d’un débat acharné depuis des années, et principalement aux États-Unis. Ses conclusions seront-elles prises en compte par les gouvernements et les entreprises ? Le prix a également été décerné à son collègue Joshua D. Angrist. Ses recherches méthodologiques et empiriques sur les décisions politiques (notamment sur la relation entre l’éducation et le revenu) apportent un éclairage important sur l’étude et la détermination des relations de causalité dans les thèmes économiques. À la veille du sommet sur le climat de Glasgow (COP26), où les décisions politiques peuvent avoir des conséquences considérables pour la société, cette recherche semble cruciale et peut contribuer à la prise de décisions politiques fiables.

 

Prix Nobel de la Paix

 

La liberté d’expression, malheureusement pas encore acquise. La liberté d’expression et la liberté de la presse sont essentielles à un avenir durable. Cette année, le prix Nobel de la paix a été décerné à Maria Ressa, des Philippines, et à Dmitri Muratov, de Russie. Ils ont été reconnus pour leur engagement en faveur de la liberté de la presse et de la liberté d’expression dans leur pays d’origine (dictatorial), malgré les circonstances de plus en plus difficiles dans lesquelles ils doivent eux-mêmes travailler. Maria Ressa a notamment été accusée de diffamation, tandis que le journal de Dmitri a dû faire face à des attaques mortelles contre six journalistes ces dernières années.

 

À une époque de numérisation accrue, nous pouvons (à juste titre) nous demander si les gouvernements et les grandes plateformes de médias sociaux tiendront compte des conclusions (et des points douloureux) concernant les fake news et la manipulation lors de l’élaboration de réglementations et de plateformes et services respectivement.

 

Littérature et médecine : la durabilité aussi présente !

 

Le Tanzanien Abdulrazak Gurnah a reçu le prix Nobel de littérature pour ses travaux sur les conséquences du colonialisme et le sort des réfugiés et des autres confessions. Il est le deuxième auteur noir à recevoir le prix de littérature. Les conflits économiques, souvent liés à des questions de durabilité, provoquent l’afflux croissant de réfugiés. Les décideurs politiques peuvent-ils apprendre quelque chose du travail du Tanzanien ?

 

Le prix Nobel de médecine est par défaut lié à la durabilité. Cette année, le physiologiste David Julius (US) et le biologiste moléculaire et neuroscientifique Ardem Patapoutian (US-AM) ont reçu le prestigieux prix pour leurs recherches sur les fonctions des récepteurs de la température et du toucher. Leurs découvertes contribuent également à un avenir durable puisqu’elles sont utilisées pour mettre au point des traitements pour diverses affections, dont la douleur chronique.

 


Climat et Afrique : le continent des paradoxes

Par Ophélie Mortier, DPAM

Le 8 septembre 2021

 

Le continent africain, et en particulier l’Afrique sub-saharienne, est le continent des paradoxes[1].

D’une part il est le plus petit contributeur aux émissions de gaz à effet de serre de la planète (0,8 tonne par habitant). Il est aussi le continent le plus vulnérable aux conséquences dramatiques du réchauffement climatique

D’autre part, il est la proie de sécheresses impitoyables justifiant la migration de nombreuses populations. Il est aussi la victime d’inondations spectaculaires.

Enfin, on pourra également citer le paradoxe d’un manque cruel d’accès à l’électricité alors que le pays regorge de ressources et d’options en énergie renouvelable.

 

Un petit contributeur aujourd’hui

 

Le changement climatique requiert une solution collective de la part de toutes les instances de gouvernance, de l’Etat aux plus petites municipalités. L’approche que l’Afrique adoptera en matière de lutte contre le changement climatique, particulièrement en matière d’adaptation plutôt que de mitigation et en matière d’accès énergétique concerne donc tout le monde.

 

En effet, aujourd’hui l’Afrique contribue pour moins de 4% des émissions carbone globales.  Sa progression historique, contrairement au continent asiatique, en particulier la Chine, est restée très stable au fil des décennies. Or, si l’Afrique poursuit un modèle de croissance similaire aux pays plus développés, comme l’ont fait notamment la Chine et l’Inde, le continent pourrait émettre entre 4 à 7 giga tonnes d’émissions carbone d’ici 2050 soit la somme des émissions carbone de la Chine, de l’Europe et des Etats-Unis réunis!

 

Vulnérabilité et momentum

 

La situation géographique du continent explique sa vulnérabilité face au changement climatique. Cette vulnérabilité est accentuée par la faiblesse des conditions socio-économiques et des instances de gouvernance. La récente pandémie liée au COVID-19 n’a pas arrangé la situation. Au contraire, elle a ralenti les progrès opérés par certains pays tels que le Ghana ou le Sénégal.

 

Selon le principe des Nations Unies des responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives, la plupart des pays sub-sahariens ne sont pas soumis à des obligations de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Ils  sont aussi sujets à un support financier par les pays plus développés. Et cette aide sera bien nécessaire puisque l’adaptation au changement climatique manque cruellement de know how, de solutions technologiques et de support financier. Par ailleurs, elle ne semble pas être la priorité des agendas politiques locaux. La COP 21 de Paris avait promis 100 milliards de dollars par an pour assister les pays en voie de développement dans leurs efforts de mitigation et d’adaptation. Cette enveloppe devrait être rediscutée lors de la COP 26.  Car c’est environ 715 milliards de dollars qui sont estimés par l’AfDB comme nécessaires pour faire face aux objectifs de l’UNFCCC et de l’Accord de Paris sur la décennie 2020-2030. Le momentum pour une énergie plus verte et plus durable semble donc être bien là pour le Continent.

 

Des ressources renouvelables importantes…

 

Le continent africain regorge de possibilités en matière d’énergies renouvelables. Il dispose des ressources les plus importantes au monde en matière d’énergie solaire, un potentiel en énergie éolienne substantiel sans exclure les potentiels de l’énergie hydraulique et les ressources géothermales du continent.

 

A titre illustratif, l’énergie solaire en Afrique, le plus gros réservoir au monde, ne représente même pas 1% des capacités installées mondiales. Cet exemple démontre les nombreux défis auxquels est confronté en général le continent. Ces défis sont l’incertitude politique, l’inadéquation des infrastructures et réseaux, l’instabilité de la situation financière et l’accès encore limité au financement étranger et privé.

Cependant, la majeure partie du Continent a signé l’Accord de Paris et s’est donc engagé à réduire ses émissions carbones, notamment en augmentant ses capacités en énergie renouvelable. Le Maroc, le Sénégal, l’Afrique du Sud et le Kenya en font partie et ont montré leurs premiers engagements en la matière. Le Kenya se démarque sur la question du renouvelable avec près de 50% de sa production provenant des énergies renouvelables, à l’exclusion de l’hydro énergie (les données les plus récentes de la banque mondiale datent de 2015) et une dépendance aux énergies fossiles notamment charbon et pétrole de moins de 13% la même année.

 

Accès à l’électricité limité

 

Face à ces ressources importantes en renouvelables, il peut paraître invraisemblable que l’accès à l’électricité reste un défi majeur pour l’Afrique.

Aujourd’hui le bois représente la première source d’énergie primaire dans les pays sub-sahariens. Cela entraîne des conséquences que nous connaissons en matière de santé et de déforestation. Une réforme des sociétés de biens d’utilité publique est nécessaire et tout retard ne fera qu’augmenter la facture.

En effet, d’une part l’IEA a estimé qu’installer les connexions au réseau est plus coûteux aux gouvernements que de développer la piste des alternatives renouvelables.

D’autre part, le coût des coupures d’électricité serait estimé entre 2 et 4% du PIB alors que les subsides aux énergies fossiles représentent près de 5,6% du PIB de l’Afrique sub-saharienne. [2]

Il y a donc un vrai potentiel qui devrait être un encouragement pour les gouvernements d’agir.

 

Il y a urgence !

 

Aujourd’hui, près de 780 millions de gens vivent dans une extrême pauvreté et la moitié de ceux-ci se trouvent en Afrique. Or le Sub-Sahara a une dynamique démographique très différentes des autres pays et continents. Les Nations Unies projettent une population de quasi le double d’ici 2050 avec 2,1 milliards d’habitants. Il y a donc urgence à apporter une réponse.

 

Les énergies renouvelables sont compétitives par rapport aux centrales électriques fonctionnant à partir de l’énergie fossile. Cependant les sociétés d’électricité en Afrique sub-saharienne sont dans des conditions financières désastreuses. Face aux projets de renouvelables gourmands en capital, les investisseurs restent frileux et averses au risque.

En effet, les sociétés d’électricité survivent pour la plupart grâce aux subventions des gouvernements qui pèsent sur l’endettement publique dans un cercle vicieux dangereux et au détriment du financement de piliers de durabilité tels que la santé ou l’éducation. Il n’est pas possible d’augmenter les tarifs d’électricité, qui sont parmi les plus élevés et aujourd’hui forts dépendants des aléas du prix du carburant, alors que les sociétés parviennent à peine à couvrir leurs coûts de maintenance et d’entretien des réseaux et le développement de ceux-ci.

 

Quelle solution apportée par les gouvernements ?

 

D’une part, le secteur de génération d’électricité doit être réformé et les subsides à l’énergie doivent être poursuivis étant donné les faibles revenus de la population. Cependant, c’est cette implication des gouvernements qui a également créé une interférence politique importante et peu favorable au bon développement du secteur.

 

Un recours à une privatisation partielle pourrait être envisagé en restant attentif qu’une libéralisation complète du système pourrait avoir des conséquences sur les prix. Cependant, le prix de l’électricité est parmi les plus élevés au monde dans les conditions actuelles. C’est la question des subsides qui doit donc être mise sur la table. Comme dit plus haut, près de 5,6% du PIB de la région est consacré au soutien des énergies fossiles.

Par exemple, l’Afrique du Sud a accepté d’autoriser les investissements dans le secteur de l’énergie en dehors d’ESKOM, qui avait le monopole de la production d’électricité.  L’Afrique du Sud est le plus grand contributeur aux émissions de gaz à effet de serre en Afrique. Autoriser les investissements privés pourrait changer la donne dans un pays qui a connu des pénuries (délestage) au cours des dernières années.

 

Espoir des COP ?

 

Comme indiqué, la COP 26 devrait revoir la question de l’aide aux pays en voie de développement. Cependant, les derniers sommets des G7 et G20 ne semblaient pas aller dans la bonne direction sur la question. Il faudra attendre donc les discussions de Glasgow. L’incapacité des pays africains à parler d’une seule voix jusqu’ici sur la question du changement climatique et les politiques climats à adopter ne joue probablement pas en leur faveur. Malgré plusieurs tentatives pour un texte commun, celui-ci n’a pas encore émergé des différentes instances. Cela peut représenter une faiblesse importante pour la défense des intérêts d’un continent qui a clairement un rôle important à jouer dans la réforme vers une croissance plus verte et plus inclusive. A voir si la COP 27 qui devrait se tenir en Afrique en 2022 résoudrait déjà cette problématique ? Mais l’urgence climatique attendra-t-elle jusque-là ?

 

[1] L’article se base sur un ensemble d’articles publiés dans le dossier « HOPES AND REALITIES: A GREEN RECOVERY FOR AFRICA? » par ISPI

[2] Source : When the Sun Shines, G. Schwerhoff and M. Sy, Finance and development, March 2020


Tour d’horizon du marché des obligations labellisées « développement durable »

Par Matthew Welch, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 11 août 2021

 

Le marché de la dette durable continue de croître rapidement. L’année 2020 a été très productive pour le marché obligataire durable, avec une croissance de 29%. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, les obligations « sociales » ont été un élément clé de cette augmentation.

 

Cette hausse a coïncidé avec la propagation du virus COVID-19 et les problèmes sociaux qui y sont associés, comme la santé et la sécurité des travailleurs sur le lieu de travail et une augmentation du taux de chômage.

 

Néanmoins, les obligations « vertes » restent le principal moteur du marché obligataire durable. En ce qui concerne les obligations « sustainability-linked » (SLB), ce type d’instruments a été introduit sur le marché en 2019 par la société d’électricité Enel, et gagne rapidement les faveurs des investisseurs durables.

Emission de dette durable ($Bn) par type d’instruments

 

 

Source: BloombergNEF, Bloomberg LP

 

Les obligations vertes : le principal moteur du marché de la dette durable

Les obligations vertes sont des instruments de dette basés sur des projets. Cela signifie que les fonds recueillis par l’émission de ces obligations sont consacrés à la réalisation de projets clairement définis. Ces instruments permettent aux investisseurs de comprendre clairement comment le financement sera utilisé, afin de trouver des solutions au changement climatique ou à la perte de biodiversité, par exemple.

 

Les lignes directrices de l’International Capital Market Association (ICMA), appelées « Green Bond Principles », garantissent aux investisseurs une transparence maximale. Ces principes décrivent le type de projets qui peuvent être financés, la manière dont les projets sont évalués et sélectionnés et dont les fonds sont gérés et, enfin, les rapports à fournir sur l’utilisation des fonds et leur impact.

L’expérience acquise sur les obligations vertes a montré que ce type d’instruments permet d’orienter des capitaux vers des projets ayant un impact positif sur l’environnement.

 

Toutefois, ce type d’instruments présente également un inconvénient. Ces obligations sont principalement émises par les secteurs de la finance et de l’énergie. Ces deux secteurs fonctionnent souvent sur base de projets, avec des portefeuilles de projets ayant un lien naturel avec les objectifs de durabilité verte, qui peuvent donc facilement être financés par un instrument centré sur des projets spécifiques.

 

Le graphe ci-dessous reflète l’offre d’obligations durables entre 2013 et aujourd’hui. La surreprésentation des secteurs financier et des services publics est évidente. Cela se traduit par le financement de certains types de projets, notamment dans les domaines des énergies renouvelables et du logement durable. Bien qu’une plus grande diversification des secteurs émettant des obligations vertes a eu lieu ces dernières années, cette concentration sectorielle pourrait poser problèmes, car une transition de tous les secteurs est nécessaire pour relever les défis environnementaux.

 

 

Source: Bloomberg, Morgan Stanley Research

 

Il semble désormais qu’un nouvel instrument de financement, les obligations sustainability-linked, offre une réponse à la concentration sectorielle qui caractérise le marché des obligations vertes.

 

Obligations sustainability-linked

 

L’ICMA définit les obligations SLB comme tout type d’instrument obligataire dont les caractéristiques financières et/ou structurelles peuvent varier selon l’atteinte d’objectifs de durabilité prédéterminés par l’émetteur. La caractéristique variable de l’obligation est souvent un taux de coupon augmenté si l’émetteur ne parvient pas à atteindre des objectifs de durabilité prédéterminés.

 

Le concept crée alors un instrument orienté vers l’avenir et basé sur les performances de l’émetteur.  Contrairement aux obligations vertes, instruments qui visent la réalisation de projets spécifiques, les SLB visent à promouvoir un comportement durable de l’émetteur dans l’exercice de son activité. Le SLB est un instrument où l’investisseur ne sait pas à quoi les fonds seront utilisés, mais il peut avoir l’assurance de l’impact que l’entreprise générera grâce à des objectifs de durabilité prédéfinis. Les restrictions typiques aux projets financés par les obligations vertes étant levées, un plus grand nombre d’émetteurs peuvent faire usage de cet instrument.

Sur base des chiffres du mois d’avril 2021, visibles dans le tableau ci-dessous, on constate que cette diversification sectorielle des émetteurs a lieu grâce à l’introduction d’obligations SLB.

 

Source: Bloomberg, Morgan Stanley Research

 

Il est important de souligner que, contrairement aux obligations vertes et sociales, il n’y a aucune certitude quant au type de projets environnementaux ou sociaux pour lesquels l’obligation sera utilisée. L’émetteur a le contrôle total de l’utilisation des fonds. Cette flexibilité supplémentaire est à la fois une bénédiction (univers plus large d’émetteurs) et une malédiction (plus de risques de green washing).

 

 

Des lignes directrices

 

Afin de normaliser l’usage de cet instrument, l’ICMA a également élaboré des lignes directrices pour les entreprises qui envisagent d’émettre une SLB. Ces principes se composent de cinq éléments fondamentaux :

 

  • Les indicateurs sélectionnés doivent être pertinents, essentiels et significatifs pour l’émetteur. En outre, les indicateurs doivent être mesurables et, de préférence, vérifiables par une entité externe. Par exemple, l’un des indicateurs du cadre de SLB de H&M est le pourcentage de matériaux recyclés par rapport à l’ensemble des matériaux utilisés pour la fabrication des vêtements.
  • Les objectifs de performance en matière de durabilité pour les indicateurs sélectionnés doivent être ambitieux, c’est-à-dire que l’entreprise doit placer la barre haut en ce qui concerne ses engagements durables. Pour mesurer le niveau d’ambition de ces objectifs, il faut les comparer à un point de référence, aller au-delà d’une trajectoire de statu quo et se fonder de préférence sur des scénarios scientifiquement validés ou sur des objectifs internationaux, tels que l’accord de Paris. Enel, la société d’électricité, utilise un objectif de réduction des gaz à effet de serre qui est conforme à l’accord de Paris.
  • La manière dont les caractéristiques financières ou structurelles de l’obligation changent dépend de la réalisation des objectifs prédéterminés. Par exemple, Klabin, une entreprise brésilienne de papier, a fixé une augmentation du coupon de 12,5 points de base si un indicateur (l’intensité de la consommation d’eau) n’atteint pas l’objectif prédéfini d’ici 2025.
  • L’émetteur rendra compte de la progression des indicateurs pertinents et assurera une transparence totale envers les investisseurs.
  • La vérification des objectifs pour chaque indicateur doit avoir lieu à des intervalles prédéterminés.

 

Difficulté de trouver des indicateurs pertinents

 

La sélection d’indicateurs et d’objectifs pertinents peut être plus facile pour les entreprises exposées aux problèmes liés au climat, puisque des processus et des objectifs clairs sont définis pour calculer les émissions à effet de serre. Pour les entreprises confrontées à des problèmes de durabilité sociaux, la conception d’indicateurs et d’objectifs pertinents peut être plus difficile, mais pas insurmontable.

 

Compte tenu de la flexibilité supplémentaire offerte par ce type d’instruments et de l’incertitude quant à l’allocation véritable du capital levé par l’émission de l’obligation, les investisseurs doivent analyser en profondeur chaque émission afin d’éviter le green washing.

La nécessité d’analyses qualitatives

 

Vu les ambitions du Président américain Joe Biden, le développement d’initiatives environnementales au niveau européen et l’annonce par plusieurs gouvernements et entreprises d’objectifs d’émissions nettes nulles, la part d’obligations durables ne fera que croître. L’émergence de ce type d’instruments est encouragée. Cependant, il est essentiel que les investisseurs procèdent à une analyse qualitative afin de confirmer la valeur des SLB individuelles sur le plan durable.

 


Qu’est-ce que le « Say on Climate » ?

Par Ophélie Mortier, DPAM

Le 24 uin 2021

 

En 2016, les pétrolières ExxonMobil et Chevron rejetaient les résolutions d’actionnaires les appelant à mieux tenir compte du réchauffement climatique. Un an plus tard, elles pliaient sous la même requête et se trouvaient dorénavant contraintes à plus de transparence sur leur stratégie du risque climatique.

 

Aujourd’hui, plusieurs pays à côté de l’Union Européenne et notamment sa réglementation SFDR ont fait du risque climatique un risque systémique sur lequel (quasi) toutes les entreprises doivent répondre.

 

Nouveau tournant dans cette lutte contre l’indifférence au changement climatique : le « Say on Climate », qui s’inscrit dans la vague de fond sur les comptes à rendre en matière de responsabilité sociétale en général et de climat en particulier et dans la lignée de son précédent « Say on Remuneration ».

 

Définition

 

Le « say on climate » est une résolution à l’agenda des assemblées générales, qui peut être déposée par l’entreprise elle-même ou par ses actionnaires, afin de faire voter les actionnaires chaque année sur la politique climat des entreprises cotées et assurer dès lors un dialogue permanent sur les questions environnementales. C’est la société espagnole Ferrovial qui a fait la première proposition. Depuis lors, la demande n’a eu de cesse d’augmenter.

 

Il s’agit donc d’un vote consultatif. En d’autres termes, il n’a pas à être juridiquement suivi d’effet. Sans pouvoir contraignant, il n’interfère pas non plus dans la hiérarchie et les rôles des différents organes de l’entreprise. En effet, il faut rappeler que le conseil d’administration d’une société est en charge de la stratégie de cette dernière alors que l’assemblée des actionnaires a un rôle de contrôle de cette stratégie. Les résolutions déposées par les actionnaires sont régulièrement non soutenues par les entreprises et les proxy voters sous le prétexte qu’il y a interférence dans les rôles et que les actionnaires n’ont pas à se substituer au conseil d’administration. Etant donné le caractère non contraignant, quelle utilité dès lors dans ce cas?

 

Quelle utilité ?

 

Tout d’abord, la résolution répond à une attente des investisseurs. Il y a une pression croissante des investisseurs pour une accélération de la transition énergétique. Des activistes, tels que Follow this, réclament une accélération du concept « net zero emissions » et un meilleur alignement avec l’Accord de Paris. Si la résolution déposée par les actionnaires ne recevait pas le support de l’entreprise, cette dernière peut s’attendre à un vote de sanction à la prochaine AG. Ce vote peut se concrétiser par le refus de l’approbation des comptes, la non ré-élection d’un administrateur, etc. Plusieurs points traditionnellement à l’agenda des assemblées permettent aux actionnaires de traduire leur mécontentement vis-à-vis de la gestion de l’entreprise par un vote défavorable et ce moyen est régulièrement utilisé.

Ensuite, l’assemblée générale est « le moment privilégié de communication de la société avec ses actionnaires »[1]. Malgré la montée croissante des votes électroniques instruits par les investisseurs institutionnels contraints de soumettre leurs instructions près d’une dizaine de jours avant l’assemblée générale auprès des banques dépositaires, de sorte que celles-ci sont connues de l’entreprise avant l’ouverture de l’AG, il n’en reste pas moins que l’assemblée est, en effet, un accès de communication essentiel des actionnaires à l’entreprise.

 

Vers une systématisation, voire une obligation

 

Les résolutions actuelles foisonnent et montrent aussi la diversité des propositions émanant des entreprises et des actionnaires. Elles peuvent en effet concerner un vote sur le risque climatique lors des futures AG, être liées à d’autres demandes climatiques comme une réduction des émissions de gaz à effet de serre, etc. C’est le cas du mouvement « Follow this » qui réclame des objectifs à court, moyen et long terme de réduction des émissions et l’intégration des émissions dite de scope 3, c’est à dire les émissions indirectes émises par le produit en soi et non par le fonctionnement et la production de ce dernier.

 

A l’instar de son précédent « Say on Remuneration », il serait recommandé de voir un vote annuel sur le bilan en matière de climat et un vote triennal sur la politique en la matière. La standardisation et le caractère systématique laissent à penser que le récent « Say on Climate » suivra le même chemin. La condamnation récente de la pétrolière Royal Dutch Shell par la Cour des Pays-Bas d’accélérer et renforcer ses réductions d’émissions montre aussi le changement de paradigme opéré et la volonté d’un changement plus rapide vers une économie à bas carbone.

 

[1] Code français AFEP-MEDEF Article 5.2


Biden et l’impôt sur les sociétés : un tournant majeur !

 

Par Florent Griffon, Responsible Invesment Specialist chez DPAM

Le 31 mai 2021

 

L’annonce par Joe Biden, au début du mois d’avril, d’une augmentation de l’impôt sur les sociétés aux Etats-Unis, pourrait marquer un tournant dans les politiques fiscales des pays de l’OCDE. Cela pourrait, peut-être, enclencher un cycle d’harmonisation fiscale après plusieurs décennies de concurrence fiscale et de diminution des taux effectifs d’impôts sur les sociétés.

 

Depuis le début des années 1980, de plus en plus de concurrence fiscale

 

Depuis le début des années 1980, le cycle de dérégulation a conduit à intensifier la concurrence fiscale entre états, et en conséquence, à la diminution progressive des taux d’imposition effectifs sur les sociétés. Le taux moyen mondial d’impôt sur les sociétés est ainsi passé de 40% en 1980 à 24% en 2019[1]. On peut débattre des avantages et des inconvénients de cette concurrence fiscale. Ses défenseurs y verront une protection contre la tendance supposée des gouvernements à accroitre la pression fiscale sur les entreprises. Ses opposants mettront en avant l’iniquité face à l’impôt entre les différents acteurs économiques. Les acteurs économiques les plus mobiles peuvent éventuellement déplacer leurs activités ou leurs profits déclarés, alors que les plus petites entreprises, par exemple, restent généralement soumises à une plus forte pression fiscale, Cette concurrence fiscale représente un manque à gagner pour les états et érode leur capacité à mettre en œuvre des politiques publiques.

 

En effet, l’OCDE estime que ce manque à gagner représente entre 100 et 240 milliards de dollars par an dans l’OCDE et entre 500 à 600 milliards de dollars par an à l’échelle mondiale[2], ce qui est très conséquent.

 

Figure 1: La tendance à la diminution des taux d’impôt sur les sociétés moyen par régions (OCDE)

 

Plusieurs tentatives d’harmonisation

 

Confrontés à l’érosion de leur base fiscale, les états ont progressivement renforcé les mécanismes de lutte contre l’optimisation fiscale au cours des deux dernières décennies. En 2000, l’OCDE a publié pour la première fois une liste des paradis fiscaux. Puis, en 2009, le  G20 de Londres a posé le principe de sanctions à l’encontre de juridictions non coopératives en matière de secret bancaire. En 2015, l’OCDE a lancé son « cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) » qui coordonne les efforts de 125 pays pour réduire l’optimisation fiscale. Du côté de l’Union européenne, la directive ATAD sur la lutte contre l’évasion fiscale entrée en vigueur en 2019 limite d’ores et déjà certaines pratiques courantes d’optimisation. Un projet de mise en place d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) est, en ce moment même, débattu au conseil.

 

L’initiative Biden : un taux d’impôt sur les sociétés à 15% au moins

 

Début avril, lors d’un sommet du G20, la secrétaire américaine au trésor Janet Yellen avait déjà fait une annonce forte, en divulguant que des travaux étaient en cours pour fixer un taux plancher d’impôt sur les sociétés. La semaine dernière, l’administration Biden a de nouveau affiché sa détermination en proposant aux pays membres de l’OCDE d’adopter un taux de 15 % au moins, avec l’objectif explicit de le porter à 21%.

 

Ces initiatives, et les déclarations qui les accompagnent, marquent un tournant dans l’attitude de l’administration américaine vis-à-vis de l’optimisation fiscale, et des entreprises multinationales d’une manière générale.

 

La pandémie comme déclencheur, mais une tendance pour le moyen terme

 

Ce nouveau volontarisme américain semble amorcer un cycle de hausse de la pression fiscale sur les sociétés, et d’harmonisation fiscale entre juridictions. Le lourd impact économique des mesures anti-Covid rend nécessaire la mise en œuvre de plans de relance couteux pour les états, alors même que leurs marges de manœuvre budgétaires sont limitées. Dans ce contexte, les Etats-Unis expriment clairement leur volonté de trouver ces ressources budgétaires supplémentaires par des hausses d’impôts sur les sociétés. L’administration Biden annonce vouloir capter 2000 milliards de dollars par ce biais. Les mesures anti-optimisation fiscale jouent en cela un rôle essentiel puisqu’elles doivent empêcher les sociétés d’échapper à ces hausses d’impôts. Sur le moyen terme, au-delà de la crise du Covid19, et étant donné le contexte politique critique vis-à-vis de l’accroissement des inégalités aux Etats-Unis, on peut s’attendre à ce que les initiatives contre l’optimisation fiscale s’y poursuivent, ainsi que dans la plupart des pays de l’OCDE. Nous assistons donc à des changements structurels qui continueront à impacter les marchés financiers dans les années à venir et pourraient annoncer une reprise de contrôle progressive par les gouvernements vis-à-vis des entreprises multinationales.

 

[1] JP Morgan Cazenove, The Long-View: Towards a global minimum corporate

tax?, Avril 2021

[2] https://www.oecd.org/tax/beps/about/


Qu’est que SFDR ?

Par Ophélie Mortier, DPAM

Le 19 avril 2021

Qu’entend-on par règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers, plus connu sous l’appellation SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) ?

Pour bien comprendre l’impact de ce règlement, il faut remonter en 2016 lorsque la Commission Européenne met sur pied un comité de hauts experts en charge de l’aider à définir son Plan d’Action pour une finance plus durable. Ce plan d’action repose sur trois objectifs principaux :

  • Réorienter les flux financiers vers l’économie réelle, en particulier une croissance plus durable et plus inclusive.
  • Rendre le risque de durabilité, et en particulier le risque climatique, un risque matériel systématique à intégrer par tous les investisseurs.
  • Lutter contre l’éco-blanchiment et le court-termisme.

C’est dans ce triple objectif que s’inscrit le règlement dit SFDR. D’une part, il vise à réorienter les flux financiers vers l’économie réelle en imposant la classification de tous les produits financiers selon une typologie définie par la Commission européenne en fonction du caractère durable de ces derniers. D’autre part, il impose la publication d’informations sur l’intégration des risques en matière de durabilité et sur la prise en compte des incidences négatives en matière de durabilité. Enfin, en fonction de la typologie de classification du produit financier, certaines obligations de publication d’informations sont requises afin de lutter contre l’éco-blanchiment.

A noter qu’il s’agit ici d’un règlement européen et non d’une directive. Il s’applique donc immédiatement à l’ensemble des Etats membres sans passer par une réglementation nationale pour l’implémenter.

La typologie de la Commission européenne : investissement durable ou non ?

Comme indiqué, une des obligations directes du règlement pour tout produit financier (fonds d’investissement, mandat, produit d’assurance, etc.) est la classification selon son degré d’éléments environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et/ou durables.

Cette classification distingue des produits :

  • « Autres » que certains appellent de manière erronée les « article 6 »[1]. Ce sont les produits financiers qui ne remplissent pas les conditions des produits « article 8 » ou « article 9 ».
  • « Article 8 ». Ce sont des produits qui promeuvent des caractéristiques environnementales et/ou sociales.
  • « Article 9 ». Ce sont des produits qui promeuvent des objectifs environnementaux et/ou sociaux.

Seul l’article 9 du règlement réfère à l’appellation de « durable » (sustainable). Il tracerait donc la frontière entre ce qui peut être considéré comme investissement durable de ce qui ne l’est pas.

Manque de clarté et rapidité

Cependant, la différence entre caractéristiques E/S et objectifs E/S n’est pas clairement établie dans le texte. Lors de sa publication, la référence à l’annexe 1 et l’annexe 2 devait permettre la distinction entre les deux notions. Mais, malheureusement, les deux annexes ne contenaient, à l’époque, aucune indication disponible, dans l’attente des fameux RTS (textes techniques) permettant l’interprétation et la mise en place du règlement. Il faut noter que malgré le retard de publication des textes techniques – publiés en février et pas encore formellement finaux – la Commission européenne n’a laissé aucun délai supplémentaire pour la mise en conformité avec le règlement à la date initiale du 10 mars 2021. C’est donc dans un certain flou et une grande complexité des textes que les différents acteurs financiers ont du se mettre en conformité avec le texte légal.

Quelles implications pour quel produit ?

Le règlement SFDR concerne aussi bien l’information réglementaire avant l’investissement que tout au long de ce dernier. Il recouvre donc aussi bien l’information dans le prospectus pour les fonds d’investissement que dans la brochure MiFID pour les portefeuilles directs mais aussi l’information disponible sur le site Internet. Ensuite, il oblige à une série d’informations requises dans le rapport annuel du fonds d’investissement ou dans le rapport de gestion pour les portefeuilles directs.

Pour les produits dits « article 8 », il y a donc lieu de définir les caractéristiques E/S promues par le produit et comment celles-ci sont mesurées et surveillées au long de l’investissement. Cette information, contenue dans le prospectus et le KIID et parue sur le site Internet, permettra de rapporter annuellement si ces caractéristiques définies et mesurables sont bel et bien respectées.

Pour les produits dits « article 9 », il y a donc lieu de définir les objectifs E/S visés par le produit et comment ceux-ci sont mesurés et surveillés au long de l’investissement. Ainsi, le promoteur du produit pourra rapporter annuellement comment ces objectifs définis ont été atteints durant l’année d’investissement. De plus, il faudra également inclure dans l’information préalable à l’investissement (prospectus/brochure MiFID) comment les incidences négatives en matière de durabilité sont également prises en compte et leur intégration et réduction dans l’information post-investissement (rapport annuel/rapport de gestion). Ces incidences négatives en matière de durabilité sont définies comme évènement ou situation dans le domaine environnemental, social ou de la gouvernance qui, s’il survient, pourrait avoir une incidence négative importante sur la valeur de l’investissement.

Les produits « autres » ne sont soumis à aucune obligation précontractuelle ou post-contractuelle. Cependant, selon le principe d’un marketing non trompeur, ces produits ne peuvent utiliser l’appellation « durable » dans leur philosophie d’investissement ou processus d’investissement puisqu’ils ne répondent pas aux caractéristiques requises d’un produit dit « article 9 ».

Et donc si je veux un investissement durable, je dois avoir un produit article 9 ?

Théoriquement oui… et pourtant !Tout d’abord, le règlement a fait place à l’existence d’un produit hybride en imposant aux produits d’article 8 et d’article 9 de mentionner la partie de leurs investissements qui correspond à la promotion de caractéristiques E/S, la partie de leurs investissements qui correspond éventuellement aussi à la promotion d’objectifs E/S et le reste des investissements.

Dès lors, la pratique du marché a donné naissance à une catégorie inexistante sur papier mais bien dans la réalité. Il s’agit des produits dits article 8 bis ou article 8+. Ce sont des produits qui ne répondent pas majoritairement à un article 9 mais visent, à côté de leurs caractéristiques E/S, l’un ou l’autre objectif environnemental et social. Pour ces produits, il semblerait, qu’aujourd’hui, le règlement les autorise à garder l’appellation « durable » ou équivalent mais ils devront indiquer clairement dans leur prospectus et leur rapport annuel – pour les fonds d’investissement – qu’ils promeuvent des caractéristiques E/S et ont également de manière partielle un objectif E/S. Cette appellation de « durable » dans la dénomination d’un fonds d’investissement pourrait être revue plus sévèrement par la suite.

Ensuite, il faut garder à l’esprit que le règlement doit être implémenté par tous les Etats-Membres mais par des autorités de contrôle nationales. Et, force est de constater, que les autorités de contrôle n’ont pas chacune la même interprétation ou le même processus de mise en place.

Variétés nationales

Alors que l’autorité de contrôle hollandaise publiait en amont du processus d’implémentation un guide à destination des services financiers pour les aider à voir plus clair dans la complexité et le flou du texte initial, les autorités luxembourgeoises adoptaient un processus dit de « fast track » permettant aux promoteurs de fonds d’investissement de rapidement et simplement faire adopter la classification de l’ensemble de leurs produits avant l’échéance du 10 mars 2021. En France, il fallait concilier la classification européenne avec une classification AMF pour la promotion des produits en fonction que l’information ESG est clé ou non. En Belgique, l’autorité de contrôle FSMA publiait son guide d’implémentation le 9 mars 2021, soit 24 heures avant l’échéance de conformité.

Il résulte de ces différentes approches également un degré de sévérité relativement varié pour classer les produits. Cela ne facilite pas le « level playing field » visé initialement par la Commission européenne. En effet, chez certains, des fonds d’investissement mixtes (actions, obligations d’états et obligations d’entreprises) sont classés en article 9 car ils appliquent plusieurs approches de durabilité telles que le best-in-class et l’exclusion sans pour autant viser un objectif précis de durabilité alors que, pour d’autres autorités, seuls les fonds thématiques – voir même monothématiques – peuvent prétendre à viser un objectif de durabilité tels que la réduction du plastique, une alimentation plus saine et plus durable ou encore une meilleure promotion de la diversité des genres. A voir si, avec l’adoption des textes techniques finaux et les premiers rapports de publications d’informations, les autorités de contrôle seront appelées à revoir leur jugement pour une plus grande cohérence et une vraie comparabilité pour l’investisseur.

 

[1] L’article 6 du règlement ne porte pas uniquement sur un type de produit financier mais concerne également l’entité ;


Le futur de l’immobilier coté sera durable !

Par Florent Griffon, Responsible Investment Specialist chez DPAM

Le 30 mars 2021

Historiquement, les stratégies d’investissement immobilier et l’investissement durable ne semblaient pas aller bien ensemble. Les approches traditionnelles de développement durable étaient mal adaptées aux spécificités du secteur immobilier. L’offre de stratégies immobilières durables restait donc limitée. Pourtant, depuis quelques années, les sociétés foncières ont commencé à développer leur reporting extra-financier. Cela améliore la disponibilité des données ESG. Ce reporting facilite aussi le travail des investisseurs ESG en rendant plus aisée la mise en place de stratégies d’investissement durables en immobilier coté. De cette façon, un cercle vertueux s’établit progressivement. En effet, la demande des investisseurs pour des stratégies d’immobilier durable encourage les entreprises à s’aligner sur les exigences de durabilité.

 

La durabilité façonnera le secteur immobilier

 

Même si des efforts importants sont déjà déployés par de nombreuses sociétés foncières, le secteur immobilier devrait connaître des changements plus importants dans un proche avenir. En Europe, les réglementations sur l’efficacité énergétique des bâtiments deviennent déjà beaucoup plus strictes. On citera par exemple la directive relative à l’efficacité énergétique des bâtiments (refonte de la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments) qui exige que tous les nouveaux bâtiments de l’UE soient quasiment «zéro énergie» d’ici la fin de l’année.

 

Et c’est loin d’être suffisant.

 

Les bâtiments représentent actuellement environ 40% des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Dans un scénario «business as usual», et suivant les tendances démographiques et économiques mondiales, les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments pourraient doubler ou tripler d’ici 2050. Or, pour parvenir à une croissance de la température inférieure à 2 degrés dans le monde, le secteur du bâtiment doit réduire ses émissions mondiales de 85% d’ici 2060 par rapport aux niveaux actuels. L’Union européenne suit actuellement une tendance de -30%. Les autres régions du monde sont à la traîne. Cela montre que le rythme actuel des efforts est clairement insuffisant pour atténuer l’impact futur du changement climatique. Par conséquent et de toute évidence, il existe donc une forte probabilité d’intervention gouvernementale résolue. Un nouveau renforcement des normes d’efficacité énergétique des bâtiments est également attendu en Europe et au-delà.

Investir dans les futurs lauréats et contribuer à une planète plus saine

 

A l’échelle de l’Union européenne, c’est plus qu’un triplement du taux actuel de rénovation énergétique des bâtiments qui est nécessaire pour atteindre les objectifs carbone de l’Union européenne en 2050. Par conséquent, le secteur immobilier européen dans son ensemble est confronté à un défi très important. Les sociétés foncières devront consentir à des investissements importants, même seulement pour assurer la continuité des activités.

Le secteur immobilier devra évoluer à un rythme forcé. C’est une opportunité pour les acteurs les plus avancés sur la voie de la transition énergétique. A l’inverse, les entreprises qui prennent du retard et dont les bâtiments présentent une performance énergétique insuffisante, prennent le risque d’une dégradation de la valeur de leurs actifs, voire le risque « d’actifs échoués » (« stranded assets »). En effet, les réglementations futures pourraient simplement interdire la location de bâtiments peu économes en énergie. Ainsi, les aspects ESG sont appelés à devenir très importants. Les entreprises qui ont le mieux anticipé ces tendances de développement durable seront les gagnantes de demain et constituent les opportunités d’investissement d’aujourd’hui. Très certainement, l’avenir de l’immobilier coté sera durable.

 


Investissements durables en 2021 : Entre espoirs et risques

Le 26 janvier 2021

L’année 2020 aura été une année définitivement extraordinaire. En termes d’investissements durables, les investissements ont atteint des records de collecte y compris durant les mois de février et de mars dernier. La barre de mille milliards de dollars en Europe ayant été atteinte alors que Morningstar comptabilise des encours globaux totaux de 1,421 billions de dollars sur l’année.

D’autre part, de nombreuses études ont démontré également la meilleure résistance des facteurs ESG durant cette année volatile. En effet, il est de plus en plus prouvé à quel point une intégration des facteurs ESG permet d’améliorer la volatilité des bénéfices, des prix et le risque de faillite. Surveiller et analyser les controverses liées à des données ESG et autres contribue à ajouter une valeur considérable étant donné que ces dernières peuvent s’avérer interminables et coûteuses. Plusieurs éléments présagent que le momentum pour les investissements durables restera porteur.

Trop de réglementations

Cependant ce momentum positif comporte intrinsèquement des risques. En effet, d’abord au plus une entreprise, un investisseur, un acteur économique se dit durable, au plus il s’expose à un risque de réputation. Combiné avec la réglementation en cours visant avant tout à combattre l’éco-blanchiment, le défi devient considérable. L’Europe veut garder une position de leader sur la question des investissements durables. Sa dernière réglementation pose un sérieux risque de surcharge de travail, de coûts et de complexité, néfastes à l’investisseur déjà perdu dans la nébuleuse des investissements durables.

Mais, aujourd’hui, ce sont quasi tous les pays du monde qui se réveillent sur la question de la durabilité et des investissements durables également. Plusieurs gouvernements ont déjà lancé ainsi leurs réglementations en la matière, notamment la taxonomie du Japon ou du Canada. Avec celles de Singapore, Hong-Kong ou la Malaisie, la prolifération de taxonomies locales et individuelles n’améliore pas l’opacité actuelle créée par le manque de standards et de définitions globaux et communs.

Risque de valorisation

Le momentum et la réglementation qui pousse directement et indirectement les investisseurs à demander des produits dits « verts » posent également un risque de valorisation.                    En effet, les entreprises communément reconnues comme plus exemplaires en matière de durabilité et, en particulier, de contribution aux enjeux environnementaux et climatiques ont connu ces deux dernières années une hausse sensible de leurs multiples financiers (P/E, EV/Ebitda ou EV/sales par exemple). Cette augmentation s’explique principalement par le rattrapage des marchés boursiers des émetteurs dits verts. Des réglementations du type Green Deal, taxonomie et autres risquent d’accentuer ce mouvement vers les entreprises et les investissements considérés plus verts. Etant donné que les entreprises ne rapportent pas encore leurs activités en termes d’activités vertes versus brunes, il faudra rester attentifs à distinguer minutieusement les vrais émetteurs verts et ceux qui jouent également un rôle important, sans doute moins en premier plan mais qui restent des intermédiaires indispensables aux émetteurs verts pour se réaliser.

Opportunités du momentum ESG

Car, si la réglementation peut être une contrainte et un risque importants, elle n’en reste pas moins une opportunité à saisir pour les investissements durables. En effet, les autorités mondiales commencent à légiférer les investissements durables mais également la durabilité des entreprises. La Chine, Hong Kong, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande, Singapore ont déjà adopté plusieurs textes réglementaires sur la question de la durabilité. L’année 2021 sera très instructive sur l’implémentation et les détails de ces derniers.

Montée en puissance

Le changement de direction à la Maison Blanche devrait être également un tournant au niveau des politiques environnementales et de durabilité. Depuis novembre dernier, la FED a inclus le changement climatique comme risque financier dans son rapport semi-annuel de stabilité financière. Elle a déclaré rejoindre le réseau des banques centrales et autorités réglementaires reconnaissant officiellement le changement climatique comme risque systémique financier (NGFS). Le continent latino-américain n’est pas en reste avec le Brésil qui a également déjà annoncé un rapport obligatoire similaire aux recommandations TCFD.

Avec l’engagement de la Chine, l’Europe, les Etats-Unis mais également la Corée du Sud, le Japon, la Colombie et l’Afrique du Sud pour une neutralité carbone en 2050 ou 2060, ce sont deux tiers de l’économie mondiale et une large moitié des émissions de gaz à effet de serre qui sont visés par cet engagement global. Il est évident dès lors que 2021 sera encore une année importante en termes d’émissions d’obligations vertes mais également d’obligations sociales ou durables. Ces dernières restent une partie mineure des obligations labélisées (moins de 30% du marché) mais leur attrait croissant est déjà visible en 2020. Ce marché va gagner en importance en 2021.

Reste l’enjeu pour les différentes autorités que les investissements requis d’un côté ne soient pas anéantis par des soutiens financiers à l’économie dans des secteurs moins durables qui neutralisent les efforts consentis.

 


Green Deal et risque environnemental : l’Europe en route vers la durabilité

Le 27 novembre 2020

Depuis la crise 2008, le secteur financier fait l’objet de régulations importantes. Avec l’explosion des investissements dits durables et responsables, il était attendu que les autorités financières se pencheraient également sur le sujet. Ces dernières années ont donc été témoins d’une véritable accélération du cadre réglementaire sur la question de la durabilité et de la responsabilité des entreprises, non-financières comme financières.

Trois objectifs

Pour comprendre le raz de marée des textes réglementaires des derniers mois, il faut garder à l’esprit les trois objectifs principaux du plan d’action 2018 de la Commission européenne pour la finance durable.

  1. Réorienter les capitaux vers l’économie réelle, pour une croissance durable et inclusive.
  2. Reconnaitre officiellement le risque environnemental et, en particulier climatique, comme un risque systémique. A ce titre, il doit être identifié, mesuré, géré et contrôlé.
  3. Favoriser la transparence et l’horizon d’investissement à long-terme.

Ainsi chacune des principales réglementations actuelles peut être mieux appréhendée.

Dans cet article nous allons nous focaliser sur les deux premiers objectifs.

Réorienter les capitaux vers l’économie réelle

Le Pacte Vert (Green Deal) de la Commission européenne relève les ambitions environnementales de l’Union et vise cet objectif de neutralité climatique à 2050. Il appelle à une rehausse des ambitions climatiques de l’Union. Ce pacte s’articule principalement autour de cinq thèmes (déjà évoqués dans un papier précédent). Il s’agit de l’énergie sécurisée, propre et abordable, de la biodiversité, de la pollution zéro, de l’économie circulaire et de la production alimentaire durable. En se focalisant sur ces cinq thèmes, la Commission européenne entend contribuer à son premier objectif.

Il en est de même avec la Taxonomie européenne qui aujourd’hui couvre en détails les deux premiers objectifs environnementaux de la Commission sur six : la mitigation et l’adaptation au changement climatique. Dans un second temps, elle couvrira les questions de préventions de pollution et de gestion des déchets (acte délégué prévu mi 2021) et l’équilibre des écosystèmes et la protection de l’eau (acte délégué prévu mi 2022).

Avec l’exercice obligatoire dès 2022 d’estimer l’éligibilité de chaque investissement dans les portefeuilles aux secteurs d’activités identifiés par la Taxonomie et de calculer son degré d’alignement à celle-ci, la réglementation favorise directement ou indirectement les investissements vers les activités vertes. En effet, il est aujourd’hui possible théoriquement pour un fonds d’investissement qui vise exclusivement des objectifs d’ordre social d’afficher un alignement à la Taxonomie de 0%. Cependant, pour un fonds défendant des objectifs environnementaux de manière plus générale, il sera attendu que son niveau d’alignement à cette dernière soit suffisamment élevé pour la crédibilité de son objectif.

La dernière règlementation en matière d’indices bas carbone s’inscrit dans la même logique de lutte contre l’éco blanchiment et la promotion des produits à objectifs environnementaux et climatiques. Les deux catégories d’indices définis par la Commission européenne – indice de transition climatique et indice d’alignement sur l’Accord de Paris – visent à une meilleure transparence des critères retenus par les fournisseurs de l’indice et aussi l’information minimale sur les requis méthodologiques.

Enfin, les nouveaux standards d’obligations vertes de la Commission européenne luttent également contre l’éco-blanchiment en visant une meilleure transparence et un cadre défini des standards minimaux pour pouvoir prétendre à l’appellation obligation verte et dès lors avoir une reconnaissance officielle de contribuer à la transition énergétique et à la finance plus durable.

Reconnaitre officiellement le risque environnemental

Dans la lignée de ce que l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre a réclamé il y a déjà plusieurs années, le risque ESG et environnemental en particulier est reconnu officiellement comme risque matériel et financier et doit dès lors fait l’objet d’une analyse, d’une gestion et d’un suivi comme tout autre risque financier. Il s’agit du devoir fiduciaire de tout gérant de portefeuilles.

C’est ainsi l’objectif de le Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (Sustainability Disclosure Regulation – SDR), qui vise également un objectif de transparence.

Il vise à :

  • Renforcer les fondements de l’investissement durable. Il s’agit de le doter d’un cadre favorable avec les outils et structures nécessaires à son développement sain.
  • Accroitre les possibilités d’impact positif en mobilisant notamment les financements verts.
  • Intégrer et gérer les risques climatiques et environnementaux dans l’écosystème financier.

Ce règlement concerne les obligations de publication, l’intégration des risques de durabilité, l’analyse des préférences ESG et l’adéquation du profil d’investissement avec l’identification du marché cible pour les professionnels de la finance. Dès lors, il impacte toute la structure des institutions financières, de leurs fonctions de support – les politiques et programmes à mettre en place – à leurs fonctions opérationnelles – processus, produits, informatiques et stockage des données et contrats.

Cette intégration du risque ESG dans les décisions d’investissement est de plus en plus formalisée et détaillée dans les amendements de directives et autres réglementations de la Commission européenne. L’intégration des facteurs ESG sur la Directive concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (appelée Directive IRP) n’est pas nouvelle. Néanmoins, elle sera encore renforcée à l’avenir avec la révision des directives et règlements régissant le secteur. Il en est de même pour le secteur de l’assurance avec la révision prévue de la directive de distribution d’assurance et enfin du secteur des investisseurs particuliers avec les amendements prévus de MIFID.

Un défi considérable

La transparence et en particulier la lutte contre l’éco-blanchiment est la trame des différents textes adoptés. Le règlement SDR vise cet objectif mais il serait erroné de penser qu’il ne s’agit que d’une réglementation sur la publication de données. Il requiert également la classification des produits financiers (mandats et fonds d’investissement) selon une des trois catégories définies et reconnues par la Commission: les produits dit « sustainable » et qui visent des objectifs environnementaux et/ou sociaux, les produits qui visent des caractéristiques environnementales ou sociales et les autres produits. La frontière entre les deux premières catégories de produits reste assez floue pour la majorité des acteurs du terrain et malheureusement les textes techniques qui devraient clarifier la situation ne sont pas encore disponibles et ne le seront qu’après la date de conformité des acteurs financiers au règlement (Mars 2021).

Le défi est donc considérable pour la Commission européenne de trouver ce difficile équilibre entre d’une part le besoin criant de standardisation d’un secteur qui est passé du statut de niche d’investissement à celui de réponse aux urgences environnementales et, d’autre part, les effets non désirés d’une réglementation trop fermée et peu flexible menant à un système de procédures, de charges administratives et de reporting excessif et potentiellement contreproductif. Pour rappel, il s’agit de trouver près de 180 milliards d’euros par an pour financer le programme européen de développement durable à l’horizon 2030 !


Diligence environnementale, sociale et en matière de droits de l’homme

Le 30 octobre 2020

Les entreprises ont une responsabilité en matière de droits de l’homme. L’Organisation internationale du travail estime qu’environ 150 milliards de dollars par an de bénéfices des entreprises sont générés par la traite des êtres humains et l’esclavage moderne. Il existe également une répartition inégale des victimes de ces crimes. 71% d’entre elles sont des femmes ou des enfants. Le secteur financier a également sa responsabilité ici, soit par le biais de systèmes bancaires informels, soit en blanchissant les profits ou en finançant des sociétés impliquées dans des violations des droits de l’homme.

Le sujet est donc un point d’attention important et devrait être un critère crucial pour tout gestionnaire d’actifs. Face à l’importance du sujet et l’ampleur des risques, la Commission européenne a décidé de prendre en main le sujet et prépare un règlement sur une diligence obligatoire des entreprises en matière de droits humains. En introduisant un processus de diligence raisonnable obligatoire et en en rendant compte, les investisseurs auront une meilleure idée des entreprises qu’ils financent et pourront adapter leurs décisions d’investissement en conséquence.

Deux exemples de réglementations nationales

Aujourd’hui la Commission peut tirer des premières leçons de deux réglementations nationales déjà mises en place sur le sujet afin d’ajuster sa réglementation : le droit de vigilance en France (2017) et l’Acte sur l’Esclavage Moderne au Royaume-Uni (2015).

Le droit de vigilance en France oblige les entreprises à rendre publique la manière dont elles gèrent les risques et la prévention des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité de personnes et à l’environnement.  Malheureusement, la loi n’indique pas clairement quelles entreprises entrent dans le champ d’application. La loi se distingue également de son homologue européenne par le fait qu’elle se concentre sur les risques liés aux activités des entreprises (risques matériels) et non sur le risque pour les parties prenantes des entreprises (risques saillants) telles que les fournisseurs, les employés ou les clients.

Au Royaume-Uni, la loi dite « UK Modern Slavery Act » a, quant à elle, permis de sensibiliser aux externalités des activités commerciales, tant au niveau des consommateurs que des entreprises. Malheureusement, les règlements sont assez vagues et n’ont pas d’impact significatif sur les entreprises qui ne tiennent pas compte des externalités négatives pour leurs parties prenantes. La lutte contre la violation des droits humains et contre l’esclavage moderne reste dès lors peu efficace.

La proposition de la Commission européenne

La législation proposée par la Commission européenne vise à créer une reprise post-pandémique durable et inclusive. Pour y parvenir, ce règlement repose sur un principe important : une entreprise devra étudier et divulguer son impact sur l’environnement, la société et les droits de l’homme. Cela encouragera les entreprises à prendre des décisions à plus long terme, plutôt que la réflexion à court terme qui a caractérisé notre économie au cours des 30 à 40 dernières années.

Cette législation ne sera efficace que si l’impact des décisions des entreprises sur toutes les parties prenantes est pris en compte au niveau du conseil d’administration et de la direction générale des entreprises. C’est pourquoi le nouveau règlement comprend également une clause dite des directeurs. Cette clause renforce cette responsabilité des membres des conseils d’administration. En conséquence, le régulateur fait un pas important pour réincorporer les externalités des entreprises.

En outre, le champ d’application du nouveau régime n’est pas limité aux fournisseurs de premier niveau d’une entreprise mais veut concerner l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. L’utilisation d’un système en cascade ne sera pas suffisante car les entreprises doivent faire preuve de diligence raisonnable tout au long de leur chaîne d’approvisionnement et pas seulement avec les fournisseurs directs avec lesquels elles entrent en contact. Cependant il sera difficile d’effectuer un contrôle préalable approfondi de chaque entreprise faisant partie du réseau de fournisseurs d’une société. D’autant plus que les fournisseurs ont tendance à être plus petits à mesure qu’ils s’éloignent de l’utilisateur final. Il sera donc essentiel de commencer par les fournisseurs les plus importants d’une chaîne d’approvisionnement et de se concentrer sur l’amélioration continue de ces fournisseurs en termes de droits de l’homme, d’aspects sociaux et environnementaux.

Le principe d’une approche horizontale est également soutenu par la Commission européenne. La réglementation concerne aussi bien les entreprises privées et publiques, de toutes tailles, des multinationales aux PME. Au fil du temps, des réglementations plus spécifiques seront introduites pour des secteurs spécifiques exposés aux violations des droits de l’homme, tels que le textile ou l’industrie minière. En outre, les entreprises non européennes opérant dans l’UE devront également se conformer à des réglementations similaires, comme c’est déjà le cas pour certaines règles de GDPR en matière de protection des données.

Cela permettra de créer des conditions de concurrence équitables pour toutes les entreprises opérant dans l’UE, indépendamment de leur taille ou de leur forme de gestion, qu’elles soient cotées ou non. Pour éviter les pièges d’une réglementation nationale moins efficace, la Commission européenne souligne l’importance d’un mécanisme public d’application pour assurer le respect des nouvelles règles. Le non-respect de la nouvelle réglementation peut entraîner des sanctions. Bien entendu, les entreprises seront également intrinsèquement motivées pour se conformer aux règles, car une diligence raisonnable approfondie renforce la confiance du consommateur final dans l’entreprise et la rend plus résistante aux risques et aux crises.

 


De la ferme à l’assiette: vers un système alimentaire européen plus sain et plus durable

Le 29 septembre 2020

Le 16 septembre 2020 peut être considéré comme un nouveau jalon dans l’histoire de la politique climatique européenne. Dans le cadre du Green Deal déjà annoncé, la Commission européenne s’est prononcée sur un nouvel objectif de réduction des émissions plus ambitieux à l’horizon 2030. L’objectif actuel de réduction de 40% sera porté à 55%, afin d’atteindre la neutralité climatique d’ici 2050.

L’une des pierres angulaires du Green Deal est la politique d’approvisionnement alimentaire durable, la stratégie dite «de la ferme à l’assiette». Il faut savoir que l’ensemble de la chaîne de valeur associée au secteur alimentaire représente environ un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le principal contributeur est l’industrie de la viande, suivie de l’industrie des cultures, principalement en raison de l’utilisation d’engrais (voir la figure ci-dessous).

Figure 1: Émissions de gaz à effet de serre associées à la production alimentaire (source: Our World In Data)

Éléments constitutifs d’un système alimentaire européen durable, compétitif et résilient

La stratégie politique doit orienter tous les acteurs de la chaîne de valeur, du producteur et fournisseur au transformateur et au consommateur, vers un système alimentaire plus durable, tout en renforçant la compétitivité et la résilience de l’agriculture européenne.

Figure 2: Piliers de la stratégie européenne de la ferme à l’assiette (Source: Commission européenne)

En termes de production durable, la Commission souhaite notamment s’attaquer à l’utilisation des pesticides dans l’agriculture. Pour cela, l’accent est principalement mis sur l’origine et les propriétés des pesticides. La Commission propose de réduire de 50% à la fois l’utilisation de pesticides chimiques et l’utilisation de pesticides dangereux. En outre, l’utilisation d’engrais est également au centre de de la nouvelle stratégie. En effet, un surplus de nutriments résultant d’une utilisation excessive d’engrais contribue au réchauffement climatique et peut conduire à la pollution de l’eau.

C’est pourquoi la Commission propose de lutter contre la perte de nutriments dans le sol d’ici 2030 (de 50%), ainsi que de limiter l’utilisation d’engrais de 20%. Pourtant, la stratégie ne vise pas seulement à rendre le système alimentaire plus durable afin d’améliorer l’état de l’environnement. La proposition souhaite également amener une transition durable de notre système alimentaire actuel dans le domaine social et sanitaire. Selon la Commission, plus de 33.000 citoyens européens meurent chaque année d’une utilisation excessive d’antibiotiques chez l’homme et l’animal, entraînant une résistance aux antimicrobiens. Outre l’utilisation excessive d’antibiotiques pour lutter contre les problèmes de santé, l’industrie de la viande et du poisson joue également un rôle important à cet égard. Pour cette raison, l’objectif en Europe est de réduire de 50% la vente d’antibiotiques pour les animaux d’élevage et l’utilisation en aquaculture (pisciculture) d’ici 2030. Mais l’utilisation de certains nutriments « malsains » dans la transformation des aliments, tels que le sel et le sucre, sera également traitée par la Commission à l’avenir (voir ci-dessous). Enfin, la Commission cible également l’agriculture biologique, en cultivant 25% des terres agricoles européennes d’ici 2030 selon les principes de l’agriculture biologique

Toute la chaîne de valeur en vue

Outre les objectifs concrets et les contraintes visant à promouvoir une production alimentaire durable, la chaîne d’approvisionnement, la transformation des aliments et la consommation finale sont également abordées dans la stratégie. Dans son projet de texte, par exemple, la Commission se concentre sur le soutien financier à la recherche et à l’innovation durables tout au long de la chaîne alimentaire, de l’approvisionnement à la production et à la transformation. La recherche et la commercialisation de sources alimentaires alternatives et durables pour l’industrie de la viande et du poisson, y compris le matériel végétal ou les insectes, ainsi que les techniques de protection biologique des cultures, sont citées comme points majeurs. Mais le Comité prévoit également de réglementer l’utilisation des nutriments pendant la transformation (par exemple, le sel et les sucres) afin de faciliter la consommation durable.

Concernant la consommation durable, la Commission a déjà annoncé qu’elle présenterait à l’avenir un projet sur l’étiquetage des aliments sains et durables (étiquetage obligatoire ainsi qu’un cadre pour un «étiquetage durable»), qui semble également nécessaire pour protéger les consommateurs. En 2017, environ 950.000 Européens sont décédés des suites d’une mauvaise alimentation. Des règles claires concernant l’étiquetage devrait, par exemple, guider les pratiques commerciales responsables des entreprises et clarifier aux consommateurs européens quels produits sont sains ou non.

Enfin, la Commission souhaite également proposer des objectifs contraignants pour réduire de moitié le gaspillage alimentaire (par habitant) d’ici 2030 et d’autres propositions sont en cours d’élaboration à l’avenir pour améliorer la disponibilité et le prix des aliments durables et des emballages alimentaires durables, etc.

Une nouvelle politique agricole est nécessaire

Mais ce n’est pas seulement le réchauffement climatique qui montre que nous devons prendre des mesures urgentes dans la façon dont nous produisons les aliments. La crise actuelle du Covid-19, qui selon les scientifiques est fortement liée à la pression que nous exerçons sur la nature, montre également que nous devons emprunter une voie différente.

En outre, la crise du Covid-19 montre également l’importance de la sécurité alimentaire. Si l’approvisionnement alimentaire de l’Europe n’a jamais vraiment été compromis, les problèmes logistiques, les pénuries de main-d’œuvre, la perte de certains marchés et l’évolution des modes de consommation ont créé des tensions qui démontrent l’importance d’une politique d’approvisionnement alimentaire stable. C’est également à partir de cette vision que la Commission opte pour une chaîne d’approvisionnement alimentaire plus durable qui augmente la résilience (à de telles crises).

Risques d’investissement? Oui, mais également des opportunités intéressantes

Bien que les objectifs actuels de la politique se concentrent sur l’interdiction de certains produits ou techniques, l’approche crée également de nombreuses opportunités pour les investisseurs, car les entreprises devront être plus innovantes à l’avenir. Par exemple, les entreprises se concentrent déjà sur le développement de probiotiques à utiliser en élevage. Les probiotiques sont des bactéries saines qui ont un effet positif sur la santé lorsqu’elles sont consommées en quantité suffisante. Cela peut convertir la réduction souhaitée de l’utilisation d’antibiotiques en une nouvelle opportunité commerciale.

En outre, de nombreuses entreprises devront apporter une réponse à la réduction prévue de l’utilisation d’engrais et de pesticides par la recherche et le développement de nouveaux produits et techniques. L’agriculture de précision (c’est-à-dire l’utilisation précise et ciblée d’engrais) et les produits de protection des cultures biologiques devront être développés et commercialisés davantage pour atteindre les objectifs visés. La transition politique vers une alimentation plus saine (à la fois en termes d’objectifs et de soutien financier) favorisera également l’innovation dans les techniques de production, les compositions et le développement des arômes. Pensez simplement à la gamme de hamburgers végétariens qui ont été introduits sur le marché tout au long de 2019-2020. Cela promet d’être une période passionnante tant pour l’investisseur que pour le consommateur!


L’investissement responsable à réglementer pour une lisibilité du marché ?

Le 25 août 2020

Trop de reporting tue le reporting disait-on… Les origines de la finance verte se retrouvent dans les premiers fonds dits ISR et éthiques, qui apparaissent déjà au 17e siècle aux Etats-Unis.

Lentement mais sûrement les préoccupations environnementales se sont imposées. Cela a donné naissance à la finance verte. Cette finance verte a été prêchée par quelques convaincus avec quelques bonnes pratiques en la matière. Ces pratiques se sont généralisées et standardisées, notamment la question des énergies fossiles, des actifs dits non brûlables (stranded assets), le charbon, etc. Mais ce n’est qu’assez récemment que la doctrine a connu un premier bouleversement réglementaire avec, d’une part l’article 173 de la loi sur la transition énergétique en France et, d’autre part, avec le Plan d’Action de la finance durable de la Commission Juncker au niveau européen.

Des obligations de reporting

En effet, en 2015, les autorités françaises mettent en place de nouvelles obligations de reporting extra-financier pour les investisseurs, et notamment la publication de l’empreinte carbone (en fait de l’ensemble des gaz à effet de serre) des fonds. Toujours en 2015, dans le sillage de l’accord de Paris sur le climat, il apparait que les finances publiques sont insuffisantes pour financer seules les investissements nécessaires à la transition énergétique. Dès lors, il est clair que les marchés financiers ont un rôle clé à jouer. Les pouvoirs publics cherchent à mettre en place des cadres réglementaires et fiscaux favorables à la finance durable. Dans cette perspective, la Commission Européenne révèle en mai 2018 un plan d’action pour la finance durable imposant (entre autres mesures) aux gestionnaires et aux investisseurs institutionnels d’intégrer la dimension ESG dans leurs processus d’investissements.

Taxonomie européenne

Bien que l’ambition des autorités européennes dépasse le cadre de la finance verte, les règlementations en cours se focalisent sur le E (environnement), et plus précisément sur le changement climatique. La taxonomie verte marque un véritable tournant dans l’histoire de la finance verte, du moins en Europe qui reste leader et pionnière sur la question. La taxonomie et la réglementation qui l’accompagne – le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers, la stratégie renouvelée en matière de finance durable et la directive de reporting non financier – a pour objectif premier de lutter contre le greenwashing en imposant des standards et normes minimaux et permettre une meilleure visibilité du marché.

Mises en garde

Cependant quelques mises en garde peuvent être légitimement faites. Tout d’abord, le destinataire d’une meilleure visibilité du marché. La complexité des indicateurs environnementaux décrits par la taxonomie européenne représente vraisemblablement un jargon technique auquel l’investisseur privé restera probablement hermétique. Le reporting sera dès lors inutile. Pour les investisseurs plus professionnels, ils restent néanmoins souvent novices en expertise environnementale. Ils ne pourront pas davantage exploiter les informations fournies.

De plus, l’information donnée sera dépendante de la disponibilité des facteurs requis. Très vite apparaitra un écart important entre les entreprises championnes de la communication et disposant des moyens nécessaires pour alimenter leurs bases de données et les acteurs de projets très concrets et spécifiques et typiquement de taille plus modeste ne disposant pas nécessairement de tout l’éventail d’indicateurs requis par les autorités européennes.

Lourdeur et banques de données

La taxonomie verte et la régulation des données non financières font courir un risque de lourdeur de report et de chasse à la donnée, encore peu disponible. La finance verte se voit alors confrontée à n’être réservée qu’aux investisseurs capables de payer les banques de données. Les autorités européennes veulent travailler en parallèle de manière à pousser les entreprises à fournir les données requises par les réglementations imposées aux investisseurs (la directive du reporting non financier). Cependant la directive d’information extra financière ne s’applique qu’à une certaine taille d’entreprises et surtout qu’en Europe. Or, la finance verte va au-delà des émetteurs européens. Plusieurs pays commencent à émettre également des obligations de reporting de données ESG mais cela reste limité par rapport aux demandes de reporting de la taxonomie verte.

Quid du nucléaire ?

L’obligation de rapporter sur l’alignement d’un portefeuille vis-à-vis de la taxonomie verte peut pousser les investisseurs à vouloir augmenter à tout prix leur taux d’alignement. Par ailleurs, les entreprises seront poussées à optimiser cet alignement de portefeuille. Revoir son alignement à la hausse peut conduire à des stratégies de M&A, de ventes de lignes d’activités des entreprises afin d’augmenter ce ratio organiquement parlant aussi.

Enfin, la taxonomie énumère les activités et secteurs éligibles aux objectifs d’adaptation et mitigation du changement climatique et liste les indicateurs de mesure du degré d’éligibilité. Cependant, elle fait abstraction des questions et préoccupations culturelles. La question du nucléaire en particulier reste une pierre d’achoppement de la taxonomie. Avec des émissions de gaz à effet de serre minimes, le nucléaire apparait comme une des solutions aux énergies fossiles pour certains alors que, pour d’autres, la question de la gestion des déchets produits ferme toute porte à une certaine durabilité et caractère vert de la finance.

Vers un cadre compréhensible

Entre un minimum de « règles du jeu » dans une expertise qui est devenue, ces dernières années, mainstream et qui, dès lors, requiert aussi  certains standards et garanties de sa crédibilité et de son professionnalisme et le risque de lourdeur administrative de reportings inadéquats, imparfaits et parfois mêmes obsolètes, les autorités réglementaires font face à un défi de taille. Il faut espérer qu’en s’entourant d’experts du terrain et profitant du cercle vertueux qui se propage dans les différentes régions, elles donneront naissance au cadre attendu par tous les investisseurs pour les aider à comprendre sans équivoque ce que leurs portefeuilles financent.


Covid-19 : Quel avenir pour les générations futures ?

Le 24 juin 2020

Le Covid-19 a remis en avant l’importance du facteur social et, en particulier, du capital humain comme capital essentiel de l’entreprise. C’est la responsabilité de l’employeur de mettre en place des mesures de prévention et de protection de sa main d’œuvre afin, d’une part, d’assurer la continuité de l’activité économique mais également, d’autre part, de s’assurer le soutien de l’employé. Ce dernier  se sent concerné et fait partie intégrante du projet et a, dès lors, envie d’y contribuer.

Exemple scandinave

La comparaison de la situation des employés en Scandinavie, désireux de retourner travailler en sérénité et en confiance s’assurant que les mesures nécessaires ont bien été prises, est riche en enseignements pour les pays et les entreprises qui ont rencontré des difficultés à convaincre leurs employés de revenir sur leur lieu de travail. La Scandinavie, comme dans plusieurs domaines, a souvent eu une longueur d’avance en matière de responsabilité et de durabilité dans sa gestion et les politiques en matière de ressources humaines ne font pas exception.

En règle générale, ces entreprises ont été moins touchées par l’arrêt éventuel de leurs activités. Mais, à côté de politiques de gestion des ressources humaines efficaces, une autre option s’ouvre aux entreprises : l’automatisation.

Vers l’automatisation ?

La problématique de la continuité du business peut aussi se résoudre par une plus grande automatisation. Les machines sont résistantes aux pandémies et aux virus. Il est clair que le processus d’automatisation est déjà enclenché et va continuer à se renforcer au fil des années. En effet, il répond à la double problématique de la sous-traitance délocalisée et de la protection contre le risque sanitaire. Cependant, les machines ne sont pas la réponse à tout. Elles ne remplacent pas l’homme. Dès lors, face à cette automatisation, nos secteurs économiques mais aussi nos enfants sont-ils préparés ?

Un risque peu anticipé?

La dernière étude PISA de l’OCDE a voulu concentrer la triennale 2018 sur la question de l’adéquation entre le système d’éducation et l’évolution du marché de l’emploi. Il faut  constater avec tristesse que la majorité des élèves sondés par l’Organisation est peu préparée au marché de l’emploi de demain. Ce dernier a connu des mutations importantes ces dernières années et les méthodes d’éducation ont peu suivi.

En interrogeant les jeunes de 15 ans sur leurs aspirations professionnelles, les exemples cités sont davantage des profils d’emploi du XIXème et XXe siècle que ceux du XXIe siècle. Peut-être également parce que de nombreuses nouvelles fonctions apparaissent, dont peu aurait pu soupçonner même l’existence et dès lors y aspirer. Il faut également constater que la différence des genres et des contextes socio-économiques influence également beaucoup les aspirations des jeunes. Ainsi les garçons sont 7 fois plus nombreux que les filles à exprimer des aspirations dans le domaine de l’informatique, communication et technologies.

Peu de pays peuvent aujourd’hui se vanter d’aligner leur cursus scolaire avec les besoins professionnels d’aujourd’hui et de demain.

Next generation EU

La crise financière de 2008-2009 a montré les conséquences désastreuses sur les secteurs de la santé et de l’éducation, premiers touchés par les restrictions budgétaires des pays. Il faut espérer que les mêmes erreurs ne seront pas répétées avec la crise actuelle, peut-être pire que la précédente. Non pas qu’il faille dépenser massivement pour assurer un système d’éducation de qualité ni même l’adéquation de ce système avec les besoins actuels et à venir du marché de l’emploi, mais une coupe drastique dans des budgets déjà tendus n’améliorerait pas la situation.

L’Union européenne débloque 750 milliards d’euros dans son plan « Next Generation EU ». Il sera intéressant de voir quels pays consacreront une partie – et pour quelle proportion – à l’éducation et la formation des jeunes mais aussi du personnel dans les emplois les plus à risque pour une transition juste et inclusive.


COVID 19 : Une nouvelle ère pour les actionnaires?

Le 26 mai 2020

La responsabilité actionnariale ne fait pas exception en ces temps particuliers: la saison de votes aux assemblées générales des entreprises est marquée par les reports, les retards et le recours au digital. La crise liée à la pandémie remet aussi certaines pratiques en question dans ce domaine.

Mécanismes anti-OPA

Tout d’abord, relevons certains principes majeurs de gouvernance d’entreprise comme les mécanismes anti OPA. En effet, certaines entreprises, fortement dévalorisées suite au COVID-19, peuvent craindre des offensives d’acquisition par des offrants opportunistes. Plusieurs avocats, mais également des experts en matière de gouvernance d’entreprise et les agences de recommandations de vote, alertent progressivement sur ce risque. Ils recommandent, en fonction des réglementations possibles, de prendre des mesures défensives temporaires afin de se prémunir contre ce risque à court terme. Les mécanismes de plans des droits des actionnaires pourraient permettre à ces entreprise de reprendre leur souffle durant la transition jusqu’au retour à une situation plus normalisée.

Les actionnaires sont, en général, fortement opposés aux mécanismes anti OPA appelés plus communément « pilules empoisonnées » car elles ne sont pas dans l’intérêt à long terme des actionnaires minoritaires. Qu’en est-il aujourd’hui? A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ?

La recommandation semble de rester ouvert à l’option à condition que l’analyse soit faite au cas par cas, que la mesure soit temporaire avec une durée limitée dans le temps de maximum un an et qu’elle concerne bien les conséquences de la crise de la pandémie.

Dialogue et échange

La situation requiert plus que jamais un dialogue avec l’entreprise. Un dialogue constructif et un échange mutuel permettront à l’investisseur responsable de comprendre éventuellement les entreprises qui ont eu des lacunes dans leur gestion de crise. Ce dialogue permet d’engager une discussion sur la sécurité et la santé des employés. Ensuite, il permet d’être davantage réceptif aux réponses des entreprises et de remettre ces dernières dans le contexte particulier à chacune. Cela permet également de voir la situation dans une vision long-terme de sorte que les décisions d’investissement à long terme se traduisent également par un engagement actionnarial sur un même horizon. Enfin, l’engagement actif induit que les actionnaires continuent à s’exprimer, y compris dans les assemblées des actionnaires virtuelles. Ces principes sont réitérés par les Principes de l’Investissement Responsable.

Autres parties prenantes

Seconde conséquence de la crise actuelle: un renforcement de la tendance de la gouvernance des parties prenantes, au détriment de la primauté actionnariale.  Cette dernière repose sur le principe que les entreprises doivent avant toute chose maximiser leur profits aux fins des actionnaires, dans le respect des lois en vigueur.

La remise en question de ce principe n’est pas nouvelle. L’essai « Le nouveau Paradigme », émis par la renommée Harvard School en février 2019, place déjà au centre du débat un meilleur équilibre de traitement des différentes parties prenantes d’une entreprise de sorte de réduire le focus court-terme en luttant contre la pression activiste avide de profits rapides. Selon la théorie de la gouvernance des parties prenantes, l’entreprise aurait une obligation morale d’engagement pour un objectif sociétal qui lui permettra dès lors la génération de valeur à long-terme.

Actionnaire responsable

La pandémie et la crise relative au confinement global a renforcé cette théorie et l’actionnaire endosse dorénavant une responsabilité afin de réduire les impacts néfastes du virus. Il pourrait en effet être appelé à se prononcer sur différentes initiatives envers les autres parties prenantes de l’entreprise comme les employés touchés par la crise. Ce retournement de priorité des actionnaires vers les autres parties prenantes conduira certainement à d’intéressants débats et des prises de décisions complexes. Certaines initiatives, notamment réglementaires, émergent et donnent des pistes de décisions à prendre. Nous pouvons mentionner notamment l’Engagement de la Table Ronde Business qui réunit 180 chefs d’entreprises américaines qui s’engagent à diriger leur entreprise au bénéfice de toutes ses parties prenantes (clients, employés, fournisseurs, communautés et actionnaires).

Actionnaire amoindri ?

Si les entreprises donnent dorénavant la priorité à d’autres acteurs que les actionnaires, certains pourraient penser que ce sera au détriment de la création de valeur actionnariale.  Si c’est le cas, ce sera à court terme uniquement. L’amoindrissement de la primauté actionnariale devrait conduire à une plus grande pertinence des facteurs ESG pour les investisseurs comme pour les entrepreneurs. Il peut paraître utile de rappeler que l’intégration des facteurs ESG repose sur le principe du gagnant-gagnant de valeur créée. En effet, lorsqu’une entreprise œuvre à une meilleure efficacité énergétique, non seulement l’environnement en profite mais cela conduit à des réductions de coûts. Il s’agit finalement de bon sens.

Comme dans tous les domaines, le COVID-19 a ses conséquences court-terme et soulève des questions à moyen et long-terme sur le jour d’après. Cette pandémie pourrait prolonger l’érosion de la suprématie actionnariale et remettre en question à nouveau le paradigme de création de valeur à long terme et pression court terme. Il faut espérer que si la crise renforce bien le mouvement vers une finance plus responsable, elle devrait alors favoriser un cercle vertueux permettant également un horizon d’investissement plus long où l’actionnaire accompagne l’entreprise investie dans sa poursuite d’un objectif combinant rentabilité durable et bien-être de la société à long terme.


COVID 19 : Le social au devant de la scène !

Le 21 avril 2020

La pandémie du COVID-19 et le confinement de près d’un tiers de la population mondiale remettent sérieusement en question nos façons de travailler mais vraisemblablement aussi de voyager ou de consommer. La crise actuelle met également en lumière plusieurs problématiques sociales importantes. Ces dernières années les yeux se sont tournés principalement (parfois même exclusivement) sur le « E » pour Environnement et le climat en particulier. C’est sans doute aussi le moment de s’arrêter sur le « S » dans sa globalité et de remettre au-devant de la scène aussi les enjeux sociaux. C’est d’ailleurs l’un des résultats clés de la récente consultation lancée par JP Morgan, sur les conséquences de la crise du COVID19 sur l’investissement responsable et durable[1]. Le COVID-19 met en lumière l’inégalité des situations de chaque secteur face à la pandémie. Il attire l’attention aussi sur la vulnérabilité des chaines d’approvisionnement créée par la course à la globalisation et surtout à la délocalisation.

Un impact différent pour les secteurs

Plusieurs secteurs économiques tels que le tourisme, l’aviation, l’industrie automobile sont à l’arrêt complet avec des conséquences importantes sur l’emploi. D’autres doivent se réorganiser complètement pour faire face à une demande qui a explosé. Ainsi le géant de l’achat en ligne Amazon a optimisé ses capacités de stockage afin de concentrer et donner la priorité aux denrées de base uniquement. Les achats dits superflus ont été relégués au fonds des entrepôts pour maximiser le rangement et l’accès aux produits les plus demandés. Les autres secteurs doivent se réorganiser en télétravail et autres modalités de travail à distance pour répondre au confinement imposé. Ici aussi, le contraste des situations est marquant. De nombreuses entreprises communiquent sur les réseaux sociaux sur les mesures de prévention adoptées pour protéger leur personnel tout en leur garantissant les moyens de travailler. Alors que les bureaux paysagers se vident de leur population, le géant Amazon songe à engager 100.000 personnes supplémentaires pour répondre aux demandes. Les leaders des grandes surfaces surenchérissent pour maintenir leurs employés au travail malgré un manque flagrant de solutions matérielles pour assurer efficacement la protection sanitaire de ces derniers. On propose des primes supplémentaires, des boni exceptionnels, une augmentation du tarif horaire. Ces incitants financiers sont généralement accueillis positivement par le personnel, malgré le risque sanitaire encouru, en particulier aux Etats-Unis où la couverture sociale est moindre qu’en Europe.

Des mesures à court-terme aux implications à moyen et long terme

Pour les secteurs à l’arrêt, l’enjeu est également de taille. Alors que, pour de nombreux employeurs, la réduction temporaire de la force de travail est souvent la seule option de survie, les conditions d’accompagnement et de soutien au personnel seront des critères importants à moyen terme pour la culture d’entreprise. En effet, la culture d’entreprise et la satisfaction du personnel jouent un rôle croissant dans la performance économique et financière des entreprises. Elles sont des éléments de différenciation à long-terme qui attirent les clients ainsi que les meilleurs talents. En effet, les enquêtes montrent que de plus en plus de consommateurs sont prêts à payer plus cher leurs biens de consommation en contrepartie d’un meilleur respect de l’environnement et de l’humain. Sur le plan du capital humain, la génération « millenials » attache une grande importance à la culture de l’entreprise dans laquelle elle pourrait travailler. Et ce, au-delà de du seul critère de la rémunération proposée[2].

En adoptant de manière proactive des mesures de soutien à leur capital humain et en faisant preuve de la flexibilité nécessaire, les entreprises peuvent non seulement faire face à la situation mais également renforcer leur attractivité comparativement à leurs concurrents. Les mesures prises envers leur force de travail peuvent contribuer à une plus grande satisfaction et loyauté ainsi qu’à une reconnaissance positive de la marque.  Les implications à long terme sont positives pour la productivité, la performance boursière et les rendements de l’entreprise.

La vulnérabilité des chaines d’approvisionnement

La situation déplorable d’un manque cruel de masques sanitaires pour le personnel soignant et les autres personnes exposées montre la vulnérabilité des chaines d’approvisionnement et le risque de concentration de ces dernières dans un pays.  Il y a plusieurs années, un rapport de recherche sell side ESG s’était déjà penché sur la problématique de la sous-traitance de la confection des médicaments essentiellement en Chine et en Inde. L’étude traitait principalement de la question de la sécurité et de la qualité du produit, dans des pays où les contrôles sont moins stricts que dans les pays de l’UE. Cependant, elle faisait également mention du risque de pénurie de certains médicaments de base. Aujourd’hui, la Chine est le producteur principal des Ingrédients Pharmaceutiques dits Actifs (Active Pharmaceutical Ingredients – API). IPA est le terme générique pour désigner les composants actifs biologiques qui composent la base première des nombreux composants d’un médicament. L’Inde, deuxième grand sous-traitant de l’industrie pharmaceutique, dépend elle-même de la Chine pour plus de 70% de ses besoins en IPA, afin de produire les médicaments génériques et autres antibiotiques. Les acteurs de l’industrie pharmaceutique sont tenus de déclarer les risques de pénurie potentielle aux autorités internationales comme la FDA aux Etats-Unis. Cependant, les règles sont moins strictes et formelles pour l’équipement médical et conduisent aux situations que nous connaissons aujourd’hui.

En matière d’investissements responsables et durables, la question de la chaine d’approvisionnement a toujours été au centre des débats. Cependant, il faut reconnaitre que c’était essentiellement du point de vue  du respect des droits humains et des droits du travail dans des secteurs tels que le textile ou les équipements technologiques. La vulnérabilité de la chaine d’approvisionnement doit être au cœur des débats également pour s’assurer d’anticiper correctement tous les risques futurs. La question de la concentration de la chaine d’approvisionnement dans un pays doit aussi être traitée. On notera l’exemple d’Apple qui entreprend de relocaliser progressivement sa chaine d’approvisionnement vers l’Inde. Cela montre aussi la vulnérabilité d’un tel modèle d’entreprise fondé sur le recours massif à la sous-traitance, notamment pour des secteurs technologiques où le rythme du lancement de nouveaux produits ne doit pas être interrompu ou ralenti. Cependant, ne soyons pas naïfs : la volonté d’Apple est de réduire sa concentration et dépendance à la Chine,  mais aussi de délocaliser vers l’Inde où la main d’œuvre reste moins coûteuse que chez son voisin chinois.

Pilier social

Le bouleversement créé par le COVID 19 remet sur le devant de la scène l’importance du pilier « Social » en matière d’investissements responsables et durables. La gestion du capital humain reste un élément capital de toute analyse ESG d’une entreprise. Les mesures d’accompagnement prises actuellement par les entreprises, en fonction de leur secteur, leur réglementation, les confinements imposés ou pas, sont des décisions de court terme qui pourront avoir des implications importantes sur le long terme. Les employés comme les consommateurs seront attentifs et sensibles aux moyens mis en œuvre par leur entreprise pour répondre à l’interruption des activités et à l’ébranlement économique. Ces derniers pourraient être des facteurs différenciateurs importants sur le moyen et long terme pour la satisfaction et la loyauté du personnel comme du consommateur.  Les investisseurs devront être attentifs à ces différents critères pour continuer à investir dans les entreprises durables aujourd’hui et pour demain.

[1] Stay safe and think long term, JP Morgan, 30 March 2020

[2] Une étude réalisée par Optimy en 2017 montre que 60% des consommateurs interrogés sont prêts à payer davantage pour des produits d’entreprise bénéficiant d’une image de marque positive, de bonne réputation et aux valeurs éthiques alors que 71% des dits millenials préféreront travailler, toute chose étant égale par ailleurs, pour une entreprise ayant démontré un engagement fort vis-à-vis de la communauté et du bien sociétal.


Aviation: une industrie controversée de plus en plus critiquée

Le 27 février 2020

Le premier janvier 1914, le premier vol programmé connectait St Petersburg en Floride à Tampa (Floride). Depuis lors, l’industrie de l’aviation n’a cessé de croitre. Selon les statistiques de l’Association Internationale du Transport de l’Air (IATA), le nombre de vols commerciaux atteignait les 37, 8 millions[1] en 2018 soit environ 104.000 vols par jour. Aucun signe aujourd’hui ne laisse présager d’un renversement de la tendance. Au contraire, le nombre de vols devrait croître de 3,5% par an jusqu’à 2037. Cette tendance s’explique principalement par l’augmentation du niveau de richesses en général. L’aviation permet de connecter les gens[2] et joue dès lors un rôle important dans la société, qui est également économiquement vital[3]. Cependant, son empreinte environnementale ne peut pas être négligée.

Volonté de voler (2017)

Source: European Commission, Sabre, WBG, IHS, Airbus, 2016

L’empreinte écologique de l’industrie de l’aviation

L’aviation internationale compte pour 2,5% des émissions de CO2 globales actuelles. Dès lors, le secteur contribue sensiblement au réchauffement climatique. Bien que les avions soient devenus plus efficaces et consomment moins de carburant, ces progrès ne suffisent pas à compenser l’augmentation des émissions découlant de la croissance du nombre de vols. En effet, les émissions de CO2 résultant de l’industrie ont augmenté de 128,9% entre 1990 et 2017, malgré la flotte plus efficace. De plus, l’activité est à l’origine de problèmes de pollution sonore et autres formes de pollution environnementale, également néfastes à l’homme et à la nature.

Des risques climatiques importants

L’industrie de l’aviation doit faire face à des risques climatiques de transition mais aussi physiques. En effet, les vols intra européens sont sujets au système d’échange de quotas d’émissions de l’UE (ETS -European Union Emissions Trading System). Selon ce dernier, les sociétés émettrices de CO2 doivent payer des droits d’émissions afin de couvrir les leurs. Bien que l’industrie ait bénéficié d’une exemption de droits pour une grande part de ses émissions, certaines activités restantes sont soumises aux systèmes d’échange de quotas d’émissions. Le prix unitaire de ces quotas en hausse impacte la performance financière des compagnies aériennes (particulièrement celles de bas prix). De plus, plusieurs indications montrent que ce coût va croître. En effet, l’Europe revoit chaque année à la baisse ses quotas de droits d’émissions exemptés. Ceci est également valable pour le nombre de droits d’émissions disponibles et traitables. Tenant compte de l’augmentation des émissions pour l’industrie, la demande pour les droits d’émissions est appelée à croitre proportionnellement et fera pression à la hausse sur les prix.

De plus, les régulateurs sont catégoriques quant à soumettre l’industrie à de nouvelles règles plus strictes. À partir de 2021, le système CORSIA entrera en force. Il s’agit de l’abréviation pour Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation, et soumettra tous les vols de ses membres (soit 73 autorités globales) à compenser obligatoirement ses émissions (sur une base volontaire jusque 2021, obligatoire ensuite). Cependant, la mesure ne concerne que la compensation des émissions supérieures à celles de l’année de référence 2020. La transparence sur l’implémentation exacte de ce processus est aujourd’hui limitée. De même, il n’est pas clair quels types de projets seront éligibles pour compenser les émissions. Enfin, l’impact sur l’environnement et sur la performance financière des compagnies aériennes reste également inconnu. Une seule certitude, le système d’échanges d’émissions européen restera en place et le programme CORSIA vient en mesure complémentaire pour maitriser les émissions croissantes.

Le mouvement Flygskam (soit la honte de voler, pour désigner les voyageurs qui optent pour des moyens alternatifs de transport ou de vacances) peut également impacter la performance des compagnies aériennes. Cependant, son influence reste jusqu’ici limitée, notamment aussi par le manque d’alternatives concrètes. L’offre croissante de trains rapides pourrait venir contrecarrer cet argument. Les lignes de trains rapides se multiplient dans les Etats membres européens. Le gouvernement allemand a par exemple augmenté les taxes sur les tickets d’avion afin de réduire celles sur les tickets de train.

Enfin, les risques climatiques physiques sont également importants pour l’industrie. D’une part, les aéroports sont de plus en plus affectés par les conditions météorologiques extrêmes découlant du changement climatique. Celles-ci obligent parfois les compagnies aériennes à supprimer des vols ou rediriger certains vols, comme récemment le cas avec la tempête Ciara qui a traversé notre pays. Selon l’Institut Mondial des Ressources, 80 aéroports internationaux pourraient être menacés par une augmentation du niveau des mers d’un mètre. Ceci crée également des opportunités pour les secteurs de l’infrastructure et de la construction. Par exemple, l’aéroport international de San Francisco a décidé l’an dernier d’investir 587 milliards de dollars dans un projet de mur maritime autour de l’aéroport. D’autre part, la performance des avions en soi peut être impactée par les conditions météorologiques telles que des vents et pluies violents. Ces dernières affectent non seulement la sécurité des passagers mais également la consommation de carburant.

De bons et moins bons élèves, et un rôle important pour les consommateurs

Les compagnies aériennes peuvent prendre plusieurs mesures afin de limiter les risques de transition et dès lors leurs émissions. Tout d’abord, l’utilisation de capacité optimale permet de limiter la moyenne d’émissions par passager. Ryanair par exemple a réussi à limiter ses émissions à 66g CO2/passager/kilomètre. Avec ce score, la société fait partie des meilleures compagnies aériennes et détient une avance importante sur ses concurrents (Easyjet par exemple affiche une moyenne d’émissions de l’ordre de 78gCO2/passager/km). Renouveler la flotte est également une option. En effet, la nouvelle génération d’avions est en moyenne 15% plus efficace. Ceci permet de réduire les coûts de carburants mais également les coûts liés aux émissions CO2 décroissantes. A nouveau, Ryanair a massivement investi dans de nouveaux avions ces dernières années, près de 20 milliards d’euros d’investissement.

De plus, les compagnies aériennes peuvent également offrir une compensation CO2 à un certain prix. Ce principe pourrait attirer les personnes désireuses de voler mais qui néanmoins ont une certaine conscience écologique. Cependant, il semblerait qu’aujourd’hui peu de consommateurs soient prêts à payer davantage, aussi longtemps que la transparence vis-à-vis des projets exacts mis en place pour la compensation des émissions ne s’améliore pas. Seulement 3% des passagers Ryanair ont utilisé cette option volontaire en 2019. En effet, certaines compagnies offrent déjà la possibilité de compenser ses émissions sur une base volontaire comme Easyjet. Le prix unitaire de cette compensation est cependant critique: 3 livres sterling par tonne de CO2 émise (£3/tCO2e) n’est pas jugé comme représentative. Niklas Hagelberg, le coordinateur du Programme pour le Climat des Nations Unies, a récemment adressé la question de l’importance de la compensation en soulignant que les autres mesures de réductions d’émissions, comme les combustibles alternatifs, doivent également rester des options valables complémentaires.

L’utilisation de renouvelables, comme l’agro-carburant, est également une possibilité de réduire les émissions directes de CO2 des avions. Bien que l’agro-carburant permette de limiter les émissions CO2 des vols et également de baisser la demande pour les quotas d’émissions, son prix n’est cependant pas aujourd’hui concurrentiel. Aussi longtemps que les consommateurs n’exigeront pas les alternatives plus vertes et que les prix de quotas d’émission n’augmenteront pas significativement, les sociétés aériennes n’opteront pas pour les agro-carburants ; et définitivement pas sans un subside des gouvernements. Le nombre restreint d’affiliés à l’initiative d’agro-carburants (Sustainable Aviation Fuel Users Group) démontre ce manque d’intérêt actuel. Des compagnies aériennes telles que Ryanair ou Easyjet n’en sont pas membres par contre bien Vueling et Iberia. De plus seulement 5 aéroports aujourd’hui sont alimentés régulièrement en bio carburants. Selon le scénario de développement durable de l’Agence Internationale de l’Energie, la part des agro-carburants dans le transport aérien devrait, pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C, augmenter de maximum 19% d’ici 2040.

Consommation de carburant dans le transport aérien selon le Scénario Développement Durable de l’AIE.

 

Source: IEA, 2019

Sur base des chiffres actuels, cet objectif n’est pas réaliste, notamment dû aux exigences en termes de provenance des agro-carburants. En effet, la production doit être régulée de sorte que l’empreinte carbone totale sur l’entièreté de la chaine d’approvisionnement reste limitée. En effet, l’utilisation de carburants provenant des déchets recyclés est une meilleure option que le bio carburant produit à partir d’huile de palme. Aujourd’hui cinq méthodes de production sont acceptées sur le plan international. L’huile de palme n’en fait pas partie.

Conclusion: en attendant Godot?

Plusieurs sources affirment que le transport aérien et le nombre de passagers vont continuer à croître malgré l’impact négatif environnemental découlant de cette activité. Les mesures réglementaires actuelles sont insuffisantes pour stimuler les compagnies aériennes à prendre des mesures drastiques de réduction d’émissions CO2. De plus, les consommateurs ne semblent pas prêts à opter massivement pour des moyens de transport alternatifs. Le manque d’alternatives viables et le refus d’abandon d’un certain confort semblent expliquer leur réticence. Tant que la demande pour des vols plus durables ne se fait pas davantage ressentir, les compagnies aériennes ne feront pas non plus le pas. Enfin, ces dernières ne semblent pas être affectées par les programmes d’échanges de quotas d’émissions européens ou encore le programme CORSIA qui vraisemblablement ne limitera pas les émissions croissantes par manque d’ambition. Il semble que nous attendions Godot.

Cependant, le plan européen de la Commission de Madame von der Leyen, le Green Deal, pourrait changer la donne. A ce stade, ce qui est connu est que le nombre de droits d’émission pour l’industrie de l’aviation va diminuer significativement (1) ; qu’une taxe supplémentaire sur le carburant sera imposée (2) et que l’utilisation de carburants alternatifs au kérosène deviendra une obligation (3). L’impact sur les entreprises aériennes devrait alors être substantiel selon ce scénario.  L’industrie pourrait alors dissuader certains investisseurs (et même les passagers). Pour les investisseurs, l’utilisation d’indicateurs intégrés liés au climat deviendra de plus en plus pertinent afin d’identifier les acteurs de l’industrie les mieux positionnés d’un point de vue financier mais également sociétal. L’industrie, ainsi que le débat sur sa durabilité, reste extrêmement sujet à controverses.

Vols le 10 février 2020 à 11:45am.

 

Source: Flightradar24

Conseil: en tant que consommateur, vous pouvez agir: interrogez-vous sur les options de voyage, considérez des alternatives de déplacement, choisissez l’agence aérienne avec minutie et/ou considérez à compenser vos émissions. Si vous désirez compenser les émissions de vos voyages par avion, vous pouvez vous référer aux plateformes telles que My Climate ou Compensaid (produit par Lufthansa). Veuillez lire attentivement tous les détails avant de procéder à votre donation.

[1] Sans tenir compte de vols privés, non autorisés ou transport militaire.

[2] Selon l’association IATA, environ 4,4 milliards de passagers ont voyagé via des vols programmes en 2018.

[3] Malgré la variation des estimations, selon l’Air Transport Action Group (ATAG), la part de l’aviation internationale dans le PIB global s’élevait à environ 2.7milliards de dollars en 2017. L’industrie a également créé environ 65.5 million d’emplois (dont environ 15% d’emplois directs)


Quelles sont les tendances en investissement responsable pour 2020 ?

Par Ophélie Mortier DPAM

Le 22 janvier 2020

En ce début d’année, faisons le point sur les tendances et les sujets ESG majeurs qui domineront l’actualité des marchés en 2020. Plus que jamais, la réglementation et les politiques resteront déterminantes cette année. 2019 a montré à quel point les autorités (en particulier européennes) ont pris ce sujet à cœur. Elles sont résolues à accélérer la transition vers une économie bas carbone.

Au niveau européen

Ces quinze derniers mois, la Commission européenne n’a pas minimisé ses efforts pour rattraper un certain retard en matière de réglementation des investissements durables et responsables. Elle s’est, en effet, armée d’une taxonomie verte et d’une réglementation sur les indices bas carbone et à impact carbone positif. Elle a également instauré une réglementation d’information sur les investissements durables et sur les risques de durabilité. Elle n’hésite d’ailleurs pas à faire de son Plan d’Action pour la finance durable son fer de lance au niveau international. Elle tente de convaincre ses homologues internationaux de prendre davantage de mesures réglementaires en faveur d’une finance plus durable.

Banques centrales

Il est en effet urgent que les différentes autorités et institutions de gouvernance se coordonnent pour une lutte globale contre le réchauffement climatique qui est une problématique mondiale indifférente aux frontières. Les Banques centrales l’ont compris. Elles se rallient de plus en plus aux positions de la Banque d’Angleterre, pionnière en matière de stress tests sur base de facteurs environnementaux (voir article précédent). Le Network for Greening the Financial System, regroupement de banques centrales et des autorités monétaires et financières à travers le monde, reconnait formellement le risque climatique comme risque à intégrer dans leur modèle.

L’organisation internationale des Principes pour l’Investissement Responsable invite également ses signataires et les autres acteurs de la finance à considérer un scénario de Politique Inévitable. Ce scénario est basé sur le fondement que, tôt ou tard, les gouvernements devront prendre les politiques nécessaires en matière de climat. Elles devront le faire de manière plus contraignante qu’aujourd’hui, surtout dans une optique d’émissions carbone nettes réduites à néant à horizon 2050 comme ambitionnée par l’Union européenne.

Fuites de carbone

Une politique plus agressive et plus ambitieuse comme l’entend le Green Deal de la Commission de Mme von der Leyen soulève la question majeure des « fuites de carbone » (carbon leakage). Il s’agit du risque inhérent de perte de compétitivité des entreprises européennes soumises à des politiques plus drastiques en matière d’émissions que leurs pairs internationaux. Ainsi les entreprises pourraient être amenées à transférer leur production dans des pays présentant des contraintes d’émissions moins drastiques et des conventions de prix de carbone plus intéressantes. C’est un débat important qui va se dérouler ces prochains mois. Il sera intéressant de voir également ce que les autorités européennes vont retenir d’une proposition faite par plusieurs économistes de très haut niveau, plusieurs prix Nobel et anciens présidents de la FED aux Etats-Unis d’une taxe et un dividende frontière vert dans leur Déclaration d’Economistes sur les dividendes carbone. Le ratio legis vient du consensus qu’un prix carbone universel est une utopie. Dès lors, l’idée centrale repose sur une taxe carbone nationale mais reflétée par une taxe verte frontière pour assurer de ne pas nuire à la compétitivité nationale. A suivre.

Responsabilité des investisseurs

Ensuite, le changement climatique restera le grand sujet 2020. Cependant,  les voix s’élèvent pour avoir un débat holistique çàd. incluant aussi les dimensions sociales et économiques. Trouver des solutions au changement climatique, définitivement oui, mais pas à n’importe quel prix social. La dimension sociale reprend du terrain. A ce titre, les droits humains vont faire l’objet de réglementation et d’obligation morale des investisseurs. Comme cela a été le cas pour le changement climatique – notamment l’article 173 de la loi sur la transition économique en France – les investisseurs devront de plus en plus répondre de leur responsabilité en tant qu’acteurs économiques dans le respect des droits humains. L’Initiative de Liechtenstein, initiée déjà en septembre 2018, reconnait déjà formellement la responsabilité du secteur financier dans la problématique d’esclavage moderne et de trafic humain. La mobilisation du secteur va s’accroitre et sera encouragée par une réglementation de plus en plus contraignante en la matière également.

Changement climatique

Le changement climatique reste donc une priorité pour les investisseurs en 2020. Plusieurs stratégies innovantes ont été mises en place ces dernières années sur la question du défi climatique. Les reportings se sont affinés avec l’émergence de notions telles que la température ou encore l’empreinte carbone du portefeuille. Les débats évoluent dorénavant vers une prise en compte globale du sujet notamment une attention plus marquée sur les risques physiques – plutôt que sur les risques de transition-, le besoin d’innovation et la question du recyclage en général.

Enfin, les initiative se sont multipliées ces dernières années en matière d’engagements coopératifs, de lobbying, d’initiatives pour la lutte contre le réchauffement climatique, pour la biodiversité, etc. Cette dynamique est positive et prometteuse. Cependant, il est sans doute temps aujourd’hui de se concentrer sur les actes et les résultats avant de multiplier davantage les propositions d’actions. Rationalisation et concrétisation seront les maitres mots. La société attend des résultats visibles et tangibles de cette multitude d’engagements.

Mesure d’impact

De même, au niveau des investissements dans les portefeuilles, la preuve de l’impact extra financier va être de plus en plus exigée de la part des investisseurs. Ces derniers sont de plus en plus formés et informés au niveau des investissements durables et responsables. Ils gagnent en expérience et expertise et demanderont dès lors davantage d’information pratique et concrète sur l’impact réel de leurs investissements. Ici, l’expertise doit encore répondre à un défi majeur: la disponibilité, l’accessibilité et la fiabilité des données. Les agences de notation extra financière sont dès lors de plus en plus mises au défi sur leurs notations, leurs méthodologies, etc. et devront répondre davantage de leur responsabilité dans la détermination de durabilité ou non d’une société. L’information ESG devient une obligation légale pour toutes les entreprises – financières ou non-financières – et la perspective d’une norme standardisée se rapproche.


COP 25 : Une occasion manquée !

Par Ophélie Mortier, DPAM

Le 30 décembre 2019

Le seul consensus du sommet climatique de l’ONU à Madrid que l’on peut retenir est l’échec des discussions. En effet, s’il y a un point sur lequel tout le monde est tombé d’accord c’est bien la déception générale des négociations onusiennes des deux dernières semaines.

Et pourtant, dans son discours d’introduction, le Secrétaire Général des Nations Unies Mr. Guterres avait été clair sur l’urgence d’ambitions fortes. Il a ainsi mentionné le « point de non-retour sur la question climatique». De plus, 2019 a fourni sa série d’exemples concrets du changement climatique à travers le monde. On parle ici, par exemple, des incendies au Brésil, de la fonte des glaciers, des cyclones au Mozambique et au Bahamas, de Venise inondée, de la sécheresse en  Australie. Malgré cela, les pays présents n’ont pas pu relever le défi de définir les obligations techniques et légales nécessaires à l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 2° C voire de préférence  1.5° C. Ils ont préféré s’enliser dans des discussions sans fin de haute technicité comptable.

Report de décision

En effet, au cœur des discussions plutôt techniques et comptables, la conférence devait mettre en place l’article 6 de l’Accord de Paris qui vise essentiellement la mesure et l’accomplissement des engagements de réductions des émissions carbones (INDC). Il fallait notamment résoudre la question des éventuels doubles comptages mais aussi l’intégration demandée par certains pays (en général les plus émetteurs) de méthodes de calculs avantageuses accordées dans le Protocole de Kyoto. Mais ces méthodes auraient pour résultat de réduire les ambitions de réductions d’émissions réelles engagées dans l’Accord de Paris. Malgré la longueur quasi record du sommet, les discussions se sont conclues sur un report de la décision au sommet intermédiaire de Bonn en juin prochain.

Dialogue sur l’océan

Au-delà de l’objectif premier du sommet, les attentes étaient grandes face à l’urgence climatique pointée par les scientifiques. Cette urgence est aussi réclamée par une mobilisation sans pareille de la population mondiale. On a évoqué ainsi notamment l’idée d’une « COP bleue » pour intégrer la question des océans et la question des pertes et dommages liés au changement climatique. Ici aussi on a pu constater peu d’actions concrètes et ambitieuses.

Sur la question d’un focus particulier sur les océans, qui représentent deux tiers de la surface terrestre et absorbent un quart des émissions de dioxydes de carbone, le sommet conclut sur la reconnaissance d’un besoin d’action plus rapide et plus forte. Il décide aussi de l’organisation d’un dialogue sur l’océan.

Peu de résultats concrets

Sur la question de la responsabilité et du financement des pertes et dommages liés au changement climatique, même report de décision. La réunion conclut sur la mise en place d’un groupe de travail d’ici 2020. Ce groupe planchera sur un plan d’action et le rôle du fonds vert pour le climat dans ce financement. Mr. Guterres n’a pas caché sa déception du résultat de la COP 25. C’est en effet un échec alors que le monde n’est déjà pas sur les rails pour les engagements de Paris. Or, l’année 2020 marque un tournant important dans ces engagements avec la révision des engagements (« INDC ») de ses signataires. Aujourd’hui, seulement 80 pays représentant à peine 10% des émissions globales, ont revu leurs ambitions à la hausse. C’est probablement l’absence de résultats concrets qui justifie le peu de couverture médiatique de la COP 25. L’annonce du Green Deal par l’Union Européenne, qui veut consacrer minimum 25% de son budget à long-terme à l’action climatique lui a un peu volé la vedette médiatique. Malheureusement, la dernière action de la Commission européenne de Mme Von der Leyen n’a pas fait le poids face à la réticence des émetteurs importants tels que le Brésil, la Chine, l’Inde ou encore l’Australie.

Occasion manquée donc ! Le rendez-vous est reporté en juin 2020 pour la session intermédiaire de Bonn et en septembre pour le sommet EU-Chine à Leipzig…


Les cimentiers : un secteur controversé auquel on ne pense pas !

Par Ophélie Mortier, Degroof Petercam

Le 28 novembre 2019

L’urbanisation est une aubaine pour l’industrie du ciment. En effet, le béton représente, en 2019, le matériau le plus utilisé au monde.. Il représente  trois tonnes de ciment par an et par personne. Cependant, il s’agit aussi d’une des industries les plus polluantes. Elle pose, en effet, des questions sérieuses vis-à-vis de l’environnement et en particulier vis-à-vis du changement climatique.

Une industrie parmi les plus polluantes

En amont, les carrières de calcaire, premier ingrédient du ciment, représentent un danger pour la biodiversité de par leur exploitation. Ensuite, le processus de fabrication du ciment recourt à une consommation intense d’énergie. Il requiert ainsi des processus de réchauffement des matières premières à des températures de 750°C (pré-calcination) et de 1450° C (pour le cru, soit le mélange de matières premières). D’autre part, ce processus émet des particules et des polluants atmosphériques dangereux pour la qualité de l’air. Il y a notamment des rejets de dioxyde de carbone importants lors de la calcination des matières premières pour la production du clinker, composant principal du ciment. Enfin, la production du ciment prêt à l’utilisation requiert également des quantités d’eau importantes.

Ainsi, l’intensité carbone du ciment ordinaire communément dénommé Portland (OCP) s’élève en moyenne à 80% soit 800 kg de CO2 par tonne de ciment produit!

Les cimentiers européens, les mauvais élèves?

L’industrie du ciment est une industrie caractérisée par des grands producteurs et des acteurs locaux. Aujourd’hui, les cimentiers européens tels que CRH, Lafargeholcim ou encore Heidelbergcement, sont parmi les pires élèves en matière d’émissions derrière les acteurs chinois ou indiens. Cette différence s’explique principalement par la proportion de clinker dans le ciment produit. En effet, notamment pour des raisons réglementaires, les acteurs européens présentent les ratios de clinker par ciment produit les plus élevés de l’industrie. Et ce, car l’utilisation d’alternatives au clinker reste limitée. La Chine ou l’Inde ont recours davantage à des matières premières alternatives soit chimiques ou naturelles comme, par exemple, les particules volantes des restes de combustion de charbon. Ensuite, il faut également souligner les parcs industriels plus modernes et récents dans les économies dites émergentes. Ils sont dès lors plus efficaces lors des processus de réchauffement jusqu’à 1450°C.

Cependant, il y a lieu de mentionner que les acteurs européens sont parmi les leaders sur plusieurs enjeux clés pour une transition vers une économie bas carbone. Cela intègre le secteur des cimentiers. Ainsi, ils présentent le taux d’utilisation le plus élevé de combustibles alternatifs à l’énergie fossile dans les utilisations d’énergie. Ils sont leaders en R&D. Ils le sont notamment en matière de développement de ciment appauvri en carbone. Mais celui-ci reste une partie minimale de leurs portefeuilles. Enfin, ils sont également pionniers sur les programmes de capture de dioxyde de carbone.

Une industrie qui reste une opportunité d’investissement

L’urbanisation, la demande pour les constructions solides et l’infrastructure combinées à la globalisation font pression sur la demande de béton. L’utilisation de ce matériau jugé des plus solides et résistants est appelée à perdurer. Certaines alternatives pourraient être envisagées. Elles se situent principalement dans le bois et les laminés. Cependant, lobbying ou non, le ciment passerait comme plus adapté puisque plus solide et résistant aux évolutions climatiques. Ensuite, le bois n’est pas infini et pose également des questions de disponibilité et de durabilité. Pour le remplacement de seulement 25% de la demande en ciment il faudrait, aujourd’hui, prévoir une forestation adéquate qui ne porterait ses fruits qu’en 2050.

Une voie sans issue?

D’une part, l’industrie est reconnue des plus polluantes. D’autre part, la demande n’est pas prête de ralentir. Les statistiques laissent espérer un ralentissement, voire une diminution, de la demande pour le ciment. Cependant, ce dernier ne serait pas pour demain. Il faut dès lors travailler sur l’offre de manière à ce que ses effets néfastes soient les plus réduits possibles. Selon l’Agence Internationale de l’Energie (IEA), pour une limitation de la température à 2°C d’ici 2100 tout en assurant une croissance de la production de 12% à 2050, l’intensité carbone par ciment produit doit baisser d’un pourcent par an.

La priorité doit se concentrer sur l’utilisation de matières premières alternatives au ciment. En effet, elle est responsable de 98% des émissions émises lors de la production d’une tonne de béton.

Ensuite, il est nécessaire de fixer un prix du carbone qui reflète la réalité de la situation. Ce prix doit être global à l’industrie pour ne pas créer de distorsions concurrentielles. Selon l’organisation CDP (carbon disclosure project), la taxe carbone devrait être de 3 à 6 fois plus élevée que son niveau actuel.

Travailler sur les alternatives moins polluantes pour le processus de réchauffement utilisé dans la production est également une voie de réduction possible. Le développement d’un ciment nécessitant des températures moins élevées pour sa fabrication est aussi une alternative. Les programmes de capture du carbone restent une option. Mais ils doivent être développés à une échelle industrielle pour un coût réduit. Aujourd’hui, le coût de leur mise en place représente un réel frein à leur développement.

Enfin dans une réflexion d’économie circulaire, il y a lieu également de penser aux méthodes de contrôle de la production de nouveau ciment. Il faudrait revoir le processus dans une vision circulaire de recyclage et de réutilisation.


Une nouvelle plateforme pour la finance durable

Le 28 octobre 2019

Le 18 octobre dernier, lors de l’assemblée annuelle du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale à Washington, l’Union Européenne a annoncé le lancement d’une nouvelle plateforme internationale pour la finance durable (IPFS : International Platform on Sustainable Finance).

Internationale ?

C’est une constatation récurrente: l’Union européenne a pris à bras le corps le sujet de la finance durable. On notera en particulier les investissements verts et plusieurs initiatives importantes à ce sujet notamment le Plan d’Action pour la finance responsable. Cette pro-activité de l’UE est régulièrement soulignée face à l’absence d’engagements d’autres nations, notamment les Etats-Unis. En donnant la priorité au défi climatique, l’UE ne risque-t-elle pas de sacrifier sa croissance économique (à court-terme) face à des nations moins scrupuleuses sur la question de responsabilité environnementale ?

Cette fois-ci encore l’UE prend les devants et elle n’est pas seule.  L’Argentine, le Canada, le Chili, la Chine, l’Inde, le Kenya et le Maroc ont également rejoint l’initiative. Mais il faut reconnaître que certaines nations brillent par leur absence. Restons cependant optimistes : l’initiative est récente, c’est une question de temps avant que les autres pays se joignent également à cette initiative. De plus, les observateurs sont nombreux et clés en matière d’investissement : notamment la Banque Européenne de Reconstruction et Développement, la Banque d’Investissement Européenne, l’OCDE ou encore les Nations Unies.

Pour la finance durable ?

On ne le répétera jamais assez : le secteur privé est clé pour faire face aux trillions nécessaires pour le financement d’une énergie bas carbone. La vidéo de lancement de l’initiative est sans équivoque : le focus est sur l’économie verte et le changement climatique. Réduire les investissements dans les activités polluantes au profit des activités vertes est la priorité.

Etant donné  la globalisation et la taille du défi à relever, une plus grande coopération internationale est requise. La plateforme créée a dès lors trois objectifs :

  1. L’échange et le partage d’informations afin de promouvoir les meilleures pratiques en finance durable environnementale.
  2. Comparer les différentes initiatives et identifier les barrières et opportunités pour une finance durable environnementale à grande échelle internationale.
  3. Tout en respectant les contextes particuliers nationaux et régionaux, améliorer la coordination internationale dans les problématiques de finance durable environnementale qui le requièrent, voire un alignement des initiatives et approches pour les membres qui le souhaitent.

Une plateforme d’échange à défaut d’une taxonomie européenne ?

La plateforme est donc bien un forum pour faciliter les échanges et coordonner les efforts en matière de finance durable environnementale. Elle vise en particulier les initiatives des marchés des capitaux telles que taxonomies, standards et labels. Le focus est clairement sur la question climatique et les investissements verts (#investgreen).

Le projet est donc tout à fait aligné avec l’objectif principal de la taxonomie récente de l’UE sur la question climat. Face à la dernière annonce d’une application de la taxonomie au plus tôt en 2022, il est légitime de s’interroger si cette initiative n’est pas une étape intermédiaire moins contraignante vers une harmonisation des investissements verts.  En effet, le pilier central du plan d’action pour la finance durable de la Commission européenne entrera en application deux ans plus tard que la date proposée initialement par la Commission européenne. Ce report d’échéance montre à quel point une taxonomie à l’échelle européenne est difficile.

L’initiative internationale de coopération a vraisemblablement un rôle de rassurer que les intérêts nationaux sont toujours invités à la table des négociations sur les questions d’harmonisation. Permettra-t-elle une adoption plus aisée voire plus rapide de la taxonomie à venir ? La question reste ouverte.


Sommet mondial de la finance responsable : qu’en retenir ?

Le 27 septembre 2019

Le 8 septembre dernier s’est tenue la conférence annuelle des Principes de l’Investissement Responsable, PRI in Person, à Paris. L’évènement de trois jours a rassemblé plus de 1800 personnes sur la question de la finance responsable.

Au regard de l’importance de l’événement, on peut considérer qu’il s’agit là du sommet mondial de l’investissement durable et responsable. D’une part, il y a le nombre impressionnant des participants et les actifs sous gestion qu’ils représentent (les PRI représentent plus de 2300 signataires) ainsi que la diversité des nationalités présentes. D’autre part ce sommet a pu compter sur  la présence des hauts décideurs mondiaux de la finance et des cadres réglementaires, comme le président de la Banque Européenne d’Investissement, le Ministre de l’économie français, les représentants des grands fonds de pension mondiaux comme ABP, PGGM, AP-fondsen (Suède) ou le fonds de pension gouvernemental du Japon.

Réaction politique inéluctable

Quelles leçons en tirer ? D’une part le titre de la conférence : « In an age of urgent transition ».  Au sein de la communauté, le consensus est gagné sur la question de la transition énergétique et le rôle essentiel que les investisseurs privés ont à jouer ici. Il s’agit maintenant d’aller à l’étape suivante. La vitesse à laquelle ces derniers vont remplir leur rôle face à l’urgence climatique est cruciale. La prise de conscience des enjeux climatiques continue de se renforcer et le momentum actuel rend de plus en plus probable l’adoption de politiques plus ambitieuses et exigeantes. En l’absence d’alternatives et vu l’importance notamment de l’agriculture et de la biodiversité, il faut s’attendre à un renforcement des réglementations liées au climat.

#InevitablePolicyResponse (‘#RéactionPolitiqueInéluctable’) était un des hashtags principaux de ces trois jours. La SEC l’a mentionné pour les entreprises américaines, la Commission européenne l’a répété et la Banque Européenne d’Investissement l’a confirmé : l’importance de rediriger les financements vers des investissements durables et le danger pour un investisseur de rester aculé avec des actifs invendables (« stranded assets »).

Cette « réaction politique inéluctable » devrait conduire à un tournant dans la règlementation actuelle qui passe de la question « quelle opportunité l’économie réelle représente-t-elle pour vous ? » à la question de « que représentez-vous pour l’économie réelle ? ». Ce changement de paradigme devrait renforcer la question de l’impact réel de la finance responsable à savoir le risque d’une sur-promesse des stratégies durables et responsables sans une preuve tangible de leurs contributions positives à l’économie réelle.

Mesure d’impact 

L’enjeu de l’intentionnalité et de la mesure de l’impact a également été un des grands sujets de la conférence : l’impact et la reconnexion avec le monde réel. Les débats se sont vite conclus de manière quasi unanime sur la complexité de la mesure de l’impact et notamment suite au manque de données pour le mesurer correctement. Les objectifs de développement durable sont alors souvent évoqués comme cadre référentiel de l’estimation de l’impact durable des investissements responsables. Cependant, ici aussi la prudence est de mise dans l’interprétation des objectifs de développement durable et le lien direct entre le cœur du métier d’une entreprise et un ODD particulier. Il faut éviter de créer une dynamique négative, notamment le greenwashing ou le « SDG’s washing » en voulant précipiter les choses.

Conclusion

En conclusion, croire que l’investissement responsable est une mode passagère pourrait s’avérer être une faute professionnelle. La tendance est structurelle. Elle est là pour rester et se renforce avec l’appui des autorités de réglementation et de contrôle.

Croire qu’il s’agit d’une nouvelle technique de vente et approche du client pourrait également s’avérer être une douce utopie tant les exigences vis-à-vis des investissements durables et responsables sont tous les jours revues à la hausse.

Enfin face à la ténacité des intervenants au PRI in Person, le mouvement et l’engagement ont pris une telle ampleur ces dernières années qu’ils sont devenus une puissante machine de lobbying auprès des autorités principales en matière d’investissement avec la volonté de changer les choses. En un hashtag: #Inevitableoption !


Changement climatique: quand les banques centrales s’en mêlent

Le 26 août 2019

Les investisseurs institutionnels font face à une pression croissante concernant leur rôle et leur responsabilité en matière de financement de la transition énergétique. En effet, les nombreuses réglementations de la Commission européenne obligent les investisseurs institutionnels à démontrer leur intégration du risque climatique dans leurs stratégies et processus d’investissement. Ils doivent également prouver leur bonne volonté à financer l’économie dite verte et s’écarter des secteurs économiques les plus polluants. Ces réglementations sont souvent renforcées par des obligations nationales (comme l’article 173 de la loi française pour la transition énergétique).

Cette pression est-elle la même pour tous les investisseurs institutionnels ? Qu’en est-il par exemple des obligations des banques centrales et des autorités financières et monétaires ?

La Banque d’Angleterre, pionnière en la matière

C’est en 2015 que le gouverneur de la Banque d’Angleterre, M. Mark Carney, évoquait le concept  de la « tragédie de l’horizon ». Il évoquait dans un discours l’importance du risque climatique. Fortement critiqué alors pour avoir outrepassé ses obligations et son cercle d’influence, il n’a eu de cesse de répéter l’importance du risque lié au changement climatique.

Assez isolée sur le sujet jusqu’il y a peu, la Banque d’Angleterre  continue de rester leader en la matière. Elle a ainsi annoncé dernièrement la création de stress tests à l’égard du secteur des banques et des assureurs en matière de risque de changement climatique. Dès 2021, la banque conduira sur tout le système financier anglais un stress test visant sa résilience face aux risques financiers liés au changement climatique. Les assureurs  prennent en compte dans leurs passifs et obligations le risque du changement climatique de manière très intégrée et dans une démarche prévisionnelle. Mais il en est autrement pour leurs actifs et leurs investissements.

De plus, les institutions financières devront dorénavant établir un engagement hiérarchique au niveau du comité de direction. Celui-ci comptera en son sein une personne responsable pour la gestion du risque climatique. En d’autres termes, les membres du comité de direction peuvent être tenus responsables personnellement pour ce type de risques.

Un mouvement lentement en marche

Dorénavant la Banque d’Angleterre n’est plus la seule à faire figure de proue sur la question du changement climatique. Les banques centrales française et néerlandaise prennent aussi position. Cette dernière s’est également engagée sur la question du risque du changement climatique et son importance dans la gestion du risque des institutions financières du pays.

Le Sommet pour une planète (one planet summit) tenu en décembre 2017 a initié un réseau de plusieurs banques centrales sur la question du risque climat. En effet, huit banques centrales ont alors décidé de mettre sur pieds le Réseau pour le verdissement du système financier (Network for Greening the Financial System (NGFS)). Ce réseau a pour but de promouvoir l’Accord de Paris. Aujourd’hui, l’initiative regroupe 42 membres et 8 observateurs (banques centrales et autorités de supervision). Ils ont émis leur premier rapport en Avril 2019. Le 18 octobre 2018, ils ont signé une déclaration selon laquelle le changement climatique est une source de risques financiers. Ce sujet   fait dès lors clairement partie de leur mandat. Grandes absentes de ce regroupement et de cette déclaration : la Réserve Fédérale Américaine et la Banque Centrale du Japon.

Actuellement ces banques centrales, y compris le NGFS, se concentrent sur le développement d’outils dont les gestionnaires de risques auront besoin.

De son côté, Mark Carney préside également un groupe de travail au sein du International Financial Stability Board, qui a émis une série de recommandations afin d’aider les entreprises à mesurer pareil risque.

Enfin, la Banque Mondiale se montre progressivement réceptive au discours du risque climatique. Elle a annoncé ses nouveaux objectifs climatiques 2021-2025. Elle offrira son soutien de financement direct pour 133 milliards de dollars et de levier dans le secteur privé pour 67 milliards de dollars.

Et la Banque Centrale Européenne dans tout ceci ?

La BCE, comme la majorité des banques centrales, s’est très tardivement impliquée dans le sujet. Elle reconnait aujourd’hui que le changement climatique est une des menaces principales à la stabilité du système bancaire de la zone euro. Elle est par ailleurs membre du NGFS.

La BCE a déjà émis quelques critères d’ordre éthique quant à la gestion des portefeuilles des pensions de ses salariés. Elle envisage une approche similaire pour les investissements de ses réserves.

Cependant, une étude intéressante[1]met en lumière le peu de cohérence entre, d’une part, les exigences de la Commission européenne et son plan d’action pour la finance durable et, d’autre part, le programme d’expansion monétaire (quantitative easing) de la BCE pour relancer l’économie européenne.

En effet, dans leur papier intermédiaire les auteurs Stefano Battiston et Irène Monasterolo des universités de Zurich et de Vienne démontrent provisoirement à quel point le programme de rachat d’obligations de la BCE de quantitative easinga investi dans les secteurs les plus émetteurs de carbone. La majeure partie des investissements a été réalisée dans les secteurs intenses en carbone tels que le transport (ex. VW, Daimler ou BMW), les énergies fossiles, les biens d’utilité publique (Electricité France et Engie) et les activités intenses en énergie.

En mars 2015, lorsque M. Mario Draghi, Président de la BCE, lance son programme de quantitative easing, la volonté est de relancer l’économie réelle et de renforcer les effets de sa politique monétaire expansionniste. D’abord en visant les obligations souveraines en juin 2016, le programme s’étend ensuite aux obligations d’entreprises. Terminé en janvier 2019, la BCE a acheté à travers son programme des obligations émises par 237 entreprises pour une valeur totale de 177 milliards d’euros. Elle a également annoncé qu’elle remplacerait les obligations arrivant à maturité par d’autres obligations éligibles. Dès lors, la composition du programme ne concerne pas uniquement le passé et les achats réalisés mais également l’avenir et les futurs achats. Le programme d’achat des obligations par la BCE ne contribue donc pas à la réalisation des objectifs 2030 de la Commission européenne. Il n’y contribuera pas non plus à l’avenir, notamment du fait du peu de place faite aux obligations vertes. Rappelons que la Commission européenne reconnait un besoin de financement de près de 180 milliards d’euros annuels pour l’énergie renouvelable et l’électricité pour atteindre ses objectifs 2030.

Or, plusieurs études démontrent que le non alignement des politiques d’investissement avec la transition énergétique – telles que le programme de rachat de la BCE – peut conduire à des pertes importantes pour les investisseurs dont les portefeuilles sont fortement exposés aux secteurs et actifs intenses en carbone. Il en va de même pour les institutions financières de développement ou les gouvernements.

La Banque Européenne d’Investissement ou la « Banque Climat »

C’est en ces termes que la future présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a désigné la BEI comme banque appelée à supporter la politique plus verte de la Commission.

 Si la BCE ne fait pas figure de banque centrale exemplaire et leader sur la question du changement climatique, la BEI devrait redorer quelque peu le blason. En effet, important pourvoyeur de fonds notamment d’obligations vertes pour financer divers programmes de développement, la banque a également annoncé la possibilité de sortir des énergies fossiles d’ici fin 2020. Le plan doit encore être approuvé par les 28 Etats-membres et pourrait alors marquer un tournant important pour les banques centrales et particulièrement les autres agences supranationales engagées sur la question de la finance verte. La BEI avait financé des projets d’énergies fossiles à hauteur de 2,5 milliards d’euros l’an dernier, essentiellement des projets de gazoducs.

Le changement climatique est un risque financier

Le rôle majeur des banques centrales est de déterminer la politique monétaire adéquate pour faire face aux chocs impactant l’économie. Si, jusqu’à présent, la majorité des chocs liés au climat a eu un impact relativement court et contenu, le changement climatique change la donne en rendant ces risques plus extrêmes et plus difficiles à prédire. Moteur central du système financier global, les banques centrales ont tout d’abord un devoir fiduciaire d’intégrer les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, en particulier le changement climatique, dans leur stratégie et leur processus de décisions d’investissement. De même, il serait légitime d’attendre de leur part un sens du devoir et une responsabilité morale de financer les objectifs définis en matière d’ambition environnementale afin d’assurer un parfait alignement avec la doctrine prescrite par les différentes autorités de gouvernance.

[1]« How could the ESG’s monetary policy support the sustainable finance transition ? – authors: Stefano Battiston (University of Zurich and Finexus Center) and Irene Monasterolo (Vienna University of Economics and Business), Version of March 22st, 2019.


Taxonomie européenne : Pour une définition unique de l’investissement durable

Le 24 juillet 2019

Le 18 juin dernier le Groupe d’Experts Techniques établi par la Commission européenne dans le cadre de son Plan d’action sur le financement de la croissance durable, a publié son deuxième rapport sur la taxonomie des activités dites « vertes ».

Ce rapport de 414 pages, fruit d’un an de travail, couvre dorénavant 67 activités économiques. Il détaille la taxonomie que la Commission européenne réglementera dans une prochaine étape en matière de durabilité environnementale à l’échelle de l’Union européenne.

  1. Origine du rapport

Ces deux dernières années, la Commission européenne a pris à bras le corps le sujet de la finance et de l’économie durables. Elle a clairement affirmé sa volonté d’y jouer un rôle majeur. Lors de son Plan d’action sur le financement de la croissance durable, elle a établi un groupe de 35 experts techniques issus des institutions financières, du monde académique et de la société civile. Assisté par 160 experts supplémentaires, ce dernier  a dévoilé sa proposition de taxonomie vis-à-vis du changement climatique. La Commission vise ainsi à limiter le greenwashing et à identifier les secteurs qui génèrent des bénéfices environnementaux.

  1. Activités concernées

Cette taxonomie dresse la liste des activités économiques et leurs critères de performance requis afin de pouvoir estimer leur contribution réelle à l’un des six objectifs environnementaux identifiés Ces objectifs sont les suivants :

1) l’atténuation du changement climatique;

2) l’adaptation au changement climatique;

3) l’utilisation durable et la protection des ressources en eau et des ressources marines;

4) la transition vers une économie circulaire, la prévention des déchets et le recyclage;

5) la prévention et le contrôle de la pollution;

6) la protection des écosystèmes sains.

Il ne s’agit pas de la liste des activités automatiquement éligibles à la finance durable. Ce sont plutôt des conditions d’éligibilité en fonction de l’activité économique selon un processus de contrôle en 4 étapes :

  • Contribuer substantiellement à l’un des 6 objectifs identifiés par les autorités européennes
  • Ne pas porter préjudice de manière significative à un autre objectif environnemental
  • Être conforme avec les minima requis en matière sociale (notamment les conventions majeures en matière de droit du travail de l’Organisation Internationale du Travail)
  • Remplir les critères techniques de sélection.
  1. Activités absentes

Cette deuxième version du rapport étend le nombre d’activités couvertes et analysées de 24 dans sa version de décembre à 67 aujourd’hui. Cependant, plusieurs activités clés sont absentes du rapport. Voici les principales : le secteur des mines, la pisciculture, le transport maritime et l’aviation, la fabrication du verre, du papier et de la pâte à papier.

Ainsi la taxonomie vise à définir les limites strictes et le screening technique afin d’estimer la contribution de ces 67 activités aux six objectifs environnementaux définis. Avec la remarque principale qu’à ce stade, le groupe d’experts techniques s’est concentré sur les deux premiers objectifs soit l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique.

  1. Carbone 2050

Les experts ont voulu être le plus pragmatique possible dans la définition du filtrage quantitatif. Ils font alors référence à des facteurs multiples et des seuils définis soit en termes d’intensité soit en termes relatifs. Ces seuils font déjà l’objet de critiques sévères qui les jugent trop éloignés des pratiques actuelles par la finance durable et des niveaux de performance observés dans la réalité économique et industrielle.

Avec l’exception majeure du charbon et de l’énergie nucléaire, qui sont de facto non éligibles à la finance durable, les activités de transition se situant dans la zone grise telles que l’énergie ou les biens d’utilités publiques, restent éligibles en théorie mais avec des critères plus stricts à remplir. En effet, les seuils et les critères ont été définis avec l’objectif majeur d’une neutralité carbone à horizon 2050 qui implique une sortie progressive de la génération d’énergie par des sources d’énergie fossile.

  1. Caractère contraignant et impact

La taxonomie n’a pas de caractère légalement contraignant. Cependant, les investisseurs institutionnels çàd. les OPCVMs, FIAs et les produits d’investissements d’assurance doivent répondre au principe du « comply or explain ». Ils devront en effet répondre comment et à quel point ils utilisent la taxonomie dans le cadre de leurs investissements qualifiés de durables.

Cependant, le rapport publié en juin dernier est un rapport technique. Ce n’est pas encore la version finale de la taxonomie. Il n’a donc aucun poids légal à ce stade. Il est d’ailleurs l’objet d’une consultation publique ouverte jusqu’au 10 septembre.

  1. Prochaine étape

La prochaine étape est une discussion au Conseil européen. Elle vise un dialogue tripartite avec les discussions inter-institutionnelles qui démarreront en septembre 2019. Une fois un accord atteint, la Régulation pourra être adoptée. Elle représentera l’acte législatif le plus strict de la législation européenne puisque directement applicable à tous. En parallèle, la Commission européenne adoptera des actes délégués qui définiront les critères techniques à adopter. Ce qu’elle a déjà partiellement fait avec le rapport de décembre 2018. Le Parlement et le Conseil européens disposent alors de deux mois pour faire part de leurs remarques sur ces actes. En l’absence de remarques, ces derniers sont considérés comme adoptés. La régulation sur la taxonomie devrait entrer en vigueur à partir du 1ejuillet 2020 pour ce qui concerne les deux premiers objectifs environnementaux.

  1. Normes et standards

Si la régulation a un impact contraignant limité, elle servira néanmoins de colonne vertébrale aux normes et standards en matière d’obligations vertes dans l’Union européenne. Elle servira également comme référentiel pour les investisseurs afin de rapporter sur l’exposition durable et verte de leurs investissements dans les différentes classes d’actifs. Pareil phénomène a déjà été observé avec les Objectifs de Développement Durable. C’est une initiative privée sans pouvoir légal contraignant. Les ODD sont néanmoins devenus une référence universelle. Elle est utilisée par les entreprises et les sociétés financières pour rapporter sur leur impact de durabilité. A noter cependant que le rapport technique de la taxonomie ne fait aucune référence aux ODD malgré leur visibilité croissante.

  1. Un cadre flexible

Le référentiel défini aujourd’hui est appelé à évoluer, la Commission en est bien consciente. A cette fin, elle planifie l’établissement d’une plateforme permanente de la finance durable réunissant des experts du monde financier et des entreprises. Le rôle de cette plateforme, qui devrait être créée d’ici fin 2019, sera la supervision de la taxonomie, notamment sa révision, son adaptation et le respect de sa conformité.

Enfin pour être tout à fait exhaustif, il faut mentionner les autres publications du 18 juin :

  • Les méthodologies des indices européens sur le climat. Elles définissent les exigences techniques minimales des indices bas carbones et des informations en général ESG. Elles présentent aussi la proposition d’un indice de transition climatique et d’un indice aligné sur l’Accord de Paris ;
  • Les normes standards pour les obligations vertes dans l’Union européenne. Ce guide volontaire devrait encourager les meilleures pratiques sur le marché.

La composition des fonds durables est-elle trop concentrée ?

Le 28 juin 2019

Une étude intéressante – même si non-exhaustive – de Morgan Stanley (source : Morgan Stanley Research – Sustainability Funds : under the hood – 16/5/2019) s’est penchée sur la composition des portefeuilles dits ISR (Pour Investissement socialement responsables). Sur base des données Bloomberg, les analystes ont analysé le top 10 des positions de 1919 fonds dits ISR ou ESG (pour environnementn, social et gouvernance) afin d’observer les tendances et les convictions en termes de secteurs et d’entreprises.

Par rapport aux indices

  • Les fonds ISR semblent moins concentrés que leurs pairs traditionnels. Dans 8% des fonds ISR observés, plus de 90% de la taille du portefeuille sont investis dans les 10 premières positions. Ce pourcentage monte à 15% du total des fonds globaux observés pour lesquels le top 10 des positions constituent plus de 90% des actifs investis ;
  • Les grandes capitalisations dominent le top 10 des portefeuilles. Cependant ceci peut s’expliquer pour diverses raisons :
    • Le biais toujours existant en faveur des grandes capitalisations dans les scores ESG des agences de notation puisque celles-ci sont généralement plus à même de publier davantage d’informations sur leur engagement ESG
    • Etant plus liquides que les plus petites capitalisations, il peut paraitre logique de prendre ces valeurs en portefeuille.
  • Le secteur technologique, et en particulier Microsoft, semble dominer le top 10 des positions des fonds ISR. Apple, Alphabet et Amazon complètent souvent la liste.
  • Le secteur des biens d’utilité publique peut être souvent surpondéré par rapport aux indices de marché traditionnel par les investissements en entreprises tournées vers le renouvelable et positionnées pour la transition énergétique.
  • Sans surprise, le secteur des industrielles est quant à lui généralement sous-pondéré. Cependant il faut rappeler à quel point ce secteur peut être varié et dès lors inclure aussi des segments d’activités qui sont également tournés vers l’efficacité énergétique tels que des sociétés spécialisées dans les pompes à eau ou qui réutilisent la vapeur d’eau comme source énergétique.

Comparaison sectorielle des 10 premières positions des fonds sustainable mondiaux et de l’indice de marché MSCI All World

  • Les positions détenues généralement par les fonds globaux durables diffèrent des premières positions des indices principaux. En effet, 35% des positions les plus retrouvées dans le top 20 des fonds ISR ne font pas partie du top 20 des indices de référence. Il s’agit d’une part de sociétés pharmaceutiques ou paramédicales telles que Roche, Thermo Fischer Scientific et Danaher Corp ; ces deux dernières étant spécialisées dans l’équipement et la technologie médicales. D’ autre part, on retrouve également des entreprises de taille plus restreinte spécialisées dans le traitement de l’eau ou des renouvelables telles que Ecolab, American Water Works ou Xylem…..

Il est rassurant de voir que les portefeuilles ISR se distinguent des grands indices de marché et osent afficher des positionnements clairs en termes de secteurs ou de positions individuelles.

Trop concentrés ?

Si certains investisseurs craignent des concentrations sectorielles risquées vis-à-vis de la conception traditionnelle d’une bonne diversification de portefeuille, il n’en est rien. Marquer sa conviction dans certaines activités économiques, mieux positionnées pour bénéficier aujourd’hui et demain des opportunités offertes par les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance s’inscrit également dans une gestion prudente et saine de patrimoine.

Il reste toujours pertinent de s’interroger sur le positionnement de son portefeuille. Les valeurs détenues et l’alignement de celui-ci non seulement avec les scénarii climatiques pour une bonne gestion de son risque environnemental, mais aussi avec les tendances structurelles du développement économique permettent de profiter au mieux des opportunités offertes sans compromettre ses valeurs.


Les investissements durables le sont-ils vraiment ?

Le 31 mai 2019

Les investissements dits ISR (pour investissement socialement responsables) sont régulièrement critiqués pour leur manque de clarté et de référentiel unique qui permettrait aux investisseurs privés d’y voir plus clair et d’avoir la garantie que l’investissement est aussi durable dans les faits que sur papier.

Plusieurs méthodologies

Une première problématique est la multitude des méthodologies et approches utilisées à la conception du portefeuille dit ISR. Aujourd’hui cependant, sept méthodologies sont de plus en plus référencées comme le standard, du moins en Europe.  Ces 7 méthodologies sont définies par Eurosif (récemment renommée Association pan-européenne pour les investissements durables et responsables). Elles présentent chacune leurs atouts et inconvénients.

 

 

Approche Description Opportunités Risques
Intégration ESG Intégration explicite des risques et opportunités ESG dans l’analyse financière traditionnelle et les décisions

d’investissement sur base d’un processus systématique

d’intégration et de sources de recherche

appropriées

Décision d’investissement mieux informée

Pas d’impact sur l’univers d’investissement – aucun filtre d’éligibilité des titres

Crédibilité de l’approche suite aux différents

niveaux d’intégration réelle et systématique (intégration versus greenwashing) Manque de convictions d’investissements

durables et responsables

Active Ownership Responsabilité actionnariale çàd. voter pour les actions détenues et engager avec les entreprises sur les enjeux ESG afin d’influencer le comportement ESG de ces dernières ou améliorer

leur niveau de publication.

L’engagement effectif afin d’améliorer les pratiques opérationnelles.

Pas d’impact sur l’univers d’investissement – aucun filtre d’éligibilité des titres

Efficacité de l’engagement discutable

Nécessité d’autres investisseurs pour un impact réel Processus long et énergivore

Approche thématique durable Investissement dans des thèmes ou actifs liés directement au développement de la durabilité. Les fonds thématiques peuvent se concentrer sur un thème spécifique ou au contraire sur plusieurs

problématiques ESG.

Positionnement clair ESG basé sur des convictions thématiques Impact sur l’univers d’investissement en fonction du focus

thématique restreint ou large

Risque d’effet de mode et de création de bulles spéculatives suite à une diversification de

portefeuille discutable

Best-in-Class Sélection des investissements leaders ou les plus performants dans leur univers, leur catégorie ou leur classe d’actifs sur base de

critères ESG

Conviction que les leaders en termes ESG surperforment sur le long terme Impact sur l’univers éligible – à degré variable en fonction des niveaux d’éligibilités définis (screening positif)
Exclusions Exclusion

d’investissements ou

classes d’investissements spécifiques tels que sociétés, secteurs ou pays de l’univers

d’investissement sur base de critères ESG

Positionnement ESG clair basé sur des convictions fortes

Situation claire – noir ou blanc

Risque réputationnel au

centre de l’approche et de sa réflexion

Impact sur l’univers éligible – à degré variable en fonction des niveaux d’éligibilités définis (screening négatif) Impact ESG discutable

 

Quel positionnement réel ?

Au-delà des approches et méthodologies, on peut s’interroger sur le positionnement réel des portefeuilles et leur impact extra-financier en tant qu’investissement ISR. Ici, les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies ont été pris d’assaut ces deux dernières années comme langage commun et concret d’illustration de l’impact d’un portefeuille ISR. L’engouement pour les ODD et l’exigence sans cesse croissante des investisseurs à démontrer de manière tangible l’impact extra-financier des portefeuilles ISR ont poussé les limites de l’investissement durable et responsable. Celui-ci  ne peut plus, aujourd’hui, se contenter de ne pas investir dans les pires émetteurs par activité économique mais doit en outre faire preuve de sa contribution à la transition énergétique et sociale que nos sociétés sont en train d’opérer.

Si les ODD ont permis un langage commun et un cadre référentiel de plus en plus standardisé en matière d’impact, il faut également reconnaître l’émergence d’un certain « SDG-washing » comme utilisé dans le jargon financier. Ce « washing »,  au lieu de rendre plus transparents les investissements durables et responsables, conduit finalement à réalimenter une certaine méfiance des investisseurs à l’égard de la sincérité et crédibilité des investissements ISR.


Recherche ESG : n’oubliez pas la chaîne de valeur !

Le 30 avril 2019

La recherche ESG est un outil d’investissement supplémentaire et complémentaire à l’analyse fondamentale dite traditionnelle. La recherche ESG et l’approche d’investissement thématique s’autonourrissent et s’enrichissent mutuellement.

Ici, le positionnement sur la chaîne de valeur prend toute sa signification. En effet, l’approche thématique et durable peut, par exemple, permettre d’identifier la tendance structurelle vers l’électrification de la mobilité. Une fois cette opportunité identifiée, il est pertinent de s’interroger sur l’ensemble de la chaîne de valeur contribuant à l’électrification automobile.

En amont de la réflexion, il y a donc lieu d’identifier les thèmes pertinents de la chaîne de valeur ç’est-à-dire la partie de la chaîne la mieux positionnée en termes de développement technologique qui offrira un pouvoir de prix solide (1) et celle également qui profitera le mieux des aspects de durabilité et dès lors moins exposée aux risques ESG (2).

Dans le cas de l’électrification automobile, l’amont de la chaîne et les différents métaux nécessaires, entraîne une exposition aux sociétés minières qui présentent différents risques ESG critiques qu’ils soient d’ordre environnemental (zones d’exploitation) ou social (respect des droits du travail, respect des communautés, etc.). L’identification des risques et opportunités ESG conduira vers une exposition davantage en aval de la chaîne de valeurs.

La question de l’innovation et de l’opportunité est également importante. L’électrification des véhicules peut se jouer par le véhicule lui-même c’est-à-dire par le produit fini ou par ses composants. Lorsqu’un véhicule électrique compte cinq fois plus de puces de puissance que son homologue à moteur à combustion, l’opportunité est claire.

Reste dès lors à identifier l’entreprise la mieux placée pour répondre à cette identification thématique. Quel acteur a le plus grand avantage durable notamment grâce à un focus long-terme sur l’innovation ?

Une entreprise telle que ASML a innové depuis longtemps sur les puces de puissance et sur la capacité de production de pareilles puces. Elle bénéficie ainsi aujourd’hui d’une part de marché majeure avec des barrières à l’entrée, notamment du fait des développements technologiques réalisés depuis de nombreuses années, difficilement rattrapables par la concurrence. Ses vision et objectifs de long-terme sur des thèmes d’investissement durable lui ont conféré un avantage concurrentiel difficile à dépasser.

L’innovation est au cœur de la réflexion thématique et de durabilité. En anticipant des enjeux de durabilité et en identifiant les opportunités d’investissement de demain, on peut investir dans les entreprises gagnantes aujourd’hui et demain.

Pour illustrer ce propos, prenons le secteur de l’agro-alimentaire. Anticiper la croissance de la demande pour des ingrédients plus naturels et plus sains a permis à plusieurs entreprises du secteur de se distinguer de leurs concurrents et d’avoir aujourd’hui un avantage compétitif conséquent. Une entreprise comme Chr. Hansen a misé, dès sa création en 1874, sur les aspects de durabilité et notamment aujourd’hui sur l’utilisation d’ingrédients naturels pour une alimentation plus saine mais aussi pour la réduction des déchets et du gaspillage alimentaire. On ne peut que leur donner raison alors qu’aujourd’hui, le secteur agroalimentaire s’élève à € 176,1 milliards rien qu’en France  et qu’une étude majeure de l’Institut des Métriques et Evaluation de la Santé (Institute of Health Metrics and Evaluation) de Seattle démontre que les mauvaises habitudes alimentaires sont bien plus néfastes pour la santé que le tabac avec près de 11 millions de morts par an attribués à des régimes alimentaires peu équilibrés.

Visant cette opportunité d’investissement et de durabilité nombreux sont les investissements liés au principe de la fermentation comme allié naturel à différentes applications telles que préservation des aliments, détergents, etc.

D’autres exemples d’identification thématique et durable existent comme le financement des soins de santé par les autorités publiques qui est une problématique à moyen et long-terme pour la majorité des états. Elle représente déjà près de 60% du coût du PIB pour les Etats-Unis. Dès lors, à l’instar de ce qui s’innove déjà au Japon, avec la démocratie vieillissante, investir dans des entreprises de soins qui permettent une réduction des coûts publics et un plus grand confort allié avec une plus grande dignité des personnes qui peuvent rester chez elles plus longtemps, peut représenter une opportunité de valeur pertinente.


Et si on faisait le point sur le réchauffement climatique ?

Le 29 mars 2019

L’année 2018 s’est clôturée par la 24ème conférence des Nations Unies sur le climat, qui s’est tenue à Katowice en Pologne. Objectif de cette conférence ? Finaliser le Règlement de Paris, qui définit les directives de mise en œuvre de l’Accord de Paris pour assurer une transition énergétique juste et efficace. Dans le sillage de la conférence et de la fin de l’année 2018, un point de la situation s’impose. Quelles dispositions ont été adoptées (ou pas) par la 24e Conférence des Parties ? Comment les nations du monde entier relèvent-elles les défis de l’atténuation du réchauffement climatique ? L’UE est-elle performante ? Existe-t-il des raisons de se réjouir ou faudrait-il plutôt se lamenter ?

2018 nous a donné certains signes d’espoir pour les décennies à venir…

Toutes les parties présentes à la COP se sont entendues sur les règles définies dans le Règlement de Paris afin de mesurer, de fournir un rapport et de vérifier leurs efforts de réduction des émissions. C’est une étape supplémentaire dans la lutte contre le changement climatique, car il sera beaucoup plus difficile pour les nations de se soustraire à leurs engagements. Comme indiqué par les Principes pour l’Investissement Responsable, la mise en place de ces règles donnera aux investisseurs davantage confiance dans le processus de l’Accord de Paris. En effet, plus de 400 investisseurs représentant 32 milliards de dollars d’actifs sous gestion (AuM) ont réclamé le règlement relatif à l’Accord de Paris. (Source : CCNUCC)

Même si la Pologne n’a toujours pas l’intention de fermer complètement ses centrales au charbon dans un avenir proche, la présidence polonaise a lancé plusieurs initiatives visant à lutter contre le changement climatique, notamment une déclaration sur la préservation des forêts (« forests for climate »).

Lors de la COP, plusieurs nations (UE, Royaume-Uni, Canada, Argentine, Mexique) se sont engagées à relever leurs contributions déterminées au niveau national en 2020 et une minorité (Inde, Canada, Ukraine et Jamaïque) s’est également engagée à présenter des objectifs plus ambitieux d’ici 2020. (Source : Carbone Brief)

La Commission européenne a renforcé ses ambitions et présenté sa vision stratégique à long terme pour une « économie européenne prospère, moderne, compétitive et neutre sur le plan climatique à l’horizon 2050 ». Toutefois, il convient de noter qu’à ce jour, plusieurs États membres de l’UE ne sont pas en voie d’atteindre leurs objectifs de réduction initiaux pour 2020 définis dans le cadre de l’Accord de Paris.

(Source : Commission européenne, The Guardian, Climate Action Network Europe)

L’un des piliers de l’Accord de Paris était l’objectif mondial collectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 à 2025 pour financer la transition énergétique dans les pays en développement. 2017 nous a apporté des résultats prometteurs, puisque l’UE a fourni un total de 20,4 milliards d’euros au titre du financement climatique. Néanmoins, la franchise s’impose : il nous faut encore accroître considérablement notre effort collectif. (Source : Commission européenne)

Malheureusement, les motifs d’inquiétude sont encore plus nombreux…

Le sommet sur le climat tenu en Pologne était le 24èmedu genre. Depuis la première COP qui s’est tenue à Berlin en 1995, les émissions annuelles de CO2n’ont cessé d’augmenter, atteignant un record historique en 2018. Selon le Global Carbon Project, en 2018, les émissions de COdevaient progresser de 2,7 % par rapport aux niveaux de 2017, soit l’augmentation la plus rapide en sept ans. C’est un fait indéniable : 2018 a été une nouvelle mauvaise année pour notre climat. La poursuite de cette tendance de sous-performance dans la réduction des émissions imposera une transition énergétique encore plus rapide et plus radicale, notamment une tarification sévère du carbone et des politiques ciblant à la fois la demande et l’offre. (Source : Our World in Data, NASA, RenewEconomy)

Les inquiétudes concernant les États-Unis méritent un paragraphe entier. En prônant l’utilisation de combustibles fossiles lors des négociations en Pologne, et l’intention de quitter l’Accord de Paris dès 2020, l’administration Trump sous-performe significativement. Toutefois, il existe d’autres motifs d’inquiétude. Étant donné que l’administration américaine est en train d’accroître l’incertitude réglementaire (par exemple, le retrait du plan relatif à l’électricité propre), les investisseurs pourraient ne pas être suffisamment incités à orienter les investissements vers des solutions à faible émission de carbone (puisque la probabilité de risque d’actifs échoués en raison de politiques climatiques strictes diminue). En outre, en s’opposant fermement à l’Accord de Paris, l’administration américaine actuelle porte atteinte au principe de solidarité qui sous-tend l’accord relatif à la lutte conjointe contre le changement climatique. Elle fournit de surcroît un moyen de pression aux autres pays (le Brésil, par exemple) qui souhaitent se retirer de l’Accord ou réduire leurs ambitions (par exemple l’Australie). (Source : Institute of International and European Affairs)

En résumé des signes d’espoir, mais un sentiment général de déception

La COP24 nous a donné certains signes d’espoir dans la lutte contre le réchauffement climatique, à savoir l’accomplissement d’une étape supplémentaire importante, le Règlement de Paris, qui est le « mode d’emploi » des engagements de Paris. Néanmoins, nous éprouvons un sentiment général de déception à l’égard de la 24ème COP. Une transition radicale et urgente, d’une ampleur inédite, est nécessaire dans les années à venir, et il reste beaucoup à faire pour atteindre les ambitieux et indispensables objectifs de réduction des émissions de CO2de 45 % d’ici 2030 et de zéro émission nette à l’horizon 2050. Nous espérons sincèrement que la COP25 et la COP26 nous donneront de réelles raisons de nous réjouir et des réponses sur la rapidité avec laquelle la transition interviendra concrètement dans les décennies à venir.

La justice : le dernier recours pour une lutte efficace contre le changement climatique ?

En réponse aux progrès limités enregistrés lors de la COP 24 à Katowice, plusieurs ONG françaises se sont rassemblées pour trainer en justice leur État. Ainsi, Greenpeace, la Fondation pour la nature et l’homme, Affaires à Tous et Oxfam France reprochent aux autorités publiques leur manque d’actions et de décisions pour lutter contre le changement climatique de manière efficace. Que ce soit en matière d’investissements, de normes, de taxes ou de contrôles, les mesures prises par l’Hexagone qui veut pourtant se positionner en leader au sein de l’Europe sur le sujet sont jugées insuffisantes. Étant donné les impacts du changement climatique sur la santé, la biodiversité, l’agriculture, les ONG considèrent l’inaction de leur pays comme criminelle et un manquement à ses responsabilités.

Ce n’est pas la première fois que le manque d’ambition d’un Etat est saisi par la Justice. L’association Urgenda avait déjà saisi la Cour de Justice néerlandaise en 2015 jugeant les objectifs de réduction des émissions carbone des Pays-Bas comme insuffisantes. Et c’est avec succès que l’association a obtenu gain de cause, confirmé par la cour d’appel en octobre 2015 et condamnant l’Etat néerlandais à réduire de 20 % ses niveaux d’émissions de CO2en 2020 par rapport aux niveaux de 1990.

L’étau semblerait se resserrer pour ces Etats jugés trop passifs vis-à-vis de la transition énergétique et leur engagement dans l’Accord de Paris.


Comment décarboniser votre portefeuille ?

Le 28 février 2019

De nos jours, dans le cadre de la « chasse aux émissions de carbone » que livrent de nombreux gestionnaires, il est souvent fait allusion au concept de « décarbonisation » des portefeuilles. Mais qu’entend-on donc par le terme « décarbonisation » ?

En fait, plusieurs approches permettent de décarboniser votre portefeuille tout en prenant toutes les précautions nécessaires. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il s’agit d’un concept qui repose sur des méthodologies encore peu abouties. En effet, certaines usines ou entreprises ne sont pas encore équipées de capteurs de mesure des émissions de carbone. De ce fait, les émissions sont déclarées ou estimées au niveau global de l’entreprise, ce qui complique encore le calcul des émissions directes (qui ont servi à fabriquer le produit lui-même) et indirectes (liées à l’utilisation de ce produit).

En outre, les approches en matière de décarbonisation se concentrent sur un seul aspect du portefeuille, à savoir le risque climatique, tout en laissant de côté les autres aspects liés à la gestion du portefeuille.

Une première méthode consiste à investir dans des secteurs à faibles émissions. Par exemple, un portefeuille qui écarterait une exposition (en tout ou en partie) aux secteurs de l’énergie, des services de distribution, de l’industrie et des matériaux. Il s’agit d’une approche assez restrictive à plusieurs égards : d’abord, en raison de la très grande diversité des secteurs de l’industrie et des matériaux. La chasse aux sorcières contre les énergies fossiles, quant à elle, peut également conduire certaines personnes à s’éloigner radicalement des secteurs du gaz et du pétrole. Si ces mêmes personnes jugent que les efforts concédés dans ces secteurs sont insuffisants à cet égard, elles risquent de rejeter les entreprises qui y sont actives et de ne pas revenir sur leur décision. La transition énergétique vers une économie à faible intensité de carbone doit s’accompagner d’un échange entre tous les acteurs et parties prenantes afin de pouvoir atteindre une transition ambitieuse et réalisable.

Une deuxième méthode de décarbonisation, qui, elle, est plus répandue, consiste à calculer l’empreinte carbone d’un portefeuille et à chercher à la réduire dans le temps ou par rapport à un autre portefeuille ou un point de référence. L’empreinte carbone du portefeuille a pour objectif d’évaluer le risque carbone du portefeuille en vue d’une transition vers une économie à faible intensité de carbone. Pour ce faire, les émissions de carbone des émetteurs individuels sont généralement calculées et déclarées en fonction de leur chiffre d’affaires (approche par intensité carbone). La méthode de calcul suit celle reconnue par le Protocole mondial des gaz à effet de serre et comprend les émissions du périmètre 1 (émissions directes provenant de sources détenues ou contrôlées par l’émetteur déclarant les émissions) et du périmètre 2 (émissions directes liées à la consommation énergétique [électricité, chaleur, vapeur] nécessaires à la fabrication du produit lui-même).

Cette méthode présente deux avantages : tout d’abord, même si elle est encore imparfaite, la mesure de l’empreinte carbone permet une première estimation globale du risque ainsi qu’une comparaison avec différents indicateurs. Par ailleurs, la volonté de réduire cette empreinte témoigne d’une forte aspiration au progrès et d’une réelle conscience environnementale.

Cependant, elle soulève également plusieurs questions quant aux méthodologies. Tout d’abord, la méthodologie de calcul de l’empreinte carbone présente plusieurs points faibles (émissions directes et indirectes, émissions différées ou estimées, applications à des classes d’actifs moins traditionnelles, etc.). Par conséquent, un processus d’investissement et de constitution de portefeuille reposant exclusivement sur cette mesure présente un risque inhérent.

La plupart des solutions d’investissement privilégient l’optimisation de l’empreinte carbone du portefeuille par la surpondération ou la sous-pondération de catégories individuelles en fonction de leurs estimations d’émissions. Cette approche permet en outre de réduire les émissions totales du portefeuille sur un horizon de temps. Toutefois, un portefeuille qui n’évolue pas peut voir son empreinte carbone diminuer progressivement au fur et à mesure du développement des technologies. De plus, en fonction des améliorations apportées à la méthode de calcul, cette empreinte augmentera ou diminuera en raison d’un simple changement de méthodologie.

Il existe donc un consensus sur le fait que l’empreinte carbone est une mesure imparfaite. Il serait dès lors risqué de construire une stratégie d’investissement basée exclusivement sur l’empreinte carbone. Néanmoins, elle représente une indication du risque climatique encouru et est donc pertinente puisque le changement climatique fait peser des risques financiers et économiques à court et moyen terme. Il est donc essentiel d’intégrer le risque climatique en tant que tel avant le processus d’investissement. Il doit être calculé de manière réfléchie et sensée par des analystes et des gestionnaires qui ont pleinement conscience de l’ensemble des enjeux des secteurs d’activité dans lesquels ils agissent et doit absolument faire l’objet d’une recherche approfondie.


Après la COP24, quelles sont les dispositions prises sur le changement climatique ?

Le 16 janvier 2019

La 24e conférence des Nations Unies sur le climat, qui s’est tenue à Katowice en Pologne, a mis fin à l’année 2018. Objectif de cette conférence ? Finaliser le Règlement de Paris, qui définit les directives de mise en œuvre de l’Accord de Paris pour assurer une transition énergétique juste et efficace. Dans le sillage de la conférence et de la fin de l’année 2018, un point de la situation s’impose. Quelles dispositions ont été adoptées (ou pas) par la 24e Conférence des Parties ? Comment les nations du monde entier relèvent-elles les défis de l’atténuation du réchauffement climatique ? L’UE est-elle performante ? Existe-t-il des raisons de se réjouir ou faudrait-il plutôt se lamenter ?

2018 nous a donné certains signes d’espoir pour les décennies à venir…

  • Toutes les parties présentes à la COP se sont entendues sur les règles définies dans le Règlement de Paris afin de mesurer, de fournir un rapport et de vérifier leurs efforts de réduction des émissions. C’est une étape supplémentaire dans la lutte contre le changement climatique, car il sera beaucoup plus difficile pour les nations de se soustraire à leurs engagements. Comme indiqué par les Principes pour l’Investissement responsable, la mise en place de ces règles donnera aux investisseurs davantage confiance dans le processus de l’Accord de Paris. En effet, plus de 400 investisseurs représentant 32 milliards de dollars d’actifs sous gestion (AuM) ont réclamé le règlement relatif à l’Accord de Paris. (Source : CCNUCC)
  • Même si la Pologne n’a toujours pas l’intention d’éliminer complètement ses centrales au charbon dans un avenir proche, la présidence polonaise a lancé plusieurs initiatives visant à lutter contre le changement climatique, notamment une déclaration sur la préservation des forêts (« forests for climate»). (Source : Carbone Brief)
  • Lors de la COP, plusieurs nations (UE, Royaume-Uni, Canada, Argentine, Mexique) se sont engagées à relever leurs contributions déterminées au niveau national en 2020 et une minorité (Inde, Canada, Ukraine et Jamaïque) s’est également engagée à présenter des objectifs plus ambitieux d’ici 2020. (Source : Carbone Brief)
  • La Commission européenne a renforcé ses ambitions et présenté sa vision stratégique à long terme pour une économie européenne prospère, moderne, compétitive et neutre sur le plan climatique à l’horizon 2050». Toutefois, il convient de noter qu’à ce jour, la plupart des États membres de l’UE ne sont absolument pas en voie d’atteindre leurs objectifs de réduction initiaux pour 2020 définis dans le cadre de l’Accord de Paris.

(Source : Commission européenne, The Guardian, Climate Action Network Europe)

  • L’un des piliers de l’Accord de Paris était l’objectif mondial collectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 à 2025 pour financer la transition énergétique dans les pays en développement. 2017 nous a apporté des résultats prometteurs, puisque l’UE a fourni un total de 20,4 milliards d’euros au titre du financement climatique. Néanmoins, la franchise s’impose : il nous faut encore accroître considérablement notre effort collectif. (Source : Commission européenne)

Malheureusement, les motifs d’inquiétude sont encore plus nombreux…

  • Le sommet sur le climat tenu en Pologne était le 24edu genre. Depuis la première COP qui s’est tenue à Berlin en 1995, les émissions annuelles de CO2n’ont cessé d’augmenter, atteignant un record historique en 2018. Selon le Global Carbon Project, en 2018, les émissions de COdevaient progresser de 2,7 % par rapport aux niveaux de 2017, soit l’augmentation la plus rapide en sept ans. C’est un fait indéniable : 2018 a été une nouvelle mauvaise année pour notre climat. La poursuite de cette tendance de sous-performance dans la réduction des émissions imposera une transition énergétique encore plus rapide et plus radicale, notamment une tarification sévère du carbone et des politiques ciblant à la fois la demande et l’offre. (Source : Our World in Data, NASA, RenewEconomy)
  • Le rapport du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C publié en octobre de cette année, a provoqué l’émoi en Pologne. Selon le rapport 2018 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction d’émissions de l’agence des Nations Unies pour l’environnement, l’effort de réduction des émissions doit quintupler pour respecter un scénario de 1,5°C. Cependant, en raison de l’orientation technique de la 24econférence, le nécessaire renforcement des engagements nationaux actuels n’a, en grande partie, pas été abordé. Or, toutes les parties devront présenter de nouveaux objectifs, plus ambitieux, en 2020. (Source : Carbone Brief)
  • La finalisation de l’un des volets les plus techniques et les plus difficiles du Règlement de Paris, à savoir les règles surles mécanismes de marché (volontaires), a été reportée à la COP25. Un tel système permettrait aux nations de revendre les dépassements de leurs engagements climatiques. En raison des inquiétudes sur les risques de double comptage des « droits » d’émission, des règles comptables distinctes doivent être définies. Cependant, aucun accord n’a pu être trouvé en Pologne, principalement en raison de l’opposition du Brésil. (Source : Carbone Brief)
  • Le choix de la Pologne en tant que pays hôte d’un sommet sur le climat était discutable. Actuellement, la part du charbon dans la production énergétique de la Pologne s’élève à 80 %. Si la Pologne s’est engagée à réduire cette part à 60 % en 2030 et à 50 % en 2050, elle ne dispose d’aucun plan pour se passer intégralement du charbon. « Utiliser les ressources nationales – le charbon dans le cas de la Pologne – et baser la sécurité énergétique sur ces ressources n’est pas en conflit avec la protection du climat », selon le président Andrzej Duda. (Source : Reuters, Carbon Brief, The New York Times)
  • La Pologne n’est pas le seul gouvernement à nous avoir donné des motifs d’inquiétude pendant la COP24. Le Brésil, par exemple, a considérablement entravé les discussions sur la compensation du carbone en demandant une formulation vague afin de tirer parti de la capacité d’absorption du CO2de la forêt amazonienne. En outre, le nouveau président du Brésil, Jair Bolsonaro, et son administration ont déjà menacé de se désengager de l’Accord de Paris et de mettre en œuvre des politiques de déréglementation environnementale extrêmes. L’Australie a également déçu en s’associant aux États-Unis pour défendre le secteur du charbon. Par ailleurs, le fait que nombre d’États membresde l’UE ne soient pas en voie d’atteindre leurs objectifs de réduction initiaux pour 2020 suscite des inquiétudes quant à la nouvelle vision stratégique européenne pour 2050. Même si Allemagne vient de fermer sa dernière mine de houille, le pays dépend encore fortement du charbon, qui représente 40 % de sa consommation d’électricité. Une autre déclaration décevante est à mettre sur le compte du vice-Premier ministre autrichien, lequel a ouvertement nié le changement climatique d’origine humaine, illustrant les limites de la présidence autrichienne du Conseil de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique. À l’aube de 2019, plus de 97 % des climatologues s’accordent sur la nature anthropique du changement climatique. C’est peut-être ce qui nous perturbe le plus.
  • Les inquiétudes concernant les États-Unis méritent un paragraphe entier. En prônant l’utilisation de combustibles fossiles lors des négociations en Pologne, et l’intention de quitter l’Accord de Paris dès 2020, l’administration Trump sous-performe significativement. Toutefois, il existe d’autres motifs d’inquiétude. Étant donné que l’administration américaine est en train d’accroître l’incertitude réglementaire (par exemple le retrait du plan relatif à l’électricité propre), les investisseurs pourraient ne pas être suffisamment incités à orienter les investissements vers des solutions à faible émission de carbone (puisque la probabilité de risque d’actifs échoués en raison de politiques climatiques strictes diminue). En outre, en s’opposant fermement à l’Accord de Paris, l’administration américaine actuelle porte atteinte au principe de solidarité qui sous-tend l’accord relatif à la lutte conjointe contre le changement climatique. Elle fournit de surcroît un moyen de pression aux autres pays (le Brésil, par exemple) qui souhaitent se retirer de l’Accord ou réduire leurs ambitions (par exemple l’Australie). (Source : Institute of International and European Affairs)

Synthèse : des signes d’espoir, mais un sentiment général de déception

En conclusion, la COP24 nous a donné certains signes d’espoir dans la lutte contre le réchauffement climatique, à savoir l’accomplissement d’une étape supplémentaire importante, le Règlement de Paris, qui est le « mode d’emploi » des engagements de Paris. Néanmoins, nous éprouvons un sentiment général de déception à l’égard de la COP24. Une transition radicale et urgente, d’une ampleur inédite, est nécessaire dans les années à venir, et il reste beaucoup à faire pour atteindre les ambitieux et indispensables objectifs de réduction des émissions de CO2de 45 % d’ici 2030 et de zéro émission nette à l’horizon 2050. Il reste à espérer que la COP25 et la COP26 nous donneront de réelles raisons de nous réjouir et des réponses sur la rapidité avec laquelle la transition interviendra concrètement dans les décennies à venir.


Les sources d’énergie renouvelable, une augmentation continue des capacités de génération

Le 31 octobre 2018

En 2017, 70 % de la capacité de génération électrique nette ajoutée au niveau mondial est de l’électricité renouvelable. C’est 3,5 fois plus qu’il y a dix ans et deux fois plus qu’il y a cinq ans. Au total, 178 gigawatts de capacité de génération d’électricité renouvelable ont été installés dans le monde (l’équivalent de la capacité de génération du Brésil), un record historique. En 2017, on a installé dans le monde plus de capacités d’électricité solaire-photovoltaïque que de capacité de production à partir de charbon, de gaz naturel et de nucléaire combinés. Les investissements mondiaux dans la génération d’électricité renouvelable (310 milliards de dollars) ont été trois fois supérieurs aux investissements réalisés dans des centrales à énergie fossile ou nucléaire (145 milliards de dollars). Ces chiffres le montrent, l’électricité renouvelable est devenue incontournable et représente une disruption profonde et de grande ampleur pour l’ensemble du secteur de la production et du transport d’électricité.

Le nouveau paradigme : l’électricité verte est compétitive

Cette percée de l’électricité renouvelable s’explique d’abord par un facteur : le solaire et l’éolien sont aujourd’hui les sources d’électricité les moins chères, et ce, dans un nombre croissant de pays. Aux États-Unis, le seuil de rentabilité des projets photovoltaïques a été divisé par trois depuis 2011. Pour l’éolien, le seuil de rentabilité a été abaissé de plus d’un tiers sur la même période. En Chine et en Inde aussi, l’énergie verte est en passe de devenir la forme d’électricité la moins chère, devant le charbon, dont ces pays sont les deux plus gros consommateurs au monde.

Concernant l’électricité photovoltaïque, la baisse rapide du coût de revient est d’abord le résultat des investissements importants réalisés dans des capacités de production qui permettent d’atteindre des économies d’échelle significatives.

L’électricité renouvelable n’est pas plus subventionnée que les autres sources d’électricité !

Les détracteurs de l’électricité renouvelable critiquent souvent sa supposée dépendance aux subsides publics. Pourtant, il n’y a plus aujourd’hui de dépendance réelle des projets éoliens et solaires aux subsides. Avec la baisse des coûts d’installation et de maintenance, l’électricité éolienne et solaire est compétitive, et les projets sont rentables. Dans les faits, l’électricité renouvelable bénéficie toujours de mécanismes de soutien, mais ceux-ci visent seulement à protéger les projets du risque lié à la forte variabilité des prix de gros de l’électricité.

De plus, les pouvoirs publics ont adapté ces mécanismes de soutien au boom de l’électricité verte, les rendant moins coûteux pour les finances publiques. Les dispositifs de tarifs d’achat garantis, qui étaient critiqués pour leur coût croissant, sont progressivement remplacés par des mécanismes de complément de rémunération, équivalent à la différence entre le prix de marché et un prix garanti pour 15 à 20 ans. Avec la baisse continue du seuil de rentabilité des projets d’électricité solaire et éolienne et grâce à la concurrence sur le prix garanti de l’électricité, les nouveaux projets sont presque toujours alloués à un prix garanti proche du prix de marché. Ce système est donc nettement moins onéreux pour les Etats et tout aussi efficace[1].

Au total, l’électricité renouvelable n’est globalement pas plus subsidiée que les autres sources d’énergie, et elle est d’ores et déjà la moins chère des sources d’énergie.

Alors, pourquoi pas un mix électrique cent pour cent renouvelable ? Plusieurs obstacles demeurent avant que cet objectif ne soit mondialement réalisable.

Le principal obstacle au développement de l’électricité renouvelable est assurément l’intermittence de la production électrique. Sur une année, une centrale solaire photovoltaïque fonctionne en moyenne entre 11 % et 29 % de sa capacité maximale. Pour un parc éolien, ce ratio de capacité est typiquement compris entre 23 % et 46 %. La gestion de cette intermittence requière en premier lieu d’améliorer l’interconnexion entre les réseaux électriques nationaux. Le développement des interconnexions entre réseaux électriques nationaux, et d’une manière générale les investissements dans l’infrastructure de transport et de distribution d’électricité (i.e. les « Smart-Grids ») est donc un passage obligé vers la transition énergétique des états.

L’accroissement de la part d’électricité renouvelable dans les mix électriques des pays et l’inconstance de sa production rendent également indispensable de mettre en place d’importantes capacités de stockage de l’énergie.

La technologie de stockage d’électricité la plus répandue au monde (95 % des capacités de stockage actuelles)[2]est les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP)[3].Le stockage de l’électricité par batterie constitue une seconde solution au problème de l’intermittence de la génération d’électricité renouvelable. Cependant, le coût des batteries est encore trop élevé pour justifier la construction de grandes capacités de stockage, aussi les stockages centralisés, sorte de fermes de batteries sont majoritairement installés pour sécuriser l’approvisionnement électrique de réseaux électrique isolés, typiquement sur des îles.

L’électricité solaire et éolienne est incontournable à l’horizon 2030

Le dernier rapport du GIEC (octobre 2018) montre que pour limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C d’ici à la fin du siècle et éviter un changement climatique aux conséquences potentiellement catastrophiques, l’électricité renouvelable devra représenter au minimum 48 % de la production électrique brute mondiale en 2030 et entre 70 % et 85 % en 2050 (données du GIEC et de l’Agence Internationale de l’Energie)[4].Cela représenterait une augmentation de plus de 60 % de la production brute d’électricité renouvelable sur les 13 prochaines années. Un tel changement est techniquement réalisable, mais il requière des investissements particulièrement importants (le GIEC parle de 2400 milliards de Dollars investis entre 2016 et 2035) tant du côté des capacités de génération électrique, que sur le transport et la distribution d’électricité, ainsi que sur l’infrastructure de stockage de l’électricité. Il faudra donc une mobilisation inédite des gouvernements, et la prise de décisions lourdes ayant un impact structurel majeur sur le secteur mondial de la génération électrique (fermeture de presque toutes les centrales au charbon, fortes baisses des consommations de gaz naturel et de pétrole[5]), pour que l’objectif soit atteint.

Même dans un scénario dans lequel la hausse serait supérieure à 1.5° C, il est plus que probable que les capacités de génération d’électricité solaire et éolienne continuent à croître fortement à l’horizon 2050 et au-delà. Dans tous les scénarios explorés par l’Agence Internationale de l’Energie, parmi toutes les technologies de génération électrique, c’est l’électricité solaire photovoltaïque, qui a le plus grand potentiel de développement, suivie par l’électricité éolienne. Incontestablement, l’électricité solaire et éolienne sera donc la pierre angulaire des mix électriques du futur.

[1]https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/dispositifs-soutien-aux-energies-renouvelables

[2]http://les-smartgrids.fr/stockage-electricite-batterie-transition/

[3]également appelées stations de « pompage-turbinage »

[4]http://report.ipcc.ch/sr15/pdf/sr15_spm_final.pdf

[5]https://www.connaissancedesenergies.org/rapport-du-giec-les-chemins-energetiques-vers-un-monde-15degc-de-rechauffement-181008


L’électrification de l’automobile, quel impact réel ?

Le 28 septembre 2018

Depuis l’introduction de la Ford T, il y a plus d’un siècle, le monde de l’automobile est entré dans sa plus grande révolution. La voiture électrique n’est pas une nouveauté, loin de là. En effet, le premier prototype aurait été inventé au XIXe siècle peu avant la voiture à combustion. Cependant, la supériorité technologique du moteur à combustion éclipsa le développement des voitures électriques jusqu’à aujourd’hui.

Les avantages de la voiture électrique sont nombreux : rendement énergétique supérieur, simplicité de production et de maintenance (moins de pièces en mouvement), performance du moteur, etc. Au-delà de ces avantages, la raison principale en faveur de la transition électrique concerne notre santé et l’environnement !

Un problème de santé publique

Les voitures à combustion émettent des gaz tels que du CO2 ou des oxydes d’azote (NOx) participant notamment au réchauffement climatique. S’il ne fallait retenir qu’un seul argument, l’émission de particules fines du moteur à combustion est suffisante pour justifier une transition vers l’électrique.

Qu’il s’agisse d’un moteur à diesel ou à essence, les gaz d’échappements contiennent d’importantes quantités de particules fines (particules dont la taille est inférieure à 2.5μm) dont l’effet nocif pour l’humain n’est plus à démontrer. Ces particules sont tellement fines qu’elles pénètrent en profondeur dans les poumons et entraînent des pathologies cardiovasculaires et respiratoires. En 2012, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a reconnu la dangerosité du diesel en le classifiant de « cancérigène certain pour l’homme », soit le niveau le plus élevé. L’essence est quant à elle toujours considérée, seulement, comme « cancérigène possible pour l’homme ». Toutefois, de nouvelles études montrent que le moteur à essence à injection directe (dernière technologie permettant de diminuer la consommation) émet autant, si pas plus de particules fines que le moteur diesel.

Plus vite que l’on ne croit !

Bien qu’il y ait peu de doute que la voiture électrique soit en train de s’imposer, l’adoption de celle-ci reste à ce jour faible (moins de 2 % des ventes). Sont en cause son coût élevé, sa faible autonomie et le manque de bornes de chargement public. Cependant, tout porte à croire que l’adoption de la voiture électrique va connaître une accélération significative ces prochaines années, au-delà même des prévisions les plus optimistes. Pour s’en convaincre, il faut analyser les trois principaux facteurs qui répondent aux craintes actuelles : l’infrastructure, les réglementations et les batteries.

Infrastructures : le besoin est surestimé

Le manque de chargeurs public est un argument fréquemment énoncé en défaveur des voitures électriques. Est-ce vraiment le paradoxe de l’œuf et de la poule ? Il faut tout d’abord s’intéresser aux différentes options pour charger un véhicule électrique. Il existe trois types de chargeurs : ultra-lent, lent et rapide.

  1. Les chargeurs ultra-lents sont ceux utilisés chez les privés dont la puissance du réseau électrique est limitée (quelques kW). Le chargement est effectué principalement durant la nuit. Il est estimé que 70-90 % des besoins de chargements seront satisfaits par le chargement à la maison ou au travail. Ce qui ne laisse que 10-30 % du besoin pour les chargeurs publics.
  2. Les chargeurs lents permettent de recharger une voiture en quelques heures (3-4h), ils sont les chargeurs les plus communs trouvés dans le public, souvent à proximité des commerces et des parkings. Il deviendra habituel de recharger sa voiture durant un restaurant ou cinéma.
  3. Enfin, les chargeurs rapides permettent de recharger en moins de 30 minutes et demandent une infrastructure particulière. La prochaine génération de chargeurs super-rapides, en cours de développement, permettra une recharge en moins de 10 minutes. Ce type de chargement rapide devrait être marginal et utilisé principalement pour des longs trajets comme un départ en vacances.

Le besoin des chargeurs publics est surestimé car ce ne sera pas l’option utilisée dans la majeure partie des cas. Il faut comprendre que charger sa voiture électrique est un tout autre paradigme que remplir son réservoir d’essence à la pompe. De plus, le réseau de chargeurs publics est déjà relativement important. On estime qu’il existe moins d’une dizaine de voitures électriques par chargeur public en Europe. Enfin, de nombreux acteurs investissent dans ce domaine avec comme exemple la Joint-Venture Ionity créé par VW, Ford, BMW et Daimler. Les compagnies pétrolières, les fournisseurs d’électricité et même des sociétés technologiques investissent dans ce marché.

Réglementations : le coup de pouce

Les réglementations sur l’émission de CO2 deviennent de plus en plus restrictives tant en Europe qu’au niveau mondial. Ces réglementations sont supposées être neutres quant à la propulsion utilisée mais en pratique, elles poussent les constructeurs automobiles à proposer des alternatives comme la voiture hybride ou électrique afin de ne pas dépasser les quotas de CO2 imposés.

Plus récemment, de nombreux gouvernements et des municipalités ont annoncé une interdiction pure et dure des voitures à combustion (en 2040 pour la France et le Royaume-Uni) ou ont émis des quotas sur les voitures électriques comme la Chine. Bien qu’il n’y ait actuellement aucune loi promulguée en ce sens, il s’agit d’un signal fort envers l’industrie de l’automobile et les usagers.

Enfin, le nombre de subsides pour l’achat d’une voiture électrique est en plein essor. La Norvège est un très bon exemple où des subsides allant jusqu’à 15.000 euros par véhicule peuvent être octroyées. La Corée du Sud, le Danemark et la Chine font également partie des bons élèves en la matière. Le but étant de stimuler la demande à court terme en compensant le différentiel de coût entre une voiture à combustion et électrique. Or, avec l’avancée de la technologie des batteries, ce différentiel diminue rapidement et les subsides peuvent être réduits progressivement. La mise en place des différentes réglementations et subsides est l’élément clé à court terme qui va accélérer l’adoption vers l’électrique. Ce mouvement est global avec la Chine comme figure de proue.

Batteries : vers une parité électrique/ essence avant 2025

La batterie a un rôle prépondérant : jusqu’à 50 % du coût actuel du véhicule électrique est lié à sa batterie. En plus de son coût élevé, la batterie est un limitant pour l’autonomie. On est encore loin des 1000km d’autonomie actuel, mais est-ce vraiment indispensable d’avoir autant d’autonomie sachant que nous chargerons nos voitures électriques pendant nos activités ou la nuit ?

Depuis quelques années, le prix des batteries diminue de façon régulière, cependant pas assez pour concurrencer les voitures à combustion. Aujourd’hui, nous sommes à un point d’inflexion où cette diminution de prix va s’accélérer significativement, permettant une parité électrique/ essence avant 2025. L’avancée technologique apportée aux batteries est en plein boom. Les cathodes enrichies en nickel sont actuellement en production et permettent d’accroître significativement la performance énergétique. Les prochaines évolutions, comme la batterie à l’état solide, sont en cours de développement et promettent des performances encore plus importantes.

Parallèlement à l’avancée technologique, la production de masse est bel et bien commencée. On parle beaucoup de la Tesla Gigafactory au Nevada qui produit actuellement la plus grande quantité de batteries au monde. Mais en réalité, il existe une dizaine de Gigafactory, sans compter les nombreux nouveaux projets. Dans ce jeu de production de masse, la Chine est le grand acteur avec une production mondiale estimée à plus de 60 % à partir de 2020. La production de batteries sera telle qu’elle pourra largement couvrir les besoins dans les prochaines années (suffisant pour supporter 10 % de pénétration en 2020). On peut même s’attendre à court terme à une surcapacité de production, ce qui devrait permettre de faire pression sur le prix des batteries. À moyen terme, par contre, le challenge sera de taille car la demande en batteries sera excédentaire par rapport à l’offre.

Les matières premières sont un enjeu capital dans la course à la production et ce notamment pour certains matériaux clés : le nickel, le cobalt et le cuivre. Contrairement à la croyance ordinaire, le lithium est moins important qu’il n’y paraît. La raison est simple, le lithium est abondant et relativement peu coûteux à extraire. A nouveau, la Chine se positionne comme l’acteur incontournable pour les matières premières. En effet, elle contrôle par l’intermédiaire de mines ou de raffinage, plus de 80 % de la production mondiale de cobalt (élément indispensable pour assurer la stabilité des batteries) alors que les réserves mondiales sont détenues à plus de 50 % par le Congo. Dans un premier temps, la dépendance aux matières première sera très forte car la demande de batteries sera en constante aug­mentation. Lorsque la production de batterie sera plus mature, le recyclage jouera un rôle primordial et deviendra économiquement viable de façon similaire à ce que l’on connaît aujourd’hui pour les batteries 12v au plomb (taux de recyclage proche de 100 %).

Quel impact ?

La révolution électrique est en train de bouleverser les acteurs du monde automobile. Les constructeurs traditionnels vont connaître une période de transition très compliquée car la profita­bilité des voitures électriques est moindre. La chaîne de valeur se déplace de l’expertise du moteur à combustion, sur laquelle les constructeurs prennent des marges importantes, vers les batteries, la tech­nologie embarquée et l’électronique qui ne sont pas intégrés chez les constructeurs traditionnels. Les futurs gagnants sont donc probablement à trouver parmi ces catégories d’acteurs ou parmi les nouveaux constructeurs ayant pu intégrer ces éléments clés (Tesla, BYD). La voiture hybride, combinant le mode de propulsion électrique et à combustion, risque de n’être que transitoire car cette solution est plus complexe et coûteuse qu’une voiture électrique. De plus, elle n’élimine pas le moteur à combustion et ses gaz toxiques.

Autrefois à la traîne sur le marché de l’automobile, la Chine est devenue incontournable et se positionne en leader de la transition électrique. Outre son avantage sur la production des batteries, le gouvernement chinois a mis en place une politique forte pour encourager l’adoption des voitures électriques. Une voiture électrique sur deux est actuellement vendue en Chine. L’Europe est sous pression et risque de le payer dans les années à venir si elle ne prend pas des mesures fortes.


Ambitions climatiques : Une baisse des objectifs pour une plus grande crédibilité ?

Ophélie Mortier, Responsible Investment Strategist chez Degroof Petercam

Le 29 août 2018

Tandis que les objectifs de l’Union européenne sont revus à la hausse, certains pays revoient leurs ambitions à la baisse afin d’atteindre de manière plus réaliste ces objectifs. En effet, jusqu’à présent, en matière de lutte contre le changement climatique, les résultats atteints sont globalement décevants.

Agenda politique chargé

Le début de l’été a été chargé pour le climat et l’environnement. En effet, l’Allemagne et la Pologne ont conjointement accueilli le dialogue climatique de Petersberg les 18 et 19 juin derniers afin d’anticiper la prochaine conférence COP 24 qui se tiendra en décembre prochain en Pologne. La préoccupation principale sera l’implémentation pratique de l’Accord de Paris.

Ce dialogue a été suivi par la seconde ministérielle sur l’action climatique entre l’Union Européenne, la Chine et le Canada, qui a pour but de réunir les ministres et les hauts représentants des principales économies afin de discuter, dans un cercle plus restreint, des modalités de négociations pour l’implémentation de l’Accord de Paris. Il y était notamment question de la révision des objectifs de l’UE à la hausse. Les ministres de l’environnement de l’Union européenne se réunissaient d’ailleurs le 25 juin dernier pour discuter d’une éventuelle révision à la hausse de la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 à 45 %.

Loin des objectifs quantitatifs fixés

Cette rehausse des objectifs de réduction peut sembler ambitieuse et nécessaire étant donné l’urgence de l’action.
Néanmoins, aujourd’hui, elle pourrait sembler peu crédible face aux résultats globalement décevants atteints actuellement. En effet, l’association Climate Action Network (CAN) Europe classe dans sa dernière enquête les pays de l’UE selon leurs ambitions et progrès en matière de lutte contre le changement climatique et les résultats parlent d’eux-mêmes.

Source : Off target, Ranking of EU countries’ ambition and progress in fighting climate change, CAN Europe.

Ainsi, selon CAN, aucun pays ne mériterait la première place du classement en matière d’ambition et progrès pour la lutte contre le changement climatique et, en particulier, la réduction des émissions carbone. Seule la deuxième position est atteinte par la Suède avec 77% des objectifs réalisés.

C’est une seizième place pour notre pays dont la performance en matière environnementale et particulièrement de réductions d’émissions est jugée insuffisante en matière de progrès sur la réalisation des objectifs climatiques de 2020 et d’ambitions supérieures aux objectifs de l’UE. La décentralisation de la responsabilité climatique entre quatre gouvernements est également pointée du doigt comme cause principale du manque de cohérence et d’ambition de la politique climatique du pays. Sans révision à la hausse des objectifs climat à l’horizon 2030 et sans objectifs supérieurs à ceux fixés par l’Union européenne, la Belgique ne parviendra pas à une société zéro carbone d’ici 2050.

Révision des objectifs à la baisse

La France occupe la quatrième place et l’Allemagne la huitième place du classement du réseau action climatique Europe. Et pourtant, les deux pays illustrent la difficulté des politiques d’opter pour les choix stratégiques d’une vraie transition énergétique. L’Allemagne se veut exemplaire sur la question de l’énergie nucléaire et devrait en sortir définitivement à l’horizon 2020, au prix cependant de nouvelles mines de lignites et de centrales à charbon. Quant à la France, elle mettra fin à ce type de centrales à l’horizon 2023, mais ne cesse de reporter la question de la sortie du nucléaire.

Les deux ministres de l’Environnement ont désormais revu à la baisse leurs ambitions pour des objectifs réalistes :

  • L’Allemagne a revu de 40 à 32 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2020 comparée aux niveaux de 1990. La sortie du charbon est en cours d’analyse et devrait faire l’objet d’un très attendu rapport en fin d’année.
  • La France retarde la réduction de moitié de la dépendance au nucléaire à l’horizon 2030-2035 plutôt que 2025.

L’heure pour certains est donc plutôt à la baisse des ambitions chiffrées afin que les objectifs soient atteignables et dès lors crédibles. Manque d’ambition ou lenteur d’une transition énergétique bien nécessaire.


Qu’est-ce que les luddites ? Ont-ils raison ?

Le 25 juin 2018

Depuis la première révolution industrielle, la technologie a toujours été une force qui prête à controverse et divise, avec d’un côté ceux qui profitent des avancées technologiques et de l’autre, ceux qui en sont victimes. Au 19ème siècle, l’introduction des machines à tisser est à l’origine de l’apparition des « luddites », ce terme désignant un groupe de tisserands anglais qui, en signe de protestation, s’étaient mis à détruire certaines de ces machines. Ils craignaient que le temps qu’ils avaient consacré à acquérir leurs compétences professionnelles ne soit que peine perdue dès lors qu’ils seraient remplacés par des machines. Le terme de «luddite» est désormais devenu un terme générique utilisé pour désigner les personnes qui n’aiment pas les nouvelles technologies ou s’y opposent. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une avance technologique comparable qui n’est autre que la robotique. Cela va des chaînes de production automobile, automatisées équipées de bras robotisés et nécessitant peu d’interventions humaines, jusqu’aux robots humanoïdes capables de vous confectionner une pizza dans la pizzeria qui se trouve à deux pas de chez vous.

Dans le même temps, alors qu’au cours des 10 dernières années le nombre de robots industriels a progressé de 72% dans le monde, le nombre d’emplois dans le secteur manufacturier aux États-Unis a reculé de 16 %. Par ailleurs, depuis la fin des années 80, les progrès technologiques ont rarement entraîné une amélioration de la productivité. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Solow. Deux économistes sont également récemment arrivés à la conclusion qu’aux États-Unis, les endroits où les emplois et les salaires reculent sont aussi ceux où l’on a installé davantage de robots.

Alors qui peut donc blâmer les « luddites »? Un autre phénomène qui se développe est celui du nombre croissant de cyberattaques à grande échelle. Il est désormais notoire que si le piratage informatique n’a pas eu un rôle décisif dans l’élection de Donald Trump, il a pour le moins eu un impact sur celle-ci. On ne peut en effet que s’interroger sur ce que Facebook, Google et le gouvernement savent réellement à notre sujet. L’audition publique de Mark Zuckerberg devant le Congrès américain nous en a donné une illustration.

On pourrait arguer que les avantages de la technologie l’emportent largement sur ses inconvénients. Un certain nombre d’exemples spécifiques montrent comment la technologie contribue à créer un monde plus durable, tant sur le plan environnemental que social. La technologie contribue de nombreuses façons à créer un environnement plus propre. Si certaines sont évidentes, d’autres le sont moins. Par exemple, les semi- conducteurs de puissance convertissent l’énergie qui provient de la batterie et alimentent le moteur. En matière d’efficacité de conduite et d’autonomie, on a tendance à se focaliser sur les batteries, mais à eux seuls, les tous derniers semi-conducteurs de puissance permettront au dernier modèle de Tesla de parcourir des dizaines de kilomètres supplémentaires. Grâce à la technologie, des employés peuvent travailler depuis leur domicile, des enfants hospitalisés peuvent être virtuellement avec leurs camarades de classe via l’enseignement à distance et les personnes âgées peuvent rester plus longtemps chez elles via des systèmes de surveillance à distance des patients.


Les nouvelles thématiques d’investissement liées à la disruption sont-elles compatibles avec l’investissement durable et responsable ?

Par Ophélie Mortier, Degroof Petercam

Le 29 mai 2018

Nous sommes confrontés dans notre quotidien à de nouvelles réalités résultant notamment de technologies appelées « disruptives ». Celles-ci se caractérisent par des découvertes scientifiques qui changent radicalement les fondements des technologies actuelles et offrent ainsi un nouvel environnement pour développer des applications entièrement inédites. On parle de « disruption » pour marquer la conséquence directe de ces innovations : l’obsolescence des anciens produits ou services rendus obsolètes. Le meilleur exemple est le smartphone qui a déclassé le mobile de première génération, lui-même ayant détrôné le téléphone fixe.

Ces réalités émergentes représentent autant de questionnements que d’opportunités d’investissement.

Digitalisation, interconnectivité et big data

Ces tendances lourdes sur les marchés représentent de réelles opportunités : le marché des données et donc de l’intelligence artificielle serait évalué à 210 milliards de dollars d’ici 2020. Signe des temps, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), géantes américaines de la technologie, représentent à elles seules près de 75 % de la propriété intellectuelle et affichent des capitalisations boursières exponentielles.

Quelques chiffres à nouveau. Plus de 81 % des entreprises ont été victimes de vols de données ! On estime que les coûts de la sécurité informatique pourraient s’élever jusqu’à 6 trillions de dollars annuels d’ici 2021 ! Les cyberattaques sont la première force d’assaut économique contre les Etats et la première cause de vol de propriété intellectuelle pour les entreprises. Au-delà du risque de piratage, cette menace… est également une opportunité de marché, et donc pour l’investisseur à l’égard des entreprises spécialisées dans la sécurité des données.

Robotisation

La robotisation de nos économies constitue également un thème d’investissement et un paradoxe. D’un côté, la croissance de ventes de robots affiche ces dernières années un taux à deux chiffres. Selon les projections, la robotisation s’implantera approximativement dans 45 % des emplois manufacturés d’ici 2025 contre déjà 10 % aujourd’hui. Le gain en productivité des robots est estimé à plus de 30 % dans de nombreuses industries avec une réduction des coûts d’emploi de 18 à 33 %. De l’autre côté, cette robotisation aura un effet collatéral net sur l’emploi et la sécurité. Ainsi on prévoit que deux milliards de postes sont à risque d’ici 2030, particulièrement pour les mains-d’œuvre non-qualifiées. 47 % des emplois aux Etats-Unis pourraient être automatisés avec un risque d’exode des citoyens américains à la recherche de travail. L’écart entre demande et offre pour la main-d’œuvre qualifiée versus non-qualifiée va s’accroître et créer plus d’inégalités.

Générations Millennials et Z

Représentant 59 % de la population globale aujourd’hui, il est difficile de faire abstraction de ces générations biberonnées à la « disruption » technologique. Elles représenteront plus de 60 % de la main-d’œuvre disponible sur le marché du travail de 2020. Elles affichent d’ores et déjà leur besoin de durabilité et de donner sens à ce qu’elles font. Entrepreneurs dans l’âme, elles assument et innovent tous azimuts. Ces générations détiennent aujourd’hui 35 % du revenu global brut et leurs revenus cumulés pourraient représenter jusqu’à 62 trillions de dollars. Les opportunités d’investissement sont donc là aussi bien présentes, en particulier pour des secteurs tels que les télécoms, les médias, le divertissement, la consommation et l’éducation.

Menace ou opportunité ?

L’investisseur responsable intéressé par ces thèmes porteurs est cependant en droit de s’interroger sur leur impact, notamment d’encourager la fabrication d’appareils technologiques comportant un pourcentage important de déchets peu recyclables voire toxiques. Paradoxe à nouveau, cette problématique cruciale aujourd’hui peut s’avérer une opportunité importante. Ainsi le Japon, la Corée ou Taiwan affichent des taux de recyclage des déchets électroniques « ewaste » entre 75 et 82% alors qu’ils ne sont encore qu’à hauteur de 18 % en Chine, 5 à 6 % en Australie ou encore 2 % en Inde et Indonésie. Il est indéniable que l’investisseur responsable doit en outre s’interroger sur les pratiques liées à ces déchets dérivés des appareils électroniques puisque encore la grande majorité de ceux-ci font l’objet de circuits commerciaux illégaux vers les pays asiatiques tels que la Chine, le Pakistan, l’Inde, le Bangladesh ou encore le Vietnam.

Les entreprises qui intègreront ces questions environnementales clés seront donc les mieux positionnées notamment en termes de réputation lorsque les réglementations se feront plus sévères à cet égard.

Face à ces tendances structurelles et là pour perdurer, plusieurs réactions sont possibles : les écarter et les ignorer ou les intégrer dans son quotidien. L’investisseur responsable et durable ira probablement dans la voie de l’intégration de manière pragmatique et responsable afin d’assurer l’optimisation des opportunités et la réduction des risques et effets secondaires.

Consultez aussi

L’étude « Pistes et éclairages économiques : Pour une transition technologique cohérente et équitable »


Comment endosser sa responsabilité d’actionnaire en tant qu’investisseur ?

Le 23 avril 2018

Le deuxième grand principe des six Principes de l’Investissement Responsable sponsorisés par les Nations-Unies est d’endosser sa responsabilité d’actionnaire à long-terme et promouvoir l’investissement responsable à travers sa voix actionnariale.

Voter : une nouvelle obligation pour l’investisseur

Face à l’obligation de s’exprimer aux assemblées des actionnaires, l’investisseur peut se sentir quelque peu perdu. D’autant plus, que les nouveaux modèles de gouvernance qui émergent notamment dans les sociétés technologiques, remettent sérieusement en cause les modèles plus traditionnels auxquels nous pourrions être habitués. Comment réagir alors lorsque l’entreprise Snap, à l’origine de l’application Snapchat, lance son IPO sans aucun droit de vote attaché aux actions proposées au public au nom des principes sacro-saints de dynamisme et de flexibilité qui seraient vitaux pour son modèle d’entreprise ? Lorsque les droits élémentaires des actionnaires sont bafoués en toute impunité, il est légitime de se demander si, finalement, voter peut avoir un impact et pourquoi dès lors rendre ce vote obligatoire.

De plus, quel peut être l’impact réel de voter pour un actionnaire minoritaire face à un actionnaire majoritaire, de référence ou familial ou face à une méga capitalisation boursière et donc n’être qu’une voix diluée dans de grands flots ? L’exemple des géants pétroliers qui plient sous la pression de leurs actionnaires et rendront dorénavant des comptes sur leur responsabilité environnementale et leur gestion des risques liés au changement climatique, est parlant. Un autre bel exemple récent est l’expression des minoritaires face à l’actionnaire de référence Vivendi dans l’assemblée de Telecom Italia. La réglementation italienne veut que les candidats au Conseil d’administration soient repris sur une liste de candidats proposée par l’actionnaire majoritaire ou par les actionnaires minoritaires s’ils parviennent à imposer leur liste. Avec 1,9% du capital seulement, l’actionnaire minoritaire est parvenu à déposer une liste, qui n’a certes pas remporté l’ensemble des voix, mais dont l’écart par rapport à la liste des candidats proposée par Vivendi n’était que de 0.5%. Une première pour cet actionnaire majoritaire ! Les minoritaires avaient réussi à imposer leur liste à l’assemblée de Snam spa en 2016, en renversant progressivement la tradition italienne de l’actionnaire majoritaire imposant ses candidats.

Voter : pourquoi ?

Voter permet de défendre les meilleures pratiques, y compris en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Tout d’abord, la faible participation renforce davantage les actionnaires majoritaires. Ensuite, force est de constater que sous l’effet d’une participation croissante aux assemblées actionnariales et l’implication grandissante des investisseurs institutionnels, les pratiques de gouvernance commencent à changer.

Enfin, un taux de mécontentement des actionnaires relativement élevé, sur l’un ou l’autre point à l’agenda, peut être un levier pour ces derniers de lancer un avertissement au management. Le taux des votes négatifs important sur le total des votes attirera l’œil des médias et des autres parties prenantes en ce compris les investisseurs soucieux de l’engagement long-terme de leur prise de position.

Remplir son devoir en pleine responsabilité

Nous faisons face aujourd’hui à une contradiction entre d’une part la volonté, voire même la pression, à s’exprimer davantage en tant qu’actionnaires responsables et, d’autre part, une réserve à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise en favorisant la flexibilité et la souplesse de nouveaux modèles d’entreprise naissants. Définir sa compréhension de bonne gouvernance dans un tel contexte est un exercice complexe mais passionnant.

La culture d’entreprise évolue fortement. Les actionnaires sont de plus en plus appelés à s’exprimer sur les attitudes de l’entreprise et sur sa capacité à prévenir les risques. Au niveau des attitudes de l’entreprise, nous assistons à un intérêt croissant pour les questions environnementales et sociales telles que le changement climatique ou la gestion du capital humain. La prévention des risques est également centrale notamment à la suite des différents scandales tels que des stratégies de ventes agressives, une faible protection de données ou encore des scandales de corruption. La diversité et l’adéquation des conseils d’administration deviennent aussi des qualités essentielles.

Voter à travers les fonds indiciels, un vote à la légère

La notion de voter avec ses pieds selon l’expression anglo-saxonne est souvent utilisée pour les investisseurs votant en tant que représentants des gestions indicielles et passives.

Et pourtant, voter au nom des fonds gérés de manière indicielle ou passive prend également son sens d’une part du fait de l’importance croissante de la gestion indicielle aujourd’hui et d’autre part en renforcement de l’impact et du poids des décisions réfléchies et analysées dans une démarche active.

L’engagement actionnarial – qu’il revête la forme de l’engagement, le vote en assemblée des

actionnaires et/ou le dialogue avec la société – est un outil de gestion à part entière. Il doit être intégré par l’investisseur désireux de mieux évaluer les risques dans leur globalité, de défendre des valeurs et des bonnes pratiques et par conséquent de contribuer à des sociétés plus durables. C’est donc un processus à long terme, qui, par effet de boule de neige, dans une approche structurée, ajoute de la valeur et contribue à la performance de la société et à la pérennité de l’investissement.


L’investissement durable et responsable, un devoir fiduciaire de tout gérant ?

Le 21 mars 2018

Le plan d’action de la Commission européenne, faisant suite aux recommandations du rapport final du groupes des hauts experts (HLEG), est publié et rend les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dorénavant obligatoires au titre de devoir fiduciaire de tout gérant de portefeuilles.

Certaines voix applaudissent ; d’autres s’inquiètent de légiférer sur un sujet qui devrait rester un libre choix de l’investisseur.

Les publications, les conférences, les débats sur le sujet de la finance durable se multiplient dans toute l’Europe. Récemment encore la place financière du Luxembourg s’emparait du sujet. Les intervenants étaient unanimes : l’intégration de facteurs ESG est positive pour éclairer les décisions d’investissement et est déjà d’application au sein de la plupart des sociétés de gestion.

Même, le Professeur Hakan Lucius, responsable de division auprès de la Banque Européenne d’Investissement et professeur à Sciences Po Paris, a ouvert la conférence dédiée au sujet avec « La finance durable et responsable surperforme »

Si la finance durable et responsable basée sur l’intégration des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance surperforme, y a-t-il lieu dès lors de s’inquiéter des derniers développements réglementaires ?

La réponse est double.

Non, il n’y a pas lieu de s’inquiéter car :

  1. l’intégration des facteurs ESG fait partie de la responsabilité fiduciaire des gérants et est déjà bien réalisée dans l’industrie puisque les facteurs ESG sont des risques économiques et ont lieu d’être intégrés dans tout scénario d’investissement ;
  2. L’expert de gestion a également un devoir et un rôle d’information envers ses clients. Au même titre qu’il les informera sur les risques macro ou micro-économiques, de diversification, de taux de change ou de liquidités, il est de son devoir de les informer et les éduquer sur ces problématiques, ces enjeux et ces opportunités. Certains diront qu’il y a influence sur l’investisseur mais comme le mentionnait très justement un intervenant, lorsque vous êtes au restaurant, vous appréciez également que le grand chef vous conseille et vous avise sur la composition des plats, les valeurs nutritives, la provenance des ingrédients frais et sains, etc. Vous influence-t-il pour autant ? Peut-être  mais le choix final reste le vôtre.
  3. Enfin, la peur d’influencer l’investisseur et de le détourner de son objectif premier qui est de rentabiliser au maximum son profit pour un risque minimal reflète la peur sous-jacente toujours ancrée vis-à-vis des investissements responsables et durables : quel coût d’opportunité éventuel ? Seule l’éducation, et donc l’information aux investisseurs, permettra de lutter contre ce préjugé bien ancré et de convaincre de la valeur ajoutée en termes de qualité d’investissement et de décision d’investissement. Les investissements responsables et durables peuvent donc apporter un éclairage à cet objectif d’optimisation de risque et rendement.

Il y a lieu de s’inquiéter si :

  1. Les exigences de reporting en tout genre conduisent à un reporting inutile basé sur des mesures de calculs imparfaites qui pourraient servir à des scénarii complets de modèle d’investissement. Nous devons continuer à connaitre et comprendre ce que nous publions, tout en étant pleinement conscients des avantages et des limites de ces données. La qualité première d’un reporting dépendra de la qualité des données sous-jacentes et des contraintes réglementaires qui sont ou seront imposées en la matière.
  2. Si la charge de la responsabilité est placée uniquement dans le chef de l’investisseur et de son gérant de portefeuille alors que les autorités de contrôle seraient logées à une enseigne différente. Entendons par là que si l’investisseur et son gérant de portefeuille doivent prouver leur volonté de financer l’économie à long-terme et dans une optique de transition vers une économie appauvrie en émissions carbones, cette optique doit être présente tout au long de la chaine de valeurs. Il est plutôt difficile d’adopter une politique d’investissement long-terme lorsque vous êtes contraints de rapporter sur des bases annuelles, semestrielles et trimestrielles. Sans parler évidemment de la prise de responsabilité des autorités publiques vis-à-vis de cette même transition vers une économie bas carbone et les choix qui sont faits aujourd’hui en matière d’énergies fossiles et renouvelables. Est-ce bien toujours cohérent ?

Restons sur les messages et conclusions largement reconnues et qui laissent place à l’optimisme pour la finance de demain : l’investissement responsable et durable performe, les analyses le prouvent ; les gérants intègrent les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance de plus en plus dans leur réflexion comme devoir fiduciaire de gestion en bon père de famille et l’investissement durable et responsable devient de plus en plus mainstream.


Le rapport du High Level Expert Group on Sustainable Finance : très important !

Par Degroof Petercam

Le 16 février 2018

Le tant attendu rapport final du groupe d’experts à haut niveau sur la finance durable (HLEG High Level Expert Group on Sustainable Finance), qui assiste la Commission européenne dans sa stratégie pour une finance durable, a été rendu publique le 29 janvier dernier.

Reconnu comme ambitieux par les principales associations de défense de l’environnement, plusieurs recommandations tentent une petite révolution dans le monde de la finance que certains investisseurs, notamment certaines associations représentatives des fonds de pension pan-européens voient d’un mauvais œil.

L’Europe en modèle d’une finance responsable et durable

Le rapport final publié est la continuité du rapport intérimaire publié l’été dernier. Si certains critiquent son manque de nouveaux points par rapport à sa version antérieure, il représente cependant un rapport majeur pour diverses raisons.

D’abord il donne une vue systématique des changements urgents nécessaires pour une finance au service de la transition énergétique, dans un scénario de limitation de réchauffement climatique à 2°.

Ensuite, il est le fruit du travail d’un comité d’experts émanant directement des plus hautes instances de gouvernance de la Commission européenne. Ce comité regroupe de hauts spécialistes de différentes formations, expertises et nationalités afin de représenter les différentes parties prenantes, société civile et investisseurs inclus.

Enfin, pris individuellement, chaque recommandation peut sembler basée sur des idées déjà connues et peu révolutionnaires. Cependant, dans son ensemble et non isolé, ce rapport constitue une feuille de route puissante et ambitieuse.

Quatre dimensions pour un rapport éminent

Les recommandations se structurent selon quatre dimensions principales.

  • Les recommandations prioritaires visent à identifier les points d’action les plus pressants.
  • Les recommandations transversales s’attaquent aux problématiques structurelles.
  • Les recommandations spécifiques aux différents acteurs visent chaque profil propre des protagonistes du secteur financer soit les investisseurs, mais aussi les banques, les banques d’investissement, les consultants, les marchés de capitaux et centre financiers ainsi que les agences de notation de crédit et de notation extra-financière.
  • Enfin, les recommandations de durabilité sociale et environnementale sont davantage ciblées vers des sujets spécifiquement sociaux ou environnementaux tels que les ressources terrestres ou marines.

Les recommandations prioritaires, sans entrer dans les détails, incluent principalement :

  1. L’obligation fiduciaire de l’investisseur de reconnaitre les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance comme critiques dans la gestion ;
  2. L’adoption d’une taxonomie des investissement durables çàd. développer et implémenter des standards de durabilité officiels au niveau européen ;
  3. L’optimisation de l’alignement de la culture d’entreprise du secteur financier avec une vision long-terme ;
  4. Le soutien financier à l’infrastructure durable.

Une puissance qui peut faire peur

L’accueil réservé à ces différentes recommandations est assez mitigé.

Trois grandes associations représentant des investisseurs institutionnels majeurs – PensionsEurope, l’association pan-européenne des fonds de pension, Aba, l’association des fonds de pension en Allemagne et enfin la fédération des pensions aux Pays-Bas – refusent des règles et des mesures prescrites par une loi sur la question de l’investissement responsable. La question des différences culturelles et des valeurs propres à chaque secteur d’activités et son fonds de pension doit être laissée au libre arbitre du fonds de pension lui-même. Evoquant le principe du « one size does not fit all », ils s’opposent à une réglementation imposant des considérations de valeurs au risque de mettre en péril leurs capacités à remplir leur premier devoir : le paiement des pensions promises à leurs travailleurs.

De son côté, l’ONG WWF applaudit le travail du groupe de hauts experts, en particulier l’obligation de reporting climat d’ici 2020, de rendre les enjeux de soutenabilité comme une responsabilité juridique des investisseurs, l’obligation de consultation des individus sur leurs préférences ESG d’investissement et l’intégration du scénario climatique dans les indices utilisés par les produits financiers.

Enjeux et étape suivante

La Commission européenne est bien déterminée à mettre en place sa stratégie de finance responsable et durable.

Elle s’entoure pour cela des experts de différents horizons et profils pour lui conférer la crédibilité auprès des différentes parties prenantes.

Elle s’engage sur un plan d’action défini et concret et jusqu’ici respecte son échéancier. Elle doit d’ailleurs revenir avec un plan d’action sur base des recommandations du rapport final déjà le 7 mars prochain.

L’enjeu réside évidemment dans la puissance des mesures qu’elle préconisera dans son plan d’action ainsi que l’outil utilisé pour une implémentation dans la réglementation nationale (Directive, Règlement, Décision, etc.).

Les investisseurs institutionnels ont sans doute raison de s’inquiéter des mesures prescriptives que pourraient adopter la Commission européenne si celles-ci conduisent à des obligations essentiellement de reporting et de publication au nom du sacro saint engagement de transparence. Si la taxonomie des approches durables est définitivement nécessaire pour clarifier les pratiques du marché et protéger les investisseurs, l’obtention d’un label ou d’une reconnaissance d’adoption de standards spécifiques peut vite s’associer à un business alléchant d’accessibilité variable entre les différents acteurs du marché.

Le rôle d’un fonds de pension est en effet d’assurer le paiement des pensions à ses membres affiliés sous toutes les conditions de marché ; les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance devant être pris en compte dans les aléas de ces marchés. Cependant est-il bien réaliste de consulter l’avis de chaque affilié sur ses préférences ESG alors que pour l’un l’énergie nucléaire sera par exemple totalement incompatible avec une vision durable et responsable alors que pour l’autre l’utilisation de charbon sera un facteur inacceptable ?

Ensuite, il y a lieu également de s’inquiéter d’un mouvement unique d’investissement dans une seule direction massive. Il est important de financer la transition énergétique. Par contre, le financement unique et exclusif d’un modèle économique à l’antithèse de celui d’aujourd’hui comporte des risques importants pour la soutenabilité économique et sociale. Il y a urgence climatique et les mesures prises doivent être à la hauteur de l’urgence. Cependant, le changement climatique ne peut pas être isolé et pris séparément des autres enjeux majeurs, sociaux notamment.

Les associations de fonds de pension ont sans doute raison de regarder attentivement le rapport du groupe d’experts. Ce dernier, tout comme les recommandations du groupe de travail sur les publications financières relatives au climat (TCFD – Task Force on Climate-related Financial Disclosures) auxquelles il fait d’ailleurs maintes références, pourrait constituer un changement de paradigme dans la manière d’investir jusqu’ici.

C’est sans doute la raison de la réjouissance des défenseurs du climat tels que le WWF. L’intégration du scénario climatique dans les indices utilisés par les produits financiers devrait constituer une réelle avancée. C’est en effet là aussi que réside l’enjeu pour demain. D’une part, avec l’engouement des fonds indiciels et de la gestion passive ces dernières années, ces indices captent des moyens de financement gigantesques. D’autre part, aujourd’hui, ils ignorent ou intègrent peu les enjeux majeurs du changement climatique et sous-estiment leur véritable impact économique et matériel.

Le défi est donc considérable pour la Commission européenne de trouver ce difficile équilibre entre d’une part le besoin criant de standardisation d’un secteur qui est passé du statut de niche d’investissement à celui de réponse aux urgences environnementales à adopter massivement pour une véritable prise en conscience de l’urgence et de la gravité et d’autre part les effets non désirés d’une réglementation trop fermée et peu flexible menant à un système de procédures, de charges administratives et de reporting en tout genre n’ayant que rarement un véritable impact positif mesurable sur l’environnement qui nous entoure. Pour rappel, il s’agit de trouver près de € 180 milliards par an pour financer le programme européen de développement durable à l’horizon 2030 !

La fenêtre d’opportunités est bien ouverte pour poursuivre sur la route d’un financement plus responsable au service de l’activité économique. Mais elle comporte aussi de nombreux embûches auxquelles la Commission européenne devra rester attentive à tout instant.


Quelles perspectives pour l’investissement socialement responsable en 2018, (Partie 2)

Par Degroof-Petercam

Le 29 janvier 2018

  1. Green bonds – l’Eldorado des obligations vertes

Le changement climatique a indéniablement influencé les thématiques ESG ces dernières années. Cette tendance se poursuivra à l’avenir. Intimement liées, les émissions vertes sont toujours populaires. Preuve en est, l’émission de plusieurs états en 2017 (France, Pologne) et même de l’état belge en cette fin d’année.

Après une dizaine d’années d’existence, c’est l’heure du premier bilan pour le marché des obligations vertes. Comme l’investissement responsable, les obligations vertes, qui étaient auparavant un segment de niche, sont devenues un véritable catalyseur de changement sur le marché obligataire. Bien que sa taille (près de 315,4 milliards de dollars fin 2017) soit encore réduite par rapport au marché global des obligations, les fonds d’obligations vertes émergent çà et là, montrant l’appétit des investisseurs – principalement institutionnels – pour ceux-ci.

Les obligations vertes répondent à un certain nombre de critères : d’une part, les critères d’éligibilité qui seront financés par l’émission et d’autre part, le rapport d’avancement sur les projets financés par l’émission. Les Principes des Obligations Vertes, adoptés en 2014, tentent de donner un cadre clair et complet sur les émissions vertes et ont contribué à son expansion. De plus, le groupe d’experts de haut niveau sur la finance durable (High-Level Expert Group on Sustainable Finance), désigné pour aviser la Commission européenne sur la question de la finance responsable, devrait créer également un cadre de référence des émissions vertes.

Au 31 octobre 2017, le total d’émissions de l’année dépassait les 100 milliards USD, chiffre légèrement supérieur aux 93 milliards atteints en 2016. Il s’agit de la 5e année record d’émissions du marché. Les estimations se situent entre 110 et 135 milliards d’émissions pour l’année 2018[1]. Si ce marché était dominé depuis longtemps par la Banque Mondiale qui agissait en tant qu’émetteur quasi unique, il se diversifie en termes d’émetteurs privés, de secteurs et de maturité depuis 2013.

Les États montrent également de plus en plus d’intérêt pour ce type d’émissions. En effet, la Pologne est le premier pays à émettre une obligation verte étatique, et a rapidement été suivie par la France qui a connu un grand succès avec son obligation de 22 ans souscrite pour un total de 7 milliards d’euros. Enfin, sous l’impulsion de leur Présidence de la récente édition de la COP 23, les îles Fidji ont également émis une obligation verte de près de 50 milliards USD et deviennent, dès lors, les premiers pays émergents à émettre de pareilles obligations.  En tenant compte des besoins d’adaptation et mitigation du changement climatique, le marché des obligations vertes des économies émergentes devrait croître rapidement.

Les compagnies d’assurance et autres investisseurs institutionnels à long-terme sont assez friands des obligations vertes puisque leur profil d’investisseurs les conduit à investir massivement en taux fixe pour réconcilier leurs obligations de paiement. L’investissement en impact fait partie généralement de leur stratégie d’investissement responsable. De plus, la réglementation, notamment l’article 173 de la loi française sur la transition énergétique, tend à pousser les détenteurs d’actifs vers ce type d’investissement afin de pouvoir démontrer une contribution claire pour une économie plus faible en carbone. Enfin, l’engouement pour les objectifs de développement durable va également soutenir le marché des obligations vertes dont le succès n’est pas prêt de s’essouffler ces prochaines années.

  1. Evasion fiscale

L’éthique des affaires a déjà dominé plusieurs débats et controverses ces deux dernières années. Les développements réglementaires au niveau européen et international tels que la Directive Anti-Tax Avoidance Directive ATAD et le Base Erosion and Profit Shifting Action Plan (BEPS) continuent également de nourrir le débat d’une fiscalité responsable. Ces deux initiatives ont adopté un arsenal de mesures, d’une part pour éviter la double non-taxation, et d’autre part pour encourager la transparence afin de limiter l’évasion fiscale.

Les entreprises sont concernées, à tous les niveaux, par les opérations de business model, par les opérations de trésorerie de la gestion de risques et par les structures de levier intra-entreprises, comme les holdings ou les prêts intra-groupes dans les pays plus avantageux fiscalement. Dès lors, les entreprises doivent se préparer aux nouvelles exigences concernant le reporting (notamment le rapport pays par pays), revoir les positions fiscales actuelles, ajuster la stratégie en fonction du nouveau cadre et préparer une communication claire de cette dernière.

Les récentes déclarations de Facebook, qui annonce reconnaitre la génération de revenus publicitaires dans 25 pays au détriment d’un modèle centralisé auprès de son siège central en Irlande, démontrent le changement progressif des multinationales, à la suite des pressions provenant de la société civile notamment. Les multinationales sont appelées à montrer davantage de transparence fiscale en adoptant une structure de vente locale plutôt qu’une centralisation des revenus vers les régions plus avantageuses fiscalement. C’est l’objectif du reporting pays par pays.

La Commission européenne regarde de très près ce type de développement et prévoit de publier quelques propositions en mars prochain, principalement pour les multinationales actives dans le domaine numérique telles que Google, Amazon et Facebook.

Le 13 décembre dernier, les parlementaires européens ont également adopté plusieurs recommandations afin de contraindre l’Union européenne et les États membres à renforcer leur législation en matière de lutte contre l’évasion fiscale et de blanchiment d’argent.

Les contraintes budgétaires sont le lot de l’ensemble des pays au monde et le redressement fiscal représente un levier important de ressources supplémentaires de revenus. De ce fait, les multinationales sont prises d’assaut de tous les côtés et leur rentabilité est mise à rude épreuve.

[1] Bank of America Merrill Lynch


Quelles perspectives pour la finance responsable en 2018 ? (partie I)

Le 5 janvier 2018

Une fois n’est pas coutume : penchons-nous sur les perspectives pour l’année nouvelle.

L’année 2017 aura été dominée à nouveau par le changement climatique, qui restera bien entendu, un sujet majeur pour les investissements responsables et durables en 2018. Et notamment la question du financement avec toujours l’engouement pour les obligations vertes. Plus globalement, les objectifs de développement durable (Sustainable Development Goals), alors qu’ils étaient passés quasi inaperçus lors de leur lancement, gagnent en importance dans les communications et les stratégies des entreprises. Communication accrue, notamment du fait d’une réglementation croissante en matière d’une information environnementale, sociale et de gouvernance, pour les entreprises financières comme non financières. Enfin, la question d’une fiscalité et taxation responsables s’immisce progressivement auprès des grandes entreprises appelées à revoir leur stratégie fiscale, sous la pression de la société civile et de la réglementation.

1.             Objectifs de Développement Durable

Successeurs des objectifs du millénaire, les 17 objectifs de développement durable ont été initialement définis pour les pays. Cependant, adoptés dans un contexte porteur de prise de conscience auprès des investisseurs et tenant compte de l’importance des besoins de financement[1], la sphère privée – financière et non financière – s’est rapidement approprié ces objectifs de développement durable dans les domaines économique, social et environnemental d’ici 2030.

Le risque de “greenwashing” peut être grand étant donné le magnifique outil marketing qu’offrent ces 17 icônes colorés. Cependant, les ODD inscrivent les investissements responsables et durables dans une nouvelle dynamique de remise en question sur leur valeur ajoutée et impact réels. Il ne suffit plus pour les fonds d’investissement durables et responsables d’écarter certains secteurs ou certaines entreprises mais de prouver que les investissements sont orientés vers des solutions de développement durable. 2018 sera l’heure de la preuve avec la mesure de l’impact pour les investissements durables.

2.             Réglementation croissante en matière d’informations environnementales, sociales et de gouvernance

“Comply or explain” est le principe qui domine de plus en plus le cadre réglementaire notamment européen.

La réglementation est de plus en plus pressante sur les entreprises et les investisseurs quant à leur responsabilité vis-à-vis de la société et de ses différentes parties prenantes. Les entreprises sont dorénavant soumises à l’obligation de rapporter sur leurs données environnementales, sociales et de gouvernance. En effet, la directive 2014/95/EU règle la publication des données dites non-financières des grandes entreprises qui devront à partir de 2018 publier celles-ci dans leurs rapports annuels.Il est dommage que la Commission Européenne parle de données non-financières et ne se soit pas encore alignée avec les tendances du marché en parlant de données extra-financières, reconnaissant par-là l’impact financier et économique de telles informations ESG. Ainsi les entreprises comptant plus de 500 employés devront publier leurs politiques en matière de protection environnementale, responsabilité sociale et traitement des employés, respect des droits humains, politique d’anti-corruption et diversité des conseils d’administration. Ces dernières peuvent se référer aux recommandations de l’OCDE sur la question. En effet, l’OCDE a émis cette année ses recommandations de conduite des affaires responsables pour les multinationales et également les investisseurs institutionnels. De plus, en juin dernier la Commission a également publié ses lignes de conduites et recommandations à l’attention des entreprises afin de les assister à publier leur information sociale et environnementale.Les investisseurs institutionnels font face à différentes réglementations traitant du sujet. Principalement nous citerons la Directive IORP II qui oblige les institutions de retraite professionnelle (fonds de pension et plans de retraite) à expliquer leur approche d’intégration des critères extra-financiers ou encore la révision de la Directive des Droits des Actionnaires qui fait de nombreuses références dans ses différents articles à l’obligation d’intégrer et rapporter sur la politique d’intégration des critères ESG. La consultation de la Commission européenne sur les obligations des investisseurs institutionnels et gestionnaires d’actifs en matière de durabilité est d’ailleurs toujours ouverte. Au nom de l’obligation de loyauté et de prudence, les investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs font face à des obligations fiduciaires qui incluent explicitement les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et la durabilité à long-terme.

[1] Entre 5 et 7 trillions de dollars par an entre 2015 et 2030 selon les Nations Unies (United Nations Commission on Trade and Development (UNCTAD))


COP 23 : Technique mais dans l’esprit de Paris

Le 29  novembre 2017

La COP 23 qualifiée de technique a pour objectif de définir les règles du jeu de l’Accord de Paris ainsi que la structure et l’agenda des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pris par les Etats ratificateurs.

Sous la présidence des Fidjis (un état insulaire fortement exposé aux phénomènes de changement climatique), le ton engagé est donné. En effet, pour l’archipel où les coûts des conséquences climatiques sont estimés à 4% du PIB par an, l’enjeu de maintenir les ambitions de Paris est majeur, et même au-delà : l’objectif plus ambitieux des 1.5° d’augmentation de température maximale et le respect du pacte de solidarité entre pays en développement et pays développés chers aux premières victimes du changement climatique.

Second objectif de la COP : le dialogue dit de facilitation à savoir le bilan collectif des efforts en matière climatique et les premières discussions des modalités de relèvement des objectifs après 2020 pour les révisions quinquennales prévues par l’Accord de Paris.

Actions et besoins : le grand écart

Le dernier rapport du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (UNEP) sur les émissions mondiales[1] confirme les craintes des scientifiques : l’objectif des 2 degrés ne sera pas atteint. On se dirige plutôt sur une trajectoire de 3° avec les ambitions actuelles.

De même au niveau du financement. Si le retrait des Etats-Unis est avant tout un « non » symbolique (encore plus isolé aujourd’hui après la ratification des deux derniers états le Nicaragua en octobre dernier et la Syrie le 7 novembre dernier ), il n’en reste pas moins que c’est le retrait d’un des principaux bailleurs. Or, les besoins en infrastructures sont estimés à minimum USD 100 milliards d’ici 2020. Nous en sommes très loin aujourd’hui. Au contraire ! Les subsides pour les énergies fossiles ne diminuent pas  et le prix du carbone reste au plancher. Le bilan est donc globalement négatif. Et certains avancent même le spectre d’une crise des subprimes pour les exploitants de gaz de schiste avec des prix au plancher. Dès lors, émerge de plus en plus l’idée de taxer les extractions et les externalités des sources d’émissions plutôt que les émissions elles-mêmes.

Prix du carbone et autres alternatives

Aujourd’hui 85% des émissions échappent à toute tarification carbone. Et pour les ¾ de celles tarifées, elles le sont à un prix carbone inférieur à 10 USD par tonne. Pour atteindre les objectifs de Paris, ce prix devrait mondialement monter à un niveau entre 40 et 80 dollars la tonne d’ici 2020 et entre 50 et 100 d’ici 2030.

Le prix du carbone reflète en réalité ce que la collectivité est prête à payer pour la protection du climat.

Dans un jeu où chacun retarde sa contribution à l’effort collectif et attend que le premier baisse ses émissions[2], une taxe à l’émission n’incite pas à la déclaration. L’absence de marché mondial pour le prix du carbone, qui est complexe, permet les contournements et n’incitent pas les acteurs à l’investissement long terme (30-50 ans) nécessaire à la transition vers une économie bas carbone.

Un autre obstacle est également le financement nécessaire provenant des états alors que nombreux sont sans ressources et/ou endettés voire surendettés. Dès lors, certains se sont déclarés tributaires d’autres états qui disposent d’un droit de veto de fait pour toute décision au niveau mondial. Face à cet échec annoncé, émerge l’alternative d’un droit d’accise qui serait prélevé aux sociétés extractives privées ou publiques et redistribué sous formes de subsides pour des actions concrètes et d’impact mesurable en matière de réductions d’émissions dans des projets porteurs tels que l’immobilier, le transport et l’infrastructure. Et ce, à défaut d’une taxe sur le CO2 importé. Naïf me répondrez-vous. Peut-être mais cela demande déjà la création d’une institution internationale responsable de la collecte et redistribution de l’accise avec une gouvernance nécessairement irréprochable. Ensuite, la résistance au changement est assez caractéristique des parties prenantes politiques et économiques des sociétés dites développées. En attendant les émissions de gaz à effet de serre continuent de monter. Et, l’année dernière enregistre un triste record de la plus grande concentration de dioxide de carbone. Sans compter de nouveaux records de niveaux d’émissions de gaz à effet de serre. Si la COP 23 est technique, l’urgence climatique est toujours criante.

Maintenir l’esprit de Paris et garder le momentum

Paris et la COP 21 ont été clairement un vecteur de mobilisation mondiale pour la prise de conscience du risque carbone et la nécessité de l’implication de toutes les parties prenantes : Etats mais aussi les entreprises et les investisseurs. Alors que le siège de Donald Trump reste bien entendu vide lors de la conférence de Bonn, l’initiative « We are still in » regroupant près de 1700 entreprises et investisseurs démontre l’opposition face à la décision de la Maison Blanche. Cependant, il reste à espérer que l’ambition sera plus grande que le simple fait de rester dans l’Accord. Le 12 décembre, sous l’initiative d’Emmanuel Macron, le sommet « One Planet Summit » réunira les dirigeants de ce monde pour fêter les 2 ans de l’Accord de Paris. Ce momentum porté par l’ensemble des pays engagés est crucial aujourd’hui. Le retrait des Etats-Unis combiné à une Europe aux prises avec des montées nationalistes et indépendantistes croissantes conduit à un manque de leadership face à l’urgence climatique. La Chine pourrait être le maillon fort mais sur les questions de règles du jeu, de transparence et d’ambitions quantitatives de réductions d’émissions, elle n’est cependant pas la meilleure élève.

Il est d’autant plus important que l’ambition reste élevée car Varsovie sera vraisemblablement un hôte moins engagé lors de la COP 24. La Pologne reste en effet le principal blocage sur la réforme du marché européen du carbone (EU ETS).

La COP 23 fera probablement moins la une que sa 21e édition. Cependant, elle n’en reste pas moins majeure face aux ambitions promises il y a deux ans.

[1] UNEP The emissions gap report

[2] « Waiting Game » – Gollier & Tirole – effective institutions against climate change, April 6 2015


Chaque degré supplémentaire appauvrit les Etats-Unis

Le 20 octobre 2017

On regrette que les États-Unis se soient retirés de l’accord climatique de Paris. Pas uniquement pour le climat, mais aussi pour l’économie américaine.

L’économie américaine est le grand perdant des conventions visant à limiter le réchauffement climatique à 2%, avait affirmé le président américain Donald Trump plus tôt cette année. Lequel s’est ensuite empressé de retirer son pays de l’Accord climatique de Paris. Il s’agit avant tout d’un « non » symbolique mais, à terme, il aura incontestablement des conséquences négatives. Le magazine Science a récemment évalué le coût économique de chaque degré de réchauffement climatique à 1,2% du produit intérieur brut américain.

Des états comme la Californie, New York ou l’Ioha souffrent directement des conséquences des changements climatiques et ont déjà adapté profondément leur fonctionnement et leurs modes de production ont atteint un point de non-retour. Les secteurs économiques sont aujourd’hui avant tout guidés par les progrès technologiques visant une meilleure efficacité énergétique et des gains économiques, et non par les engagements publics de leurs responsables politiques.

Même si l’option que d’autres pays prennent une voie similaire à celle des Etats-Unis ne peut être totalement exclue, le risque reste actuellement limité pour deux raisons :

  • Les réactions directes de l’Europe et surtout de la Chine qui se positionnent comme les deux moteurs de l’implémentation de l’accord de Paris
  • La sortie effective de l’accord qui risque de prendre plusieurs années

Le réchauffement climatique a également d’importantes conséquences humanitaires pour les États-Unis. Voici quelques années, le Pentagone avait déclaré que le changement climatique constituait un danger pour la sécurité nationale. Une grande partie des Américains vivent près des côtes, et un déplacement de population massif vers l’intérieur des terres à la suite d’une élévation du niveau des mers et des océans aurait des répercussions énormes sur l’économie et les structures sociales.

La dénonciation de l’accord climatique n’est sûrement pas une bonne chose, mais la réalité est heureusement plus encourageante que ne le laissent présager les rodomontades du président Trump. La plupart des états américains ne le suivent pas dans leur réglementation, et la realpolitik domine aussi dans le monde des entreprises. Il n’y a guère de nouveaux investissements à long terme dans les carburants fossiles. Les entreprises ont conscience que les futurs présidents pourront aisément annuler les décisions de Donald Trump, et les banques seront plus réticentes à financer de tels investissements.

Si les États-Unis réduisent leurs efforts, d’autres pays ont décidé de changer de braquet. La Chine a ainsi inclus dans son dernier plan quinquennal l’ambition de devenir le leader mondial dans l’innovation en matière d’environnement d’ici à 2020. Le pays compte également ravir aux États-Unis son leadership en matière d’énergie renouvelable.

Révolution industrielle

Le chantier de la transition énergétique, certes d’envergure considérable, n’en est pas moins crucial pour limiter le réchauffement de la terre. Depuis quelques années, nous vivons une révolution industrielle. Et celle-ci impose de porter un regard tout à fait neuf sur les secteurs et d’opter pour les entreprises qui travaillent à des solutions aux défis à venir. Au-delà de l’empreinte carbone des portefeuilles et de la multitude de rapports sur la durabilité, les investisseurs doivent rester pragmatiques dans l’évaluation des risques et des opportunités. Quelles seront, par exemple, les conséquences de l’introduction d’un prix fixe du carbone sur la compétitivité d’une entreprise? Quels sont les risques des stranded assets ou « actifs échoués », c’est-à-dire des réserves de pétrole et de gaz qui, en raison des mesures climatiques, ne pourront plus jamais être exploitées de manière rentable? Ceci ne concerne d’ailleurs pas uniquement les entreprises. Quelques-unes des plus grandes compagnies pétrolières mais aussi de réserves de gaz et pétrole sont entre les mains d’États, pensez au Venezuela et à l’Arabie saoudite.

Chaîne de production

La transition vers une économie durable est un travail titanesque qui crée énormément d’emplois dans le monde. Elle nécessite d’immenses investissements et financements d’infrastructure. Les investisseurs dans l’énergie alternative, qu’il s’agisse d’infrastructures ou de nouveaux produits et services, tout à la fois contribuent à ce bouleversement indispensable et profitent de son potentiel.


Le rôle du régulateur dans la finance responsable : erreur de débat?

Le 27 septembre 2017

Il ne sert plus à rien de le répéter : le monde de la finance responsable et des investissements durables réclame des standards et une harmonisation des concepts et définitions au niveau européen pour une meilleure transparence. L’objectif est surtout d’aider le consommateur final à s’y retrouver et à comparer. Car, finalement, il ne faut pas attendre la création d’un label, quel qu’il soit, pour être soucieux de la transparence de ses produits.

Qu’en est-il du rôle du régulateur dans ce cadre ? Deux observations s’imposent :

  1. Il y a d’une part, l’implication croissante du régulateur européen dans les débats qui fleurissent partout. Cela concerne le difficile exercice d’équilibre entre le besoin de standardisation et d’harmonisation et la réglementation qui ne ferait que rajouter aux lourdeurs administratives et de reporting auxquels nous sommes tous, investisseurs et entreprises, aujourd’hui confrontés au nom de la « transparence ». Les autorités européennes s’impliquent de plus en plus. Dernier exemple en date : l’initiative de la Commission européenne de mettre sur pied le groupe d’experts à haut niveau sur la finance durable (High-Level Expert Group on Sustainable Finance). Dans son rapport intermédiaire, il explique que la finance durable doit financer l’économie réelle. La tâche qui lui incombe est dès lors de traduire sous forme de recommandations à son commanditaire les besoins de réglementation afin que le monde financier joue son rôle dans l’économie de demain. Notamment en termes de transparence et publication, avec l’inclusion du développement durable partie intégrante de l’obligation fiduciaire des investisseurs institutionnels. De cette manière, le monde financier prendra sa responsabilité de contribuer à une économie bas carbone.
  2. D’autre part, l’OCDE continue de publier ses études et analyses pertinentes sur les thèmes communs de l’environnement, la croissance verte, etc. et notamment cette comparaison interpellante entre taxes environnementales et taxes du travail.

Economie à bas carbone : quand la charge fiscale sur l’emploi surpasse celle sur l’environnement

Il s’agit ici de la comparaison de revenus issus des taxes environnementales versus taxes sur le travail en pourcentage du produit intérieur brut.

Nous ne débattrons pas de l’efficacité réelle d’une taxe, une fois encore l’OCDE y répond régulièrement, et ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.

Cependant, la question de savoir si on ne se trompe pas de débat en parlant du rôle du régulateur pour une finance plus durable se pose.

Il est également amusant d’observer le débat sur le besoin des investisseurs d’exclure les entreprises impliquées fortement dans les substances nocives pour être « labélisés » responsables et durables alors que l’opposition de Nicolas Hulot sur la réintroduction du glyphosate, substance nocive, irrite. Exclure les substances nocives, responsabilité des investisseurs pour un monde durable ; à quand l’exclusion des subsides aux mêmes substances pour un cadre régulatoire durable et cohérent ?

Quand les membres de l’OCDE continuent de supporter des activités potentiellement néfastes à l’environnement


Le surendettement planétaire toujours plus tôt

Par Degroof Petercam

Le 2 août 2017

A partir de ce mercredi 2 août, nous vivrons à crédit sur notre planète, c’est-à-dire que nous aurons consommé en à peine 8 mois autant de ressources naturelles que ce que la Terre peut renouveler durant l’année entière.

Le jour du dépassement (« earth overshoot day ») calcule depuis 1986 le jour de l’année à partir duquel nous avons consommé l’ensemble des ressources naturelles produites par la planète pour une année, sur base de plus de 6.000 données essentiellement issues des Nations Unies.

Toujours plus tôt

Depuis le premier calcul par l’ONG Global Footprint Network en 1986, le jour du dépassement n’a eu de cesse d’avancer avec un surendettement toujours plus important.

1986 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2017
1/11 13/10 7/10 25/9 29/8 14/8 9/8 2/8

Nos comportements de consommation mondiale requièrent aujourd’hui l’équivalent des ressources naturelles produites par 1,7 planète par an. Pénuries d’eau et désertification, érosion des sols, amoindrissement de la biodiversité et disparition croissante des espèces : les coûts d’un tel surendettement sont visibles au quotidien.

Move the date

Malgré le fait que cette date ait ralenti depuis 2005 et que les populations soient de plus en plus conscientisées à la problématique des limites des ressources naturelles, Global Footprint Network encourage à déplacer cette date grâce à son action #movethedate. Cependant, les efforts devraient être multipliés par 5 pour avoir un recul de la date de dépassement.

Aujourd’hui, les émissions carbone sont responsables de 60 % de l’empreinte écologique d’un pays. En réduisant par deux les émissions totales, nous pourrions gagner 89 jours et réduire notre surendettement à 1,2 planète. C’est d’ailleurs un des enjeux de l’Accord quasi planétaire de Paris en décembre 2015 qui, malgré le récent retrait des Etats-Unis, continue sa lutte contre le réchauffement climatique, appuyé par des centaines d’Etats, entreprises et partenaires.

Energie et agriculture

L’énergie joue évidemment un rôle important dans la réduction des émissions carbone. La majorité des pays investit massivement dans le renouvelable pour son indépendance énergétique comme par exemple le Costa Rica où près de 100 % de son électricité est produite par du renouvelable. Et plus près de chez nous, le Portugal, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne ont investi pour augmenter leur capacité de production en énergies renouvelables.

Classement des membres de l’OECD sur base de la production électrique provenant de sources renouvelables (exclus. Hydraulique)

Le secteur de l’alimentation et l’agriculture est également un important contributeur de l’empreinte écologique d’un pays (28 %). Favoriser des modes de production alimentaire respectueux des sols et des ressources naturelles, efficaces en énergie et réduire le gaspillage alimentaire permettraient également d’avancer sensiblement le jour du dépassement.

L’investisseur peut aussi changer la donne

Si les entreprises peuvent faire la différence en privilégiant des modes de production et de consommation plus écologiques, l’investisseur a également un rôle important à jouer en axant ses investissements sur des entreprises soucieuses de leur environnement. De nombreuses entreprises visent à développer des solutions pour répondre à ces problématiques notamment dans une technologie plus efficace pour l’énergie et l’eau, ou pour une agriculture plus durable et moins polluante. En favorisant les meilleures pratiques et les innovations en matière d’efficacité environnementale, l’investisseur participe à la transition vers une économie bas carbone tout en continuant à faire croître son patrimoine.


Accord de Paris : Trump s’isole derrière son rideau de carbone

Le 21 juin 2017

La décision de M. Trump de se retirer de l’Accord de Paris est avant tout un non symbolique et relève d’une décision politique voire psychologique plutôt que basée sur un raisonnement valable économique ou scientifique.

Une décision politique

En affirmant haut et fort que les Etats-Unis rejettent l’accord universel de transition énergétique, Donald Trump s’adresse avant tout à la base de ses électeurs c’est à dire une classe moyenne blanche qui avait déserté les urnes électorales, se sentant abandonnée dans des régions américaines touchées massivement par le chômage après notamment la fermeture de mines de charbon. En refusant un accord « qui brise les travailleurs et compromet l’économie américaine » Donald Trump prépare les élections de mi-mandat et veut montrer l’image d’un président de parole face à ses promesses électorales tenues.

Pas de surprise

Si l’annonce a créé une véritable onde de choc à travers la planète, elle n’est pourtant pas surprenante. Depuis son avènement à la maison blanche, le Président n’a fait que défaire ce que son prédécesseur avait tenté de mettre sur pieds. Cependant de manière fragile puisque sans l’appui d’une majorité au Sénat, Barak Obama a procédé essentiellement par voie de décrets et a donc évité le passage devant le Congrès. Il est dès lors rapidement aisé pour son successeur d’annuler les décisions prises par voie similaire.

Et pourtant un engagement peu ambitieux

C’est d’autant plus un non symbolique de la part de Donald Trump que l’engagement pris par les Etats-Unis était peu ambitieux dans l’accord de Paris. Il faut en effet rappeler que l’accord de Paris est avant tout contraignant sur sa demande auprès des signataires d’engagement individuel de réduction des émissions carbone et de rapporter les efforts tous les cinq ans sur la poursuite de l’objectif. Cependant, depuis son investiture, Donald Trump a déjà quitté dans les faits l’accord de Paris en supprimant le Clean Power Plan ou en ré-ouvrant quelques mines à charbon et en relançant le très controversé pipeline de Keystone. L’objectif à atteindre était peu ambitieux. En effet, les Etats-Unis se sont engagés à réduire leurs émissions entre 26-28% d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2005. Alors que la plupart des pays, l’Union Européenne première, se réfère à une base de 1990, les Etats-Unis ont défini leur objectif sur une base plus tardive et donc plus faible et plus favorable. Pour une comparaison valable et à même échelle, les Etats-Unis, second pays le plus émetteur et première puissance économique disposant des ressources financières, R&D et humaines pour le développement de transition énergétique, se sont engagés sur une diminution de 10% alors que l’Union Européenne de 40%. Difficile alors de convaincre les autres pays ne disposant pas des mêmes moyens de faire davantage d’efforts de réduction.

Make our planet great again

Après l’annonce de M. Bush de ne pas ratifier le Protocole de Kyoto, plusieurs pays ont songé à le rejoindre notamment le Japon ou le Canada qui s’est ensuite retiré. L’annonce de M. Trump quant à elle a plutôt suscité un tollé général et au contraire un renforcement de la détermination des dirigeants du monde et de la sphère privée.

Face au méchant, la France et son fraîchement élu Président endosse le rôle du gentil et se positionne en leader sur la question environnementale et climatique. En modifiant le slogan électoral de Donald Trump, M. Macron n’hésite pas à faire de la France le moteur de l’engagement européen, même si les efforts de la France sur la question ont été jusqu’ici dans les faits bien inférieurs aux efforts de son homologue Angela Merkel.

Cependant, l’annonce hautement médiatique du président américain est une aubaine pour l’Europe et la Chine d’ailleurs en plein sommet au même moment. Depuis le Protocole de Kyoto que la Chine avait refusé de soutenir, cette dernière a vu son essor économique doubler mais au prix d’une pollution que sa population aujourd’hui, particulièrement la classe moyenne émergente du développement économique refuse violemment. La Chine – comme l’Inde et l’Europe – a une densité démographique et une raréfaction des ressources qui la rendent lucide de l’enjeu du changement climatique contrairement à un pays comme les Etats-Unis, avec une densité démographique nettement inférieure et des ressources d’énergie fossile encore importantes. Si certains états souffrent fortement du changement climatique – la Californie en premier exemple – il reste certains américains peu conscients des limites réels de la planète.

Cependant, il faut être aussi équitable et rappeler que derrière ces prises de position des fervents défenseurs du climat, les pays du G7 continuent à subventionner massivement l’énergie fossile, malgré leurs engagements de transition d’économie bas carbone.

Une excuse économique qui met en péril ce même essor économique

« L’accord est un boulet aux pieds des Etats-Unis » invoque Donald Trump qui a bâti toute sa campagne électorale sur la création d’emploi et surtout la fin d’une réglementation excessive destructrice d’emplois. Or l’administration d’Obama ce sont 11,3 millions d’emplois créés notamment dans les secteurs des énergies renouvelables où la progression d’emploi est supérieure à tout autre secteur. A titre de comparaison avec 50.000 emplois créés dans les mines de charbon. Si Donald Trump a remis sur les rails de l’emploi plusieurs chômeurs de longue durée qui ont fait sa base électorale, en s’isolant de la sorte de l’accord universel, il prend également le risque que les Etats-Unis ne profitent pas de l’essor économique nécessaire à la réalisation de la transition vers une économie à bas carbone. Cette transition est un chantier gigantesque et planétaire créatrice d’emplois et nécessitant des infrastructures et des financements énormes, qui peuvent être profitables à plusieurs secteurs et économies.

Un Président toujours plus isolé

L’accord de Paris est une victoire face à l’échec du Protocole de Kyoto ; protocole que l’administration de M. Bush avait refusé de ratifier en évoquant que « le mode de vie des américains n’était pas négociable ». Cependant 20 ans plus tard, la conscientisation du défi du changement climatique n’a cessé de croitre et est incomparable avec l’époque de Bush. Y compris dans la sphère privée et la sphère financière. Dès lors, si M. Trump veut encourager la création d’emplois notamment en levant les obstacles régulatoires imposés au secteur de l’énergie fossile et du charbon, les entrepreneurs du secteur devront convaincre les banques et autres créditeurs d’investir dans une économie en déclin et sujette à un risque juridique croissant.

En effet, il est intéressant d’entendre la comparaison historique possible entre l’industrie du tabac et l’industrie d’énergie fossile. Nombreux sont les citoyens américains qui se sont retournés contre l’industrie du tabac mais surtout des états pour faute de négligence de ne pas avoir réglementé sur un secteur économique néfaste à leur santé. De plus en plus vient l’idée que pareil recours aux procès pourrait émerger. Les derniers sondages montraient en effet que plus de 65% des adultes américains étaient favorables au maintien de leur pays dans l’accord historique.

30 états vont poursuivre l’Accord de Paris et puisque le virage vers une énergie bas carbone est déjà pris par un grand nombre d’entreprises, c’est finalement deux tiers des structures américaines qui poursuivront les efforts et augmentent dès lors les tensions entre la Maison Blanche et les Etats.

Même les pétrolières majeures comme Exxon, ont non seulement investi massivement en énergies renouvelables ces dernières années mais n’ont pas soutenu leur Président dans son rejet. En effet, les dirigeants des entreprises craignent de plus en plus les représailles des citoyens américains faisant appel aux instances juridiques du pays pour accuser l’Etat de contribuer à la vulnérabilité du pays face au changement climatique.

Jusqu’ici le Président a certes tenu ses promesses mais s’est attaqué à la partie la plus facile (les décrets et autres). Ses autres décisions vont être de plus en plus confrontées aux vents contraires de ses coriaces adversaires et opposants alors que la procédure de leur implémentation sera déjà plus complexe.


Turquie : le référendum confirme les craintes

Le 17 mai 2017

Les résultats sont là : Erdogan a convaincu une faible majorité (51,4 %) de son peuple pour la modification de 72 articles de la Constitution turque et renforce ainsi son pouvoir centralisateur. Le Président turc s’octroie donc la possibilité d’étendre à deux mandats supplémentaires son règne et rejoindre les patriarches de long règne des régimes autoritaires comme l’Algérie, le Tchad, le Cameroun ou l’Angola.

Déclin constant des droits civils et libertés

Les résultats du scrutin sont largement contestés pour cause de manipulation et manque de libertés d’expression et confirment le déclin constant ces dernières années des droits et libertés du peuple turc. Selon les ONG réputées en la matière, en particulier Freedom House, le pays enregistre le déclin le plus important des libertés individuelles et droits politiques. L’indice de démocratie, publié par The Economist Intelligence Unit, confirme également cette détérioration des droits depuis le coup d’Etat manqué de son leader le 15 juillet dernier.

L’ONG Freedom House qui travaille avec une centaine d’experts en démocratie et droits de l’homme, compare les pays d’Europe de l’Ouest avec la Turquie, où celle-ci affiche le score le plus bas. Si la Turquie est encore classée partiellement libre au niveau des libertés civiles et droits politiques, la liberté de la presse y est absente depuis plusieurs années. Elle a d’ailleurs perdu sa désignation de démocratie électorale et a reçu lors du dernier classement de l’ONG une tendance négative, ce qui pourrait mener à un abaissement de sa notation démocratique.

La détérioration démocratique en Turquie a été progressive au cours des dernières années. Le pays enregistre d’ailleurs, après la République Centrale d’Afrique, la baisse la plus importante des dix dernières années. En termes de libertés, elle se classe entre la République du Kirghizstan et Madagascar.

Une dette liquide et attrayante

Ce recul constant du respect des valeurs démocratiques est capital dans l’évaluation de l’investissement en Turquie. Conscients du risque relativement élevé, la dette souveraine du pays est souvent appréciée par les investisseurs pour sa liquidité et sa rentabilité et représente près de 8% des indices principaux de la dette souveraine en devise locale. Pour estimer son attractivité, la dette turque est souvent comparée avec l’Afrique du Sud, qui bien qu’elle présente peu de points communs avec la Turquie, offre un profil de liquidité et de rendement similaires pour un risque global comparable.

Un rendement insuffisant face à son profil de durabilité

La Turquie se distingue de l’Afrique du Sud sur une série d’indicateurs de durabilité, notamment en matière de population, répartition des richesses et soins de santé et sur les principaux indicateurs économiques. En effet, l’inégalité sociale y est moindre, la prévention en matière de santé, principalement pour les enfants y est plus grande et se traduit d’ailleurs en une mortalité infantile moindre et une espérance de vie plus longue.

Comparaison entre l’Afrique du Sud et la Turquie selon les 5 piliers de durabilité

Cependant, au cœur de notre modèle de durabilité des pays, se trouve la transparence et les valeurs démocratiques où le pays affiche un score nettement inférieur et parmi les plus bas de l’univers des 87 pays émergents.

Transparence et valeurs démocratiques

Si la dette est théoriquement éligible à l’investissement puisque le pays n’est pas (encore) considéré comme non-libre à l’instar de la Russie ou de la Chine, notre stratégie d’investissement en dettes émergentes locales s’est toujours tenue éloignée de la dette turque.

Les derniers évènements confirment nos craintes et ne laissent pas présager d’un investissement dans un avenir proche.


Entrée en bourse de Snapchat : l’innovation technologique au sacrifice de la démocratie (Partie 2)

Le 3 avril 2017

Pour les sociétés cotées, les actionnaires, via les assemblées générales, ont le droit de nommer et révoquer le conseil d’administration de la société, en charge de la stratégie et de l’implémentation de celle-ci par le comité de direction.

Le conseil d’administration pour assurer l’équilibre de pouvoirs

Quand l’actionnaire ne peut pas s’exprimer, la composition et la qualité du conseil d’administration de l’entreprise sont primordiales pour s’assurer de la mise en place d’un contre-pouvoir vis-à-vis de l’exécutif.

Le conseil d’administration de Snapchat est composé aujourd’hui de 9 administrateurs dont 7 sont considérés indépendants. Si la question d’indépendance est sensible puisque le mandat de ses administrateurs est entièrement dépendant des droits de vote aux mains des deux co-fondateurs, la qualification de ceux-ci peut également soulever quelques questions. A priori, un seul administrateur serait reconnu comme ayant une expérience dans l’industrie et deux pour leur profil financier. Selon les publications de l’entreprise, aucune expertise sur la question des risques de sécurité cyber ne serait présente au conseil. Or, le défi de la protection des données personnelles est un enjeu clé pour le secteur, particulièrement depuis que Snap veut développer davantage le stockage des données.

Snapchat a construit son succès sur l’absence d’utilisation de données personnelles à l’insu des utilisateurs contrairement à ses concurrents Facebook ou Twitter puisque son modèle de business repose sur la destruction quasi instantanée des informations après vision. Cependant, afin de faire croitre la rentabilité de l’entreprise, ses fondateurs réfléchissent à de nouveaux développements qui permettraient une plus grande rémunération du système. Dans une mise à jour de ses contrats « Terms of Services » en Octobre 2015, Snapchat s’autorise les droits de reproduire, modifier, republier et sauvegarder des photos d’utilisateurs posés en « live story ». Cette révision des conditions d’utilisation a déjà créé une vague de plaintes d’utilisateurs, du moins ceux attentifs aux conditions et utilisations des applis qu’ils utilisent.

La présence d’une qualification d’expert de protection des données et cyber sécurité au sein du conseil d’administration est particulièrement avisée alors que Snap opère dans des marchés où le risque réglementaire en matière de protection des données personnelles est croissant. Aux Etats-Unis, qui représentent près de 88% des revenus de la société, la nouvelle administration présidentielle a évoqué le souhait de permettre aux agences gouvernementales d’avoir accès, au nom sacrosaint de la sécurité nationale, aux données des utilisateurs d’entreprises technologique.

Dans l’Union Européenne, qui comptent 33% des utilisateurs de Snap, le Règlement Général sur la Protection des Données, dont l’implémentation est prévue premier semestre 2018, pose également quelques défis pour les entreprises technologiques disposant de données sur les citoyens de l’UE. Ces dernières devront répondre à des exigences croissantes en matière de contrôles et de sécurité des données privées de leurs utilisateurs.

Conflit d’intérêts

Au-delà du déséquilibre des pouvoirs et contre-pouvoirs au cœur des bonnes pratiques de gouvernance, il y a lieu également de souligner les éventuels conflits d’intérêt entre l’entreprise et ses fondateurs.

S’il s’agit de pratiques relativement courantes dans le lancement des start-ups, il faut noter l’existence de prêts de l’entreprise à ses deux co-fondateurs. Les deux prêts contractés en août 2014 et février 2016 ont été cependant entièrement remboursés en septembre 2016.

Enfin, l’entreprise repose sur les conseils juridiques du cabinet dans lequel le père d’un des fondateurs est employé. A l’heure où les relations famille/travail font couler beaucoup d’encre…

Indéniablement, l’IPO de Snap ne répond pas à plusieurs bonnes pratiques en matière de gouvernance : indépendance et expertise du conseil d’administration, efficacité des contrôles internes, contre-pouvoir des actionnaires tout puissants, etc.

Si le statut de start-up explique l’immaturité des structures et une hiérarchie assez plate avec deux fondateurs puissants au sommet, assez typique de ce type d’entreprise à son stade de développement et son secteur d’activités, il reste difficilement justifiable la totale privation pour l’actionnaire minoritaire de son droit démocratique.

Snapchat est aussi clairement le type de business à succès pour les années à venir. Reste à voir comment celui-ci arrivera à concilier la flexibilité essentiel pour la dynamique de son modèle de business tout en respectant les principes de bonne gouvernance de plus en plus exigés par les investisseurs et la société civile pour l’intégrité de l’entreprise et la légitimité de sa licence d’opérer.


Entrée en bourse de Snapchat : l’innovation technologique au sacrifice de la démocratie (Partie 1)

Le 21 mars 2017

L’absence totale de droit de vote attachée aux actions proposées au public par la maison mère Snap est à l’encontre du principe « une action, un dividende, un vote » et soulève la colère des investisseurs institutionnels fervents défenseurs de ce principe reconnu de bonne gouvernance. Le seul droit accordé aux actionnaires est donc celui de se taire. De plus, leur droit à l’information sera assez restreint puisque la société peut faire exemption légale, de par sa structure, à certains requis informatifs essentiels pour les investisseurs professionnels. En d’autres termes, les co-fondateurs, certes aussi les créateurs géniaux de l’appli à succès, se confèrent un pouvoir absolu qu’en regardant de près, peu contestable et peu contrebalancé par les instances de contrôle traditionnelles.

Si vous êtes de la génération X, vous êtes probablement peu familier avec l’application Snapchat. Et pourtant, Snapchat ce sont 10 milliards de vues de vidéo par jour ! C’est l’application de la génération Z appelée aussi la « génération SnapChat ».

Les générations Y (Millenials entre 19 et 35 ans) et Z (Centenials entre 0 et 18 ans) représentent 59% de la population mondiale. Dans les pays développés, ils représentent 90% de la pénétration de marché des réseaux sociaux et des smartphones. Pas étonnant dès lors que les deux fondateurs de la maison-mère Snap voient grand pour le développement de leur application et décident le 2 mars dernier de faire appel à des capitaux publics.

Si les experts démographiques s’accordent à dire que les générations Y et Z sont caractérisées par une plus grande tolérance et par des valeurs d’égalité et d’équité non négociables, il n’en reste pas moins que l’entrée en bourse de la start-up innovatrice soulève un grand débat sur le respect de la démocratie actionnariale.

En effet, la structure actionnariale de l’entreprise repose sur trois types de classes d’actions :

  1. Actions de type A proposées à l’actionnariat public qui ne présentent aucun droit de vote attaché
  2. Actions de type B proposées aux fondateurs et aux ingénieurs et autres développeurs clés à l’initiation de l’appli. Un droit de vote est attaché par action.
  3. Actions de type C détenues par les deux co-fondateurs auxquelles sont attachés 25 droits de vote par action.

Pas de droit de vote, quelles conséquences ?

Pour les sociétés cotées, les actionnaires, via les assemblées générales, ont le droit de nommer et révoquer le conseil d’administration de la société, en charge de la stratégie et de l’implémentation de celle-ci par le comité de direction.

En supprimant ce droit, la démocratie actionnariale est piétinée puisque les actionnaires n’ont aucun mot à dire sur la composition du conseil d’administration et ne sont pas autorisés à déposer des résolutions d’actionnaires sur toutes autres préoccupations qu’ils pourraient avoir. En d’autres termes, ils n’ont rien à dire.

De plus, Snap échappe à l’obligation aux Etats-Unis du « Say on pay » et il n’y a donc aucun requis d’information sur la politique de rémunération des dirigeants.

Les deux co-fondateurs gardent le pouvoir absolu en détenant 89% des droits de vote sur leur entreprise, qui reste dès lors une entité privée. Les co-fondateurs ont donc tout pouvoir sur l’élection, la résignation et le remplacement des administrateurs, les décisions de fusions et acquisitions, augmentation de capital, consolidation, vente partielle ou complète des actifs de l’entreprise.

De plus, l’entreprise n’a publié aucune information sur un plan de succession possible dans le cas de l’absence d’un co-fondateur. Aujourd’hui, en cas de fin de contrat d’un co-fondateur, ce dernier garde sa capacité d’exercer son contrôle sur l’entreprise. En cas d’incapacité ou décès de l’un des co-fondateurs, le deuxième détient l’ensemble des droits de vote.

De plus, la société étant qualifiée de « emerging growth company » par la loi américaine « JOBS Act » de 2012, elle est exemptée de contrôle interne des reporting financiers audités et n’a pas d’obligations à donner des guidances financières trimestrielles ou annuelles. C’est également un point non négligeable pour les investisseurs. D’une part, les investisseurs ne disposeront que de très peu d’informations publiques sur l’entreprise, tout au plus ce que celle-ci voudra bien publier. D’autre part, les audits internes sont également des instruments de contrôle indépendants de la direction. A ce titre, il est intéressant de noter qu’en 2014 l’auditeur externe PwC avait identifié plusieurs faiblesses dans le contrôle interne de Snap notamment le manque de personnel comptable qualifié. Le conseil d’administration a décidé de remplacer PwC par le cabinet d’audit E&Y en avril 2016. La raison de la révocation n’a pas été publiée.

Pouvoir absolu pour les fondateurs : Snapchat innove

L’émission de différentes classes d’actions n’est pas une première en soi. Par exemple, la loi Florange en France permet à l’investisseur long terme (détention minimum de deux ans) d’obtenir un droit de vote double sur les actions détenues.

Il est même assez courant que les fondateurs d’entreprises technologiques veuillent maintenir le contrôle sur leur petit bijou. Ainsi Facebook et Google avaient également émis des classes d’actions multiples lors de leur introduction en bourse. Cependant, elles avaient accordé un droit de vote aux actions publiques. Snapchat innove en supprimant purement et simplement tout droit de vote aux actionnaires.

Lors de la clôture de l’IPO, le CEO et co-fondateur Evan Spiegel a également reçu des actions préférentielles représentant près de 3% des actions émises lors de la clôture de l’offre. Ces actions préférentielles sont converties immédiatement en unités d’actions subalternes aux classes d’actions C et seront versées par tranche trimestrielle au CEO sur les trois prochaines années. Cette compensation du CEO est estimée à 624 millions de dollars. Sans jugement de valeur matérielle de la conception d’une appli telle que Snapchat mais pour mettre les données en perspective, l’entreprise a déjà enregistré un coût potentiel de 551 millions de dollars dans son prospectus vis-à-vis de cette compensation. En 2016, Snap enregistrait une perte de 514 millions de dollars.

Primordiale dans le secteur opérationnel de Snapchat est l’attraction et la rétention des ingénieurs et développeurs du plus haut niveau afin de maintenir l’entreprise au top en matière d’innovation technologique. Les co-fondateurs l’ont bien compris en intéressant le personnel clé dans le capital de l’entreprise et en accordant des bonus et autres incitants réguliers aux exécutifs.

Cependant, la présence du CEO dans les comités de rémunération est à nouveau contraire aux bonnes pratiques d’indépendances du comité et renforce le contrôle total des fondateurs dans l’entreprise.

A suivre…


De plus en plus d’éthique : voulue ou forcée ?

Le 2 février 2017

Si l’environnement et, en particulier, le changement climatique domineront les débats en 2017, l’éthique des affaires prend de plus en plus d’importance. D’une part, la réglementation va dans ce sens que ce soit la réglementation proactive ou les jugements post-évènements. D’autre part, la société civile et les investisseurs sont de plus en plus attentifs puisque l’éthique des affaires peut affecter les actionnaires et l’inégalité globale.

En effet, l’éthique des affaires peut être mise à mal dans trois domaines principaux : la corruption, l’optimisation fiscale agressive et le comportement anti-concurrentiel.

La corruption conduit à une réaffectation des fonds destinés à l’origine au secteur public vers une élite aux revenus supérieurs. Avec comme résultat que les institutions publiques sont dès lors sous-financées et dysfonctionnent. La valeur actionnariale est également affectée suite aux coûts des litiges potentiels, la perte de contrats et le risque réputationnel.

L’optimisation fiscale poussée à l’extrême conduit également à des baisses de recettes fiscales pour l’Etat qui peuvent mettre en péril le financement des services fondamentaux. A nouveau, les institutions publiques sont dès lors sous-financées et dysfonctionnent.

Enfin, les pratiques d’entente de fixation de prix ou abus de position dominante peuvent affecter la redistribution des biens, des niveaux de revenus les plus bas vers les plus hauts notamment du fait de l’inflation directe des rémunérations exécutives. Les actionnaires courent également le risque de coût de litiges et de réputation dans un environnement réglementaire de plus en plus sévère.

Enfin, quand la génération dite des « millénials » représente 59% de la population mondiale et que 88% de celle-ci vit dans les marchés émergents, il faut rester attentif à leur comportement de consommation mais surtout aux enjeux d’éducation, d’emploi et d’innovation, clés du succès de l’intégration et la prospérité de cette génération en quête de sens.


Quelles Perspectives en 2017 pour les investissements relatifs au changement climatique?

Le 24 janvier 2017

Le changement climatique restera indéniablement le sujet majeur pour 2017 et ses thèmes liés tels que l’économie bas carbone ou les émissions vertes. En effet, le climat était au cœur des évènements observés en 2016.

La crise des migrants à laquelle doit faire face la majorité des pays européens est au cœur des débats politiques en Allemagne, en Turquie et autres, et est avant tout liée au climat. La Syrie a été victime d’une sécheresse dévastatrice entre 2006 et 2011 menant à l’abandon de nombreux villages par les familles syriennes du côté d’Alep et les villes du pays. Quelque 60% des terres agricoles de Syrie ont été affectées par les sécheresses des dernières années. Plusieurs provinces de Turquie sont également touchées tout comme l’Irak qui compte également d’importants migrants environnementaux.

L’environnement est une dimension de fragilité, terreau pour la montée en puissance de la violence, de l’instabilité politique et sociale et des mouvements extrémistes.

Si le Brexit n’a pas impacté véritablement l’engagement de l’Europe envers l’Accord de Paris, les discussions qui vont suivre sur la poursuite des relations UE et Grande Bretagne vont s’éloigner de sujets plus alarmants et plus urgents comme le changement climatique. Grand absent de l’Accord de Paris, le prix carbone où l’UE a un rôle pionnier à jouer afin de mener les négociations climatiques. En se concentrant sur d’autres problématiques, le Brexit met en danger l’outil clé de l’UE que sont les ETS (emissions trading scheme).

Enfin les élections américaines ont été une véritable surprise. Trump jette un froid sur l’accord de Paris et pourtant la crainte de son arrivée au pouvoir aura sans doute eu pour effet l’accélération de la ratification de l’Accord. Son discours pro-énergie fossile et ses récentes nominations à des postes clés tel que le CEO Rex Tillerson d’Exxon Mobil comme Secrétaire d’Etat, l’ancien gouverneur texan Rick Perry comme Secrétaire de l’Energie ou encore le Procureur Général d’Oklahoma Scott Pruitt à la tête de l’agence de l’énergie (EPA) font froid dans le dos. Ce dernier s’est opposé fortement aux programmes de l’EPA et en particulier le Clean Power Plan. Originaire du troisième état le plus important en gaz naturel des Etats-Unis, le secteur du gaz et pétrole peut être assuré d’une politique accommodante pour les années à venir.

Cependant l’objectif premier du futur président est l’emploi aux Etats-Unis. Sachant que le nombre d’emplois dans l’énergie solaire surpasse celui du charbon aux Etats-Unis, il est probable que le secteur du renouvelable ne soit pas trop mis à mal. En effet, ce dernier connait une création d’emploi à double chiffre ces dernières années, même supérieure à 20% clairement au-dessus de l’industrie pétrolière et gazière. L’industrie des renouvelables a considérablement amélioré son ratio coût/efficacité de sorte que l’argument de non-rentabilité n’est plus valable aujourd’hui. De plus, les politiques environnementales et l’implémentation des standards définis par l’EPA ressortent régulièrement de l’autorité des entités fédérées. C’est-à-dire les Etats qui peuvent aller plus loin dans leurs exigences comme par exemple la Californie ou le Nord qui ont adopté des programmes d’échange carbone. La réglementation et les forces de marché ont donc conduit une large majorité des entreprises à adapter leurs investissements et désinvestissements vers une économie à bas carbone et une marche arrière semblerait bien complexe.

Cependant comme pour l’ensemble du programme de Donald Trump, l’incertitude et l’ignorance règnent.

La ratification plus rapide qu’attendue de l’Accord de Paris démontre l’engagement croissant des nations et entreprises à l’échelon international. Le changement climatique est la priorité de la majorité d’entre eux qui, si non convaincue de l’urgence de l’action et de l’obligation morale qui peut en découler, voit l’opportunité de développement et le gain économique d’une production bas carbone et plus efficace énergétiquement. La Chine, en premier, qui reprend le flambeau délaissé par les Etats-Unis et l’UE cernés par d’autres préoccupations car bien consciente de l’enjeu d’apaisement social autour de la question de la pollution. Le smog régnant ces derniers jours sur la capitale et le nord du pays dicte sa dictature sur les transports et l’économie et conduit de plus en plus les Chinois à s’interroger sur leur futur réel.

Même la prestigieuse Agence Internationale de l’Energie (AIE) reconnait dorénavant que l’Accord de Paris est sans précédent et exige de véritables transformations dans le secteur énergétique avec un changement radical du rythme de décarbonation et d’efficacité énergétique. Et ainsi, une réaffectation majeure des capitaux s’impose.

Dans son dernier outlook mondial 2016 (World Energy Outlook), elle intègre son scénario 450 reposant sur 50% de chance d’atteindre l’objectif 2 dégrés de l’Accord de Paris ; perspective dorénavant intégrée dans son champ des possibles.

Même s’il était opportun de considérer un scénario plus ambitieux reposant sur un taux de réussite supérieur à 50%, ce nouveau scénario démontre la révolution opérée et ouvre la voie aux renouvelables pour une extension aux secteurs industriels, du bâtiment et des transports.


Durabilité : les Etats-Unis, des faiblesses connues…

Le 26 décembre 2016

L’analyse de durabilité des pays a pris tout son sens lors de la crise des souverains de la zone euro et a démontré l’importance de regarder les enjeux de durabilité au niveau des Etats afin d’anticiper leur capacité à rembourser leurs dettes et non leur capacité à accroître leur endettement. Le modèle repose sur les 5 grands piliers de durabilité – à savoir la transparence et les valeurs démocratiques (1), la population, les soins de santé et la distribution des richesses (2), l’environnement (3), l’éducation/innovation (4) et l’économie (5).

Tenant compte de différents facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, les Etats-Unis se positionnent sous la moyenne de l’OCDE.

La faible durabilité s’explique essentiellement par des critères environnementaux et sociaux.

D’une part, l’utilisation du charbon reste importante aux Etats-Unis. Source d’énergie peu coûteuse, elle est fortement émettrice de gaz à effet de serre. D’autre part, l’énergie renouvelable reste en-dessous de la moyenne observée dans le mix énergétique du pays.

Du côté social, l’inégalité des classes est connue aux Etats-Unis et le coefficient GINI qui mesure celle-ci, en partie, le démontre.. L’importance de la population carcérale pèse également dans la balance. L’obésité généralisée est une problématique à moyen et long terme pour la population qui encourt un risque de santé important et des conséquences financières liées importantes

Si de manière générale les Etats-Unis affichent un score satisfaisant en matière de démocratie et libertés, sa non-reconnaissance de la Cour Internationale de Justice ou de la Convention d’Ottawa sur les mines anti-personnelles est à regretter. Tout comme la peine de mort non abolie dans certains Etats.

… des forces trop peu nombreuses

Un domaine où clairement les Etats-Unis ont l’avantage est l’innovation. Que ce soit en dépenses en R&D ou en brevets enregistrés, les Etats-Unis restent leaders en la matière.

L’innovation est un enjeu clé pour les pays développés et les Etats-Unis l’ont bien compris. Le taux d’emploi de l’immigration est également supérieur à plusieurs Etats membres, notamment la Belgique et s’explique en partie par la volonté américaine d’une immigration qualifiée. Le taux de qualification de l’immigration américaine et canadienne est nettement supérieur à celle auquel fait face l’Europe. En effet, les deux tiers des migrants accueillis par les Etats-Unis et le Canada sont diplômés du tertiaire soit près du double de celui observé en Europe.

Peu d’amélioration à prévoir

Les déclarations de Donald Trump ne présagent pas d’un retournement de la situation, au contraire. En effet, s’il apparait assez clairement que Trump ne sortira pas officiellement de l’accord de Paris, signé par son prédécesseur, il n’en reste pas moins vrai qu’il mettra peu en œuvre pour atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre, engagés dans l’Accord. Ses déclarations durant la campagne soutiennent les énergies fossiles notamment l’augmentation de la production de charbon, la révision de l’exploitation du pipeline pétrolier Keystone XL, l’exploitation du gaz et pétrole en Alaska et dans le golfe du Mexique.

Bien que le plan « America First Energy Plan » de Trump rejette l’importance du changement climatique, plusieurs études montrent que la vulnérabilité du pays face à celui-ci n’est pas des moindres : notamment selon l’indice ND-GAIN, la vulnérabilité américaine est plus importante que la moyenne de l’OCDE.

L’engagement de baisser les taxes des entreprises de 35 à 20% est plutôt positif sur la transparence fiscale des entreprises américaines, qui n’auront plus d’intérêt à taxer leurs revenus dans les pays à fiscalité plus avantageuse. Il est difficile aujourd’hui de juger si le rapatriement des revenus aux Etats-Unis compensera la diminution des recettes fiscales. De même la croissance de l’emploi, objectif premier du programme Trump permettra-t-il également de compenser le bilan ? Car, si sur le court-terme, ce type de mesures est appréciable, il peut poser un risque sur le moyen terme pour le financement des politiques publiques. Si la mesure ne s’accompagne pas d’une réelle croissance économique, les secteurs de l’éducation et de la santé seront en première ligne des restrictions budgétaires d’une économie américaine, déjà fortement endettée. Une amélioration du score américain sur ces deux piliers de durabilité est donc difficile à présager.


Trump jette un froid sur la lutte contre le réchauffement climatique

Le 22 novembre 2016

C’est durant le 22e Sommet Onusien sur le Changement Climatique (COP 22) qui se tient actuellement à Marrakech que tombe l’annonce de la victoire de Donal Trump à la course à la maison blanche.

Si les craintes du Brexit pour la ratification de l’accord de Paris se sont vite dissipées, c’est ici un nouvel obstacle qui s’annonce pour le succès de l’accord dorénavant en vigueur.

En effet, fort de ses effets d’annonce, Trump a régulièrement commenté son opinion sur le changement climatique, notamment en proclamant le réchauffement climatique comme concept inventé par et pour les Chinois afin de nuire à la compétitivité de l’industrie américaine.

Les Etats-Unis représentent 16.4% des émissions globales et ont un rôle majeur à jouer dans le réchauffement climatique et la qualité de l’air. De plus, comme dans toute négociation internationale, les Etats-Unis sont un interlocuteur majeur dans les négociations sur les politiques climatiques.

Le résultat des élections américaines est donc de taille pour l’implémentation de l’Accord de Paris.

L’accord de Paris est entré en vigueur le 4 novembre dernier, suite à la ratification d’au moins 55 parties et la représentation de 55% des émissions globales. La conférence COP 22 qui se tenait au Maroc jusqu’au 18 novembre a pour but principal de définir l’implémentation de l’accord de Paris. Il convient en effet de définir le cadre de mesure et d’implémentation des différents plans climatiques de chacune des parties, difficilement comparables en l’état actuel, avant 2020. La ratification par un pays entraine que ses contributions nationales déterminées “intentionnelles” deviennent l’objectif et ne soient plus “intentionnelles”.

L’organisation du pouvoir américain laisse une certaine place au pouvoir et contre-pouvoir avec le Congrès et la Chambre des Représentants et rassure un peu sur le fait que Donald Trump n’est pas seul à bord.

S’il a déclaré que les Etats-Unis sortiraient de l’accord de Paris, la mise en pratique ne sera pas évidente. En effet, pour sortir de la ratification de l’accord, le pays doit introduire un préavis de 3 ans, qui sera effectif l’année suivante, un total dès lors de quatre années. En d’autres termes, si Trump introduisait son préavis le premier jour de sa présidence (20 janvier 2017), les Etats-Unis resteraient liés à l’accord jusque janvier 2021 c’est à dire dans la période de réduction des émissions (2020-2030) et après les prochaines élections présidentielles. Le risque est donc limité. Cependant, techniquement Trump peut également décider de sortir les Etats-Unis de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) où le délai de préavis n’est que d’un an, ce qui lui permettrait de se libérer de toutes les obligations liées à la CCNUCC y compris l’accord de Paris. Il va sans dire qu’une telle démarche serait fortement critiquée pour la diplomatie internationale.

Au-delà du retrait de l’Accord de Paris, Donald Trump défend un marché de l’énergie dérégulé, une énergie bon marché pour le consommateur et les industries américaines, et l’indépendance énergétique des Etats-Unis. Son soutien aux énergies fossiles est explicite et les énergies renouvelables, à moins qu’elles soient concurrentielles économiquement parlant, vont être négativement impactées.

Trump ambitionne d’augmenter la production de charbon, de revoir l’exploitation du pipeline pétrolier Keystone XL ainsi que l’exploitation de gaz et pétrole en Alaska et dans le golfe du Mexique.

Ce serait bien entendu une marche arrière substantielle bien malheureuse après les nombreux progrès enregistrés par Obama en la matière. En effet, alors que les Etats-Unis étaient en queue de peloton en matière de changement climatique, les deux mandats d’Obama ont permis l’adoption de plusieurs plans environnementaux majeurs tels que le Clean Power Plan, Climate Action Plan, Clean Water Rule ou encore l’accord bilatéral sur le climat avec la Chine qui a permis le succès de la COP 21.

La nomination du 9e siège vacant à la Cour Suprême pourrait être déterminant dans les plans de Donald Trump. En effet, la Cour Suprême détient le pouvoir de bloquer les lois adoptées par le Congrès jugées non constitutionnelles. Le candidat proposé par Obama n’avait pas été retenu faute de la proximité des élections. A voir si Trump parviendra à placer un de ses poulains.

Enfin, l’implémentation de l’accord de Paris requiert un financement important. L’annonce de Trump d’arrêter les soutiens financiers américains aux programmes des Nations Unies pose dès lors un risque important. Les Etats-Unis ont versé USD 11.6 milliards en R&D pour le climat en 2014; Ils soutiennent pour USD 26.1 milliards les programmes climatiques selon le American Recovery and Reinvestment Act de 2009. Ils ont également fait un dépôt initial de USD 500 millions pour le Green Climate Fund pour lequel ils se sont engagés à verser 3 milliards USD. Si les chiffres peuvent paraître faibles face au PIB du pays, ils sont importants face à l’ampleur des besoins.

La rapidité de ratification de l’Accord de Paris tend à prouver le sérieux de la prise de conscience du problème climatique. 82 parties ayant ratifié l’accord discutent actuellement ses modalités d’implémentation. La victoire de Trump jette indéniablement un sacré froid pour la lutte contre le réchauffement climatique. A espérer que ses effets d’annonce resteront du vent.


Faut-il avoir peur d’une notation ESG de sa sicav ?

Le 26 octobre 2016

« Au secours mon fonds va être noté ESG ! ». Petite révolution au sein du monde des fonds de placement et sicav il y a quelques mois à l’annonce de Morningstar et d’une notation ESG des fonds présents dans leurs bases de données.

En effet, sur base de la recherche environnementale, sociale et de gouvernance (ESG) de l’agence de notation extra financière Sustainalytics, Morningstar donne dorénavant une notation ESG aux fonds de sa base de données. Au plus le fonds est considéré de qualité élevée en termes d’environnement, social et de gouvernance, au plus il se voit recevoir de « planètes ».

Cette annonce a créé quelques émotions et réactions vives auprès des gérants d’actifs car cette notation concerne tous les fonds d’investissement hors obligations souveraines, qu’ils aient ou non un objectif d’investissement durable et des critères de sélection ESG au sein de leur processus d’investissement. Nous ne reviendrons pas sur l’absence de définition d’un « investissement socialement responsable ». C’est un autre débat mais la publication d’une notation ESG d’un fonds pourrait sous-entendre un engagement d’amélioration de cette notation, ce qui n’est pas l’objectif de tous.

Cela aurait pu s’arrêter là si quelques jours après cette annonce, le concurrent principal, MSCI ESG Ratings, n’annonçait pas une démarche basée sur la recherche extra-financière ESG de MSCI ESG Ratings.

La course entre concurrents d’être le premier sur une innovation du marché est claire. Mais finalement quel est l’objectif d’une telle démarche, que se cache-t-il derrière cette notation ESG et pourquoi l’industrie la craint-elle ?

Une méthodologie solide et rigoureuse

Qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre fournisseur, les ressources en matière de recherche extra-financière sont solides. En effet, entre 140 et 150 analystes se partagent les différents secteurs et régions afin d’analyser au mieux les entreprises d’un point de vue environnemental, social et de gouvernance. Ils se concentrent sur les enjeux les plus matériels en fonction de leurs secteurs respectifs et émettent une cotation pour chacun des aspects afin de classer les entreprises des plus préparées face aux enjeux ESG au moins préparées. Soit une approche dite du « best-in-class » dans le jargon de l’investissement responsable.

Le processus d’évaluation est établi depuis plusieurs années et suit constamment les progrès enregistrés dans le domaine afin de sélectionner les facteurs les plus pertinents et les plus matériels.

Cependant, nous l’avons déjà mentionné au sein de ce blog, la méthodologie de notation extra financière d’une entreprise et l’approche « best-in-class » comportent plusieurs biais en faveur des plus grandes capitalisations internationales et au détriment des plus petites capitalisations, particulièrement des pays émergents. Ces biais se retrouvent naturellement au sein de la notation agrégée du portefeuille d’investissement.

Mon fonds est noté 3 globes, bien ou peut mieux faire ?

Que la notation soit sous forme d’un nombre de globes attribués (Morningstar) ou d’une cotation entre 0 et 10 (MSCI ESG Ratings), finalement que signifie-t-elle pour l’investisseur ?

Probablement peu de choses. En effet, il s’agit ici d’une moyenne pondérée de notations des titres individuels couverts.

Tout d’abord, comme toute moyenne, un portefeuille peut très bien être investi dans des sociétés à profils extrêmes – soit les pires entreprises en matière d’enjeux ESG et les entreprises modèles en la matière – et obtenir la même moyenne qu’un portefeuille qui ne serait investi dans aucune société du bas de classement ESG mais se contenterait des sociétés à profil raisonnable ESG.

Ensuite, la couverture des instruments sous-jacents joue un rôle important. En effet, seuls les titres couverts par la recherche des agences sont pris en compte et la notation des titres couverts est ramenée au total du portefeuille. En d’autres termes, si vous êtes investis dans un portefeuille comprenant 4 multinationales ayant les ressources de remplir les questionnaires et autres politiques et programmes de la recherche indépendante et 25 petites capitalisations belges et étrangères peu couvertes, la notation de votre investissement sera celle finalement des 4 grandes multinationales et peut être assez élevée. Parallèlement, le portefeuille investi dans quelques moyennes capitalisations, typiquement moins bien cotées, aura une notation plus faible au niveau agrégé du portefeuille en ayant peut être des entreprises innovatrices en matière de durabilité environnementale ou sociale. C’est ainsi que certains portefeuilles investis fortement en pétrolières se sont vus attribuer une meilleure notation que des portefeuilles investis en petites entreprises innovatrices dans des segments particuliers de durabilité.

Il faut également faire attention à la catégorie dans laquelle votre fonds d’investissement est classé. Par exemple, un fonds mondial investi principalement dans les pays développés aura probablement une meilleure notation qu’un fonds également mondial mais davantage exposé aux marchés émergents car il existe une forte corrélation entre le taux de publication et le taux de qualité ESG. Au plus une entreprise publie des informations de type ESG, au plus la qualité ESG est élevée. Il y a ici une tentative de standardisation d’un modèle ESG qui n’est pas toujours adapté à tout portefeuille et toute stratégie. La réduction à un nombre quantitatif (de planètes ou sur une échelle de 1 à 10) et comparatif perd toujours en granularité de l’information et est peu perméable à la diversité des approches d’investissement.

Enfin peut toujours exister également le risque de conflit d’intérêt que les agences de notation extra financière n’oserait pas mal noter les entreprises clientes. Cependant, ce risque est moindre puisque les agences de notation extra financière sont typiquement rémunérées par les sociétés d’investissement qui utilisent leurs recherches dans leurs processus d’investissement. Les entreprises notées ne rémunèrent pas les agences de notation et ont le droit de réponse par rapport à la notation et aux controverses qui leur sont reprochées.

L’attrait de la démarche … plus de transparence et de sensibilisation

Fortement critiquée par les gérants d’actifs qui, en fin de compte « n’avaient rien demandé », la démarche a un double avantage. D’abord, en publiant une notation – qui vaut ce qu’elle vaut – elle suscite l’interrogation sur cette dernière, sa provenance, sa signification, sa raison d’être et amène les investisseurs à davantage s’interroger sur l’intégration des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les décisions d’investissement.

Ensuite, si quelque peu réductrice, l’approche conduit à davantage de transparence qui ne peut qu’être bénéfique à moyen et long-terme pour l’investisseur. Par cette information complémentaire et cette transparence, le mouvement d’investissement responsable, qui vise à intégrer systématiquement les facteurs ESG dans les décisions d’investissement, se généralise à tous les investissements. Il permet une plus grande prise en compte de ces facteurs au sein de la sphère financière et dès lors un plus grand levier d’impact.

C’est aussi le rôle des investisseurs responsables de suggérer des améliorations et d’interroger les agences de notation sur leur processus de cotation afin de promouvoir ensemble une finance responsable et durable pour le moyen et long-terme.


Brexit : quel impact au niveau durabilité ?

Le 26 septembre 2016

Le Brexit a fait couler beaucoup d’encre, avant et après l’annonce du 23 juin dernier.

Même s’il reste de nombreuses incertitudes sur les conséquences mais aussi sur les modalités de sortie – notamment le délai –, nous pouvons toutefois nous interroger au sujet de l’impact potentiel des engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance pris par le pays, et en particulier l’impact sur l’accord de Paris de décembre dernier.

L’engagement vis-à-vis de la Conférence Onusienne sur le Climat (COP 21) à Paris s’est fait au niveau de l’Union Européenne.

Au-delà de l’objectif 2020[1], l’UE a défini son objectif 2030. C’est-à-dire, 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), 27% d’amélioration de l’efficacité énergétique et 27% comme part des renouvelables dans l’offre énergétique primaire. Cet objectif a été défini, le Royaume-Uni inclus, et s’articule autour de deux axes principaux: la réduction de GES et la part des renouvelables dans l’offre énergétique. Si le Royaume-Uni est en retard sur le deuxième axe, il est parmi les bons élèves sur le premier et son retrait de l’Union Européenne impacte l’engagement pris pour 2030.

En effet, si le Royaume-Uni ne compte plus dans les statistiques agrégées de l’Union Européenne, cette dernière sera contrainte de, soit revoir à la baisse son engagement, soit demander un effort plus important pour les membres restants afin de compenser. En effet, selon les calculs de HSBC, pour atteindre l’objectif de réduction de 40% des émissions de GES, les Etats Membres devraient contribuer à une réduction supplémentaire de 7.6%. Cela peut sembler dérisoire à partager entre 27 états. Cependant, face à la résistance de certains pays gros émetteurs, la tâche n’est pas aisée. De plus, la voix des membres gros émetteurs ayant affiché un certain scepticisme climatique, notamment le bloc de l’Europe de l’Est, s’accroit au sein du Parlement Européen avec le retrait du Royaume-Uni. Ce qui met en péril un engagement vers davantage d’efforts et donc d’investissements plus importants pour décarboniser leurs systèmes énergétiques.

Si cela avait néanmoins lieu, il faudra supposer également un impact plus important pour les sociétés et industries actives dans les Etats Membres contraintes de contribuer à la transition énergétique. Nous pourrions même pousser le scénario plus loin et envisager quelques délocalisations vers les réglementations plus laxistes en termes d’émissions. Un peu ce que nous voyons sur le terrain fiscal… au pays le plus offrant…

L’Union Européenne peut également annoncer une révision à la baisse de son engagement, un message qui serait bien négatif vue l’importance de l’enjeu et l’urgence d’agir.

Cependant, le Royaume-Uni, avec ou sans l’Union Européenne, peut également s’engager fortement sur la voie du changement climatique. Il faut en effet souligner que le pays a adopté en 2008 le Climate Change Act qui reste toujours d’application et vise une réduction de 80% des GES d’ici 2050. Ensuite, le comité sur le changement climatique est bel et bien existant au niveau national et travaille aux engagements du pays en matière de réduction de GES et d’efficacité énergétique. Comme souligné plus haut, le Royaume-Uni a atteint des résultats significatifs en la matière. Sur la période 1990-2014, la consommation énergétique du pays a baissé de 10% alors que le PIB augmentait de 65%. A titre de comparaison, la moyenne pour l’Union Européenne des 28 Membres représentait une baisse de 4% de la consommation pour une augmentation du PIB de 49%. Enfin, le Royaume-Uni peut ratifier l’Accord de Paris à titre individuel comme tout autre pays.

Le Royaume-Uni surperforme l’UE en matière d’efficacité énergétique sur la période 1990-2014

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En matière de renouvelables cependant, le pays a des progrès à faire et ne pose aucun risque de retard dans les objectifs de l’Union Européenne. En effet, les énergies renouvelables ne représentaient que 6.93% de l’offre en énergie primaire au Royaume-Uni comparée à 12.53% pour l’Union Européenne en 2014. Les évolutions, et notamment l’engagement du gouvernement vers plus de nucléaire et de gaz, laissent penser que le pays n’atteindra ni l’objectif de 2020 ni celui de 2030.

Les nombreuses incertitudes planant sur le Brexit soulèvent également plusieurs questions sur l’impact potentiel en matière d’engagement environnemental en particulier l’Accord de Paris, jugé historique pour la prise en compte du risque carbone.

Si les incertitudes règnent également ici et que plusieurs scénarii sont possibles, il faut reconnaître que le risque principal à court terme réside dans le retard de ratification de l’Union Européenne de l’Accord. Pour rappel, l’Accord obtenu en décembre dernier entrera en vigueur s’il est ratifié par au moins 55 parties représentant minimum 55% des émissions globales de la planète. Bien que 197 parties l’aient adopté aujourd’hui, la ratification fin juin ne comptait que 19 parties représentant 0.18% des émissions globales. L’Union Européenne devait compter pour 28 Etats Membres et 12.1% des émissions et être dès lors un contributeur important au succès de la ratification. Le Brexit retarde cette ratification et dès lors éloigne l’objectif des 55 parties et 55% des émissions. Si le climat n’est pas la priorité des discussions de modalités de sortie, il n’en reste pas moins que le changement climatique a lieu aujourd’hui et demande une réponse globale, ambitieuse et rapide.

[1] l’UE s’engage à une réduction de 20% de ses émissions de gaz à effet de serre, 20% d’optimisation de l’efficacité énergétique et que les renouvelables représentent 20% de l’approvisionnement énergétique. Les objectifs énumérés s’entendent par rapport à l’année de référence 1990.


Principes d’Investissement Responsable des Nations-Unis : 10 ans déjà !

Le 25 juillet 2016

Les Principes d’Investissement Responsable, sponsorisés par les Nations-Unies, fêtent cette année leurs dix ans d’existence. A la vue de l’impressionnante croissance du nombre de signataires et d’actifs sous gestion représentés, les principes au nombre de six sont clairement un succès.

Graphe : Evolution des signataires aux Principes d’Investissement Responsable (UN PRI)

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Pour rappel, les six principes sont des principes de promotion des meilleures pratiques afin d’encourager l’adoption de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) et promouvoir une finance plus durable et à plus long-terme.

Bien que les principes soient non contraignants mais plutôt de l’ordre de la guidance, les signataires des PRI doivent depuis deux ans obligatoirement rapporter sur l’évolution de l’implémentation des principes au sein de l’organisation. Ce reporting obligatoire a été une première avancée pour les PRI en leur accordant un poids certain. De plus, l’évaluation réalisée par les PRI sur base de ce reporting annuel permet également de mettre en évidence les forces et faiblesses de l’état d’avancement de mise en place des principes. Le signataire est informé de la progression d’implémentation comparée aux autres signataires de taille similaire ou signataire la même année et des pistes d’amélioration à suivre.

L’engagement aux PRI explique l’intégration croissante de critères ESG dans les démarches d’investissement, qu’elles aient un objectif formel durable ou non. De plus, il a également incité les investisseurs à prendre davantage leur responsabilité actionnariale et justifie en partie la croissance des engagements actionnariaux envers les entreprises. Il offre d’ailleurs l’opportunité de rejoindre d’autres signataires sur une plateforme d’engagement collaboratif, précieux pour les plus petits acteurs.

Aujourd’hui, les PRI font appel à leurs signataires pour l’objectif de la prochaine décennie. La première avait pour mission de conscientiser davantage le monde de la finance sur l’importance des enjeux ESG. Celle à venir, intitulée « passer de la sensibilisation à l’impact », vise à gagner davantage d’impact et de résultats tangibles pour un développement économique durable et équitable. Les projets et initiatives seront présentés début 2017 sur base des propositions faites dans la communication adressée aux signataires. D’ores et déjà certaines pistes d’amélioration ont été identifiées telles que plus de clarté autour des objectifs et de leurs ambitions ou encore la recherche d’un plus grand impact sur le « monde réel ». Une réflexion vise également l’intégration en parallèle des objectifs de développement durable des Nations Unies aux PRI.

En consultant ses signataires, les PRI visent à nouveau une plus grande responsabilisation des acteurs du monde financier pour une finance plus durable et à plus long-terme. On ne peut que s’en réjouir !


Quels enseignements tirer de trois ans d’analyse de durabilité dans les économies émergentes ?

Le 23 juin 2016

En 2013, le niveau de développement des économies émergentes ne semblait pas permettre d’évaluer leur degré de durabilité. Or, après 3 ans d’analyse par nos experts, le sujet semble bien avoir démontré tout son sens !

Une approche adaptée aux enjeux des pays émergents

Afin de répondre aux particularités des économies émergentes, la méthodologie de durabilité a évidemment été adaptée aux problématiques propres de l’univers. Si le modèle repose sur les 5 grands piliers de durabilité – à savoir transparence et valeurs démocratiques (1), population, soins de santé et distribution des richesses (2), environnement (3), éducation/innovation (4) et économie (5) – les facteurs d’observation se différencient en se concentrant sur les enjeux majeurs de ces économies tels que l’accès à l’eau, l’éducation primaire ou le respect des droits politiques et libertés civiles.

par défaut 2016-06-15 à 15.41.39De plus, la méthodologie développée fait l’objet d’une révision semestrielle au sein d’un groupe de réflexion avec des experts externes pour une amélioration constante du modèle. Ainsi, sur les trois dernières années, les sources d’information se sont considérablement améliorées et les données sont davantage disponibles pour un plus grand nombre de pays. Ensuite, la méthodologie n’a eu de cesse de s’améliorer notamment par l’ajout d’indicateurs supplémentaires et par la couverture d’un nombre croissant de pays (passant de 84 à 87 économies émergentes entre 2013 et 2016).

Mesurer la dynamique de l’amélioration, essentiel dans l’univers observé

La dernière amélioration de la méthodologie porte sur le poids de la tendance dans la mesure de performance de durabilité des pays. La tendance a pour objectif de mesurer la dynamique d’un pays afin de s’améliorer sur les différents axes de durabilité et se mesure ici par les progrès enregistrés sur les trois dernières années. Le dernier classement a porté le poids de cette tendance de 25% originellement à 50% aujourd’hui, ç’est à dire que le progrès affiché par un pays a autant d’importance que sa position absolue.

par défaut 2016-06-15 à 15.42.08

Une analyse définitivement pertinente !

Si de nombreux observateurs pensaient qu’il était précoce de s’interroger sur la durabilité des pays émergents, les analyses de performance de cet univers démontrent la création certaine de valeur d’une telle approche.

D’abord, en se concentrant sur les aspects de transparence et de valeurs démocratiques, la méthodologie permet une première estimation du contexte politique du pays et de sa stabilité en regardant notamment la qualité de ses institutions de gouvernance, sa transparence ou son opacité (corruption, liberté de la presse) et le respect des droits primaires de sa population (droits politiques et libertés civiles). Ensuite, l’analyse de la population et de son bien-être permet également de détecter les faiblesses et les points de mécontentement et de soulèvement de la société civile, créant de l’instabilité, peu favorable aux investissements.

Dans le cadre d’un investissement en dette souveraine, la performance et la réduction du risque sont au rendez-vous. La contribution du filtre de durabilité est d’autant plus importante que les marchés sont volatils et baissiers et montre la force de l’outil dans l’appréhension des risques.

Une certaine prédictibilité ?

L’évolution de certains pays ces trois dernières années est également intéressante au regard d’un investissement potentiel.

Prenons l’exemple de l’Argentine, qui, récemment, est revenue sur le marché des capitaux internationaux avec un succès surprenant.

L’Argentine, qui reste historiquement l’exemple en matière de défaut de paiement pour les détenteurs d’obligations souveraines, est revenue sur les marchés de la dette internationale très récemment avec du papier sur 3, 5, 10 et 30 ans. L’émission, accompagnée d’un relèvement de la note de crédit par les trois principales agences de notation, a enregistré un franc succès en levant 15 milliards de dollars.

Fin mars, le sénat argentin clôturait l’implémentation d’un accord obtenu en février dernier entre le gouvernement et les détenteurs de dette argentine, victimes de la mise en défaut de paiement tristement célèbre de 2001 et ayant refusé la décote de 70% lors des négociations de 2005 et 2010. Cette clôture du dossier était nécessaire pour restaurer l’accès aux marchés des capitaux internationaux à l’Argentine, après 15 ans d’exclusion.

Les différentes démarches sont accueillies positivement par les investisseurs et par les agences de notation puisqu’elles laissent espérer une meilleure solvabilité et liquidité du pays. Cependant, l’analyse de durabilité et son évolution sur trois ans ne confèrent pas la confiance nécessaire pour revenir sur la dette argentine. En effet, la durabilité du pays ne semble pas s’améliorer. Au contraire, le pays perd 17 places sur les trois dernières années. Au niveau de la durabilité économique, le pays se classe en bas de peloton très loin de son voisin chilien et, à l’exception de son déficit courant, affiche des performances bien en-deça de la moyenne de l’univers étudié. Le manque de compétitivité de l’économie souffre fortement des problématiques observées en matière de transparence et de valeurs démocratiques. En effet, la crise institutionnelle profonde est notamment le résultat d’une inefficience de gouvernance, d’une corruption et d’une problématique d’éthique importante et, dès lors, d’une liberté économique répressive. Le pays affiche une détérioration de son classement en matière de corruption mais aussi au niveau des droits politiques et des libertés civiles. L’inégalité au sein de la population est également importante. La prévention santé ainsi que le taux de fécondité sont également sous la moyenne de l’univers. De plus, l’espérance de vie recule et classe le pays loin derrière son voisin chilien, par exemple.

C’est dans le cadre de l’éducation que les espoirs sont permis et visibles. Bien que les dépenses en la matière restent faibles, la population est lettrée en grande partie, bien davantage qu’au Chili, et le nombre d’enfants ayant achevé le cycle primaire est relativement élevé et supérieur au Chili à nouveau.

La dette argentine se traite à l’heure de la rédaction de cet article non loin des niveaux de la dette brésilienne, niveau difficile à justifier d’un point de vue durable.

Sur les trois dernières années, il faut également mettre en avant les résultats concrets des Millenium Development Goals, notamment très visibles au niveau de la mortalité infantile, l’éducation (l’accès à l’enseignment), l’accès à l’eau et la réduction de la pauvreté. Les résultats atteints combinés avec la hausse du critère de tendance à 50% permettent à certains pays, notamment africains, à sensiblement remonter dans le classement. Il faudra regarder de près les successeurs des Millenium Development Goals, à savoir les Sustainable Development Goals et ne pas sous estimer leur impact direct sur les axes de durabilité

Indéniablement, une analyse de durabilité apporte de la valeur ajoutée à toute décision d’investissement.


Quelle est la valeur de la durabilité dans les économies émergentes ?

Le 18 mai 2016

L’analyse de durabilité dans les économies émergentes a tout son sens ! Les cinq piliers suivants définissent la durabilité d’un pays : transparence et valeurs démocratiques (1), population, soins de santé et distribution des richesses (2), environnement (3), éducation/innovation (4) et économie (5). L’enjeu est évidemment de répondre aux particularités des économies émergentes et adapter la méthodologie aux problématiques propres de l’univers. L’objectif est donc d’identifier les défis majeurs auxquels sont confrontés ces économies afin de retenir celles les plus à mêmes à afficher une croissance durable. Lorsqu’un pays affiche une croissance à deux chiffres alors qu’il ne peut répondre aux besoins primaires et vitaux de sa population, clairement la durabilité de la croissance à moyen et long terme est questionnable.

Les facteurs d’observation se différencient en se concentrant sur les enjeux majeurs de ces économies tels que l’accès à l’eau, l’éducation primaire ou le respect des droits politiques et libertés civiles.

La méthodologie fait l’objet d’une révision semestrielle au sein d’un groupe de réflexion avec des experts externes pour une amélioration constante du modèle. Ainsi sur les trois dernières années, les sources d’information se sont considérablement améliorées et les données sont plus disponibles pour un plus grand nombre de pays. Ensuite, la méthodologie n’a eu de cesse de s’améliorer notamment par l’ajout d’indicateurs supplémentaires et par la couverture croissante des pays qui est passée de 84 à 87 économies émergentes entre 2013 et 2016.

S’il peut paraître précoce aux yeux de certains de se concentrer sur la durabilité sociale, environnementale et de gouvernance des économies dites émergentes puisqu’en pleine révolution de croissance, il est donc pertinent de s’attarder sur la dynamique de croissance et de progrès affichés par ces pays. Ainsi l’aspect évolution doit être partie prenante du modèle d’analyse. Après réflexion et débat nous avons même décidé de rehausser le poids de cette mesure de tendance jusqu’à 50% montrant par là que, dans le contexte des économies émergentes, les progrès enregistrés ces dernières années nous semblent tout aussi importants que le résultat enregistré actuellement.

Si beaucoup pensaient qu’il était précoce de s’interroger sur la durabilité des pays émergents, les analyses de performance de l’univers démontrent la création certaine de valeur d’une telle approche.

D’abord, en se concentrant sur les aspects de transparence et de valeurs démocratiques, la méthodologie permet une première estimation du contexte politique du pays et de sa stabilité en regardant notamment la qualité de ses institutions de gouvernance, sa transparence ou opacité (corruption, liberté de la presse) et le respect des droits primaires de sa population (droits politiques et libertés civiles). Ensuite, l’analyse de la population et de son bien-être permet également de détecter les faiblesses et les points de mécontentement et de soulèvement de la société civile, créant de l’instabilité, peu favorable aux investissements.

L’évolution de certains pays ces trois dernières années est également intéressante au regard de l’actualité. Prenons l’exemple de l’Argentine, qui, récemment, est revenue sur le marché des capitaux internationaux avec un succès surprenant. L’Argentine, qui reste historiquement l’exemple en matière de défaut de paiement pour les détenteurs d’obligations souveraines, est revenue sur les marchés de la dette internationale très récemment avec du papier sur 3, 5, 10 et 30 ans. L’émission, accompagnée d’un relèvement de la note de crédit par les trois principales agences de notation en la matière, a enregistré un franc succès en levant 15 milliards de dollars. Fin mars, le sénat argentin clôturait l’implémentation d’un accord obtenu en février dernier entre le gouvernement et les détenteurs de dette argentine. Ces derniers, victimes de la mise en défaut de paiement tristement célèbre de 2001, avaient refusé la décote de 70% lors des négociations de 2005 et 2010. Cette clôture du dossier était nécessaire pour restaurer l’accès aux marchés des capitaux internationaux à l’Argentine, après 15 ans d’exclusion.

Les différentes démarches sont accueillies positivement par les investisseurs et les agences de notation puisqu’elles laissent espérer une meilleure solvabilité et liquidité du pays. Cependant, l’analyse de durabilité et son évolution sur trois ans ne confirment pas la confiance bien nécessaire pour revenir sur la dette argentine. En effet, la durabilité du pays ne semble pas s’améliorer. Au contraire : le pays perd 17 places sur les trois dernières années. Au niveau de la durabilité économique, le pays se classe en bas de peloton, très loin de son voisin chilien et à l’exception de son déficit courant, affiche des performances bien en-deça de la moyenne de l’univers étudié. Le manque de compétitivité de l’économie souffre fortement des problématiques observées au sein de la transparence et des valeurs démocratiques. En effet, la crise institutionnelle profonde est notamment le résultat d’une inefficience de gouvernance, d’une corruption et d’une problématique d’éthique importante et d’une liberté économique répressive. Le pays affiche une détérioration de son classement en matière de corruption mais aussi au niveau des droits politiques et libertés civiles. L’inégalité au sein de la population est également importante. La prévention santé ainsi que le taux de fécondité sont également sous la moyenne de l’univers analysé. Et l’espérance de vie recule et classe le pays loin derrière son voisin chilien, par exemple.

C’est dans le cadre de l’éducation que les espoirs sont permis et visibles. Bien que les dépenses en la matière restent faibles, la population est lettrée en grande partie, bien davantage qu’au Chili, et le nombre d’enfants ayant achevé le cycle primaire est relativement élevé et supérieur au Chili à nouveau.

Au regard de cette analyse, nous pouvons nous interroger sur la durabilité d’un investissement en dette argentine. Le temps nous dira si l’engagement vers une nouvelle politique est réel.

Comme pour les autres pays, il sera important de se pencher pour les années à venir sur les annonces versus les réalisations, démontrant le véritable engagement d’un pays sur les défis actuels où clairement les autorités publiques ont également un rôle à jouer et une responsabilité à prendre.


Quelles solutions d’investissement dans un contexte de taux bas et d’exigences accrues ?

Le 20 avril 2016

Les intervenants, détenteurs et gestionnaires d’actifs évoquent les gestions plus actives, l’utilisation de dérivés pour contrer les taux au plancher. Peu d’acteurs lient l’exigence accrue de l’investissement responsable avec le contexte des taux bas. D’ailleurs, la recherche du moindre point de base et la chasse aux coûts sembleraient même réduire la place allouée à l’allocation ISR.

Deux réactions à ceci :

  • L’ISR ne devrait pas être vu comme une niche à laquelle une petite partie de l’allocation du portefeuille peut être dédiée. Au contraire, l’investissement responsable doit être intégré à la gestion comme véritable outil de gestion.
  • L’ISR n’est pas une source de coût suite à une réduction de la diversification des univers. Il contribue à l’optimisation du couple rendement/risque en permettant justement, dans un contexte de taux bas, de rechercher du rendement mais pas à n’importe quel prix.

Dans le cadre d’une gestion active, l’investissement responsable, intégré dans le processus d’investissement en amont comme en aval, permet avant tout un autre regard sur l’investissement et une interrogation plus approfondie sur les intentions du management, son business plan et donc également une meilleure appréciation de la rémunération du risque.

Face aux taux au plancher, depuis un moment maintenant, l’investissement responsable est une solution à considérer.

La recherche de rendement a poussé de nombreux investisseurs fin 2012 vers la dette souveraine émergente. Ici, une approche d’investissement responsable et durable prend tout son sens et permet de différencier les pays les plus risqués et les dettes les plus instables.

Les trois dernières années, marquées par une instabilité certaine de la dette émergente, ont permis de mettre en évidence l’apport d’un filtre de durabilité des pays. En s’interrogeant sur les dimensions de durabilité telles que la transparence et les valeurs démocratiques (1), la population, les soins de santé et la répartition des richesses (2), l’environnement (3), l’éducation/innovation (4) et l’économie, nous pouvons identifier les pays les plus avancés en terme de durabilité et estimer davantage les risques liés aux pays moins bien classés. Ainsi, le filtre montre une contribution importante dans l’alpha de la stratégie lors des marchés baissiers, en jouant un rôle de stabilisateur et résiliant aux risques extrêmes et permet au portefeuille de baisser moins que les marchés (beta inférieur à un). Dans les marchés haussiers, cette contribution est moindre, laissant davantage de contribution de valeur à l’expertise de gestion. Elle reste néanmoins positive de sorte que le portefeuille participe au rallye avec un beta égal à un.

Les taux bas perdurent également suite au contexte de faible croissance. Dans cet environnement, il y a lieu de rechercher les sociétés de haute qualité. La définition de celles-ci intègre, par nature, des sociétés durables c’est à dire capables de perdurer dans le temps et donc qui s’interrogent et intègrent les défis environnementaux, sociaux et de gouvernance auxquelles elles doivent faire face. D’une part, l’analyse d’investissement responsable permet d’éviter les risques extrêmes avec des sociétés peu préparées aux enjeux de demain.

D’autre part, les sociétés qui survivront sont celles qui innovent en tablant sur les enjeux comme opportunités pour demain. Les sociétés de haute qualité sont souvent assimilées à des actions chères. Si la valorisation en termes de cours sur bénéfice peut sembler élevée par rapport aux pairs, il ne faut pas sous-estimer le potentiel de croissance supérieur sur le moyen et long terme. Les investisseurs sont prêts à payer davantage pour la croissance. Ces entreprises sont celles qui sont innovatrices, compétitives et qui disposent d’une marge de pouvoir de prix par rapport à leurs pairs notamment par des barrières importantes à l’entrée. Sur le moyen et long terme, ce sont les profits des entreprises qui déterminent la croissance de valeur pour les actionnaires, prêts dès lors à payer une prime supérieure pour une croissance plus constante.

La sélection des valeurs individuelles est donc particulièrement importante et l’interaction entre l’expertise de gestion et l’investissement responsable est la clé pour une analyse globale de l’entreprise sur tous les enjeux auxquels elle doit faire face. Dès lors, l’ISR n’est pas une niche mais un outil intégré afin de regarder la société dans sa globalité vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes.

L’investissement responsable aide donc la gestion dans sa recherche de rendement avec un risque mesuré et est une réponse en soi au contexte de taux bas.


La corruption ne payerait-elle pas ?

Le 17 mars 2016

Voilà une conclusion intéressante de la très renommée Harvard Business School[1].

Alors que beaucoup continuent à croire qu’il est impossible de faire des affaires dans certaines régions du monde sans pots de vin, cette étude a eu l’opportunité unique d’accéder à des données confidentielles sur la lutte contre la corruption. Elle a analysé un échantillon de près de 480 multinationales dans 32 pays. Ainsi, si la corruption accélère les ventes locales, son effet global sur les données financières de la société est nul.

La croissance des ventes sur les trois dernières années des sociétés présentant les programmes les plus robustes en matière de lutte contre la corruption s’élève à 2,6% de moyenne ; à comparer avec une croissance moyenne de 14,1% pour les sociétés moins scrupuleuses. Néanmoins, cela ne se traduit pas par un retour sur action supérieur pour ces dernières et démontre que  les coûts de la corruption ne sont pas compensés par la hausse des ventes.

Face à des avis partagés sur les pratiques locales de corruption, les managers ont souvent pensé de manière conventionnelle que le choix n’existait pas dans de grandes parties du monde et les méthodes de compensation basées traditionnellement sur la croissance des ventes ont renforcé cette approche. Cependant, comme l’indique le rendement sur action, les coûts des contrats corrompus ne sont pas compensés par les gains de hausse de ventes. Et le risque de réputation est grand puisque le risque de médiatisation est plus élevé. En effet, l’étude montre que la première moitié du classement étudié n’a pas été citée dans la presse sur un sujet de corruption alors que 25% du reste de l’échantillon ont fait l’objet d’au moins 5 articles sur les trois dernières années.

Pour leur recherche, les auteurs George Serafeim et Paul Healy ont eu accès aux indices de corruption des entreprises, réalisés par l’ONG Transparency International. Transparency International publie chaque année une étude agrégée de l’état de la corruption dans les multinationales, en se basant sur 14 indicateurs articulés autour de la stratégie de lutte contre la corruption, les politiques et les systèmes de gestion. Les deux auteurs ont également complété les indicateurs de Transparency International, basés sur le principe de self reporting, par leurs propres recherches notamment sur le cadre réglementaire d’application et de suivi de la lutte contre la corruption mais aussi les risques de corruption comme la prévalence de pots de vin dans certaines industries ou pays d’origine des entreprises et enfin la gouvernance d’entreprise (en particulier l’indépendance des conseils d’administration). Leurs propres facteurs ont confirmé que bien que self reporting, les notations de Transparency International reflétaient bien l’engagement de lutte contre la corruption.

La lutte contre la corruption gagne en ampleur. Que ce soit au niveau d’un pays ou d’une société, la facture est de plus en plus salée. En effet, pour les sociétés, l’amende financière tend à être proportionnelle aux revenus et n’est plus plafonnée. Quant aux pays, la corruption crée un cadre de fonctionnement peu propice aux affaires avec des conséquences directes pour le bien-être de leur population et des risques d’instabilité importante. C’est ainsi que Transparency International dénonce la corruption comme l’un des facteurs majeurs de la crise des réfugiés, la plus importante à laquelle les pays européens sont confrontés depuis la seconde guerre mondiale. En effet, les passeurs corrompent les officiers douaniers pour des passeports et visas frauduleux. Le trafic est estimé à plusieurs milliards de dollars, la corruption sévissant du début du processus jusqu’à la destination finale.

La corruption n’est évidemment pas la seule raison de ce mouvement de masse des populations. Cependant, une corruption généralisée affaiblit la légitimité et la stabilité d’un gouvernement et davantage quand celui-ci ne parvient pas à répondre aux besoins primaires de sa population.

Chaque année, l’ONG publie son classement de perception de la corruption dans 168 pays. Cette information est clé pour la durabilité d’un pays mais aussi pour mesurer le risque d’instabilité des entreprises actives dans les pays les plus corrompus.

Les enjeux liés à la corruption sont des éléments importants pour un investisseur, qu’il soit actionnaire ou détenteur d’obligation. Un investisseur averti en vaut deux.

[1] An Analysis of Firms’ Self-Reported Anticorruption Efforts

Paul M. Healy and George Serafeim, Harvard University


Taxation des entreprises : quand la transparence est requise

Le 10 février 2016

Nous l’avions déjà évoqué dans nos quatre thèmes ESG de l’année, les entreprises font face à une demande de plus en plus croissante pour plus de transparence de leur démarche fiscale. Que la pression vienne des consommateurs et citoyens de répondre à une certaine moralité de licence civique d’opérer ou des autorités réglementaires qui se montrent de plus en plus entreprenantes en initiatives mais également en amendes et autres pénalités ; les entreprises se doivent d’être plus transparentes et responsables.

D’une part l’OCDE a adopté son Base Erosion and Profit Shifting Action Plan (BEPS), visant essentiellement à travers ses quinze mesures de lutter contre les pratiques fiscales illicites.

D’autre part, la Commission Européenne prend également le sujet à bras le corps en adoptant une directive en ligne avec le BEPS mais également en condamnant les Etats Membres pour concurrence déloyale. La Belgique en a fait les frais dernièrement. Selon une étude du Parlement Européen, le préjudice subi par les Etats Membres s’élèverait entre 50 et 70 millions d’euros par an.

L’enjeu est de taille mais la tâche compliquée. Il est en effet bien complexe de tracer une frontière stricte entre évasion fiscale et optimisation fiscale. Aujourd’hui, de nombreuses pratiques d’optimisation fiscale se réalisent dans un cadre réglementaire tout à fait légal et en toute transparence avec l’autorité compétente.

De plus, le succès des quinze mesures de l’OCDE dépend fortement de la cohérence et surtout de la coopération et de l’échange d’informations entre les membres sur l’implémentation du programme et sur les accords conclus entre les autorités de contrôle et les entreprises. Il s’agit donc essentiellement de standards internationaux qui seront vraisemblablement considérés comme meilleures pratiques mais l’aspect contraignant et uniforme de l’implémentation reste dépendant de la bonne volonté du pays membre, alors que pour beaucoup d’entre eux, la fiscalité des entreprises reste un pilier central de leur stratégie de développement économique.

Autre débat : la publication ou non de ce type d’informations. Alors que les mesures de l’OCDE vont plutôt vers une publication interne à l’usage des autorités fiscales, l’UE pourrait aller vers une information publique et ouvrir dès lors la porte au risque de mauvaise utilisation des données disponibles à des personnes moins qualifiées pour les interpréter de manière pertinente et correcte. Autre risque également, l’utilisation par la concurrence d’information sensible. Les autorités fiscales restent vraisemblablement les plus à même de collecter et juger de l’information.

Si l’impact sur les sociétés de ces différentes mesures est difficilement mesurable, l’initiative a le mérite d’exister, en particulier le reporting fiscal pays par pays. Aujourd’hui, la directive CRD IV oblige le secteur bancaire en Europe à publier ses données pays par pays et donne une première idée de ce type d’obligation d’information. Les institutions financières de l’Union doivent rapporter pays par pays leurs revenus, le nombre d’employés et succursales depuis juillet 2014 et également leurs bénéfices, taxes et subsides publics reçus dans leur déclaration fiscale 2015.

A rappeler que le reporting pays par pays est le grand maillon faible de l’engagement vers plus de transparence des entreprises, mis en évidence par le classement annuel de Transparency International. Les standards de reporting varient également d’une juridiction à l’autre, compliquant les comparaisons. Le reporting pays par pays donnerait aux investisseurs plus de transparence sur les payements fiscaux réalisés mais permettrait aussi une meilleure vision de l’exposition aux différents pays, en particulier ceux présentant une plus faible gouvernance, un risque plus élevé de corruption, voire un risque de violation des principes de base comme les droits humains et du travail et les risques ESG en général.

La volonté de transparence doit être encouragée et celle-ci peut s’évaluer également via d’autres axes que la taxation, sujet complexe et sensible. La transparence du management sur la composition de son conseil d’administration, sur ses processus de rémunérations, sur ses politiques de prévention de corruption ou ses programmes et leur niveau d’application à tous les échelons de l’entreprise inclus ses succursales et sa chaine de sous-traitance. Ici aussi la transparence fiscale n’est pas à l’abri d’un certain greenwash puisqu’elle peut être utilisée à des fins purement marketing. Néanmoins, défendre son comportement de contribuable responsable doit faire partie aujourd’hui de la responsabilité fiduciaire d’une entreprise. D’ailleurs, la stratégie fiscale d’une entreprise fait désormais partie de la méthodologie des indices durables Dow Jones.

Du point de vue de l’intégration des critères ESG, nous serons également attentifs à la stabilité de l’environnement fiscal dans lequel opère la société. En effet, il est parfois très difficile pour une entreprise d’anticiper et planifier – sans même parler d’optimisation – sa taxation étant donné les modifications constantes du cadre fiscal du pays. Si plusieurs pays prennent des mesures pour lutter contre l’érosion fiscale comme le Royaume-Uni et sa fameuse taxe Google ou encore l’Irlande qui s’alignerait sur les initiatives de l’OCDE, il ne faut pas perdre de vue qu’en général, ces initiatives s’accompagnent également d’un mouvement à la baisse des taux d’imposition notionnels. En effet, le gouvernement britannique a planifié la réduction de son taux d’imposition de 28% à 20% sur la période 2008-2015 et jusqu’à 18% en 2020.

Comme dit précédemment, si les bons élèves n’ont pas encore profité de leur comportement plus exemplaire que d’autres, la transparence fiscale va être un élément de plus en plus discriminant et payant sur le moyen et long-terme. Car, au-delà du risque financier d’amendes ou autres difficilement estimables, c’est le risque réputationnel qui pèse essentiellement suite au changement d’attentes de la société civile vis-à-vis des grandes multinationales principalement.


Quels seront les grands thèmes de l’investissement responsable en 2016 ?

Le 13  janvier 2016

Les grands thèmes de 2015 domineront encore l’an prochain.

1. Investissement bas carbone – désinvestissement des énergies fossiles et le concept des « stranded assets »

Au cœur des débats de la COP 21 à Paris, le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, majoritairement du charbon, a marqué par son importance. Longtemps hors sujet des débats financiers, le concept de « stranded assets » gagne un intérêt progressif auprès des investisseurs et la reconnaissance qu’il s’agit d’un risque existant.

Alors que 2016 va marquer une concentration atmosphérique record de dioxyde de carbone, la chasse aux énergies les plus polluantes va se poursuivre. Comme annoncé, l’engagement vers une économie bas carbone a substantiellement modifié le paradigme de fonctionnement des secteurs les plus exposés comme le pétrole et le gaz ou les biens d’utilité publique. Ainsi, la part de l’énergie fossile dans la génération d’électricité baisse sensiblement même si elle est appelée à rester au-dessus des 50% d’ici 2030 selon l’Agence Internationale de l’Energie. En cas de réglementation plus stricte pour les émissions de gaz à effet de serre, elle pourrait diminuer plus rapidement, toujours au profit des renouvelables (inclus hydro) qui représentent dorénavant plus de la moitié de la génération de nouvelle capacité énergétique, d’abord en Chine, aux Etats-Unis, Japon et Allemagne. Les investissements y restent importants et permettent une diminution constante des coûts.

Graphique 1: Part de l’énergie fossile dans la génération d’électricité (%)

par défaut 2016-01-07 à 08.52.08

Les entreprises représentent de véritables catalyseurs pour l’action climatique avec des engagements de réduction d’émissions carbone importants.

2.  Obligations vertes et transition énergétique

L’année 2015 marque une nouvelle année record d’émissions d’obligations vertes : plus de 42 milliards de dollars fin novembre, notamment dans le cadre de la transition énergétique. Ce marché pèse aujourd’hui plus de 100 milliards de dollars et se diversifie à travers les secteurs. Si les banques multilatérales et les supranationaux sont toujours fortement représentés, le monde corporate est dorénavant le premier émetteur représentant près de 45% des émissions de 2015.

Renforcé par les principes des green bonds, ce secteur bénéficie également d’une crédibilité croissante notamment grâce à un reporting et un contrôle des engagements de plus en plus professionnels. Ces initiatives soutiennent le secteur et assure son essor pour les prochaines années puisque les investissements en infrastructure à bas carbone sont gigantesques, en particulier dans les économies émergentes telles que la Chine ou l’Inde qui, à elles seules, nécessiteraient respectivement l’équivalent de 450 milliards de dollars par an et 165 milliards de dollars pour assurer leurs objectifs climatiques de 2030.

Graphique 2: estimation des besoins d’investissement globaux 2015-2060

par défaut 2016-01-07 à 08.51.55

3. Evasion fiscale

Le cadre régulatoire s’est renforcé durant toute l’année et devrait continuer dans ce sens en 2016 notamment par les implémentations dans les différents pays membres du programme de l’OCDE via le Base Erosion and Profit Shifting Action Plan (BEPS) ou des différentes directives de l’UE. Les premiers effets sont déjà visibles : les cas des Pays-Bas et du Luxembourg condamnés à recouvrir 30 millions d’euros de taxes auprès de respectivement Starbucks et Fiat Chrysler ou dernièrement la Belgique qui doit récupérer 700 millions d’euros de taxes de multinationales ayant bénéficié d’avantages fiscaux déloyaux. A noter que la Commission Européenne a un droit rétroactif de 10 ans sur les taxes impayées.

Les multinationales sont clairement visées ici. Dès 2016, les premières mesures du BEPS seront applicables, principalement la chasse aux pratiques de transfert de prix consistant à exporter les bénéfices vers les pays aux fiscalités plus avantageuses que celle du pays dans lequel l’essentiel de la production se trouve localisée (investissement et personnel). La transparence du reporting pays par pays est un élément à ne pas sous-estimer. Les mesures visent la fin de la double non taxation et devraient freiner sensiblement les moyens d’évasion fiscale.

A noter également l’entrée en application de la Directive européenne comptable et Transparence pour les industries extractives dès 2016.

Le Royaume-Uni a également pris la situation en mains avec la taxe surnommée Taxe Google, soit une taxe de 25% sur les bénéfices artificiels générés dans les pays à plus forte taxation mais déclarés dans les pays à plus faible régime fiscal.

L’évolution du contexte américain est à surveiller puisque la règle de la SEC autorisant aux multinationales de ne rapporter que sur les activités dites « significatives » a ouvert une porte à l’obscurantisme fiscal. Cependant, les multinationales d’origine américaine sont de plus en plus confrontées aux réformes en-dehors de leurs frontières .

Les contraintes budgétaires sont le lot de l’ensemble des pays au monde et le redressement fiscal représente un levier important de ressources supplémentaires de revenus de sorte que les multinationales sont prises d’assaut de tous les côtés avec une pression certaine sur la rentabilité.

Si l’optimisation fiscale se fait régulièrement dans les règles légales, les mesures prises récemment mais surtout le changement d’attentes de la société civile vis-à-vis des grandes multinationales rendent ces échappatoires de moins en moins accessibles et les risques financier et réputationnel sont importants. A nouveau, si les bons élèves n’ont pas encore profité de leur comportement plus exemplaire que d’autres, la transparence fiscale va être un élément de plus en plus discriminant et payant sur le moyen et long-terme. Pour rappel, DJ Sustainability a ajouté à sa méthodologie un critère sur la stratégie fiscale, preuve de l’importance croissante du sujet. Et à regarder le rapport de Transparency International sur les 125 multinationales les plus importantes à l’échelle mondiale, les opportunités sont encore grandes pour se distinguer.

4. Cybersecurity

Alors que sont répertoriées entre 80 et 90 millions d’attaques annuelles relatives à la « cybersecurity » dont près de 70% ne sont pas détectées, tous les secteurs sont concernés : la finance et l’assurance en premier plan mais également les technologies d’information et communication (ICT), l’industrie et la vente en détails. Le coût des attaques cyber peut être considérable : estimé en moyenne à 12.7 millions de dollars pour les sociétés américaines en 2014 le « cybercrime » coûte jusqu’à 575 milliards de dollars par an. Et les estimations s’élèvent à plus de 3 trillions de dollars à l’avenir suite à la hausse constante des fonctions en ligne et des interconnections entre les sociétés et les consommateurs.

Le « cybercrime » affecte le commerce, la compétitivité, l’innovation (perte de la propriété intellectuelle) et dès lors la croissance économique globale.

Si les grandes entreprises sont les premières victimes, les petites et moyennes entreprises sont de plus en plus visées, se pensant à l’abri de par leur taille et n’ayant pas toujours les budgets consacrés à ce risque. Or, ces budgets sont en hausse pour les sociétés conscientes de l’enjeu. Selon PwC, les budgets alloués à la sécurité cyber ont doublé sur les deux dernières années pour les entreprises américaines mais restent encore peu significatifs. En effet, les entreprises tendent à être peu préparées à ce risque important. Cela va au-delà d’une problématique purement IT et doit être au cœur de la stratégie de développement de la société. Une expertise en la matière au sein du comité de direction est certainement un atout pour les sociétés qui veulent perdurer.

Ces quatre thèmes vont continuer à dominer l’année 2016.

S’y joint également un focus toujours constant sur la responsabilité des entreprises envers leurs fournisseurs et ce, sur toute la chaine de délégation.

Également lié à la problématique de cyber sécurité, la gouvernance des entreprises est au cœur des discussions plus élargies sur l’importance de la diversité et l’indépendance des membres.


La COP21 : la COP 22 sera-t-elle nécessaire ?

Le 15/12/15

C’est dans un climat de très haute sécurité qu’a démarré la tant attendue Conférence sur le Climat à Paris le 30 novembre dernier. Les espoirs sont grands ; les déclarations des gouvernements se succèdent et les investisseurs renchérissent également en engagement sur le sujet. Cependant, beaucoup considèrent que le risque de déception est grand également. Qu’en est-il?

Les annonces des pays

Dès le début de cette année, plusieurs gouvernements « phares » se sont prononcés sur leur programme de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre en vue du sommet des Nations-Unies relatif au changement climatique. Les Etats-Unis, l’Union Européenne, la Norvège, la Suisse, la Russie et le Mexique – soit un tiers des émissions globales de dioxyde de carbone – ont rapidement fait part de leurs efforts de réduction d’émissions à l’horizon 2020 afin de maintenir le réchauffement climatique à maximum 2 degrés.

Récemment la France, l’hôte de la conférence, a publié sa stratégie basse carbone sur un horizon de plus de 10 ans visant à réduire de 30% ses émissions CO2 à l’horizon 2020 et par quatre d’ici 2050.

Au cœur des débats également le charbon, le fossile le plus émetteur de dioxyde de carbone mais également d’autres particules néfastes à la qualité de l’air. Plusieurs gouvernements ont déjà adopté des programmes de fermeture des centrales utilisant ce combustible, considéré comme le plus menaçant pour le changement climatique par l’OCDE. Ainsi, le Royaume-Uni a annoncé la fermeture de ses centrales au charbon d’ici 2025. L’Allemagne s’est engagée à fermer 8 des principales centrales au lignite. Les Pays-Bas, déjà condamnés par leur propre Cour de Justice à La Haye pour leur stratégie climatique négligente et à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’un quart d’ici 2020 par rapport à leurs niveaux de 1990, font face à une coalition de professeurs les priant de fermer rapidement leurs centrales au charbon. Au-delà de l’Europe, le cas de la Chine est parlant. Alors que l’économie est largement dépendante du charbon, la consommation de ce dernier commence à diminuer très progressivement. Face aux enjeux économiques (routes bloquées, avions cloués au sol, etc.) mais aussi à une pression grandissante de la population civile face à la pollution de l’air, le pays investit massivement dans les énergies renouvelables comme l’énergie solaire ou éolienne. Et si le pays est toujours considéré comme un des principaux pollueurs de notre planète, il dispose aujourd’hui de la plus grande capacité d’énergie éolienne et la seconde en énergie solaire.

Les Etats-Unis se sont également engagés à fermer leurs centrales au charbon. Près de 40% de ces centrales ont été fermées sur le territoire depuis 2010. Le changement climatique est une cause qui tient particulièrement à cœur au Président américain. Cependant, son engagement doit faire avec l’opposition politique qui gouverne également le pays. Et c’est ici que réside le risque principal du Sommet COP 21 : quantité d’annonces de dirigeants de pays doivent être traduites par des réglementations d’implémentation qui doivent être votées.

Obama en a déjà fait les frais avec un rejet du Sénat américain. En effet, la majorité républicaine a voté deux résolutions au Sénat annihilant les principales mesures de régulation du programme du gouvernement pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Avec ce refus, l’opposition montre son désaccord et son objection au Clean Power Plan du Président.

Ainsi, si le premier jour de la conférence a donné la parole aux grands de ce monde sur leur bonne volonté, il n’en reste pas moins que dès le deuxième jour, les premières divergences et questionnement sur l’implémentation des objectifs ont émergé.

La Chine et l’Inde rappellent la responsabilité historique des pays développés dans le changement climatique et au nom d’une justice environnementale, réclament dès lors une marge de manœuvre carbone et un dédommagement financier pour l’adaptation et la transition énergétique afin de ne pas compromettre leur croissance économique.

La question d’un accord contraignant ou pas est également un des risques majeurs de succès ou échec de la COP 21. Comme mentionné, les Etats-Unis ont déjà annoncé leur opposition au caractère contraignant. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler qu’à l’exception du Conseil de Sécurité, les Nations-Unies émettent très peu de décision à caractère contraignant.

Les engagements des investisseurs

Face aux annonces des gouvernements, la sphère financière s’est également petit à petit -notamment face à la pression de la société sur le rôle fiduciaire des investisseurs- emparée du sujet et un nombre croissant d’investisseurs -principalement institutionnels- se sont engagés dans le changement climatique.

Les ONG n’ont pas hésité à pointer du doigt les banques et assureurs sur leur responsabilité dans le réchauffement climatique et les inciter à désinvestir des énergies fossiles. De plus, de par leurs moyens financiers, ces derniers disposent également d’un levier important pour participer à la transition énergétique.

En effet, selon les derniers chiffres recensés par Novethic, plus de 960 investisseurs représentant près de € 30 trilliards, se sont engagés pour la lutte contre le réchauffement climatique, avec une place prépondérante aux Etats-Unis et aussi au Royaume-Uni mais également les Français qui pèsent significativement dans la balance. Et réjouissons-nous de voir que la grande majorité des investisseurs engagés viennent de pays où les autorités sont plus réticentes à prendre action comme au Canada ou en Australie. Il est dès lors permis d’espérer qu’ils finiront par forcer leur gouvernement à agir étant donné que le risque carbone, au-delà du risque environnemental majeur, représente un risque économique important. Au-delà du risque réputationnel pour les investisseurs, le concept des « stranded assets » a également radicalement modifié les modèles de valorisation des secteurs comme le gaz et l’énergie. Le risque de réserves de gaz et pétroles non combustibles suite à une réglementation plus stricte pour limiter le réchauffement climatique à maximum 2° est une réalité qui augmente chaque année, le changement climatique pesant davantage chaque année.

Cette réalité du risque carbone transforme progressivement les fonctionnements des secteurs concernés. Si aujourd’hui, le secteur du gaz et pétrole ont bénéficié de subsides des gouvernements, exclure un scénario où ces subsides seraient remplacés par des taxes, pour

les entreprises les plus émettrices de carbone n’est pas utopique alors que les mentalités et le monde sont en pleine révolution.

Entre espoir et risque, la COP 21, de par sa mobilisation auprès des nations mais aussi des investisseurs, appelle clairement à l’action et a conduit à des engagements d’efforts sans précédents de la part des pays.

Les investisseurs ont également pris part à la lutte contre le réchauffement climatique avec un mouvement important contre l’énergie fossile. Si le charbon est devenu la bête noire des investisseurs responsables alors que le pétrole et autres énergies fossiles restent tolérés dans la plupart des portefeuilles engagés, il n’en ressort pas moins une modification profonde des paradigmes de fonctionnement des secteurs les plus touchés tels que gaz et pétrole et biens d’utilité publique.

Les investisseurs ne peuvent ignorer ce mouvement vers une économie à bas carbone et le défi est ici de mesurer la matérialité des enjeux et l’impact sur la performance de leur portefeuille.

La COP 21 marque donc un tournant pour l’avenir; le changement climatique étant un risque mais également une opportunité.


Immigration, une aubaine pour l’Europe ?

Le 12 novembre 2015

Alors que les frontières européennes sont assaillies de vagues d’émigrants tentant désespérément de rejoindre nos côtes, les discours nationalistes de barrières à l’immigration se confrontent à ceux prônant une plus grande ouverture et un accueil plus important.

Le recul du processus démocratique, les guerres civiles et le terrorisme expliquent en partie ces mouvements migratoires, qui ont été observés durant les grandes vagues fin du 19e et 20e siècles. Mais il s’agit également de la conséquence de la globalisation ; après le commerce et les capitaux, ce sont aux populations de se globaliser et de s’inter-changer librement.

Si certains craignent cette menace pour leurs marchés internes, elle peut être cependant une opportunité importante, et davantage au regard des évolutions démographiques de notre Europe vieillissante.

Notre planète compte aujourd’hui 7.3 milliards d’habitants. Elle en comptera plus de 11 milliards d’ici 2100. Avec cependant de grandes disparités en termes de croissance de population entre les continents et les pays mais également en groupes d’âge.

Le vieillissement de l’Europe est bien connu de tous. Il en va de même pour la plupart des pays développés à hauts revenus où la migration est souvent la seule source d’accroissement de la population. Cependant le vieillissement de la population n’est pas l’exclusivité de l’Europe : d’ici 2050 le nombre de quadragénaires aura aussi explosé en Afrique et en Asie, avec les conséquences connues en termes de marché d’emploi ou de ratio de dépendance vieillesse (nombre de personnes actives pour le nombre de personnes au-delà de 65 ans).

Aujourd’hui, les 34 membres de l’OCDE comptent près de 115 millions d’émigrants soit 10% de sa population. Ceux-ci contribuent pour plus des 2/3 de la croissance de la force de travail, facteur important face aux tendances d’emploi actuelles de la région.

Les Etats-Unis restent de loin la destination première des émigrants. L’Allemagne compte aussi parmi les destinations visées, suivie par la France et l’Espagne sur notre continent.

Les dernières données d’émigration en OCDE montrent plusieurs tendances. Tout d’abord, l’origine des migrants : de plus en plus d’Asie (notamment Chine et Inde) mais aussi d’Union Européenne (Roumanie e Pologne). Ensuite, le niveau d’éducation plus élevé que dans le passé : plus de 30% des émigrants ont un niveau d’éducation supérieure avec un diplôme universitaire selon les dernières statistiques de l’OCDE. Et pourtant, les émigrants font toujours face à une discrimination sévère en matière de travail ; un immigrant a deux fois plus de chance d’être surqualifié pour le job qu’il obtient qu’un natif. C’est ici tout le défi pour les pays dits riches car il y a une perte considérable en matière de développement économique potentiel. L’importance du chômage parmi la population émigrée est également un défi important à relever. Malheureusement, l’écart entre le chômage des émigrants et des natifs tend à s’accroitre en Europe (de 4.1% à 5.3% entre 2008 et 2013) alors qu’il se réduit aux Etats-Unis sur la même période.

Face à l’importante émigration de l’Amérique Latine, les Etats-Unis ont-ils adopté de meilleures politiques d’intégration que l’Europe ? Sont-ils plus conscients du potentiel que représente la population latino-américaine pour la force de travail ? Ou le haut taux d’emploi des émigrants s’explique principalement par des emplois sous-qualifiés et sous-payés surnommés « Mc Donald’s job » ? la réponse est sans doute à mi-chemin. Cependant, il est intéressant d’observer que les deux tiers des migrants accueillis par les Etats-Unis et le Canada sont diplômés du tertiaire, soit près du double de celui observé en Europe.

Migrants par niveau d’éducation en % du total Union Européenne Etats-Unis
Primaire 48 22
Secondaire 28 36
Tertiaire 24 42

Source : OCDE (2000)

L’Europe doit donc trouver une solution à la faible qualification de ses immigrés.

Et les chiffres publiés pour notre pays ne sont guère plus encourageants. Si les flux d’immigration sont finalement limités dans notre pays comparés à la moyenne de l’OCDE, la population émigrée constitue une part importante de la population totale en Belgique, classant notre pays dans le top 10 des membres de l’OCDE.

par défaut 2015-11-05 à 09.59.50

Source: OECD Migration Outlook 2014

Mais les chiffres d’emploi montrent les progrès encore à faire en matière d’intégration ; les immigrés devant faire face à un taux de chômage plus élevé que les natifs.

Et alors que nous fêtions le 8 septembre dernier le jour de l’alphabétisme, encore un nombre important d’analphabètes se compte dans notre pays parmi les immigrants. Sans surprise, ce chiffre est plus élevé pour les femmes.

par défaut 2015-11-05 à 09.59.28Source: OECD Migration Outlook 2014

L’essoufflement du progrès technique et le vieillissement de notre population minimisent le potentiel de croissance de nos économies. En effet, le gain de productivité est réduit et la population active ne croit plus. L’immigration est alors un levier potentiel de croissance. Dès lors, elle ne devrait pas être crainte mais intégrée dans nos politiques de développement comme vecteur de croissance au-delà d’une logique budgétaire. Face à une population vieillissante, il faut hausser la qualité de cette main d’œuvre potentielle afin d’accroître réellement la population active et le marché de la demande avec une population disposant d’un réel pouvoir d’achat, porteur pour notre économie.


L’actualité Volkswagen : du petit lait pour le monde ISR ?

Le 14 octobre 2015

Volkswagen fait trembler les marchés actions et obligataires ces derniers jours après le scandale de fraude sur les émissions carbone réellement émises par leurs véhicules diesel aux Etats-Unis.

Alors que les agences de notation financières ont placé la société en statut « Watch », les agences extra-financières sont bien plus sévères en considérant la controverse au niveau le plus sévère de leur échelle d’analyse. Sans remettre en cause la gravité et l’étendue de la fraude, il y a lieu de s’interroger sur la sévérité des agences extra-financières, qui dans un contexte CO 2 avec le sommet COP 21 fin d’année à Paris, pourraient vouloir faire un cas d’école de VW et, par principe de prévention, placer la notation au plus bas pour éviter toute critique ultérieure. Un peu ce qui avait été observé à l’époque sur les notations des dettes périphériques par les agences financières.

Au-delà de faire de VW un exemple sans précédent, il y a lieu également de s’interroger sur les audits et certifications en matière de standards ESG. En effet, le constructeur automobile était un composant de l’indice Dow Jones Sustainability Index. En 2013, il a été également reconnu comme la société la plus durable de son secteur. Signataire du Carbon Disclosure Project, la société a reçu un grade A pour la qualité des données environnementales qu’elle publiait.

Il était donc très difficile pour les analystes de mettre en avant un risque environnemental élevé pour la société et de montrer que la recherche ESG peut être pro-active et alerter sur certains risques.

Le constructeur automobile a reconnu officiellement avoir triché sur les chiffres publiés. Cela rappelle vaguement un cas comme Enron où les auditeurs ont été également impliqués dans la fraude pour complicité. Le cas VW soulève donc une question fondamentale quant à la fiabilité des données publiées dans les rapports de durabilité. Comme pour les données financières, les données extra-financières doivent faire l’objet d’audit indépendant et qualifié.

Le cas VW montre d’une part qu’il faut encore réserver une place au progrès sur les indicateurs de mesure et leur fiabilité. D’autre part, il démontre qu’accorder une attention particulière à la gouvernance d’une société est clef pour la durabilité de l’entreprise. En effet, si peu de monde aurait pu douter des métriques environnementales publiées, la gouvernance de la société allemande montre depuis un temps certain plusieurs faiblesses, essentiellement l’indépendance du comité de direction, l’indépendance du comité d’audit et un lobbying et des liens étroits avec le monde politique. Deux politiciens sont également membres du comité de direction, représentant l’état de la Basse-Saxe, qui sont attentifs à la problématique d’emploi que représente le constructeur automobile mais également à son impact fiscal en tant que précieux contribuable pour l’Etat.

L’ampleur de la fraude par rapport à la production soulève tout doute quant à l’implication du management au plus haut niveau.

Alors que les voix s’élèvent pour davantage de mesure d’impact ESG des portefeuilles durables comme la publication de l’empreinte écologique de son portefeuille en France dans la lignée du COP 21, il y a lieu d’adopter une grande prudence vis-à-vis des chiffres publiés. En toute bonne foi, les chiffres publiés peuvent être erronés du fait d’une expertise relativement récente et d’un manque de précision. Evidemment, l’initiative peut être applaudie comme une volonté de faire avancer le débat. Il faudra être attentif cependant à ne pas tomber dans un excès de reporting en tous sens qui s’éloigne de l’objectif premier d’un investissement responsable et durable visant à améliorer la performance ajustée au risque sur le moyen et long-terme et de faire de l’investisseur un acteur responsable de ses choix.


Gaspillage de nourriture : un problème de durabilité à grande échelle

Le 14 septembre 2015

Ce 3 septembre les 193 Etats Membre des Nations Unies ont adopté après deux années de travail impliquant exceptionnellement la société civile, un nouvel agenda ambitieux de développement durable qui sera adopté en Septembre lors du Sommet du Développement Durable à New York.

Parmi les 17 objectifs de développement visant à mettre fin à la pauvreté, promouvoir la prospérité et le bien-être de la population et la protection de l’environnement d’ici 2030, le 12e objectif vise la lutte contre le gaspillage alimentaire.

En effet, selon les estimations des Nations Unies, un tiers de la nourriture totale serait gaspillée soit 1.3 milliard de tonnes, qui ont requis une part importante des terres agricoles. En Union Européenne, ce sont près de 100 millions de tonnes d’aliments sains gaspillés chaque année. Et sans actions prises, ce seront 120 millions de tonnes d’ici 2020. Mais, l’Union Européenne s’est attaquée à cette problématique et vise une réduction ambitieuse de 50% du gaspillage alimentaire d’ici 2020. Notamment, le projet FUSIONS (Food Use for Social Innovation by Optimising Waste Prevention Strategies), vaste programme de recherche lancé en août 2012 pour 4 ans, a 3 objectifs pour la lutte contre le gaspillage alimentaire : définitions des concepts, stratégies communes et innovation sociale pour lutter contre le fléau.

Assurer le droit alimentaire à 9 milliards de personnes en 2050 et ce, dans un environnement de changement climatique et de météo extrême, est un défi majeur à relever où le gaspillage a un rôle clé à jouer.

En effet, le paradigme de produire davantage pour nourrir les 2 milliards d’habitants de notre planète est de plus en plus remis en cause. A ce titre, le paradoxe est tel aujourd’hui qu’il y a simultanément dans notre monde des personnes décédant d’obésité et de mal nutrition. C’est une première aussi que l’obésité comme cause de mortalité ait dépassé celle liée à la malnutrition.

En effet, il apparaît que la quantité alimentaire produite répondrait largement aux besoins caloriques de la planète. Il faut penser davantage à produire mieux et non produire plus. En ce sens, vient aussi une demande accrue vers une alimentation de haute qualité, dans laquelle la technologie a un rôle prépondérant à jouer.

Le gaspillage alimentaire provient essentiellement de deux sources :

  • Dans les pays émergents, la problématique de conservation et de transport
  • Dans les pays développés, l’abondance de nourriture et le comportement du consommateur (dates de péremption trop strictes, campagne de vente « un gratuit à l’achat de deux »), sont à l’origine de gaspillages importants).

L’intégration verticale du processus de production, de la production à la consommation, est une première réponse à la problématique.

La consommation efficace est une autre réponse à long-terme sur la sécurité alimentaire.

Sans parler de la consommation d’eau nécessaire pour produire ces inconsommables.

Il y a ici une responsabilité du consommateur mais les investisseurs ne sont-ils pas également responsables ? Peuvent-ils apporter une réponse à la problématique alimentaire? La spéculation alimentaire serait-elle l’unique objectif possible d’un investissement dans la thématique agricole ?

Sans nier l’influence potentielle des fonds spéculatifs sur la volatilité et la hausse des prix des matières premières, il faut également pointer d’autres éléments contributeurs.

En effet, l’évolution démographique, les changements des mœurs alimentaires et également la production de bio éthanol expliquent la grande partie de la hausse également. Quand certains pays émergents représentent une part importante de la population mondiale et en même temps ne détiennent qu’une petite partie des terres arables et des ressources d’eau potable, la situation n’est clairement pas durable et les besoins sur les ressources agricoles sont criants. La hausse des prix a des conséquences directes sur les terres agraires en production.

Les fonds d’investissements en matières premières agricoles sont souvent accusés de la spéculation alimentaire et l’impact dramatique pour les populations plus pauvres. Cette accusation croissante a conduit plusieurs institutions financières à fermer leur fonds d’investissement, généralement indexés et investis dans les dérivés sur les matières premières agricoles.

Les contrats à terme ou futures ont été mis sur pied à l’origine pour protéger les producteurs et industries de transformation contre les risques liés aux variations intrinsèques des prix agricoles. Aujourd’hui, ces produits dérivés peuvent être détournés de leur but premier et conduisent à l’effet inverse de celui souhaité en aggravant la volatilité et la hausse des prix. Deux risques majeurs sont liés à cette spéculation alimentaire : d’une part la hausse des prix se fait au détriment principalement des populations les plus pauvres ; d’autre part la maximisation du profit provoque des actions d’accaparement des terres.

Cependant, à côté des produits dérivés, l’investisseur peut choisir une autre voie plus durable et constructive en cherchant les entreprises innovantes capables de répondre aux enjeux à venir. De plus, favoriser les sociétés qui investissent et aident à capitaliser sur les progrès en amont de la chaîne de production. Longtemps, le secteur agricole a été délaissé par les investisseurs et a accusé un sérieux retard en investissement dans la chaîne de production. Aujourd’hui, les sociétés s’engagent davantage en capital-investissement en amont de la chaîne de production. Le but final devrait assurer une alimentation suffisante, qualitative et abordable afin de répondre aux besoins d’une population globale en croissance tout en préservant et fertilisant les ressources naturelles pour ne pas compromettre la qualité de vie des générations futures.

Sur le terrain du gaspillage les financiers et les environnementalistes devraient trouver un terrain d’entente car pour les premiers il conduit à une mauvaise utilisation des ressources économiques ; pour les seconds des ressources naturelles.

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Pollution en Chine, mais que font les autorités?

Le 10 août 2015

Record de vues sur les médias sociaux les premiers jours de sa parution pour le documentaire 2015 sur la pollution de l’air en Chine « under the dome ». Ce documentaire de plus de deux heures, réalisé par l’ancienne journaliste vedette de la télévision Chai Jing, dénonce les sociétés étatiques dans le secteur de l’énergie, production d’acier et charbon comme obstacles majeurs à l’implémentation des mesures contre la pollution prises par le gouvernement chinois. En effet, le film condamne l’inertie du Ministère de l’Environnement face aux effets du smog sur la santé. De plus, la journaliste vise à sensibiliser les citoyens et à les convaincre de leur propre responsabilité dans cette situation.

La pollution atmosphérique en Chine n’est pas un phénomène nouveau. Avec des niveaux dix fois supérieurs aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé, le pays fait face à la pollution globale de l’air la plus importante dans le monde en termes de particules dans l’air (PM 2.5). cette pollution conduit inévitablement à des problèmes majeurs de santé inclus des morts prématurées.

Au-delà des coûts de santé, le smog pèse sur l’économie générale. Les pics de pollution peuvent réduire la visibilité jusqu’à moins de 250 mètres voire même 50 mètres. Le trafic aérien et routier en est dès lors impacté ; certaines sections d’autoroute devant être fermées et des vols annulés.

De plus, la qualité de l’air nuit de plus en plus à l’engagement et à la rétention des talents expatriés en Chine. Pour les sociétés américaines mais surtout européennes, la qualité de vie est primordiale dans les considérations d’un nouvel emploi. Bien que les multinationales offrent des compensations financières alléchantes et des couvertures d’assurance plus avantageuses, les expatriés talentueux rechignent à rejoindre les mégalopoles chinoises pour y travailler. La problématique est similaire en Inde.

Exposition médiane annuelle – PM 2.5

par défaut 2015-08-04 à 13.40.31Source : Banque Mondiale – 2010-2014

Les autorités du pays sont bien conscientes de cette problématique majeure. Le gouvernement chinois est aujourd’hui celui qui investit le plus dans la R&D en énergie renouvelable. La Chine est un des plus importants producteurs de panneaux solaires et de turbines d’éolienne, non seulement du fait de la faiblesse de ses coûts de production mais également du fait des investissements importants par le pays en recherche et développement.

De plus les autorités ont adopté un plan ambitieux 2013-2017 pour lutter contre la pollution de l’air, représentant jusqu’à 3% du PIB du pays. Depuis les années 80, les investissement pour la protection environnementale ont été augmentés de 0.5% du PIB à 1.9% en 2010 et plus de 3% aujourd’hui.

Cependant, le film « under the dome » dénonce l’absence d’implémentation réelle d’un tel plan.

Dans le cas de la Chine, il faudra d’abord s’assurer que les décisions du gouvernement central soient implémentées au niveau local. À cette fin, le pouvoir centralisateur a inclus une évaluation des officiers locaux pour le succès de son plan.

Il est intéressant de se pencher sur les sources principales émettrices de particules PM 2.5. L’analyse dans la ville de Bejing est pertinente pour l’ensemble du pays. Ici, les principaux responsables de l’air irrespirable sont le transport et les industries lourdes.

Principales sources émettrices de PM 2.5 – cas de Beijing

par défaut 2015-08-04 à 13.41.43Source: Beijing Municipal Environmental Protection Bureau, via publication Exane 22/09/14

Dans le secteur du transport, le pays a imposé des restrictions drastiques – voire les plus sévères dans le monde – sur la consommation d’essence pour les voitures (-5.3% annuellement) d’ici 2020.

Le charbon explique à lui seul un quart de la médiocrité des standards de qualité de l’air. Depuis 2013, les autorités centrales et locales ont également défini certains contrôles de consommation de charbon. Au-delà du quantitatif, la qualité du charbon est également de plus en plus soumise à des contrôles et restrictions. Cependant, le charbon reste une source très bon marché pour la génération centrale de l’énergie. La Chine, grande consommatrice de charbon, doit défier la réallocation de son mix énergétique afin d’être moins dépendante de cette source fortement polluante. Le pays s’est engagé à réduire la part du charbon en-deçà des 65% d’ici 2017; ce qui reste cependant une source majeure de son mix énergétique. Reste à voir si un programme de prix du carbone efficace pourrait modifier la situation.

Le gouvernement central a fait de la protection environnementale sa priorité. Les conséquences en matière de santé sont substantielles. Sur le plan économique, le coût est tel que les autorités n’ont pas d’autres choix que de trouver rapidement une solution efficace.

L’engagement du pays n’a eu de cesse dès lors de croître ces dernières années.

Cependant, à la vue de la situation mise en évidence dans le film “under the dome” – malgré la remise en question de son indépendance et de sa véracité – l’implémentation au niveau local et, plus important encore, l’impact des mesures restent encore à se matérialiser.

L’accomplissement des objectifs de pollution d’air est donc partie intégrante de l’évaluation de la performance des instances locales.

Plus importantes encore: les mesures de renforcement pour l’application des règles environnementales. Bien que celles-ci ne soient pas extrêmement drastiques, elles s’inscrivent dans un effort commun et incluent:

  • Élévation du risque des amendes pour les entreprises en défaut ;
  • Investissement dans les capacités de monitoring afin d’effectuer les campagnes de vérifications;
  • Pouvoir accru aux ONG reconnues par l’Etat par rapport aux sociétés en défaut vis-à-vis des réglementations environnementales, notamment possibilité de poursuites judiciaires.

“Sous le dome” dénonce une réalité bien connue mais également la responsabilité des citoyens. Les niveaux de pollution sont tels en Chine que les mesures mises en place semblent insuffisantes pour remédier à la situation.

Néanmoins, les mesures et les moyens donnés ne cessent de croître et, étant donné l’impact économique, les autorités seront forcées tôt ou tard – sans doute pour les mauvaises raisons – de renforcer encore leurs politiques et programmes. Evidemment, ceci sans mal étant donné les intérêts et conséquences critiques pour les entreprises étatiques.

Cependant, le documentaire, au-delà de la problématique majeure environnementale, soulève également la question de l’absence de débat sur le sujet, résultat de l’absence de liberté, en particulier l’absence de liberté de la presse et des droits civiques. La Chine est évidemment à mille lieux de l’exemple récent des Pays-Bas, condamnés par la justice hollandaise de réduire davantage ses émissions de gaz à effet de sphère suite à la plainte déposée par 900 citoyens. Cependant ce film est une étape importante aussi pour davantage de liberté d’expression.


La transparence, un mot clé en investissement responsable

Le 16 juin 2015

La semaine dernière avait lieu la sixième édition du Geneva Forum For Sustainable Investment (GFSI) à Genève. Maître mot du forum : la transparence.

En effet, tout le monde s’accorde à dire que la durabilité est à un tournant puisque l’ensemble des acteurs sont conscients que l’inaction par rapport aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sera plus coûteuse que l’action.

Le comportement des trois agents économiques que sont l’Etat, le consommateur et l’entreprise dicte de nouvelles règles et demande une adaptation des secteurs économiques, y compris le secteur financier.

En effet, l’Etat, par sa régulation croissante mais aussi les régimes fiscaux, force l’adoption de comportements plus responsables.

Le consommateur, dans une démarche globale de durabilité responsable, exprime de nouveaux besoins et comportements de consommation qui tranchent avec le passé.

Enfin, l’entreprise, consciente de son rôle, et face au nouveau paradigme de son client, adapte son comportement et ses politiques pour légitimer ses modes opératoires.

A ce tournant de la finance durable, les techniques et les mesures de qualité n’ont de cesse de s’améliorer et de gagner en maturité. Le grand défi actuel réside dans la transition de la conscientisation à l’intégration et l’implémentation dans la gestion globale. Néanmoins, face à une offre très riche en investissement durable et responsable, les investisseurs sont désorientés. Force est de constater que la connaissance des intermédiaires est médiocre.

Il faut donc comprendre et définir les objectifs de deux mondes distincts, celui de l’investissement responsable et celui des investisseurs, afin de les faire converger vers un but commun.

Les intermédiaires ont un rôle crucial à jouer dans ce processus.

La transparence s’impose dans les marchés de manière croissante. En amont pour l’origine de l’argent ; en aval pour la destination de l’argent. La traçabilité des flux monétaires est primordiale, notamment pour éviter tout risque réputationnel.

C’est donc en toute transparence que les intermédiaires et les consommateurs finaux doivent être informés sur l’approche des produits durables, leur philosophie, leur objectif, leur composition et leur structure de coût.

L’organisation de forums, tels que celui de Genève, permet de réunir un grand nombre d’investisseurs et de spécialistes qui rehaussent le débat et améliorent le niveau de connaissance. Il permet aussi de faire connaître des approches moins connues comme l’intégration des critères ESG dans les classes d’actifs telles que l’infrastructure ou les obligations gouvernementales, moins courantes que les actions ou les obligations d’entreprises.

Au cœur de l’approche durable et responsable, la transparence permet un réel échange d’information et de meilleures pratiques avec un objectif d’amélioration permanente et de contribution à une finance plus durable pour demain.

Face à une prise de conscience individuelle et collective de plus en plus grande et à un activisme croissant des investisseurs et des individus, la gestion durable peut espérer être davantage qu’une niche pour investisseurs spécialisés ; elle serait totalement intégrée dans une approche globale, compréhensible et accessible à tous, avec un véritable impact sur le fonctionnement de la sphère économique.


L’Afrique, les smart grids de demain – investir durablement en Afrique

Le 18 mai 2015

L’Afrique, encore appelée le continent perdu il y a quelques années, est aujourd’hui considérée comme le continent de l’avenir. Il faut, en effet, reconnaître que celui-ci montre des chiffres impressionnants. Tout d’abord, elle jouit d’une réelle superficie qui peut englober à elle seule l’Europe, les Etats-Unis, la Chine, l’Inde et l’Argentine!

Le territoire offre une grande diversité de richesses du sol puisqu’il dispose du tiers des réserves mondiales en matières premières minérales non énergétiques. Ses exportations consistent principalement en pétrole, minerais et produits agricoles.

Ensuite, le continent qui compte 1 milliard d’habitants aujourd’hui, verra ce chiffre doubler à l’horizon 2050. Il s’agit d’un véritable défi d’urbanisation puisque les villes, peuplées de 350 millions de citoyens aujourd’hui, atteindront 1 milliard d’habitants d’ici 2030 !

Au défi de l’urbanisation s’ajoute celui de l’éducation qui est le deuxième objectif des « Objectifs de Développement pour le Millenium » des Nations-Unies. Beaucoup d’investissements dans le domaine ont déjà été réalisés et ont permis l’allongement de la période d’éducation scolaire. Cependant, c’est également le cas dans nos pays développés, de sorte que l’écart de formation ne diminue pas et pose un défi pour un nivellement de la qualification de la main-d’œuvre de ces pays.

Si beaucoup mettent en avant le taux de croissance, il faut néanmoins noter que celui-ci est inégal et que la création d’emplois qui y est liée reste insuffisante. Dès lors, partant du postulat que l’Afrique est le continent de relais de la croissance tant attendue, il faut être attentif aux piliers de durabilité sur lesquels repose celle-ci.

D’abord la stabilité politique. Les agences de notation financière ont intégré des critères tels que les indicateurs de gouvernance de la Banque Mondiale. D’autres indicateurs peuvent être également révélateurs des risques d’instabilité politique. L’exemple des massacres d’étudiants en septembre dernier dans l’Etat de Guerrero à l’ouest du Mexique illustre bien ces propos. En général d’origine indigène, les étudiants – enseignants de demain et chargés de l’alphabétisation des zones les plus rurales – étaient des enfants de paysans et des étudiants d’écoles créées après la révolution, dans un contexte de contestation forte qui forge toujours les esprits et la formation. Les évènements ont démontré à quel point l’infiltration du crime organisé et du trafic de drogue est importante au sein des instances dirigeantes du pays. Combinés avec une population pauvre et une distribution des richesses inégalitaire, les conflits sociaux sont importants.

Ensuite la population. Le potentiel démographique est énorme dans ces pays. Encore faut-il qu’il soit durable, alors que des épidémies telles qu’Ebola ont décimé certaines populations et que le sida est un fléau majeur dans nombre d’entre eux. Il faut également s’intéresser à la mortalité infantile ou à la couverture de vaccination primaire.

Les jeunes seront le relais de croissance s’ils sont formés et intégrés dans le marché du travail. Plus le niveau d’instruction d’une population est faible, plus le risque de rébellion est élevé. C’est d’autant plus vrai si la croissance ne bénéficie qu’à une minorité de la population. La croissance doit donc être inclusive et passer par un secteur de transformation porté par les PME locales, créatrices d’emploi, innovantes et dynamiques.

Un pays comme le Kenya diversifie ses sources de croissance pour ne pas être dépendante exclusivement d’une ou plusieurs matières premières, comme c’est la cas au Nigéria qui est tributaire de l’évolution du prix du pétrole.

Enfin, l’enjeu environnemental. Nous avons déjà évoqué l’enjeu de l’urbanisation qui peut être accueilli positivement puisque, selon certains, l’apparition des smart grids et autres smart cities aurait d’abord lieu en Afrique avant de se développer sur notre vieux continent.

D’autres enjeux sont essentiels comme la sécheresse et l’accès à l’eau potable. La sécheresse est un risque réel pour la Corne de l’Afrique et l’Afrique subsaharienne. L’accès à l’eau potable est évidemment plus problématique dans les zones rurales qu’urbaines. Dans certains pays, comme le Botswana ou le Sénégal, l’eau potable peut se révéler deux fois moins accessible dans les campagnes que dans les villes.

Il n’est pas question ici de décourager les investisseurs en soulevant les nombreux défis auxquels doit faire face le Continent Africain. Au contraire ! L’objectif est de souligner les opportunités et la diversité des pays. Le Nigéria n’est pas le Ghana qui n’est pas le Mozambique ou encore l’Afrique du Sud. Cette diversité est intéressante pour l’investisseur qui peut également profiter de la décorrélation entre les devises.

par défaut 2015-05-08 à 10.37.12En investisseur avisé et responsable, s’intéresser au développement durable sur lequel repose la croissance de ces pays est une garantie pour la stabilité et la pérennité des rendements.


L’ISR afin de réinventer la gestion active

Le 28 avril 2015

Une table ronde organisée par les Echos à Paris le 15 mars 2015 avait pour titre : « L’ISR pour réinventer la gestion active face au raz de marée de la gestion indicielle ».

Soutenue par les Etats-Unis, la gestion indicielle gagne du terrain et représenterait plus de 15% des actifs gérés dans le monde. Sans avancer de chiffres, les spécialistes en la matière invoquent une progression notable, notamment parce que la gestion indicielle et passive n’est pas nécessairement en opposition à la gestion active. Au contraire, nombreux sont les investisseurs institutionnels qui l’utilisent en complément pour des questions de liquidité et d’efficacité. En effet, le coût serait la première raison d’investissement.

Cependant, la gestion indicielle et passive soulève plusieurs questions.

Tout d’abord, la question des indices qu’elle réplique, basée sur leur capitalisation boursière côté actions et leur endettement côté obligations. La crise des souverains de la zone euro avait déjà mis en exergue les distorsions de pareille construction ; cependant la large majorité des indices obligataires – souverains ou d’entreprises – reste construite sur la base de l’endettement de l’Etat ou de la société. Ainsi, Lehman Brothers, 2 semaines avant sa faillite, voyait son poids doubler dans l’indice américain Iboxx suite à une nouvelle émission et représenter 5% de l’indice. Était-il bien raisonnable de copier cette composition et doubler sa position à 15 jours de l’écroulement de ce géant ?

Cela a bien entendu été étudié après la chute de Lehman Brothers et certaines leçons en ont été tirées. Car la gestion passive et indicielle ne manque pas d’idées et l’innovation fait émerger constamment de nouvelles stratégies basées sur des indices construits différemment comme le « equally weighted » càd. l’équipondération des positions ou encore le « low risk contribution » càd. un poids plus important en fonction de la contribution au risque total de l’univers. Ces stratégies, appelées à la mode « smart beta », découlent fortement de réflexions purement économiques et financières et reposent sur de savants calculs mathématiques. Or, un questionnement peut avoir lieu également sur la composition de l’indice et la définition qui en est donnée. Par exemple, un indice dit « faible volatilité » ou les stratégies « low vol », quelle est la définition de volatilité ? Le risque encouru par l’investisseur est-il réellement défini par la seule notion d’écart-type ou standard deviation ?

Le monde des ETF et de la gestion indicielle s’interroge également. Et, au regard de ses innovations, il est légitime de s’interroger si la gestion passive ne s’approprie pas finalement la gestion active.

L’ISR est une approche fondamentale, en soi un smart beta aussi dans le jargon, qui se base sur la remise en question de l’acteur économique intégré dans un environnement complexe, globalisé et interconnecté. Dans la classe des actifs obligataires, la démarche se concentre davantage sur la capacité de l’acteur économique (Etat ou entreprise) à rembourser les dettes contractées plutôt qu’à sa capacité à emprunter davantage. Il s’agit d’une approche de conviction, qui n’a pas peur de s’éloigner des indices boursiers traditionnels. Et si la tracking error peut sembler forte puisque la gestion est détachée de l’indice, l’investisseur prend-il réellement un risque supérieur ?

Vient ensuite la question de l’impact de l’investisseur. Si la gestion passive gagne du terrain au point de se substituer à la gestion active, l’ensemble des investisseurs se comporte dans le même sens en répliquant les mêmes indices. À côté d’un questionnement évident sur la liquidité des marchés, le risque systémique est également important.

Enfin, nous terminerons sur un rôle important en cette saison des assemblées générales des actionnaires : celui de l’actionnaire. L’ISR s’inscrit dans une démarche responsable càd. faire entendre sa voix par le vote et le dialogue engagé avec l’entreprise. D’une part, c’est prendre sa responsabilité en tant qu’investisseur : en prenant des décisions d’investissement nous avons un impact social, économique, environnemental et de gouvernance sur l’entreprise. D’autre part, la recherche académique montre qu’un dialogue engagé réussi avec l’entreprise conduit à une amélioration de sa valeur, une situation gagnante pour tout le monde.

Il est encore rare que la gestion passive et indicielle fasse entendre sa voix auprès des sociétés, notamment du fait de la question de qui va supporter le coût du processus de vote.

L’ISR ne réinvente pas la gestion active. Il le complémente dans une évolution logique de notre monde actuel.

L’ISR est donc une approche et une démarche globale en complément de la gestion active, perpétuellement en innovation puisqu’il s’agit d’un questionnement global face à un environnement en constante mutation.


La journée de la femme : toujours une nécessité !

Le 12 mars 2015

La journée de la femme reste toujours l’occasion de faire le point sur la représentativité des femmes au pouvoir. L’an dernier, l’angle d’observation était plutôt depuis la sphère privée, principalement la représentation des femmes au conseil d’administration des entreprises. L’imposition de quotas minimum pour une représentation féminine aux instances de gouvernance des sociétés publiques et ou de grande taille se fait croissante et contribue à rehausser le niveau de présence féminine, qui reste cependant largement minoritaire.

Et pourtant les recherches et études ne cessent de démontrer la valeur ajoutée d’une diversité dans les instances de direction, capable de véritablement challenger les décisions prises et apporter un autre point de vue et d’autres pistes de réflexion. Tournons-nous cette fois vers la sphère publique car les gouvernements et autres institutions dirigeantes des pays jouent un rôle crucial dans le développement de ceux-ci. Ici aussi, les femmes restent de manière générale sous-représentées dans les différents échelons de pouvoir, décisionnel, juridique ou de gouvernance. En moyenne les femmes représentent à peine un tiers des postes de décisions dans l’OCDE.

Et pourtant, il est assez logique de concevoir que les instances décisionnels, en charge de la conception à l’implémentation et le contrôle des lois et réglementation, reflètent la composition de la population pour laquelle ces réglementations s’appliquent et s’adressent.

Bien qu’il y ait des différences majeures entre les pays, notamment les membres de l’OCDE, le défi reste global. Les facteurs socio-économiques et historiques expliquent toujours la prépondérance masculine au sein des instances de gouvernance. D’une part les contraintes liées à la fonction sont souvent difficilement compatibles avec les responsabilités familiales qui culturellement reposent de manière prépondérante sur les femmes. D’autre part, les qualités de leadership et d’entrepreneuriat restent l’adage des hommes.

Evidemment la question est également liée au système électoral puisque pour un grand nombre de fonctions, ce sont les électeurs qui attribuent les postes. La Belgique est ici un bon exemple d’encourager des femmes au parlement en introduisant des lois de quotas de candidates sur les listes électorales. La première législation de quota fut introduite en 1994 avec un requis minimum de 25%. Ce requis fut rehaussé jusqu’à 50% en 2002 avec une exigence supplémentaire que les deux têtes de liste soient de sexe différent. Ces différentes lois ont permis une hausse importante des femmes au sein des parlements du pays.

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La disparité entre hommes et femmes est visible en termes de représentativité mais également au niveau des salaires. Comme dans le secteur privé, la différence salariale reste toujours une problématique pour les fonctions équivalentes avec aussi une concentration des femmes dans les fonctions moins bien rémunérées.

Et pourtant, comme dans le secteur privé où les études montrent la corrélation positive entre présence féminine au sein des conseils d’administration et performance de la société, il existe également une corrélation positive entre moins de disparités au sein d’un pays et la proportion de femmes dans les législatures. De même il existe une relation positive entre le nombre de femmes ministres au sein d’un gouvernement et la confiance accordée à ce dernier. Enfin, la diversité au sein du pouvoir d’une société est essentiel pour maximiser sa compétitivité en assurant les solutions les plus innovantes et garantes de croissance.

 

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Cette année, fêtons la Saint Valentin autrement !

Le 13 février 2015

En effet, les 13 et 14 février prochains seront les deux jours consacrés à la campagne internationale de désinvestissement dans les énergies fossiles (« Global Divestment Day – http://gofossilfree.org/).

Les voix s’élèvent de plus en plus à travers le globe pour un désinvestissement total des énergies fossiles. L’objectif poursuivi par les militants est d’obtenir le même succès qu’à l’époque de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud qui avait donné lieu à une campagne majeure de désinvestissement dans toute entreprise impliquée.

Alors que 2014 vient d’être déclarée l’année la plus chaude depuis le début des relevés de températures il y a près de deux siècles, il est indéniable que la menace du changement climatique est bien présente et requiert une transition énergétique radicale. Cette dernière repose de moins en moins sur les énergies fossiles pour faire place à davantage d’énergies renouvelables et propres. L’enjeu de réduction des émissions carbone gagne en importance depuis le risque croissant d’une législation plus stricte en la matière pour éviter tout réchauffement climatique. La limite de 2° de réchauffement de la température globale reste ambitieuse et exigera très certainement davantage de mesures et de contraintes.

Dans ce contexte et avec un prix du baril en baisse continue, les entreprises du secteur énergétique sont appelées à remettre en question leur allocation de capital dans des projets coûteux de développement énergétique basé sur des ressources fossiles fortement émettrices de carbone et des projets dont la rentabilité peut être mise à mal avec un baril inférieur à USD 90.

Les entreprises du secteur pétrolier et gazier font dès lors face à un moment crucial de leur développement où la question de l’allocation du capital se complexifie et un véritable paradigme de leurs sources de revenus et de leur plan de développement sur le moyen et long-terme émerge.

Ces deux jours de campagne appellent à se mobiliser pour un engagement collectif des investisseurs et autres acteurs afin d’obtenir des gouvernements la fin des subsides pour les énergies fossiles, qui représentent des milliards pour le secteur par an, et une détermination du prix du carbone pertinente.

La question du prix du carbone est clé pour déterminer le risque auquel s’exposent les sociétés du secteur. Nous l’avions évoqué dans notre précédent blog avec la question des dits « stranded assets » c’est à dire les actifs des réserves qui ne seraient pas exploitées en cas de législation plus stricte et plus contraignante à restreindre le niveau d’émissions carbone. Il s’agit pour une grande partie essentiellement des actifs non-conventionnels, dont l’exploration et les coûts de production sont élevés et ce inclus les sables bitumeux, les actifs offshore ou en eaux profondes. Face à leur incapacité d’exploiter leurs réserves d’énergies fossiles, les sociétés pétrolières et gazières vont voir leur valorisation en chute libre suite à leur forte corrélation avec leurs réserves d’énergie prouvées. Elles font donc face à un nouveau paradigme qui devrait laisser davantage de place au développement du renouvelable.

Dans ce cadre, elles pourraient également trouver une source de financement intéressante via les dites « green bonds ». Ces obligations vertes sont des obligations traditionnelles mais vertes dans le sens que l’argent levé doit financer un projet concret lié à l’environnement. Le marché souffre aujourd’hui de l’absence d’une définition unique et de standards en la matière. Cependant, il a connu un fort engouement l’an dernier avec près de USD 20 milliards levés et plusieurs éléments confortent l’idée d’un plein essor également pour 2015.

En effet :

  1. La transition énergétique, l’efficacité énergétique et le développement durable, est un vrai levier pour le marché.
  2. Le marché se diversifie, aussi bien en termes d’émetteurs (à l’origine des supranationales, aujourd’hui de plus en plus d’entreprises du secteur privé), que de secteurs (encore largement dominé par les biens d’utilité publique, d’autres secteurs se lancent). La taille des émissions s’accroit et se rapproche de plus en plus de la taille standard des émissions traditionnelles pour les investisseurs institutionnels ;
  3. L’adoption des Principes des Obligations Vertes est un pas dans la bonne direction vers plus de structuration et de standardisation du marché.

Enfin, dans le nouveau paradigme du secteur, la piste des programmes de capture et stockage des émissions carbone est à creuser afin que la technologie apporte la viabilité au projet, qui fait encore défaut aujourd’hui.

Bonne Saint Valentin 😉


Prévisions 2015 : 0% carbone ?

Le 12 janvier 2015

Comme le veut la tradition, le début d’année coïncide avec les prévisions des différents économistes pour la nouvelle année.

Pour l’Europe, les perspectives sont modestes : croissance, inflation et taux d’intérêt proches de 0%… et que dire d’un 0% d’émission carbone ?

Le concept

Depuis maintenant près de deux ans a été lancé le débat de la décarbonisation de l’économie et la thèse des dits « stranded assets » c’est à dire ces actifs, principalement pour le secteur de l’énergie (pétrole, gaz et biens d’utilité publique), qui deviendraient inexploitables si les régulations en matière de limitation de la hausse de température de la planète devenaient plus sévères. La théorie des stranded assets se base sur une large portion de réserves de carbone déjà comptabilisées qui deviendraient imbrûlables en cas de hausse du prix du carbone et donc de l’augmentation sensible des coûts d’exploitation.

En effet, pour ne pas excéder les 2° de réchauffement climatique, mondialement reconnu, le budget total d’émission carbone devrait se tenir à 565 gigatonnes de CO2 d’ici 2050. Cependant, les réserves actuelles de charbon, gaz et pétrole représentent plus de 5 fois le potentiel d’émissions carbone que ce budget estimé. Le risque de réglementation vers davantage de restriction est donc particulièrement élevé. D’ailleurs, le nombre de mesures réglementaires déjà initiées a triplé ces 10 dernières années dans plus d’une soixantaine de pays.

Si les limitations en émissions carbone devaient se renforcer, les sociétés pétrolières notamment ne seraient pas en mesure d’exploiter certaines de leurs réserves ; ces actifs sont dit « stranded » ou imbrûlables.

Il s’agirait essentiellement des actifs les plus exposés et les plus vulnérables c’est à dire ceux dont la production est la plus coûteuse et la plus émettrice de carbone comme les sables bitumineux, les exploitations en eaux profondes, les actifs offshore comme en Arctique ou encore tout actif qui a un coût d’exploitation supérieur au pétrole conventionnel mesuré en équivalent de baril de pétrole.

L’agence internationale de l’énergie estime à 2/3 des réserves d’énergie fossile existantes non exploitables si la communauté internationale mettait en application son objectif de limiter la hausse de la température à moins de 2° au-dessus des niveaux préindustriels.

Un risque pour les investisseurs ?

Le concept de stranded assets émerge essentiellement d’un risque croissant de réglementation en matière d’émissions carbone. Il se base sur des hypothèses de réglementation plus stricte et plus imposante. Les différentes grandes réunions sur l’environnement montrent un engagement croissant en la matière, y compris les grandes Nations les plus polluantes comme le dernier accord des Etats-Unis et de la Chine. A la veille du sommet COP 21 – Conférence sur le Changement Climatique des Nations Unies – à Paris, les attentes sont grandes pour plus d’engagement concret et chiffré. Même si plusieurs anticipent déjà une grande déception, le COP 21 augmentera la pression vers plus de transparence sur le risque carbone.

Une régulation plus stricte et plus contraignante engendre le risque d’une création de bulle carbone qui pourrait coûter cher aux investisseurs devant faire face au scénario long terme de décarbonisation de l’économie. Ce scénario conduirait à une séparation des actifs les plus exposés et une réallocation des sites exploités si possible.

Comment se protéger ?

Si les sociétés se trouvent incapables d’exploiter une large part de leurs réserves d’énergie fossile, le marché pour ce type de produit cesse effectivement d’exister et pose un défi important pour les investisseurs. En effet, la valorisation des entreprises énergétiques est fortement corrélée aux réserves prouvées d’énergie, qui peuvent se dévaloriser substantiellement.

Un investisseur averti en vaut deux. Mais comment approcher ce risque encore jusqu’ici très théorique et fortement dépendant des hypothèses sur le réchauffement climatique et les réglementations qui pourraient s’ériger ?

Aujourd’hui, plusieurs investisseurs institutionnels comme par exemple le fonds de pension danois, PensionDanmark, ont choisi la voie de désinvestir dans le secteur. La campagne de désinvestissement pour une économie exempte d’énergies fossiles bat d’ailleurs son plein. Les fonds de pension légaux en Suède, la famille des fonds AP, se sont engagés également à classer leur portefeuille d’investissement en fonction du risque carbone (élevé, moyen et faible) et à désinvestir des sociétés mondiales pour lesquelles le risque est élevé.

Le fournisseur global d’indice FTSE a également collaboré avec l’un des plus grand gestionnaire de fonds, Blackrock, pour la création d’une nouvelle famille d’indices exempts de toute énergie fossile. Sont exclus de ces indices les sociétés qui extraient ou exploitent les énergies fossiles.

L’autre piste est celle de l’engagement et de récompenser potentiellement les sociétés les plus proactives par rapport à la problématique, notamment celles se tournant davantage vers les énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles. Ou encore les programmes de capture et de stockage du carbone émis.

Malgré l’absence d’une réglementation globale, le secteur énergétique fait déjà face à des transformations importantes – régulation de la qualité de l’air, coûts à la baisse du renouvelable, disponibilité de l’eau, etc. Les sociétés de biens d’utilité publique sont confrontées à l’incertitude de la durée de vie des sites de génération d’énergie et les mécanismes de marché tels que les prix du carbone y contribuent. Par conséquent, elles sont également vulnérables aux actifs dépréciables.

Le concept de stranded assets, bien qu’encore fort théorique et hypothétique, soulève des questions importantes pour le secteur des énergies fossiles. Les analystes financiers devraient intégrer différentes hypothèses afin d’évaluer leurs résultats de valorisation aux scénarii plausibles. Les métriques traditionnelles telles que le ratio de remplacement des réserves seront remplacées ou tout au moins perfectionnées afin d’intégrer des métriques complémentaires reflétant davantage un monde contraint à des limitations d’émissions carbone.


Respect pour les droits humains: quel rôle pour les investisseurs !

Le 24/12/2014

A quelques jours de la journée des droits de l’Homme, une table ronde intitulée: « respect pour les droits humains: quel rôle pour les investisseurs » était organisée.

Une fois n’est pas coutume dans le monde plutôt masculin de la finance : trois femmes et un modérateur. Et trois scandinaves dans un auditoire parisien !

L’engagement de la Scandinavie est fort d’acualité, aussi bien par le biais de ses entreprises que de ses investisseurs. Faut-il rappeler la liste noire des sociétés exclues à l’investissement pour cause d’allégations fortes en droit social et humain du fonds norvégien du pétrole et reconnue comme référence par les investisseurs éthiques ?

Il faut dire que pour les investisseurs le risque est triple. D’une part, le risque réputationnel, pour l’entreprise impliquée. Mais aussi pour l’investisseur dès lors impliqué indirectement et d’autre part le risque économique et financier, la violation de droits humains représentant une forte raison de dévalorisation du titre.

L’atteinte à la réputation et les impacts financiers et opérationnels qui en résultent en sont, en général, les conséquences principales, les amendes monétaires étant moindres. Le monde de l’investissement doit intégrer un nouveau concept d’analyse financière : non plus le ratio P/E pour « price to earnings » (cours boursier sur résultat) mais pour « Price to Ethics » (cours boursier sur approche éthique).

Les investisseurs scandinaves engagés préconisent avant tout le dialogue avec le gérant d’actifs et l’entreprise coupable de violation. L’engagement peut être coopératif afin d’avoir plus de poids, comme il est maintenant aussi possible via le mécanisme Clearing House des Principes des Investissements Responsables sponsorisé par les Nations Unies (UNPRI). Désinvestir dans l’entreprise est le moyen utilisé en dernier ressort en cas d’échec de la procédure d’engagement.

Alors qu’on dénombre 35,8 millions de personnes victimes aujourd’hui d’esclavage moderne, il n’est pas désuet de se rappeler la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948.

D’ailleurs, la consultation de la lettre journalière de l’ONG Human Rights Watch démontre par sa variété et son internationalisation, que de nombreux progrès sont toujours à faire pour garantir ces droits élémentaires.

Les abus de droits humains sont divers. Le graphe ci-dessous montre la hausse des controverses liées au respect des droits humains.

par défaut 2014-12-12 à 16.29.39Au-delà des problématiques de chaînes d’approvisionnement, souvent liées à des formes d’esclavage moderne ou de discrimination sociale comme l’interdiction du droit d’association, le respect des communautés reste toujours problématique, notamment dans les secteurs agricoles ou les industries du secteur extractif.

OUI, les investisseurs ont un rôle à jouer. Le Rana Plaza, l’incendie de cet immeuble au Bangladesh révélant l’esclavage de l’industrie textile, en est un bel exemple avec la campagne Clean Clothes Campaign. Les investisseurs et les entreprises se sont engagés à améliorer les conditions de travail y compris à faire pression sur le gouvernement afin d’assurer un salaire minimum aux ouvriers.

Le scandale des crevettes en Thaïlande a également dévoilé l’esclavage sur les bateaux de pêche et la responsabilité des entreprises – ici agro-alimentaires – vis-à-vis du contrôle de leur chaîne complète d’approvisionnement.

L’intégration de la chaîne d’approvisionnement dans les politiques d’engagement des entreprises est de plus en plus sous la loupe des investisseurs. Ces derniers ne veulent pas se rendre complices de violation de droits et adoptent de plus en plus le principe de Savoir, Observer, Alerter, Influencer et Remédier.

Un indice pour se référer !

De plus, les investisseurs peuvent désormais se référer à un indice sur les droits humains. Annoncé le 1er décembre dernier à Genève lors du 3e forum des Nations Unies sur les droits humains, l’indice Corporate Human Rights Benchmark a pour objectif d’offrir un cadre référentiel de problématiques matérielles liées au non-respect des droits humains. En collaboration avec le groupe de travail sur la question des Nations Unies, il offre également une base de données transparente aux investisseurs et aux entreprises. L’indice se concentre dans un premier temps sur les 500 plus grandes sociétés dans les domaines les plus exposés au risque de violation des droits de l’homme : l’agriculture, l’appareillage, la technologie d’information et de communication et l’industrie extractive.

Des législations pour plus de transparence

De plus en plus de pays exigent des entreprises – généralement cotées – un rapport sur les politiques mises en place sur la question des droits humains, avec une approche souvent dite de « comply  or explain » soit être conforme ou justifier.

Les sociétés font face donc à un niveau de conformité de plus en plus exigeant. Soit elles sont capables de répondre de la qualité, la compréhension et l’intégration de leur politique en la matière, soit si elles ne se déclarent pas, elles devront rendre des comptes notamment devant la société civile. Ces différents points peuvent être aussi l’objet d’un dialogue engagé avec les investisseurs responsables.

Pareille législation vers davantage de transparence existe déjà au Royaume Uni pour les sociétés cotées, en France pour les sociétés cotées et celles comptant plus de 500 employés, en Suède pour les sociétés publiques, au Danemark, pour les entreprises publiques, les sociétés cotées et non cotées en fonction de leur taille. Une fois de plus, les pays scandinaves montrent l’exemple…

En avril 2013 la Commission Européenne a adopté une proposition de Directive, actuellement à l’étude par le Parlement Européen, qui obligera les 18.000 plus grandes sociétés européennes à publier leur rapport non financier sur base du principe « comply or explain », en incluant l’information sur les droits humains, la diversité, la lutte contre la corruption et autres indicateurs clés ESG.

Alors qu’une large majorité des pays du monde a ratifié les principaux traités des droits humains (principalement au nombre de neuf), la violation de ces droits élémentaires est quotidienne et courante dans plusieurs régions et les autorités internationales semblent manquer leur agenda à plusieurs reprises.

Que ce soit le manque d’égalité pour les femmes dans le monde islamique ou la persécution des dissidents religieux ou politiques, les exemples sont nombreux pour nous rappeler le besoin criant de défense des droits humains.

L’autoritarisme politique gagne du terrain en Russie, Turquie, Hongrie et Vénézuela. Même l’Europe et les Etats-Unis, considérés comme grands défenseurs modèles des droits humains, ne sont pas à l’abri. La crise de la dette en Europe a nourri des mouvements extrémistes de xénophobie notamment envers les communautés musulmanes. Aux Etats-Unis, les évènements du 11 septembre ont faire renaître des pratiques de torture dans certaines prisons et ailleurs. Et l’indice mondial d’esclavage recense 1500 personnes dans notre pays, victimes d’esclavage moderne.

Ce n’est que depuis quelques décennies que les gouvernements ont pris leur responsabilité vis-à-vis des droits humains et ceci depuis un angle international. Les Etats-Unis et l’Europe ont récemment condamné les incidents en Syrie, Russie, Chine ou encore Iran. Et l’aide internationale devient conditionnelle du respect des droits humains.

L’indice Corporate Human Rights à l’initiative d’investisseurs responsables, en classant les sociétés globales cotées dans les 4 secteurs les plus exposés (agriculture, technologies d’information et de communication, secteur extractif et appareils), a pour but de lever le voile sur les pratiques de ces entreprises les plus exposées et ainsi de faire pression par le biais du risque réputationnel tel une épée de Damoclès brandie au-dessus de leur tête.


Gouvernance d’entreprise: que penser des dernières réformes?

Par Petercam

Le 18 novembre 2014

Puisque la force et la qualité du cadre institutionnel sont essentiels au bon fonctionnement d’un pays, la gouvernance d’entreprise est primordiale afin d’assurer sa croissance durable.

Dans la foulée de la crise financière et économique de 2008,  fleurissent un peu partout en Europe des réformes du cadre régulateur de la gouvernance d’entreprise.

Les thèmes principaux sont :

  • L’audit : afin d’éviter tout conflit d’intérêt des audits externes, plusieurs mesures sont mises en place. Tout d’abord, la liste des services proscrits ne recourant pas à des services d’audit, s’allonge. Ensuite, un cap maximal de revenus provenant de services autres qu’audit est fixé. Enfin, une rotation des sociétés d’audit est préconisée. Ainsi, la directive européenne va dans le sens d’une rotation obligatoire tous les 10 ans avec une possibilité de renouvellement pour 10 ans supplémentaires. A ce niveau, les Pays-Bas ont été bien plus sévères avec une rotation tous les 8 ans sans possibilité de rallongement pour une seconde période.
  • La mixité des conseils d’administration : sans être une fan des quotas obligatoires de représentation féminine, il faut admettre que, dans certains pays, cette obligation a eu plusieurs effets bénéfiques sur les conseils. Le constat est que les conseils rajeunissent et se diversifient, notamment au niveau du cursus universitaire et de l’expérience professionnelle puisque l’imposition d’un quota met fin à certains copinages entre anciens diplômés ou collaborateurs. Cette diversification est intéressante et importante à la vue des évolutions de la gouvernance d’entreprise notamment vers davantage de responsabilisation du conseil d’administrateur (voir ci-dessous).  A noter aussi la véritable volonté des gouvernements pour des conseils de plus en plus indépendants. La moitié d’indépendants au sein du conseil devient une bonne pratique dans de nombreux pays, notamment le Royaume-Uni ou la Scandinavie. Clairement, un tiers de représentants indépendants au conseil est devenu un minimum.
  • « Say on pay » : si la communication de la rémunération des membres des conseils et directeurs exécutifs  peut requérir l’accord des actionnaires (par exemple au Royaume-Uni ou en Suisse), la tendance s’inscrit  vers davantage de transparence au sujet de la rémunération. Sans impacter réellement les rémunérations prévues, cette pratique améliore essentiellement la transparence. Cependant, toute comparaison reste difficile étant donné l’absence de référence unique, l’existence de stock-options et autres variables souvent encore opaques. Toutefois, quelques bonnes pratiques sont à citer, par exemple, en Allemagne où les sociétés publient de plus en plus la différence entre le salaire le plus élevé et le plus bas ou encore le salaire maximal.
  • Efficacité et responsabilisation du conseil d’administration: les membres des conseils d’administration sont de plus en plus responsabilisés. Ainsi, les mauvaises conduites des Directeurs peuvent être criminalisées en  Allemagne. De plus, la législation a instauré un plafond maximal sur l’assurance responsabilité civile souscrite par les directeurs.

Cette responsabilisation du conseil est un point important car il conduit à une spécialisation au sein du conseil ; chaque membre se spécialisera dans l’une ou l’autre thématique. A noter qu’un expert informatique, dans les réseaux et autres,  est un atout considérable pour une société, quand la cybersécurité devient un défi majeur de nombreux secteurs économiques (notamment bancaire et de détail).

De manière générale, les réformes entreprises dans les différents pays européens vont dans le bon sens. Force est de constater qu’une fois encore les pays scandinaves affichent des pratiques exemplaires en la matière et depuis un certain temps déjà. Le Royaume-Uni reste l’exemple par excellence avec notamment son Stewardship Code.

L’Italie et l’Espagne font preuve de bonne volonté et adoptent des réformes qui leur permettent de réduire l’écart avec les meilleurs élèves.

Cependant, il faut mentionner quelques dispositions mettant à mal le principe « d’une action, un dividende, un vote ». L’Italie comme la France ont instauré l’action à double vote permettant essentiellement aux pouvoirs publics de vendre un paquet important d’actions de certaines sociétés stratégiques sans en perdre le contrôle (comme Eni ou Enel en Italie). La loi Florange va également dans ce sens en accordant un double vote à toute action détenue pour une période minimale de 24 mois dans les sociétés cotées françaises. L’objectif louable de cette pratique est l’encouragement de l’actionnariat à long terme et le découragement des pratiques court-termistes de trading. Cependant, il semblerait que l’actionnariat long terme soit plutôt une excuse utilisée pour des fins moins louables. Plusieurs agences spécialisées en conseil de vote aux assemblées générales plaident pour un vote défavorable à l’approbation des comptes et/ou la réélection du conseil si l’entreprise ne propose pas un changement dans ses statuts afin d’éviter l’action à double vote automatique dès mars 2016.

Les crises successives de gouvernance ont conduit à une prise de conscience aussi bien de la part des autorités de contrôle que des entreprises elles-mêmes de l’importance d’une saine gouvernance. Les entreprises ont parcouru un sacré chemin ces vingt dernières années en matière de transparence et de gouvernance. Le dernier rapport de Transparency International sur la transparence des plus grandes capitalisations mondiales montre qu’il y a encore des progrès à faire, notamment sur la transparence des activités opérées dans les différents pays. Mais l’engagement actionnarial de plus en plus actif et la pression des médias et du risque réputationnel lié permettent de rester optimistes.


Combien cela coûte-t-il d’investir de manière responsable et durable ?

Le 15 octobre 2014

Pourquoi cette question revient-elle sans cesse, alors que la recherche académique n’a de cesse de prouver que l’investissement durable ne va pas  nécessairement de paire avec de la sous-performance  ?

Lors d’une récente table ronde dans le cadre de la semaine de l’ISR à Paris, un professeur de la Sorbonne, Nicolas Mottis, nous répondait que le débat était stérile. Pourtant il persiste.

La première raison est à chercher dans l’origine des fonds durables. Les fonds de première génération étaient des fonds dits éthiques, à la demande de congrégations religieuses, soucieuses de ne pas investir dans des secteurs ou dans des pratiques contraires à leurs valeurs et croyances.

Aujourd’hui, le concept a évolué de niche d’investissements éthiques à une approche plus globale et intégrée dans la gestion d’actifs traditionnelle. Il faut donc bien distinguer entre un fonds éthique, qui veut répondre à certaines valeurs d’ordre éthique et un fonds durable, qui intègre des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) afin d’évaluer tous les risques et opportunités d’un environnement global intégrant les différentes parties prenantes en interaction.

L’approche repose sur la conviction que seules les entreprises ou tout acteur économique qui intègrent les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont à même de rester profitables sur le moyen et long-terme

La deuxième raison de cet éternel débat est liée à l’hétérogénéité des fonds durables ou qualifiés de la sorte.  L’approche dite « best in class » qui favorise les meilleurs élèves, combinée éventuellement avec une approche « best effort » (récompenser les progrès sur une période de temps) n’est pas unique. Certains fonds répondent à des problématiques spécifiques ou thématiques ; d’autres se basent sur des critères d’exclusion et de screening normatif ; d’autres encore se concentrent sur le dialogue actionnarial capable de faire évoluer les pratiques.

La majorité des travaux académiques tend à montrer qu’il est très difficile de prouver la valeur ajoutée d’un filtre extra financier dans la sélection des portefeuilles dits durables. Par contre, au niveau des entreprises prises individuellement, la recherche a démontré la valeur ajoutée, notamment en matière d’accès au financement et du coût de celui-ci pour les sociétés affichant des scores plus élevés sur des critères ESG.

Si la question du coût d’une telle approche est obsolète, la question du quand peut paraître plus pertinente. D’où le sujet de notre table ronde à Paris : faut-il une crise d’envergure pour révéler les atouts de l’ISR ?  Nous constatons que l’alpha extra financier dans nos stratégies durables apporte la plus grande valeur ajoutée dans les moments de crise. Ce dernier tend à s’amenuiser les crises s’estompant. Nous l’avons constaté avec un portefeuille d’obligations souveraines émises en euro lors de la crise des souverains de la zone euro. Nous le constatons cette fois avec un portefeuille d’obligations souveraines émergentes lors de la crise des devises locales qui a chamboulé le marché. Coïncidence de répéter le même succès?

Enfin la troisième raison réside dans la différence de point de vue entre marchés financiers et pilotage interne des entreprises. Si la convergence entre les deux est amorcée, les deux perceptions sont encore à rapprocher et les points de vue à réconcilier.

Du côté des entreprises, les politiques de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) peuvent être une solution, si du moins celles-ci sont intégrées au niveau opérationnel et décisionnel de l’entreprise. Le risque d’un éventuel rattachement aux départements marketing ou communication  pourrait conduire à un certain greenwash des politiques.

Du côté des investisseurs, un travail d’éducation est à entreprendre. Seule une démarche de transparence et d’éducation pourrait mettre définitivement fin au préjugé.

Tout d’abord il faut une véritable compréhension de l’investisseur dans l’offre des portefeuilles/stratégies dits durables. Il est capital que ce dernier comprenne la stratégie, ses objectifs, ses définitions et ses concepts.

De plus, l’investisseur devrait adopter une réelle démarche d’investissement à long-terme. Cela demande de vaincre la dictature des indices de référence et surtout le besoin d’un rapport trimestriel voire même mensuel. L’investissement durable l’est dans la durée. Du fait de la dichotomie temporelle entre marchés financiers, encore court termistes, et les enjeux de durabilité, par définition moyen voire long terme. L’investisseur devrait investir sur le moyen terme et accepter des périodes de sous et surperformance en fonction des marchés.

Le débat ne devrait donc pas être « cela paie-t-il d’investir de manière responsable » mais plutôt « quand cela paie-t-il ? ». A cette question, il y a lieu d’espérer que chacun adopte une vue long-terme inscrite dans la durabilité.


La transition démographique : toujours un défi majeur

Le 15 septembre 2014

Le vieillissement de la population est un défi majeur à prendre en compte de par sa matérialité importante, les interconnections économiques et sociales et sa pertinence actuelle. En effet, la population mondiale croit à un rythme de 1% par an alors que la population senior croit du double. Les attentes sont de 8 milliards d’habitants en 2025 comparés à 6.9 milliards en 2010 dont 1.2 milliards de seniors alors qu’ils n’étaient que de 700 millions en 2010.

Au niveau de la croissance économique, le vieillissement pèse à deux niveaux. D’abord, la part des dépenses sociales consacrées à la population senior augmente. Ensuite, la population active diminue, de même que leurs contributions aux différents systèmes sociaux.

D’ici 2020, le nombre de pays catégorisés comme « super âgés » c.-à-d. définis par les Nations Unies, comme comptant plus de 20% de la population dans la tranche au-dessus de 65 ans, va augmenter jusqu’à 13 nations. Aujourd’hui l’Allemagne, l’Italie et le Japon en font déjà partie. Ils seront rejoints par la Finlande et la Grèce d’ici 2015.

Il s’agit essentiellement de l’Europe même si d’autres pays sont déjà considérés comme âgés comme les Etats-Unis, l’Australie, le Canada, Cuba ou encore la Nouvelle-Zélande.

Cependant il ne faut pas croire que le problème du vieillissement ne concerne que les pays développés.  Des pays tels que l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Chine ou encore la Thaïlande et la Turquie sont également déjà considérés comme âgés ç.à.d. présentant une population de plus de 65 ans d’au moins 7% de la population globale.

Autre fait inquiétant également pour les économies émergentes : la vitesse de la transition démographique. La Chine illustre bien ce point avec  un rythme de vieillissement inquiétant, résultat de la politique de contrôle des naissances en place depuis la fin des années septante. La population en âge de travailler a baissé fortement car, d’une part, le taux de fécondité a diminué et d’autre part l’espérance de vie a progressé. La population de plus de 65 ans en Chine est appelée à doubler sur la période 2014-2030 soit 26 ans alors que les Etats-Unis ont mis 69 ans à accomplir pareille évolution.

Le vieillissement fait pression sur le marché de l’emploi avec une baisse de l’offre de main d’œuvre. La solution peut passer par une amélioration de la participation au marché de l’emploi, l’immigration mais également l’innovation et le progrès technologique qui améliore la productivité et le capital humain (meilleure éducation). Les interactions du vieillissement sont donc importantes. Regarder la qualité du marché de l’emploi est donc également une information importante à mettre en parallèle avec le ratio de vieillissement. Ce dernier compare le nombre d’adultes dans la population active pour le nombre de personnes âgées. Au Japon, le poids d’un adulte de plus de 65 ans ne sera plus supporté que par 2 adultes en âge de travailler en 2020. L’Europe n’est pas à l’abri d’une telle évolution avec un ratio entre 2.7 et 3.3 adultes dans la force de travail pour la même échéance.

D’ici 2050, le ratio est estimé de 2 pour 1 dans les économies matures et 4 pour 1 dans les économies émergentes.

Il faut donc être attentif à la composition du chômage, à la qualité de la main d’œuvre (qualification) ou encore la dynamique de l’innovation pour améliorer la productivité et assurer la poursuite de la croissance.

Finalement peu de pays afficheront des taux de croissance de leur population active supérieurs à ceux enregistrés dans le passé sur les 15 prochaines années. Ces opportunités d’investissements,  si certaines conditions notamment de qualification de la main d’œuvre sont remplies, se retrouvent essentiellement la région d’Afrique sub-saharienne (Congo, Côte d’Ivoire, Mozambique, Tanzanie ou Somalie). Une situation en contraste avec des pays comme l’Italie ou l’Espagne où la population active enregistre des taux de croissance négatifs entre 2000 et 2015.

La transition démographique joue également sur les marchés financiers puisqu’il va de pair avec une hausse de l’aversion au risque et impacte dès lors l’offre d’actifs financiers dits sûrs. La théorie du cycle de vie montre que l’épargne et la demande de produits financiers se fait essentiellement dans la période active ; ensuite la retraite est financée par le produit de ces investissements avec donc une diminution pour les instruments risqués vers une demande plus accrue des instruments de haute qualité. Mais reste à définir un instrument financier sûr et de haute qualité après la crise souveraine de la dette euro. Il faut ici tenir compte de l’endettement (ex. des pays périphériques), de la solvabilité (rehausse sans cesse du plafond budgétaire américain) ou du vieillissement de la population (Japon). De plus, la qualité des crédits tend à se dégrader selon les agences de notation et le nombre de papier gouvernemental encore coté AAA diminue. Le FMI a d’ailleurs estimé que les instruments dits de haute qualité diminueraient de 9.000 milliards de dollars, soit 16% de leur volume d’ici 2016.

La transition démographique est un défi majeur pour toutes les économies, y compris les pays émergents. Ici, la hausse de la population active va de pair avec une hausse du produit intérieur brut par habitant. Pour cela, il est important de garantir l’éducation et la formation des jeunes de manière à ce qu’ils constituent une population active importante et qualifiée.  De plus, pour maintenir une croissance durable, les pays émergents doivent réfléchir au développement de leurs systèmes de protection sociale, encore souvent aux prémices de leur mise en place.

L’éducation est donc un pilier capital de durabilité pour assurer la relève par les générations futures.

L’OCDE estime que la moitié de la croissance économique des dix dernières années dans les pays développés provient d’une amélioration des compétences. D’où l’importance de l’éducation, et principalement le cycle tertiaire dans nos économies. Le Japon a connu un vieillissement important de sa population et a été assez précurseur en modèle de transition démographique. Cependant, dans les scores PISA, il se démarque parmi les meilleurs élèves, classés juste derrière les meilleurs tels que la Chine ou Singapour. Le Japon a compris l’enjeu que représentent les générations futures.

Si les évolutions peuvent paraître minimes, il n’en reste pas moins que l’analyse de durabilité reste pertinente pour les instruments financiers, montrant les risques et opportunités à moyen et long-terme qui s’offrent à l’investisseur averti. Le vieillissement démographique n’est pas un mythe mais un fait d’aujourd’hui. Le défi est majeur du fait de ses nombreuses implications et notamment en matière de prix des actifs financiers. Sa matérialité justifie pleinement l’analyse d’indicateurs clé tels que le ratio de vieillissement de la population, l’importance de l’éducation et la formation des générations futures ou encore les détails du marché de l’emploi.


Où en est-on avec l’or bleu ?

Le 25 juin 2014

Alors que les tensions montent en Iraq et que les économistes s’inquiètent des répercussions non négligeables sur la disponibilité du pétrole, il me semble opportun de faire le point sur une autre denrée précieuse : l’eau.

En 2005, l’Organisation des Nations Unies lançait la décennie (2005-2015) de « l’eau, source de vie » à l’occasion de la journée mondiale de l’eau du 22 mars. L’objectif de ce programme est d’encourager les efforts pour assurer le respect des engagements internationaux pris dans le domaine de l’eau. A la veille de la clôture de ce programme, qu’en est-il de la situation ? L’eau étant un bien vital, les enjeux économiques et financiers sont évidents. Non seulement l’eau est essentielle pour la vie mais elle constitue également une source d’énergie majeure dans certaines régions du monde avec un potentiel encore inexploité dans d’autres.

La pénurie de l’eau est une problématique à laquelle tous les pays sont confrontés ; certains davantage que d’autres. Il s’agit d’une urgence pour les populations et la planète qui s’aggrave avec les enjeux majeurs de la démographie, du changement climatique et de la pollution. Aujourd’hui 768 millions d’habitants n’ont pas accès à l’eau potable et 2,5 milliards n’ont pas accès à des sanitaires répondant à un minimum d’hygiène. L’eau insalubre reste la première source de mortalité, devançant la malnutrition.

La carte ci-dessous montre l’importance de la pénurie d’eau, dans le top 3 des risques pour 2014 selon le Forum Economique Mondial. Les estimations parlent de la moitié de la population confrontée au stress de l’eau d’ici 2030 (source Merrill Lynch) et 50 pays exposés au risque de conflit sur l’eau. Ces estimations sont confirmées par d’autres sources, notamment l’Institut de Technologie du Massachussetts (MIT) qui a également évalué les besoins en eau d’ici 2050. Les pays les plus exposés sont l’Inde, l’Afrique du Nord et le Moyen Orient, qui font également face à des taux de croissance d’urbanisation élevés.

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Source : UNEP Grid Arendal

L’eau est également vitale pour la production d’énergie que ce soit dans l’énergie hydroélectrique ou le refroidissement des centrales thermoélectriques ou l’énergie géothermique. Les gouvernements sont conscients de ce potentiel et doivent l’être dans une optique de protection de l’environnement contre les effets néfastes éventuels.

Or, l’énergie hydroélectrique représente une alternative non-polluante précieuse face à la domination des énergies des combustibles fossiles.

La coopération internationale est ici nécessaire puisque 145 pays ont un territoire situé sur un bassin transfrontalier. Il est important que se poursuivent les efforts de coopérations et la signature des traités concernant des bassins hydrographiques transfrontaliers.

L’eau n’est pas seulement une problématique à laquelle les pays doivent répondre. Les entreprises y sont également confrontées. En particulier, mentionnons un secteur comme celui de l’alimentaire qui est étroitement lié à l’agriculture et qui reste le plus gros consommateur d’eau ; plus de 70% de l’eau utilisée et dont 60% est jetée. En agriculture, si l’irrigation peut coûter cher, elle accroît de 100 à 400% les rendements de la plupart des cultures agricoles. D’où l’enthousiasme pour les innovations technologiques visant à augmenter le rendement agricole par goutte d’eau.

L’empreinte écologique en matière d’eau est la plus importante pour des cultures telles que le blé, le maïs, le soja ou l’huile végétale. Cela représente un défi majeur pour les sociétés du secteur alimentaire. La problématique de l’eau croissante, l’inflation des matières premières est grandissante. Il ne suffit pas aux Danone, Nestlé et autres d’adresser la problématique dans leurs processus de fabrication, en réduisant et optimisant l’utilisation de l’eau. Ces sociétés doivent également chercher des alternatives et optimiser leurs matières premières. Pour la petite anecdote, JPM a estimé la consommation d’eau combinée de Nestlé, Unilever, AB Inbev, Coca-Cola et Danone à 575 milliards de litres par jour, soit de quoi couvrir les besoins vitaux journaliers de chaque habitant de notre planète.

Le secteur des biens d’utilité publique est également confronté à la question de l’eau, essentiellement de son point de vue de préservation de la biodiversité et des écosystèmes. Il est important de regarder l’importance de l’utilisation de l’eau mais également le pourcentage d’eau recyclée ou encore quelles sont les politiques et initiatives prises visant à réduire la consommation.

Les enjeux sont tels que l’eau est devenu un réel actif financier. Tout d’abord, le risque de coût inflationniste pour toute société qui n’anticipe pas l’aggravation de la pénurie. Ensuite, l’eau peut être une opportunité d’investissements comme par exemple les sociétés spécialisées dans les solutions de traitement de l’eau, de gestion de l’eau ou encore liées à l’infrastructure et l’offre. A ce titre, l’indice de marché S&P Global Water a enregistré une performance annualisée de 9.884% sur les 10 dernières années[1], battant plusieurs records d’actifs financiers.

Ces différents facteurs montrent l’importance économique d’un tel bien qui se raréfie de plus en plus.

Tenir compte des enjeux liés à l’eau est donc capital et essentiel pour mesurer l’attractivité d’un pays ou d’une entreprise.

Il s’impose d’adopter une approche compréhensive de la problématique en étudiant l’influence aussi bien des changements climatiques que socio-économiques et leurs effets sur les projections de l’Offre et de la Demande. Des critères tels que l’empreinte de l’eau ou l’intensité d’utilisation de l’eau par rapport aux volumes des ventes, peuvent donner des informations précieuses sur la capacité d’une société d’anticiper et se parer à la problématique de la raréfaction de l’eau.

Aujourd’hui, plusieurs outils sont à la disposition des sociétés pour s’y préparer. Le Filtre du Risque de l’Eau développé par WWF est une première opportunité pour mesurer le risque. Il permet également de vérifier le degré de dépendance à l’eau d’un projet de développement d’une société.

Les problèmes liés à l’eau vont se multiplier de manière significative dans les années à venir. En tant qu’acteur responsable, nous nous devons d’y faire attention.

Dans nos pays développés où il suffit d’ouvrir un robinet, il est important que nous restions soucieux de la préciosité d’un tel bien et que nous le traitions telle que toute autre ressource se raréfiant.


[1] Performance annualisée en dollars sur 10 ans au 30/5/2014


Rana Plaza : le bilan après un an

Le 14 mai 2014

Le 24 avril 2013, l’immeuble bangladais Rana Plaza s’effondrait suite à un incendie, coûtant la vie à plus de 1100 ouvriers sous-payés. Le bâtiment, tristement célèbre depuis, abritait 5 ateliers de sous-traitance de l’industrie textile. La catastrophe levait ainsi le voile sur l’insalubrité, l’absence de normes de sécurité et les conditions de travail des petites mains sous-qualifiées confectionnant à longueur de journées les vêtements ornant nos vitrines occidentales.

L’article rédigé à l’époque, « Espoir sur les cendres de l’immeuble Savar » montrait une part d’optimisme. En effet, cet évènement, non loin d’être le premier, mais probablement un des plus importants en coûts humains, accentuerait l’importance du contrôle des chaines de sous-traitance pour les sociétés textiles, soucieuses de leur image médiatique.

Quel bilan un an plus tard ?

Alors que les décombres n’ont pas été déblayés et que des cadavres s’y trouvent toujours ensevelis, les progrès enregistrés restent modestes. Deux grandes alliances ont été formées suite à la catastrophe : d’une part, l’Accord sur la Sécurité, signé principalement par les détaillants européens et l’Alliance, signée par les concurrents américains. Ces deux accords ont fait pression sur les autorités bangladaises. Les principales améliorations des conditions de travail  notoires sont :

  • Hausse du salaire minimum à environ 50 euros, niveau supérieur à celui enregistré dans les autres secteurs industriels du pays ;
  • Renforcement des inspections par les autorités pour la sécurité des immeubles industriels ;
  • Autorisation de la formation syndicale.

Cependant, les réformes accusent un manque de ressources pour assurer les conditions adéquates et garantir l’implémentation de ces nouvelles mesures.

En effet, la sécurité reste toujours à risque et de nombreux incendies continuent à être déplorés dans le pays. Les normes restent non respectées : extincteurs d’incendie vides et en nombre insuffisant, installations électriques vétustes, sorties de secours non prévues, etc.

Plusieurs marques s’étaient engagées dans un fonds d’indemnisation pour les familles des victimes. Le Rana Plaza Donor Trust Fund visait à lever auprès des détaillants 40 millions de dollars pour compenser les familles. Au 24 avril 2014 seuls 8,8 millions ont été récoltés, exclus les 7 millions de dollars supplémentaires versés par Primark.

De plus, les marques se sont engagées dans le contrôle de la sous-traitante et le rythme de croissance de l’industrie textile au Bangladesh reste élevé (10% en 2014). Il faut néanmoins déplorer le transfert de la demande de sous-traitance vers le Cambodge ou l’Ethiopie où la main d’œuvre n’a pas (encore) connu l’inflation salariale comme dans les autres pays asiatiques, et amorcée au Bangladesh.

Cependant, au Cambodge notamment, les petites mains, emportées par le mouvement international vers plus de justice et de respect des droits humains et de travail, se sont révoltées.  Révolte vis-à-vis du salaire minimum, bien que plus élevé qu’au Bangladesh (60 euros/mois) et contre la cadence de travail exigeant des ouvriers de produire 700 pièces par jour par individu. Toutefois, la révolte a été sévèrement réprimée. Quatre morts ont été décomptés et des dizaines de blessés. Le coût humain est élevé face au gain : une hausse de 15 euros  du salaire minimum.

Si le salaire minimum est un sujet majeur dans les conditions de travail des sous-traitants dans les pays à risque, il ne pèse pourtant pas grand-chose dans la balance : le salaire des ouvriers représenterait moins de 1% du prix du vêtement acheté en magasin ! Ce pourcentage diffère en fonction du niveau de sous-traitance.

Car les distributeurs textiles ont, à leur défense, l’excuse de la complexité de la chaine de sous-traitance. En effet, cette dernière est particulièrement complexe dans le secteur. La chaîne démarre à la culture du coton ou la production des fibres synthétiques, la transformation de ceux-ci en fils et finalement la confection des vêtements et produits de luxe.

L’industrie est particulièrement intensive en main d’œuvre et est dominée par des ouvriers non qualifiés, où il n’est pas rare de retrouver des enfants. Les pays producteurs aujourd’hui présentent souvent des lois inappropriées, une faible application des lois et des droits du travail déficients.

Ce profil ouvre la porte à l’exploitation de l’esclavage moderne. La Birmanie, par exemple, à l’instar de l’Ethiopie, devient le nouvel eldorado de la sous-traitance. Avec une législation du droit du travail défaillante et un salaire minimum à 40 euros par mois, les avantages sont criants pour les fabricants.

Cependant, le focus sur les chaînes d’approvisionnement est croissant et oblige les sociétés à prendre leurs responsabilités et à se renseigner de plus en plus sur l’entièreté de celle-ci. La traçabilité de la matière première, le contrôle de la main d’œuvre, etc. Le risque réputationnel est tel que les sociétés n’ont pas d’autres choix que d’instaurer des mécanismes de contrôle fonctionnel et de garantir aux ouvriers et syndicats de donner leur feedback sur les conditions de travail.  etc.

Les deux accords majeurs, l’Accord sur la Sécurité et l’Alliance, sont des accords sur 5 ans. Il ne faut donc pas minimiser leur impact actuel et continuer à contrôler les progrès résultants.

Plus que jamais la sous-traitance est dans l’œil de mire des ONG et autres parties prenantes dans le domaine du textile. Si l’esclavage moderne existe toujours, il faut noter l’amélioration croissante des conditions de travail des ouvriers non qualifiés, déplaçant la problématique dans d’autres pays où la régulation n’a pas encore suivi. Il est vrai qu’à force d’être déplacé, l’esclavage moderne ne trouvera plus de faille suffisante à son installation. Les révoltes surviennent un peu partout. Aujourd’hui, Adidas, Nike et Asics doivent faire face à des mouvements de grève importants en Chine. Les contestations ne sont pas dirigées vers le salaire mais sur les prestations sociales comme par exemple l’assurance maladie. Selon Reuters, le nombre de grèves a augmenté d’un tiers depuis le début d’année en Chine. Et lorsqu’une étude de PwC en 2008 avançait que la moyenne de performance boursière des sociétés souffrant d’interruptions dans la chaîne d’approvisionnement est environ 19% inférieure à la performance moyenne des sociétés ne montrant pas ce souci, les professionnels de la finance ont un argument de poids pour s’intéresser de près à la problématique.

Les espoirs restent donc permis.


Les obligations d’impact social et obligations vertes, les obligations du futur ?

Le 22  avril 2014

Alors que les discussions financières se concentrent fortement sur la possibilité d’une remontée des taux d’emprunts, se profilent de plus en plus des obligations d’un nouveau type : les  « green bonds » et les « social impact bonds ».

Si les deux portent le nom de bond ou obligation, elles ne doivent pas être confondues. Les green bonds ou obligations vertes sont des obligations dont le but est de financer un projet environnemental bien précis. Il s’agit, comme c’est le cas pour une obligation traditionnelle, d’un emprunt auprès d’un Etat ou d’une société avec un paiement d’un intérêt et un remboursement à l’échéance du capital.

Les social impact bonds ou obligations d’impact social (OIS), il faut le reconnaître, portent un nom finalement peu approprié par rapport à leur nature. Il ne s’agit pas réellement d’un emprunt avec un paiement d’intérêt à échéance régulière ni de remboursement de capital.

En effet, les OIS sont davantage un contrat entre différentes parties prenantes, du secteur public et privé. La première OIS a vu le jour en 2010 au Royaume-Uni, où depuis lors plusieurs initiatives, plus précisément à Peterborough, ont suivi. La communauté locale y a levé, via le secteur privé, 5 millions de livres sterling pour financer un programme sur 6 ans visant à réduire le taux de récidive des anciens prisonniers ; la moyenne nationale étant relativement élevée (60%).

Il s’agit d’un contrat financier sous lequel les intervenants investissent leur argent pour gérer privativement des programmes à caractères sociaux ou environnementaux. Ils regroupent quatre partenaires principaux autour d’un projet social et/ou environnemental : un partenaire public, qui définit la problématique sociale ou environnementale à résoudre, l’investisseur social, qui préfinance le programme, l’opérateur généralement une organisation sans but lucratif et finalement un évaluateur indépendant.

Le partenaire public définit la problématique et se tourne, via un intermédiaire financier, vers un financement privé pour lever les fonds. L’organisation sans but lucratif vise à résoudre la problématique définie, en disposant des fonds levés. L’évaluateur indépendant évalue les avancements du projet et mesure les résultats obtenus afin de déterminer si les termes du contrat sont remplis. Dans ce cas, le pouvoir public paie le montant économisé par le projet social par rapport à une charge entièrement prise par le pouvoir public et conserve le résidu. L’intermédiaire peut alors rembourser le capital et le taux de rendement défini préalablement aux investisseurs privés. D’où l’appellation d’obligation puisqu’il peut y avoir remboursement et rendement payé à échéance. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que si le terme du contrat n’est pas rempli, si l’objectif social et/ ou environnemental n’est pas atteint, le gouvernement n’est pas redevable et l’investisseur privé n’est pas remboursé de sa mise de départ.

Les applications pratiques des OIS sont multiples, de l’amélioration de l’efficacité de la recherche d’emploi pour les immigré, la réinsertion des prisonniers afin de réduire le taux de récidive, la prise en charge des adolescents à difficulté pour éviter le placement en foyers ou encore la prise en charge des diabétiques ne suivant pas l’hygiène requise pour leur traitement.

Bien que les OIS aient été fortement critiquées, considérées comme une privatisation des services publics et une spéculation financière sur les plus démunis (par exemple, les programmes en faveur des sans-abris), elles sont de plus en plus encouragées et acceptées par les pouvoirs publics qui reconnaissent les avantages de pareils contrats. Angela Merckel les a également mises en avant comme véritable instrument de politique publique.

L’avantage de l’externalisation du risque pour les pouvoirs publics semble assez évident. En effet, ils n’interviennent financièrement qu’à la réalisation des objectifs définis, confirmée par l’évaluateur indépendant. D’où l’importance de la qualité et objectivité de l’évaluateur indépendant.

Cependant si l’avantage est clair, le développement de ce type d’obligation n’est pas garanti. En effet, il peut être confronté à certains raisonnements d’ordre plus culturels. Tout d’abord, il faut une reconnaissance du pouvoir public de son impuissance face à une problématique spécifique et faire aveu d’inefficacité à répondre à celle-ci. De plus, le type de problématique en question peut se produire dans de nombreux pays comme par exemple la France ou la Belgique où l’Etat Providence reste un pilier fort de la conception de la population, considéré comme rôle clé de l’Etat qui se doit de l’assurer. Les OIS font face à une perception négative, considérées en tant qu’instrument financier spéculatif pour « faire » de l’argent sur le dos des plus démunis.

Pour les organisations sans but lucratif, l’avantage est également assez visible puisque les OIS représentent une source innovante de financement, qui peut être importante et nécessaire par rapport à la taille des projets requis. Libérée de la problématique de financement, l’organisation peut se concentrer sur son activité principale c’est à dire sur les programmes de prévention et de résolution de problématiques sociales et/ou environnementales précises.

Pour l’investisseur privé, la réponse n’est pas si évidente. Si les OIS apportent une diversification de leur portefeuille avec une classe d’actifs atypique, elles offrent également un retour sur investissement social et financier dans le cas où les objectifs mesurables sont bel et bien atteints.

Lorsque ce n’est pas le cas, l’objectif social peut être partiellement atteint mais pas le financier. Les OIS peuvent dès lors être perçues comme une forme de philanthropie. Cependant, aux yeux de certains, la philanthropie ne peut être associée à un rendement et une prime de performance. Ce qui est bel et bien le cas des OIS en cas d’atteinte des objectifs ; l’investisseur privé se voit alors rembourser sa mise de départ avec un taux de rendement qui peut être défini progressif en fonction des objectifs. Dans le cas du projet de Peterborough, le taux de rendement peut monter jusqu’à maximum 13% en fonction de la réduction du taux de récidive. Par contre, si la baisse de celui-ci est inférieure à 7.5%, le rendement est nul.

Il existe également un risque politique pour l’investisseur privé. Il faut une certaine garantie de stabilité des dirigeants locaux en place pour assurer la poursuite du programme au-delà d’un éventuel mandat politique. En cette période pré-électorale en Belgique, un investisseur averti en vaut deux.


La diversité des genres peut-elle améliorer la performance de la gestion entrepreneuriale ?

Le 18 mars 2014

La journée de la femme a été l’occasion de rappeler les acquis principaux gagnés ces dernières décennies, acquis oubliés pour la plupart par la jeune génération. A savoir: le vote des femmes en 1948 ; l’ouverture d’un compte sans l’approbation de l’époux en 1976, etc.

Cela peut paraître invraisemblable aujourd’hui. Peut-être que dans plusieurs années, nous trouverons également invraisemblables l’imposition de quotas minimum de représentation féminine à la direction des sociétés.

Et pourtant, la question d’un pourcentage minimum, contraignant ou volontaire, de femmes au conseil d’administration des grandes sociétés revient régulièrement sur la table.

La Norvège a été innovatrice en la matière en imposant un système de quota pour les conseils de surveillance dès 2002. Ce modèle est de plus en plus copié par ses voisins européens.

Pourtant et malgré cette obligation, il ressort d’une dernière étude que les 25 plus grandes sociétés cotées du pays ne comptent aucune femme comme Chief Executing Officer (CEO). Et seule une d’entre-elles aurait une femme comme Chief Financial Officer (CFO). Ce constat s’expliquerait notamment par la sous-représentation féminine dans le secteur privé. En effet, les femmes ne représenteraient que 37% des employés du secteur privé en 2011 contre 71% dans le secteur public.

Il faut reconnaître que les femmes à la tête des grandes entreprises restent encore de l’ordre de l’exception. A ce titre, nous pouvons souligner les progrès dans des secteurs typiquement plus « masculins » comme la nomination en décembre dernier chez le géant  automobile américain General Motors de Marry Barra, première femme CEO d’un grand constructeur du secteur. En Février 2013, Honda Motors avait fait un premier pas en nommant la première femme au sein du conseil d’administration.

Plus proche de chez nous, en France, le Crédit Agricole a nommé également une femme au comité exécutif du groupe en novembre 2013. Le comité n’avait plus de représentation féminine depuis 2009.

Et pourtant l’Hexagone est montré en exemple en matière de parité représentative avec, en 2012,  22% de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées selon une étude de Ernst & Young au sujet des sociétés du CAC 40 (grandes capitalisations) et du SBF 120 (moyennes et petites capitalisations). Cette performance fait suite à la loi Copé-Zimmermann de 2011 imposant un quota de 20% minimum de femmes au conseil d’administration des entreprises cotées en bourse, celles comptant un minimum de 500 salariés et un chiffres d’affaires supérieur à € 50 millions en 2014. Ce quota est appelé à croître à 40% pour 2017.

Selon la même étude, l’Espagne, où une loi similaire existe, compte 26% de femmes au conseil d’administration.

Ce chiffre baisse à 19% au Royaume-Uni où aucune disposition réglementaire n’a été prise. En Italie, un texte législatif est en cours.

Chez nous, le parlement belge a adopté un plan en juin 2011 pour obliger les entreprises publiques et les sociétés cotées d’avoir un minimum de 30% de sièges des conseils d’administration occupés par des femmes.

A nouveau, les disparités entre pays européens sont grandes. L’Union Européenne a pris une obligation de moyen  en novembre dernier pour tendre vers 40% de femmes au conseil d’administration des sociétés cotées d’ici 2020.

Cependant, si les quotas sont en progression notamment en France, la parité est loin d’être acquise en matière de rémunération. Selon une dernière étude du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) français, la rémunération annuelle des femmes reste en moyenne 27% inférieure à celle de leurs équivalents masculins.

L’obligation d’un quota minimum, simple question d’égalité et de parité ? Ou la diversité des genres peut-elle améliorer la performance de la gestion entrepreneuriale ?

Sans rentrer en débat sur « les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », la diversité apporte également une diversité d’opinion et une véritable possibilité de débat et d’échange d’idées dans un esprit critique. De plus, le manque réel de capacité d’opposition et de remise en question des grandes décisions émanant des leaders aux profils similaires et sortant des mêmes écoles, est de plus en plus citée comme une des causes de la crise de 2008.

La question de la valeur ajoutée de la diversité des genres fait débat de longue date. A ce titre, citons l’étude de l’Institut de Recherche de Crédit Suisse : « Gender diversity & corporate performance ». Selon cette étude parue en août 2012, analysant la performance de 2360 sociétés ces 6 dernières années, il apparaît qu’il était plus rémunérateur d’investir dans les sociétés comptant des femmes aux commandes que dans celles n’en comptant aucune.  Il s’agit ici d’une observation ; la relation de cause à effet n’étant pas directement identifiable. De plus, l’analyse conduit à deux conclusions : d’une part, les sociétés présentant un meilleur degré de diversification des genres semblent être relativement défensives par nature et d’autre part la surperformance pourrait être réduite dans des périodes d’environnement macro-économique plus stable lorsque les sociétés sont récompensées davantage pour leur adoption de stratégies de croissance agressives.

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Source Crédit Suisse

Au Japon, alors que l’administration Abe vise également une meilleure diversité des genres avec un minimum de 30% des femmes dans les positions de direction des sociétés cotées d’ici 2020, une étude de la banque Nomura avance que les sociétés cotées ayant pris des actions positives en matière de promotion de la diversité des genres surperforment l’indice de marché japonais (Topix) sur le long terme.

Avec une potentialité de meilleure performance et la profusion de régulation en faveur des femmes au sein des entreprises, il est possible de croire qu’un 8 mars à venir, les jeunes générations s’étonneront qu’il aura fallu passer par une obligation de quota pour qu’elles aient leur siège au sein des conseils d’administration des sociétés au même titre que leur équivalent masculin.


Les semences de l’investissement agricole responsable : à quand la récolte ?

Le 10 février 2014

Olivier De Schutter, porte-parole aux Nations-Unies pour le droit à l’alimentation, a retracé l’évolution des investissements dans le secteur agricole ces dernières années.

Régulièrement, les ONG s’indignent au sujet de la spéculation financière sur les denrées alimentaires, conduisant à une hausse des prix et à l’incapacité pour les populations plus démunies de survenir à leurs besoins vitaux.

Si, aujourd’hui, de nombreuses institutions financières ont fermé leurs fonds indiciels en ressources agricoles ou leurs fonds investis via des contrats à terme, la question du droit à la terre reste primordiale.

En effet, l’agriculture exige, avant tout autre chose, une terre arable. La question du droit à la terre mais également la question environnementale de la dégradation des sols sont des préoccupations croissantes des ONG mais également des sociétés agro-alimentaires, de leurs clients et de leurs actionnaires.

Les Nestlé et Danone de ce monde ne peuvent plus se contenter de produire des denrées goûteuses et de qualité. Ils doivent aussi les produire dans le respect de leur environnement, écologique et social.

Oxfam via «  behind the brands », dans le cadre de sa campagne GROW, réalise régulièrement  une évaluation des progrès enregistrés par le top 10 des sociétés agro-alimentaires sur 7 thèmes liés à l’agriculture responsable. La question de la terre, au sens environnemental et social, reste la plus préoccupante pour l’ONG.

D’abord et comme indiqué par Olivier De Schutter, les abus du passé ont créé un climat de méfiance entre les sociétés agro-alimentaires et les organisations paysannes en charge de la défense des droits des agriculteurs. Après la crise financière de 2008, les gouvernements des économies émergentes n’ont pas hésité à surenchérir sur les conditions d’offre de leurs terres afin d’attirer les capitaux privés et combler ainsi le retard considérable accumulé par faute d’investissement public dans le secteur agricole. Ces transactions n’ont en général pas inclus la consultation des communautés locales, dont le droit d’accès aux ressources dont elles dépendent s’en trouve gravement menacé.

Il faut également noter qu’en Afrique sub-saharienne, où les investissements fonciers à grande échelle ont été concentrés, les terres agricoles dans les zones rurales sont considérées dans la plupart des cas comme étant propriété de l’Etat. Dès lors, les populations rurales sont dépourvues de toute protection de leur droit foncier.

Enfin, les transactions sur le foncier sont un domaine dans lequel la corruption est fréquente.

Mais ne tombons pas dans le fatalisme. En effet Olivier De Schutter met en évidence plusieurs initiatives prises par les Etats mais aussi par le secteur privé.

D’une part, en mai 2012 le Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale (comité intergouvernemental du FAO[1]) a adopté un ensemble de recommandations sur la gouvernance des ressources. Bien que le texte n’ait pas de pouvoir contraignant juridiquement, il est doté d’une forte légitimité. Il est, en effet, le fruit de négociations longues de deux années pour un consensus entre des dizaines de gouvernements. Il marque dès lors un pas vers plus de transparence et moins de concentration agraire.

De plus, en 2010 la Banque Mondiale avec la FAO mais aussi le FIDA[2] et la CNUCED[3] ont rédigé conjointement un ensemble de sept principes pour l’investissement agricole responsable. Cependant, l’absence d’implication des gouvernements et de la société a fait perdre sa légitimité au texte. Aujourd’hui, le même Comité de Sécurité Alimentaire Mondiale penche sur l’établissement de Principes sur l’Investissement Agricole Responsable à destination du secteur privé. Ce texte qui devrait être adopté en Octobre 2014, offrirait un cadre régulatoire, notamment aux sociétés agro-alimentaires dans leurs relations avec leur chaîne d’approvisionnement.

A ce niveau l’ONG behind the brands note déjà plusieurs progrès. Sur les sept thèmes – terre, femmes, agriculteurs, main d’œuvre, climat, transparence et eau -, certains progrès ont été enregistrés par le top 10 mondial de l’agro-alimentaire. Cependant, il faut déplorer qu’aucune d’entres elles n’atteignent le meilleur score (« Bien » score entre 8 et 10) sur aucun des thèmes évoqués. Les progrès se concentrent essentiellement sur la question des ouvriers, du climat et de l’eau et la transparence dans une moindre mesure.

Mais une fois encore ne tombons pas dans le fatalisme et soulignons également la mise en place d’initiative collaboratrice dans le secteur comme notamment la Roundtable for Sustainable Palm Oil (RSPO)[4] qui rassemble plusieurs sociétés et ONG impliquées dans la culture du palmier à huile notamment en Indonésie ou en Malaisie. Les améliorations, qu’elles soient sur le plan environnemental avec l’arrêt de la déforestation ou sur le plan social avec des conditions de travail des ouvriers plus décentes – sont notables et laissent entrevoir un avenir meilleur.

Chacun à son niveau a un devoir de plus de transparence et respect du droit de la terre.

Les sociétés agro-alimentaires devraient identifier clairement la provenance de leurs matières premières agricoles et les risques et impacts liés pour les communautés sur les questions foncières.

Une fois l’identification claire, celles-ci devraient s’engager à une politique de tolérance zéro sur la question de l’accaparement des terres.

Enfin, elles disposent d’un levier de pression sur les gouvernements et les contreparties terriennes et peuvent également rallier leurs pairs à leur cause de politiques de tolérance zéro.

Les investisseurs ont également une responsabilité en la matière. Ils peuvent engager le dialogue pour un renforcement des politiques des terres arables et participer activement aux initiatives pour une plus grande responsabilité des investissements dans une démarche de plus grande transparence.


[1] Food & Agriculture Organisation – Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture

[2] International Fund for Agricultural Development (IFAD) – Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA)

[3] UN Conference on Trade and Development (UNCTAD) – Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED)

[4] Table Ronde pour l’Huile de Palme Durable


La corruption est-elle un indicateur à prendre en compte ?

Le 13 janvier 2014

Les fêtes terminées – avec les questions que peuvent soulever le saumon fumé ou le foie gras – c’est à nouveau l’occasion d’une rétrospective de l’année qui s’est achevée.

Il faut noter qu’en 2013 s’est produit un anniversaire important : les 20 ans de Transparency International, l’ONG militant pour la lutte contre la corruption à différents niveaux.

Chaque année, Transparency International publie son indice de perception de la corruption pour plus de 170 pays à travers le monde. Bien qu’il soit question de la perception de la corruption, cette information est clé pour estimer si le contexte est favorable ou pas à la négociation d’affaires.

De plus, plusieurs liens ont été établis entre le niveau de corruption et la pauvreté, la santé ou encore le taux d’alphabétisation. Dans des pays comme ceux en voie de développement, l’indice de perception de la corruption est donc un indicateur bien plus large que la corruption des pouvoirs publics ou privés. Il donne également un complément d’information sur l’état de la population, son avenir et sa stabilité sociale. Des informations importantes pour évaluer la solvabilité d’un pays.

Dans la dernière édition de 2013, peu de progrès sont à enregistrer. Si les pays européens restent parmi les leaders, il faut noter une aggravation du niveau de perception dans des pays tels que l’Espagne, le Portugal et l’Italie. Même si cette dernière a enregistré des progrès au niveau des engagements politiques pris en 2013. Alors que le consensus tend à parler d’une sortie de crise pour les pays européens, une aggravation du niveau de corruption pourrait mettre à mal les prémices d’une reprise.

Sur le continent américain, peu de progrès sont enregistrés. Dans le Nord, le Canada recule de quelques places dans le classement. Plus au Sud, les pays d’Amérique Latine restent pour la plupart avec un score en-dessous des 50 (l’échelle allant de 0 à 100).

C’est le continent africain qui, si la corruption reste toujours une problématique, montre des signes d’encouragement. La perception reste toujours importante mais des mesures concrètes pour éradiquer ce fléau ont été prises.

Dans un souci de transparence, la législation est croissante en matière de lutte contre la corruption et plusieurs initiatives peuvent être mises en avant. Par exemple, au Brésil, la loi entrant ce mois-ci en vigueur introduit une amende jusqu’à 20% des revenus de la société pour corruption.

Plus près de chez nous, la France a renforcé son système avec une protection systématique des personnes qui font part des anomalies (whistleblowers). Les amendes sont également proportionnelles aux revenus et non plus plafonnées à € 1 million, comme précédemment.

Ces programmes d’alertes (whistleblowing), dans lesquels le monde anglo-saxon semble mettre beaucoup d’espoirs, voient leur nombre croître. Nettement moins répandus en Europe, ils soulèvent plusieurs interrogations quant à la protection des droits des pointeurs d’alerte. En Belgique par exemple l’absence de réelle législation n’offre aucune protection légale pour les dits dénonciateurs qui craignent de faire l’objet de harcèlement ou de licenciement.

Ces programmes de dénonciation – essentiellement avancés au Royaume-Uni, au Luxembourg, en Roumanie ou encore en Slovénie, posent en effet des questions sur leur efficacité (protection des droits, fausse déclaration, etc.). Avant d’être une solution au problème de corruption dans sa globalité, plusieurs progrès doivent être enregistrés au niveau des failles juridiques et ce, avec une véritable volonté politique sous-jacente. Aujourd’hui, les procédures d’audit sont privilégiées pour sécuriser davantage l’intégrité de l’information.

Ce cadre régulatoire est appelé à croître davantage notamment avec les initiatives prises pour encadrer les pratiques de lobbying. En effet, la frontière entre la corruption et le lobbying reste très floue. Différentes organisations, qu’elles soient ONG ou non, plaident en faveur d’un meilleur encadrement des activités de lobbying.  Les objectifs poursuivis sont tout à fait louables :

  • l’équité d’accès aux décideurs afin que les décisions ne favorisent pas un intérêt particulier ;
  • l’intégrité pour éviter les dérives telles que le manque de transparence, les conflits d’intérêt, etc. ;
  • enfin la traçabilité des décisions prises par les décideurs pour une transparence totale pour les citoyens. Transparency International plaide pour un meilleur encadrement des activités de lobbying en ligne avec les recommandations de l’OCDE.

La lutte contre la corruption gagne en ampleur. Que ce soit au niveau d’un pays ou d’une société, la facture est de plus en plus salée. En effet, pour les sociétés, l’amende financière tend à être proportionnelle aux revenus et n’est plus plafonnée. Quant aux pays, la corruption crée un cadre de fonctionnement peu propice aux affaires avec  des conséquences directes pour le bien-être de leur population et des risques d’instabilité importante. Les enjeux liés à la corruption sont des éléments importants pour un investisseur, qu’il soit actionnaire ou détenteur d’obligations. Un investisseur averti en vaut deux.


L’éducation : un défi de durabilité majeur

11/12/2013

La publication des tests PISA de l’OCDE montre l’importance de l’éducation, clé de l’avenir des Etats. Ces tests permettent de comparer les connaissances et compétences des élèves de 15-16 ans dans 64 économies différentes.

L’Asie du Sud-Est – en particulier la Chine et Singapour – se démarque clairement en occupant les premières places dans les 3 compétences requises : mathématiques, sciences et capacité à la lecture. Alors que les pays européens se retrouvent plutôt dans le ventre mou du classement.

L’analyse des résultats est pertinente dans une optique de durabilité car elle questionne sur les systèmes d’éducation et sur la capacité d’un pays à assurer la qualification suffisante de ses générations futures.

Alors qu’une pénurie d’ingénieurs est à craindre de façon croissante dans plusieurs pays développés, les résultats en mathématiques des élèves belges donnent un faible espoir car si ceux-ci sont supérieurs à la moyenne de l’OCDE, ils se dégradent sur les 10 dernières années. Et nous ne rentrerons pas dans le débat des différences entre régions, problématique que nous retrouvons dans plusieurs pays notamment en Espagne et en Italie avec des divergences substantielles, expliquées également par les différences de statuts socio-économiques des régions.

Les facteurs socio-économiques et culturels restent très discriminants dans notre pays et chez nos voisins comme en France. A l’heure des restrictions budgétaires pour les gouvernements et une facture croissante sur les ménages, se pose clairement la question de l’égalité des chances entre les élèves. L’étude de l’OCDE conclut à ce titre que s’il n’y a pas moins d’enseignants dans les institutions défavorisées, la qualité de ceux-ci est régulièrement plus faible.

La Belgique, et l’Europe en général, doit être attentive à cette problématique, qui est une issue majeure à notre époque. D’une part, le système éducatif repose principalement sur les ressources publiques, dans un contexte de restrictions budgétaires. D’autre part, la pénurie de main d’œuvre hautement qualifiée crée une surenchère sur l’engagement d’ingénieurs ou autres, qui n’hésitent pas à s’expatrier vers des opportunités plus prometteuses. L’Italie notamment doit faire face à une importante fuite de cerveaux ; le marasme économique ne retenant pas particulièrement les hauts diplômés du pays.

Les sociétés, pour être durables, doivent également s’inquiéter des évolutions des systèmes éducatifs de leur pays. Dans des secteurs de haute qualification ou reposant fortement sur l’innovation, elles se doivent de s’entourer des meilleurs profils et de les garder. L’ensemble du cadre de travail pour l’employé doit être étudié afin d’évaluer si celui-ci assure la stabilité du personnel et surtout la rétention des cerveaux de la société pour sa durabilité future.

C’est sans doute pourquoi les sociétés devraient être plus impliquées dans la formation des étudiants dans des pays comme le nôtre où le système repose essentiellement sur les revenus de source publique. Une meilleure implication du secteur privé permettrait de faire face à la problématique budgétaire des principaux gouvernements européens sans tomber dans un système plaçant la charge principale sur les épaules des ménages et conduisant alors à une inégalité des chances inacceptable.

C’est ce qui est observé dans les systèmes d’éducation en Asie du Sud-Est comme en Chine par exemple. Si Shanghai occupe la première place aussi bien en mathématiques, en sciences ou en capacité de lecture, le système éducatif repose très peu sur les revenus publiques et davantage sur les ménages. L’éducation représente un des plus gros postes de dépenses de ces derniers. D’ailleurs, le phénomène est tel qu’il pourrait conduire à une dangereuse « fièvre » éducative où les familles font face à des choix difficiles comme la vente de leurs logements ou le surendettement afin d’assurer la meilleure éducation possible à leurs enfants.

De plus, les facteurs socio-économiques et culturels expliquent des disparités importantes entre les performances individuelles.

Si le modèle des pays émergents peut nous paraître imparfait, il faut également reconnaître un certain retard en Europe face aux nouvelles technologies et les opportunités que celles-ci offrent notamment en termes de coûts et en termes d’éducation pour tous. En effet, les systèmes éducatifs reposant sur le e-learning, avec une transition de l’enseignement en classe vers un enseignement digital et à la carte, sont avant tout un succès aux Etats-Unis et dans plusieurs pays dits émergents alors que nos pays restent assez frileux sur le recours de ce type de technologie.

La Belgique, mais aussi l’Europe en général, doit définitivement mettre l’éducation au cœur de sa problématique de durabilité, d’une part d’un point de vue économique pour une meilleure efficacité mais d’autre part d’un point de vue de compétitivité de ses entreprises, qui jouiraient d’une main d’œuvre hautement qualifiée et désireuse de développer l’économie domestique. Face au défi démographique, il est temps de ne plus penser sur le court terme mais bien sur l’investissement dans des compétences et qualifications plus durables.

L’éducation est la clé de l’avenir. Elle pose plusieurs questions de durabilité, aussi bien pour les Etats que pour les entreprises.


Investir dans l’armement nucléaire ? Il n’en est pas question !

Le 13 novembre 2013

L’actualité a récemment mis sur le devant de la scène un rapport rédigé par l’ONG hollandaise IKV Pax Christi – en partenariat avec l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN) – consacré aux investissements controversés des institutions financières mondiales dans l’armement nucléaire

Le rapport « Don’t bank the bomb » pointe également du doigt quelques banques belges. Est-il possible de développer des produits d’investissements durables tout en finançant l’armement nucléaire ?  Faisons toutefois attention à ce type de raccourci. En effet, les médias peuvent être très prompts pour faire circuler l’information et, de cette manière, détruire momentanément la réputation d’un investisseur ou d’un autre.

Cependant lorsque l’on regarde de plus près la liste des sociétés dites « noires » selon le rapport dont question, force est de constater que si plusieurs sociétés font partie des suspects habituels, pour d’autres, le lien avec l’armement nucléaire n’est pas si évident. Prenons par exemple Rolls Royce. A l’évocation de ce nom, la plupart des gens répondront « voitures de luxe »; peu penseront à l’arme nucléaire. Et pourtant, la société fait partie d’une « joint-venture » au Royaume-Uni développant une nouvelle classe de sous-marin équipé de l’armement nucléaire appelé Successor.

Un autre exemple parlant est ThyssenKrupp. Le site internet de cette société allemande vante «le développement de solutions pour un progrès durable». Ses principaux produits sont les aciers renforcés et ultra légers, les équipements des turbines éoliennes, le câble électrique ou encore différents équipements d’autos actifs notamment au niveau du contrôle des émissions CO2 ou des mécanismes de sécurité lors d’accident. Les efforts de la société pour un futur plus durable sont incontestables. Et pourtant, via sa division Marine Systems, ThyssenKrupp est impliquée dans la construction des sous-marins Dauphins à destination de l’armée israélienne.

Enfin, avec la complexité et la globalisation des chaînes de production et la multiplication des sous-traitants, il devient de plus en plus difficile de déterminer toutes les activités d’une multinationale. Qui sait si notre smartphone ou Blackberry ne contient pas un élément qui aurait été plusieurs fois sous-traité auprès d’une société impliquée dans la fabrication de composants utilisés pour les tirs d’essais nucléaires.

En Belgique, comme c’est le cas dans un nombre croissant de pays, une loi connue chez nous sous le nom de « Loi Mahoux » interdit aux organismes financiers d’investir dans les armements controversés. Sont visés ici, les mines anti-personnel, les bombes à sous-munitions et les armes et blindages à l’uranium appauvri. Etonnement, l’armement nucléaire ne semble pas faire partir des armes principalement visées. Ne serait-il donc pas controversé ?

Indéniablement, l’armement nucléaire est un sujet de controverse. Aujourd’hui, cinq puissances sont reconnues officiellement comme détentrices de l’arme nucléaire : les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine. Trois autres ont prouvé par leurs essais détenir également l’arme: l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord.  Et les soupçons de détention d’Israël sont également très grands. Sans parler des pays qui entreposent des armes nucléaires américaines depuis la guerre froide : les Pays-Bas, l’Italie, la Turquie, l’Allemagne et notre cher plat pays… La Russie et les Etats-Unis restent cependant les détenteurs largement majoritaires.

Si le risque d’accident est en perpétuelle diminution grâce aux améliorations technologiques, il est peu rassurant de voir augmenter le nombre de puissances détentrices. Le Traité de Non-Prolifération des Armes Nucléaires vise à éviter ce risque. Rédigé en 1968, l’objectif est de prévenir que l’arme nucléaire se répande à travers le monde. L’Agence Internationale de l’ Energie Atomique (AIEA) est chargée de garantir son application.  Mais si ce traité est quasi universel, plusieurs des puissances détentrices ont refusé de le ratifier notamment l’Inde, le Pakistan et la Corée du Nord.

Autre traité d’importance sur le sujet : le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Adopté par l’ONU en 1996, ce traité interdit tout essai nucléaire ou autre type d’explosion nucléaire, que ce soit à des fins pacifiques ou militaires dans quelque environnement que ce soit. Cependant, ce traité n’est pas encore entré en vigueur aujourd’hui faute de la non-ratification de certains Etats clés. Seuls 35 sur les 44 requis par l’Annexe 2 du Traité l’ont ratifié. Parmi les grands absents : la Chine, l’Egypte, les Etats-Unis, l’Iran, Israël, la Corée du Nord, l’Inde et le Pakistan. Toutefois, la France signataire du Traité, a quand même repris une série de six essais souterrains au début du premier septennat de Jacques Chirac en 1995 pour se terminer le 27 janvier 1996 dans l’atoll de Fangataufa.

Ces différentes initiatives ont permis déjà une réduction substantielle des armes nucléaires à l’échelon mondial : évaluées à 70.000 au milieu des années quatre-vingt, elles seraient à 17.000 aujourd’hui.  Avec une telle baisse, il est évident que les sociétés impliquées dans leur fabrication cherchent d’autres créneaux de développement et diversifient de plus en plus leurs activités, rendant plus opaque la transparence sur les sociétés impliquées.

Incontestablement, les 314 milliards de dollars investis par le secteur privé dans l’armement nucléaire pourraient être utilisés à des fins plus durables et sûrement moins controversées.

Néanmoins et comme le souligne également le rapport « Don’t bank the bomb », les acteurs financiers, que se soient des banques, des fonds de pension ou des compagnies d’assurance, ont pris conscience qu’il était important de trier le bon grain de l’ivraie dans le cadre de leurs investissements. Une majorité a adopté une politique définie vis-à-vis de cet investissement controversé et l’implication est généralement très limitée et ce, dans un cadre restreint et précis. Cependant, il faut souligner la difficulté de distinguer les implications directes et indirectes d’une entreprise dans l’armement nucléaire. Le sujet est souvent entouré d’une certaine opacité. De plus, la multiplication des acteurs impliqués dans la chaîne de production et la complexification des procédés transforment l’établissement d’une liste noire de sociétés actives dans l’armement nucléaire en un exercice difficile et périlleux.

Autre article sur le même sujet:

– les listes noires

Source de l’illustration : Nevada Site Office Photo Library


Activisme actionnarial : Faut il voter pour être responsable ?

Le 8 ocotobre 2013

A l’instar du vote obligatoire en Belgique afin de remplir notre devoir de citoyen, les investisseurs devraient –ils être contraints de voter pour être responsables ?

Ces dernières années ont marqué une hausse de l’expression démocratique des actionnaires ; les investisseurs institutionnels participant davantage aux assemblées générales des sociétés dans lesquelles ils investissent.

Cet intérêt accru dans la participation aux assemblées des actionnaires s’explique, entre autres, par le succès grandissant de l’initiative des Principes d’Investissement Responsable sponsorisés par les Nations Unies (UNPRI). En effet, parmi les 6 principes, il faut noter également la volonté d’être un investisseur actif qui intègre les questions d’environnement, social et gouvernance (ESG) dans ses politiques et pratiques d’actionnaires.  Avec plus de 1200 signataires représentant environ 34.000 millions de dollars, le nombre de détenteurs et gérants d’actifs qui s’engagent dans l’activisme actionnarial croît chaque jour.

Cependant, la notion d’actionnaire actif varie d’une culture à l’autre, que l’investisseur soit européen ou plutôt anglo-saxon par exemple. En effet, si l’investisseur institutionnel européen vote davantage que dans le passé aux assemblées des actionnaires, l’engagement à l’anglo-saxonne, de communication directe avec le management des sociétés afin de faire pression sur celui-ci, reste très limité.

Dans son rôle sociétal d’investisseur, ce dernier a également le rôle de prendre sa responsabilité dans ses investissements. Participer aux assemblées générales semble dès lors nécessaire. Faut-il ainsi que les autorités légifèrent et obligent les actionnaires à voter ? Aux Etats-Unis,  la loi Dodd-Frank Act va dans cette direction par rapport à la rémunération des dirigeants. La France pourrait adopter un projet similaire avec la proposition de l’Afep-Medef pour un vote consultatif sur la rémunération des dirigeants. Ce sujet est incontournable en matière d’investissements responsables et de pérennité des entreprises. La question reste de savoir si les actionnaires peuvent avoir un impact à ce niveau. La réponse est affirmative, selon une étude récente[i] qui tend à démontrer l’impact de l’exercice des droits de vote sur la gestion des sociétés. Notamment en matière de rémunération des dirigeants, les sociétés ont tendance à modifier leur politique de rémunération avant le vote formel en ligne avec les recommandations des agences spécialisées afin d’éviter une recommandation de vote défavorable. Une  dernière étude de Mercer  Human Resource Consulting confirme ceci. De plus en plus de sociétés modifient leur programme de rémunération après avoir fait face à un rejet de leur résolution de Say on Pay de sorte que l’augmentation moyenne de votes favorables après un rejet a augmenté de 41% en 2012. Plus proche de chez nous, le vote des citoyens suisses en faveur de la proposition de l’élu Minder contre les rémunérations abusives est également la conséquence du rejet des actionnaires du rapport sur les rémunérations des dirigeants de la banque privée suisse Julius Baer. Alors que le vote est consultatif.

 Cependant, il ne faut pas perdre de vue qu’exercer son droit de vote requiert une certaine procédure à mettre en place notamment au niveau des banques dépositaires, qui a un coût également. Le droit de vote peut donc être davantage un droit privilégié réservé aux grands investisseurs. Cependant, l’engagement collaboratif peut apporter une solution de taille critique. Une politique de vote, alliant pertinence du vote et contrôle des coûts,  peut toujours être envisagée et adoptée.

Lorsqu’une société représente un certain pourcentage dans les portefeuilles de l’investisseur, celui-ci ne doit pas minimiser l’influence qu’il peut avoir à exercer son droit de vote. Si les points de l’agenda concernent traditionnellement l’adoption des résultats de l’année écoulée, il y va régulièrement de questions cruciales d’augmentation de capital, de nomination au Conseil d’Administration, etc. : des questions clés également pour la stratégie ESG de la société dans le futur. Il est donc important de s’y exprimer. Il existe différentes options pour exercer ce droit de vote, qu’il passe par le vote direct ou par un prestataire de services.

La responsabilité actionnariale ne doit pas nécessairement passer par « l’engagement » perçu parfois agressivement en Europe occidentale. Si les anglo-saxons s’engagent facilement dans la rédaction de lettres formelles de requêtes d’informations voire même de pression sur le conseil d’administration, le dialogue peut également s’engager lors des rencontres avec le management des sociétés. Encore trop souvent, les analystes financiers et gérants de portefeuilles ne posent pas de questions d’ordre ESG sous prétexte que personne ne pose ce genre de questions et que la société ne donnera pas de réponse. Et en même temps,  interrogeant des responsables de la communication en matière de durabilité de sociétés, ceux-ci  se plaignent de l’absence de questions des investisseurs sur ces stratégies. C’est en interrogeant davantage les sociétés sur leurs défis ESG que les réponses seront données et qu’elles le seront ensuite systématiquement et spontanément. Le dialogue actionnarial sur les questions ESG tend à avoir une valeur ajoutée en générant des bénéfices et en réduisant les risques et externalités ESG négatives.

L’engagement actionnarial – qu’il revête la forme de l’engagement à l’anglo-saxonne, le vote en assemblée des actionnaires et/ou le dialogue engagée avec la société – est un outil de gestion à part entière à intégrer par l’investisseur, afin de mieux évaluer les risques dans leur globalité, de défendre des valeurs et des bonnes pratiques et par conséquent contribuer à des sociétés plus durables. C’est donc un processus de long-terme qui par un effet de boule de neige, dans une approche structurée, ajoute de la valeur et contribue à la performance de la société et la pérennité de l’investissement.


[i] « Outsourcing shareholder voting to proxy advisory firms », Rock center for corporate governance at Stanford University Working Paper n° 119, May 10 2013.

Articles sur le même sujet:

– le rôle des actionnaires

– Qu’est ce que l’activisme actionnarial?


L’investissement socialement responsable (ISR), uniquement réservé aux investisseurs institutionnels ?

Le 9 septembre 2013

Alors que la majorité des investisseurs institutionnels s’accorde à dire que l’investissement responsable est incontournable, il faut reconnaître que l’intérêt des investisseurs privés reste encore frileux.

Non pas que ce dernier ne se soucie guère de l’impact éventuel de ses placements – au contraire – mais bien plus probablement parce que face à un marché hétérogène sans réels repères, il se perd.

Tout d’abord, la confusion est grande sur la terminologie utilisée. L’investissement responsable  peut revêtir différentes formes d’engagement de l’impact investing – investissement direct dans des sociétés, organisations ou fonds afin de générer un impact social et/ou environnemental mesurable – aux fonds d’investissement socialement responsables plus classiques.

Ces derniers sont, de par leur lien historique à la sphère religieuse, assimilés à la notion de valeurs éthiques et morales et souvent régis par un système d’exclusion de certains secteurs ou pratiques (pornographie, tabac, peine de mort, etc.). Or, aujourd’hui, le monde de l’investissement responsable, qui tend d’ailleurs à perdre son « S » (socialement) en cours de route va bien au-delà des valeurs morales et religieuses. Convaincu des défis auxquels doit faire face notre planète – au niveau social, environnemental ou de gouvernance – l’investissement responsable regarde les acteurs économiques d’un angle plus global et davantage intégré que purement financier.  Avant d’exclure, l’approche se concentre sur le mode de fonctionnement et l’engagement de la société par rapport à son rôle sociétal et sa responsabilité fiduciaire. Il est davantage question d’entrer en dialogue avec la société afin de comprendre et convaincre que de meilleures pratiques existent dans des points clés en matière environnementale, sociale et de gouvernance. D’où l’abréviation de plus en plus utilisé d’ESG, plus précisément « intégration de critères ESG ». Il n’est plus ici question d’évaluer le coût financier en termes de rendement d’un placement du fait d’avoir privilégié  une société plus ISR qu’une autre.

« Combien cela va-t-il me coûter en termes de performance d’être éthique ?» revient régulièrement dans les conversations. Mais bien au contraire de complémenter le rendement financier d’une valeur supplémentaire qu’elle soit sous la forme de rendement – une société en avance sur l’anticipation des défis de demain est une société innovante et performante – ou sous la forme de risque/volatilité – une société soucieuse de son environnement en terme écologique, social et de rapport aux autres est une société mieux préparée et protégée aux risques de demain.

Or, cette évolution du monde de l’investissement responsable a encore du chemin à faire pour aboutir  et convaincre les investisseurs. Pour se faire, trois axes sont à privilégier.

Tout d’abord, la transparence. Si celle-ci est un requis primordial de toute analyse extra financière, il faut bien reconnaître que les fonds d’investissement dits ISR et autres stratégies manquent toujours aujourd’hui de la transparence suffisante qui permette à l’investisseur privé de situer ses besoins dans l’offre actuelle. En Belgique, le secteur financier – en particulier les recommandations de Febelfin et Beama – sont un premier pas vers plus de transparence. Tout fonds d’investissement dit « responsable », « durable », « ISR », ou autre se doit de répondre à un minimum d’informations et de requis pour être répertorié tel quel sur le site de Febelfin/Beama. En France, le label Novethic établit un cadre de reconnaissance des fonds dits ISR commercialisés sur le marché domestique. En l’absence de réelle concurrence sur le marché, le label est de plus en plus reconnu comme la référence internationale pour le monde des investisseurs responsables. Cependant, si les professionnels sont nombreux à connaître ce label, il reste inconnu pour de nombreux particuliers, et certainement hors de la France.  Alors qu’il avait pour vocation d’être un label pour le marché des particuliers ! Et ce n’est pas du côté des instances européennes que le particulier peut se tourner aujourd’hui. La problématique de cadre référentiel est criante dans le domaine.

Etroitement lié à la transparence, la comparabilité  est un objectif primordial pour le développement de l’investissement responsable. Le concept n’étant pas strict, la comparabilité est toujours discutable.  Déjà définir la notion d’investissement responsable ou socialement responsable soulève de nombreux débats. En France, deux groupes de travail distincts se sont emparés du sujet, démontrant directement l’absence d’accord sur la définition. La plupart des définitions existantes se concentrent davantage sur les processus possibles des différentes approches d’investissement responsable – exclusion, sélection négative, sélection positive, best in class, etc. – mais finalement peu s’axent autour de l’objet et des objectifs poursuivis.

La difficulté de comparaison réside dans l’immatérialité de certains aspects de l’investissement responsable. Or, la mesurabilité est l’instrument le plus aisé pour permettre une parfaite comparabilité de deux produits financiers. Si les labels et recommandations apprécient de plus en plus la qualité d’une stratégie durable, via la qualité de sa recherche, l’existence d’activisme, etc. la mesurabilité de l’impact de l’approche durable est encore à ses prémices. En effet, pour gagner en crédibilité, l’approche doit se concentrer davantage sur les résultats obtenus par la stratégie que le processus en soi. En parlant de résultat, il n’est pas ici question uniquement des résultats financiers. Ceux-ci restent importants car le particulier reste un investisseur soucieux du rendement de son portefeuille. Il s’agit ici du fameux double alpha ; la conviction que l’analyse de durabilité apporte une valeur ajoutée dans la connaissance des risques et opportunités d’un investissement. Mais également un résultat extra financier. Le portefeuille investi a-t-il un impact positif en matière environnementale, sociale et/ou de gouvernance ? Ici aussi le monde de l’investissement responsable évolue. Il ne se contente plus de mesurer la performance financière mais de montrer que le portefeuille peut être plus soucieux de l’environnement (par ex. les sociétés investies sont moins génératrices de CO2, etc.) dans sa globalité. Cependant, il faudra également du temps pour que les instruments de mesure et les référentiels soient totalement efficaces et prouvés.

En matière de produits financiers, l’offre a généralement dirigé la demande. Il est donc du devoir des institutions financières de faire progresser le domaine de l’investissement responsable, le rendant accessible à tout investisseur. En améliorant la transparence, la comparabilité et la mesurabilité de telle stratégie, les institutions financières seront alors en mesure de convaincre des bienfaits de l’investissement responsable et pourront assumer pleinement leur rôle sociétal.

Autres articles surle même sujet :

– le rôle des listes noires 

– Marchés émergents et investissement durable


Espoir sur les cendres de l’immeuble Savar

Le 5  juin 2013

De manière croissante, les sociétés de gestion, les investisseurs institutionnels et privés prennent conscience de leur rôle dans la logique des affaires et de l’importance que des critères autres que purement financiers peuvent revêtir.

La croissance des signataires de détenteurs et gestionnaires d’actifs, que ce soit en nombre ou termes d’actifs sous gestion, des principes d’investissement responsable sponsorisés par les Nations-Unis (UNPRI), en témoigne.

Ces principes, au nombre de six, encouragent les détenteurs et gestionnaires d’actifs à intégrer à tous les niveaux de la société les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

De manière générale, les critères de gouvernance sont relativement bien intégrés auprès des sociétés de gestion car ils sont probablement les plus proches des comptes financiers. Juger de la qualité et faisabilité d’un business plan requiert de s’interroger sur la fiabilité du management et de s’attarder donc sur les questions relatives au conseil d’administration, sa composition, sa qualité, sa transparence, etc.

La catastrophe environnementale de BP et la chute de son cours de bourse a été un point déclencheur important sur les questions environnementales et les coûts financiers liés impactant dès lors les valorisations des sociétés pétrolières mais autres également. La régulation en matière environnementale s’accroit davantage avec des amendes et des frais juridiques qui – s’ils restent encore souvent marginaux par rapport aux revenus des sociétés impliquées – sont un coût de plus en plus important, impactant sur le cours de bourse. Sans parler du risque réputationnel, parfois même plus important. Les entreprises sont dès lors de plus en plus attentives à la problématique.

La triste actualité liée au catastrophique incendie de l’immeuble à Savar au Bangladesh, qui s’est écroulé le 24 avril dernier et a coûté plus de 1.100 vies (arrêté au 16 mai), pourrait être une brique supplémentaire à l’édifice de la défense des aspects cette fois sociaux. Il est vrai que l’évènement n’est pas le premier en date ; sur les six derniers mois, l’incident mortel est le troisième dénombré au Bangladesh.  Cependant, son coût humain est substantiel et sa couverture médiatique importante. Il est difficile pour les sociétés textiles telles que H&M ou Inditex de ne pas répondre d’une manière ou une autre aux interrogations multiples après pareil accident. Le risque réputationnel pour ces sociétés est énorme. Il est tout de même difficile d’afficher sur tous les murs des grandes capitales européennes la jolie Vanessa Paradis, souriante et arborant une magnifique blouse « Conscious collection » de H&M alors qu’en même temps circule une photo du numéro 1 du détaillant suédois au milieu du désastre du building Rana Plaza avec le slogan «Enough fashion victims ».

Aujourd’hui le coût financier reste limité au risque opérationnel  lié au retard occasionné par l’arrêt de fabrication et le temps nécessaire à trouver une alternative. Lorsque l’on sait que l’industrie textile représente plus de 80% du total des exportations du pays et emploie plus de 3.5 millions de personnes, l’alternative sera relativement vite trouvée.

Il est question avant toute autre chose du risque réputationnel. Mais si celui-ci fait progresser les bonnes pratiques, c’est finalement mieux. La grande difficulté dans toutes ces actions de responsabilité sociétale des entreprises est de pouvoir clairement distinguer le « green wash » du reste. Les grandes multinationales sont très efficaces pour établir des politiques, des procédures et des engagements clairs et détaillés. Cependant,  la mise en pratique et le suivi des bonnes résolutions est une toute autre étape. Ici, les accidents déplorables tels que l’immeuble Savar permettent de lever le voile sur des méthodes peu connues. Le joli sourire de Vanessa nous a-t-il rendu inattentifs et aveugles sur des pratiques peu responsables. Il faudrait davantage de conscientisation de la part des investisseurs et consommateurs, combinée à un contrôle plus accru des régulateurs et des conséquences financières plus lourdes pour mettre fin à ce genre de procédés.

L’intégration de critère ESG pourrait-elle constituer un cercle vertueux ? Les sociétés financières seraient plus attentives à ces derniers et donc plus regardants aux méthodes et controverses. L’observation accrue et le risque réputationnel lié conduiraient les sociétés à mettre en place des procédures et politiques afin d’améliorer leur profil extra financier. Ces améliorations auraient des conséquences positives pour les différentes contreparties, que ce soit du point de vue des employés, clients ou fournisseurs.

Enfin vient également le risque de régulation, qui sur le moyen et long-terme est appelé à gagner en importance. Le gouvernement bangladais doit faire face à une pression accrue de l’Europe et ailleurs pour améliorer les standards de sécurité et les systèmes de contrôle. L’importance de l’industrie textile du pays s’explique principalement par le faible salaire des ouvriers, le plus bas de la région. En effet, la Chine a vu s’expatrier cette industrie vers ses voisins du fait de l’augmentation salariale progressive dans le pays.

Coût horaire de la main d’œuvre dans l’industrie du textile

 

Source : Exane BNP Paribas,

Au Bangladesh, les salaires sont restés au même niveau depuis 2006. Il n’est pas étonnant de voir se rebeller les ouvriers, encore peu organisés syndicalement et surtout réprimandés avec violence par les autorités. Ce fut le cas avec l’intervention du bataillon Rapid Action, unité d’élite de la police appelée en principe pour les crimes organisés et les actions terroristes. Les syndicats sont pour la plupart illégaux dans l’industrie et forcés d’opérer en secret avec des budgets ridicules. Face aux nouvelles pressions, le gouvernement bangladais sera sans nul doute forcé de revoir sa politique sur les représentativités syndicales et sur les ONG de défense des droits des travailleurs de l’industrie, reconnues comme perturbateurs de la paix nationale.

Réjouissons-nous dès lors de l’accord né de la catastrophe au Bangladesh comme élément important vers une activité économique plus durable. Il est sans doute à déplorer que dans le refus de signer cet accord, engageant les sociétés à un contrôle de sécurités de minimum 5 ans des usines, nous retrouvions des détaillants américains tels que Wal-mart, qui sont régulièrement cités dans pareilles situations.

Et réjouissons-nous également de voir que la communauté d’investissement a pris le relais de pareille initiative en signant une déclaration par laquelle les représentants de plus de 1200 milliards d’actifs sous gestion exigent des grandes marques du textile et de la distribution de contribuer collectivement au respect et application des droits sociaux fondamentaux de l’Organisation Internationale du Travail et adopter une tolérance zéro à tout abus dans leur chaîne de production.

Ceci montre l’importance du contrôle sur la chaîne d’approvisionnement. Celle-ci est primordiale dans l’ensemble relationnel de l’entreprise. La sélection de ses fournisseurs doit faire l’objet d’une analyse approfondie et faire partie intégrante de la stratégie de l’entreprise.


La corruption un mal nécessaire ?

Le 6 mai 2013

La corruption dans le monde des affaires est sujet courant. Si celle-ci s’inscrit clairement à l’encontre de l’éthique des affaires, beaucoup d’investisseurs diront cependant qu’elle  est nécessaire pour réussir ses projets notamment dans des pays comme le Nigeria et autres. Et une société qui  refuserait de la pratiquer au nom de l’éthique verrait ses chances de réussite fondre comme neige au soleil.

Serait il donc impossible de réussir sans recourir à des pratiques corruptives ? Un investisseur dans une société est-il donc obligé de choisir entre performance et éthique des affaires ?

Certainement pas.

D’une part, plusieurs cas récents, comme le scandale Olympus ou autres, montrent qu’une fois la lumière faite sur un cas de corruption, le cours de bourse s’en fait ressentir.

D’autre part, la législation est de plus en plus contraignante en la matière et force les sociétés à être de plus en plus attentives et en tout cas transparentes sur les versements effectués.

En effet, les Etats-Unis ont déjà légiféré en la matière en 2004. Le Royaume-Uni a suivi en 2010 seulement avec la loi Bribery Act, considérée comme la plus avancée en la matière. Alors que les institutions européennes ne viennent de se mettre d’accord que très récemment sur un projet de texte.

L’avance des Etats-Unis sur la régulation du sujet peut expliquer que les sociétés américaines, selon la dernière étude de Vigeo[1] sur la  prévention de corruption au sein des entreprises cotées, apparaissent comme mieux préparées, affichant des engagements explicites. Le taux de transparence est quasi-total avec 99% des sociétés étudiées qui rendent visibles leurs engagements à ce sujet. Alors que 87% des entreprises européennes et seulement 66% des sociétés de la région Asie-Pacifique offrent la même transparence. Si l’Europe montre une progression depuis la dernière enquête de Vigéo, les statistiques cachent des disparités importantes entre les Etats Membres. Les entreprises autrichiennes et irlandaises obtiennent des scores relativement faibles dans leur précision des engagements ; le score est légèrement meilleur pour les sociétés françaises, espagnoles et finlandaises alors que les sociétés néerlandaises affichent un score moyen de 55/100.

L’existence d’un cadre législatif apparaît donc comme influant sur les entreprises afin de se prévenir de ce fléau.

Et pourtant, à la vue des risques latents, il serait opportun pour une entreprise de se protéger, qu’un texte légal contraignant existe ou non dans le pays.

En effet, les risques sont multiples. A côté du coût même de la corruption et de l’éventuelle amende en cas de condamnation – sans parler du risque de litiges au vue de la longueur des procès -,  le risque réputationel est substantiel et le scandale peut longtemps peser sur l’image de la société. Une implication dans un cas de corruption peut exclure de facto une société d’un nombre important d’appels d’offres venant de clients ayant affiché une politique transparente sur le refus de corruption. Ensuite, plusieurs sociétés refuseront de collaborer avec un partenaire corrompu. D’autres partenaires pourraient contraindre ladite société à revoir les contrats existants.

La corruption induit également une incertitude dans la relation commerciale. Y aura-t-il une limite à la démarche corrompue ? Que se passe-t-il en cas de changement d’interlocuteurs ? Cette incertitude est un coût supplémentaire. Le manque de transparence et de visibilité sont donc à intégrer dans les modèles d’évaluation des projets en question. Il s’agit d’un poste de  coût important, dont l’estimation peut être complètement faussée du fait du facteur incertitude, lors du calcul du rendement sur investissement. L’exemple de la société BAE est intéressant à ce niveau. Face aux nombreuses allégations de corruption dans lesquelles la société était impliquées et face à l’importance des problèmes liés, elle a adopté une politique de tolérance zéro face à la corruption, quitte à perdre certains contrats. Le coût des risques mentionnés ci-dessus est apparu clairement plus lourd qu’un éventuel coût d’opportunité.

Selon l’étude de Vigéo, la corruption serait d’autant plus présente dans les marchés dits « business to business ». Ainsi les secteurs les plus sujets au fléau sont par ordre d’importance le bâtiment et les travaux publiques (BTP), le secteur pharmaceutique et de la biotechnologie, les fabricants d’équipements et de services médicaux, les parapétroliers et enfin les automobiles.

Aujourd’hui, le secteur des industries extractives est relativement bien placé dans les classements. La pression des parties prenantes a eu gain de cause en forçant les sociétés à mieux se préparer en la matière. Ainsi, parmi les sociétés les mieux équipées revient régulièrement la société Statoil dans les différentes études sur la question.

Le projet de texte issu des négociations entre les trois instances européennes vise également ce même secteur. Il incite les groupes publiques comme privés actifs dans le secteur du gaz, du pétrole, des mines ou des forêts à communiquer en toute transparence sur les paiements réalisés auprès des gouvernements pour tout projet générant plus de 100.000 euros. La loi leur imposera de rapporter publiquement les paiements totaux de chaque projet, les taxes sur profits ou production, les royalties, dividendes, bonus et tous paiements relatifs à l’amélioration des infrastructures.

Si la loi régit un secteur déjà fortement avancé en la matière du fait de la pression des parties prenantes, elle apparaît comme une étape importante vers une obligation de transparence accrue applicable à l’ensemble des secteurs économiques.

Mais une communication en matière de paiements est-elle suffisante pour lutter contre la corruption ?

S’il est normal que les entreprises rémunèrent les Etats pour l’exploitation des ressources naturelles, le bénéficiaire des paiements reste  l’inconnue de l’équation. Cependant, les sociétés ne sont pas en mesure de vérifier et même de dicter la destination des émoluments réalisés. L’Etat devrait être l’acteur principal à même de garantir l’utilisation de ces compensations financières au bénéfice du bien-être de l’ensemble de sa population afin de garantir la durabilité de celle-ci. C’est ici que le travail de Transparency International sur l’indice de corruption publié chaque année  a tout son sens afin d’épingler les pays les moins bons élèves en la matière.

Il est clair que les gouvernements et instances régulatrices ont un rôle important à jouer dans la lutte contre la corruption.

De même les multinationales doivent également afficher une politique claire. De plus, la transparence de la communication, afin d’être efficace dans la lutte de la corruption au sein du groupe entier, doit s’accompagner d’un engagement clair et fort au niveau des plus hautes instances dans la société et d’une formation et sensibilisation de l’ensemble des collaborateurs afin que ce qui a été clairement défini comme objectif du groupe le soit compris et appliqué à l’ensemble de ses structures et filiales. La formation et la sensibilisation des membres du personnel a été reconnue comme maillon faible des politiques de prévention corruptive dans l’étude de Vigeo.

Enfin les investisseurs, institutionnels comme privés, ont également un rôle à jouer. Si la question de l’éthique du monde des affaires n’apparaît pas comme une raison valable aux yeux de certains, les risques et coûts liés, qui ont un impact matériel sur l’investissement en question, peuvent largement prendre le dessus et amener à la même conclusion : la corruption n’est pas un mal nécessaire ; au contraire, même si le chemin est encore long pour une tolérance zéro en matière de corruption, les pressions grandissantes du cadre régulateur et des parties prenantes clouent les sociétés fautives au pilori et font courir une perte importante à l’investisseur peu alerte en la matière.


[1] Que font les entreprises pour prévenir la corruption ? – Vigeo – Février 2013


Marchés émergents et investissement durable : incompatibles?

Le 3 avril 2013

Deux tendances émergent clairement des marchés financiers actuels. D’une part, un large consensus favorable aux investissements dans les pays émergents, source de croissance et donc de rendement pour les années à venir.

D’autre part, la conviction croissante de regarder un Etat ou une société au-delà des comptes financiers mais bien d’intégrer des notions de développement durable et les préoccupations socio- environnementales et de gouvernance.

Et pourtant, il y a fort peu d’interrogation simultanée sur les deux tendances comme si elles étaient par nature inconciliables. Bien au contraire ! Elles devraient être indissociables même si plusieurs devaient avancer l’argument de prématuré pour ne pas les associer.

Il est vrai que la plupart des marchés émergents ne sont pas exemplaires en matière de durabilité écologique ou démocratique. Cependant, s’interroger sur la question dans le cadre de la gestion d’un portefeuille investi dans la région a une réelle valeur ajoutée.

Notre planète compte plus de 7 milliards de personnes aujourd’hui et devrait en accueillir 9.5 d’ici 2050 selon les statistiques des Nations Unies. Or, la grande part de cette croissance s’opère dans des régions en voie de développement, qui sont déjà confrontées à une problématique de surpopulation et de manque de ressources. Le défi démographique va de paire avec un défi énergétique et donc un défi écologique et par la même un défi économique.

Il est important de s’assurer que les éléments fondateurs d’un cadre régulatoire favorable au bien-être de la population et de son développement durable sont garantis. Ainsi, les droits politiques et les libertés civiles, en ce compris celles de la presse, sont primordiales pour assurer les bases nécessaires au développement économique et sociale. De même, la corruption se doit d’être éradiquée. Lorsqu’elle laisse penser qu’il est impossible de conclure des affaires avec succès sans passer par ce passe-droit, c’est également un élément clé dans l’évaluation de l’investissement. Le manque de transparence et les risques liés doivent être intégrés et tenir compte d’une prime de risque supplémentaire.

La défense des valeurs démocratiques est importante. D’une part, dans une démarche d’investisseur responsable, cela ressort comme une obligation morale. D’autre part, la recherche académique montre la corrélation importante entre la qualité du cadre institutionnel d’un pays et le risque de défaut de la dette souveraine.

Une analyse claire et complète de la soutenabilité d’un Etat apporte donc une réelle valeur ajoutée à la construction d’un portefeuille d’investissement, au-delà des valeurs idéologiques qu’elle pourrait mettre en avant. Il s’agit de donner une cartologie complète des risques et opportunités liés à un pays.

Le travail de l’ONG internationale Freedom House est pertinent pour juger du niveau de démocratie d’un pays. Sur base d’une enquête annuelle regroupant 25 questions relatives aux droits politiques et aux libertés civiles, les pays sont considérés libres, partiellement libres ou non libres.

Sur base d’un nombre limité de critères pertinents, adaptés aux spécificités du contexte de développement économique en cours et relatifs aux domaines de transparence et valeurs démocratiques, d’environnement, de population, soins de santé et de partage des richesses, d’éducation et d’économie, un classement des pays considérés comme émergents par les marchés financiers[1] dévoile clairement le lien entre démocratie et durabilité du pays. Il n’est pas étonnant de retrouver la grande majorité des pays dits non-libres dans le bas du classement de soutenabilité.

L’analyse donne donc des informations importantes sur les degrés de soutenabilité dans les différents domaines des pays en question et permet de mettre en parallèle certains pays à des stades de développement économique similaires mais avec des démarches différentes au regard des domaines socio-écologique et de gouvernance.

L’objectif n’est pas d’exclure certains pays dont le score de durabilité peut être encore faible aujourd’hui. En effet, plusieurs pays de l’univers sont entrés récemment dans un processus de démocratisation. Les années de dictature pèsent et pèseront longtemps sur le développement durable d’un pays. La transition vers une totale garantie des libertés civiles et des droits politiques, ainsi que de la liberté de la presse ou des droits égaux entre les hommes et les femmes, quant ceux-ci ont été bafoués pendant des années, ne peut se faire en un jour. Il faut donc laisser le temps au temps et suivre de près les progrès enregistrés. La Côté d’Ivoire est, à ce titre, un exemple parlant d’un pays au développement économique prometteur, riche de ressources et de matières premières. Le départ forcé de Gbagbo a été suivi d’une importante instabilité et de graves violences. Si maintenant la situation semble apaisée et le pays en voie vers un meilleur futur, le pays ne correspond pas non plus à une démocratie totale et réelle.

Disposer d’une vue d’ensemble des risques et opportunités d’un pays est une source d’information majeure pour juger de la faisabilité des opérations des sociétés en fonction de leurs marchés cibles et des projets d’un Etat et ainsi mesurer la valeur qualitative d’un investissement financier.


[1] Selon l’appartenance aux indices obligataires de référence pour ces marchés de type Barclays ou JP Morgan Emerging Markets.


Un pays peut-il être durable ?

Le 5 mars 2013

La recherche extra-financière sur les entreprises existe depuis plusieurs années et les classements des sociétés sur base de « best in class approach » sont courants aujourd’hui. Il semblerait toutefois que la crise des dettes souveraines dans la zone euro et la remise en question du statut d’actif sans risque pour les obligations gouvernementales de la zone euro aient été un mal nécessaire pour voir aussi émerger des classements sur les critères extra-financiers des Etats.

Les modèles de durabilité des pays restent donc encore limités; notamment à cause de l’absence d’une définition universelle et de la difficulté d’en établir une.

Néanmoins, les premières leçons de la crise souveraine de la zone euro semblent donner des pistes sur ce que comprend la durabilité financière d’un pays. Ainsi, il apparaît clairement que la dette publique ne peut être considérée seule. Elle doit être analysée en parallèle avec l’importance de la dette privée, des entreprises et de ménages. La balance courante est un élément de durabilité important.

Mais qu’en est-il des critères de durabilité hors du périmètre financier ? Quels sont les autres axes de durabilité d’un pays et existe-t-il un lien entre les deux dimensions ?

En l’absence de définition universelle de durabilité, la durabilité peut reposer sur plusieurs dimensions :

  1. La dimension politique et démocratique : un pays durable respecte ses engagements vis-à-vis des pays tiers et de sa population. La bonne gouvernance du pays assure la mise en place d’institutions adéquates de développement et de contrôle pour garantir le meilleur fonctionnement du pays. Les institutions sont érigées de manière démocratique, la corruption est proscrite et les citoyens sont libres de s’exprimer ;
  2. La dimension environnementale : un pays durable est soucieux de ses ressources naturelles et agit dès lors dans le respect de son environnement. Il considère la planète comme un bien public où chacun a un devoir de respect et de préservation.
  3. La dimension sociale : un pays durable est attentif au bien-être de sa population. A cette fin, les instances de gouvernance assurent une qualité de vie suffisante à tous les niveaux pour l’ensemble de sa population. Elles garantissent la sécurité et l’accessibilité à des soins de santé de qualité.
  4. La dimension future : un pays durable investit dans ses générations futures; d’une part en assurant les meilleures conditions pour les générations futures et d’autre part en leur apportant l’éducation suffisante pour assurer le développement et la gouvernance du pays à l’avenir.
  5. La dimension économique : enfin un pays est durable s’il se donne les moyens d’assurer sa viabilité économique en évitant les endettements excessifs, en assurant une stabilité des prix à sa population et en gérant ses revenus et dépenses en bon père de famille.

Au regard de ces cinq dimensions, sur base d’une cinquantaine critères pertinents (données quantitatives de sources fiables et réputées), plusieurs pays au sein de l’OCDE par exemple se distinguent en tête du classement tels que la Scandinavie ou encore la Suisse. A l’opposé, des pays comme la Grèce, la Turquie ou le Mexique montrent des faiblesses de durabilité, visibles dans les cinq dimensions.

Pouvons-nous dès lors conclure qu’il existe un lien entre durabilité économique – en ce compris capacité à faire face à ses créanciers – et durabilité socio-environnementale ? Si la preuve n’a pu être scientifiquement apportée jusqu’à présent, il est cependant difficile de conclure à un hasard des choses au vu des résultats obtenus.

Pour sélectionner les critères pertinents dans chaque dimension, l’approche s’est voulue la plus objective possible. En effet, en sélectionnant des données quantitatives, comparables pour l’ensemble des pays étudiés et  en provenance de sources fiables et réputées, le biais subjectif du concept de durabilité, induit notamment par l’absence de définition universelle, est sensiblement réduit.

Le défi majeur de la méthodologie retenue est de garantir une force de prédiction au modèle. En effet, les marchés financiers ayant tendance à anticiper les événements, un modèle d’analyse est pertinent s’il anticipe et permet de distinguer des signes avant coureurs. En reposant sur des données historiques, il est difficile d’attribuer une certaine prédiction des facteurs retenus.

Ce manque pourrait être comblé en partie en tenant compte des politiques mises en place ou des traités et conventions signés. Cependant, dans les deux cas, il s’agit d’engagements et les résultats réels ne sont mesurables qu’après un certain temps. Néanmoins, suite aux résultats obtenus, Petercam reste convaincu qu’aborder la durabilité d’un pays au-delà de sa durabilité financière est une valeur ajoutée à l’appréciation d’un Etat et la qualité de son crédit. Avec bientôt 5 ans d’existence du modèle, il est possible d’estimer la dynamique d’un pays dans les différentes dimensions observées. Ainsi, un critère de tendance est également inclus dans le modèle permettant d’identifier le dynamisme d’un pays à se maintenir dans le peloton de tête du classement, ses efforts à améliorer une position moyenne ou au contraire un certain laxisme conduisant à une détérioration relative par rapport aux autres pays dans les différents domaines. De cette manière, certaines tendances sont perceptibles et constituent une source d’information supplémentaire pour l’investisseur sur les engagements réels d’un pays, en tant qu’acteur économique majeur.

Plusieurs observations intéressantes peuvent être faites des résultats d’une approche « best in class » intégrant les cinq dimensions de la durabilité d’un pays et démontrent par là la valeur ajoutée et la pertinence d’une telle démarche.

La première observation concerne la pertinence des notations de crédit par les agences reconnues. En effet, lorsque sont mis en parallèle le classement des Etats membres de l’OCDE et leur notation de crédit par S&P par exemple, une certaine stabilité apparaît dans le classement de durabilité alors que les notations de crédit ont connu des modifications substantielles au cours des années écoulées.

Prenons l’exemple de l’Espagne : à l’origine du modèle de durabilité, la péninsule ibérique se classait 22e avec une notation de crédit équivalente à l’époque à AAA par S&P. Dans le dernier classement – septembre 2012 – le pays note une légère amélioration de sa position durable (19e) – expliquée notamment par la dimension sociale où le faible taux de suicide, de ratio de dépendance ou de mortalité infantile en termes relatifs constituent une force du pays – alors que sa note de crédit par la même agence s’est détériorée sensiblement (BBB-).

La Grèce est également un exemple intéressant de la discordance entre la durabilité globale du pays lors de l’introduction du modèle (décembre 2007) et sa notation de crédit. Alors que depuis le début, la Grèce occupe inlassablement la 3e place en queue de peloton, elle a connu une dégradation substantielle de A- à CCC en passant par le statut de Not Rated sur les 3 dernières années. Et dernièrement, na notation a été relevé de 6 crans ( !) laissant supposer une amélioration sensible du débiteur hellénique.

La deuxième observation concerne la tête du classement. Comme expliqué plus haut, s’il n’y pas de preuves scientifiques de corrélation positive entre durabilité socio- environnementale et durabilité économique, force est de constater que les 10 premières positions – à l’exception de l’Islande – ont relativement bien traversé la crise financière. De plus, lorsque de nouvelles études dans les domaines de l’environnement, de la société ou de la gouvernance apparaissent, ce sont souvent les mêmes pays qui arrivent en tête. Simple coïncidence ?

Enfin, le critère de tendance est assez cohérent avec la situation économique d’un pays. La France est un bon exemple. Une grande majorité d’économistes, français et internationaux, est d’avis que le statut AA de la France est contestable, que l’actuelle perception des marchés financiers par rapport à la dette française s’apparente à la perception d’un actif de haute qualité, proche, même si inférieure, au Bund allemand alors que ses données économiques et financières se rapprochent davantage de celles d’une économie telle que l’Italie. Les pouvoirs en place se voient critiquer leur manque de réformes, un certain laxisme qui ne serait corrigé, à entendre certains, que par une mise au pied du mur par les marchés financiers et/ou les agences de notation. Ce manque de dynamisme est également perçu au niveau du classement durable de la République Française. Si le pays ne s’est pas réellement détérioré dans l’ensemble des critères retenus, il n’en reste pas moins que dans une approche relative et comparative, il se laisse facilement dépasser par la meilleure prestation des autres membres de l’OCDE et perd par conséquent plusieurs places dans le classement, 3 au total depuis l’introduction du modèle.

Comme souvent, il aura fallu une crise importante pour montrer les faiblesses de certains modèles économiques et financiers, mono-perspectifs. Or dans un contexte de globalisation de l’économie, avec des enjeux majeurs tels que le défi démographique, la raréfaction des ressources naturelles et le changement climatique, il paraît évident que les Etats, en tant qu’acteurs majeurs de l’économie, ont un rôle central à jouer et contribuent pleinement à la durabilité des systèmes mis en place. Dès lors, pour une économie performante, celle-ci se doit d’opérer dans un cadre démocratique approprié, composé d’institutions de gouvernance de haute qualité. Sans investir dans le bien-être et la connaissance de ses générations actuelles et futures, elle met en péril ses chances de pérennité dans l’avenir. Sans objectif de gestion durable de ses ressources et de son environnement, elle n’a aucune chance de survie face aux enjeux majeurs auxquels la planète devra faire face dans quelques années. Enfin, un manque de respect de ses engagements internationaux (traités, conventions, etc.) démontre une probabilité forte de manque de respect de ses engagements au niveau de ses créanciers. C’est pourquoi, bien que ce soit complexe à mettre en place, il est primordial d’intégrer les pays en tant qu’acteurs économiques et de les analyser selon une matrice intégrant aussi bien les domaines financiers et économiques que les dimensions sociales, environnementales et de gouvernance ; à l’instar de ce qui est de plus en plus courant en matière d’entreprises.


Le but d’intégrer des critères extra-financiers dans un processus d’investissement

31/1/2013

Mais pourquoi intégrer des critères extra-financiers dans le processus d’investissement ? Compte tenu des nombreuses difficultés, quelle valeur ajoutée cela peut-il réellement apporter ?

Tout d’abord, l’actualité nous le répète sans cesse : nous vivons dans une économie globale où les interconnections sont multiples et où il n’est plus possible d’isoler un élément qui serait autonome et indépendant de toute influence externe. Dans une démarche d’analyse qualitative et fondamentale, évaluer la société dans sa capacité à faire face aux enjeux macro-économiques tels qu’identifiés (défi démographique, changement climatique et raréfaction des ressources) a tout son sens. En d’autres termes, les sociétés les mieux préparées et les plus proactives en la matière affichent manifestement un avantage compétitif par rapport à leurs consœurs plus réactives. Avantage compétitif qui tôt ou tard devrait s’illustrer au niveau de sa performance financière.

Matérialité

La fin de cette intégration des critères extra-financiers dans le processus d’investissement relève donc bien d’un avantage concurrentiel permettant une meilleure performance financière. Car il reste toujours que les investisseurs recherchent la performance avant toute autre chose. C’est pourquoi, l’intégration des critères extra-financiers se concentre essentiellement sur des critères matériels, en ce sens qu’ils sont plus susceptibles d’avoir une répercussion à moyen ou long-terme sur la performance de la société.

Cet aspect de matérialité est également un défi à relever en matière d’intégration des critères extra-financiers dans le processus d’investissement. En effet, il n’est pas rare que certains aspects liés aux critères environnementaux, sociaux ou de gouvernance n’aient aucun impact – immédiat en tout cas – sur le cours de bourse d’une société. Vient ici l’enjeu de réconcilier deux perspectives temporelles : la recherche de performance encore trop souvent court-termiste des investisseurs et la matérialité des enjeux ESG de l’ordre davantage du moyen voire long-terme.

Or, si aujourd’hui, le cours boursier d’une société reste stable alors que cette société est en défaut par rapport à ses engagements vis-à-vis de ses employés, il est fort probable qu’il en soit autrement dans quelques temps lorsque les investisseurs continueront à prendre sérieusement leur rôle sociétal en tant qu’investisseur et que les régulateurs seront de plus en plus stricts et exigeants sur ces différents sujets.

Pour améliorer la qualité de l’analyse d’une société, les critères extra-financiers à intégrer dans le processus d’investissement ne se doivent pas uniquement d’être matériels mais doivent aussi permettre une véritable discrimination entre les acteurs. Cet aspect n’est pas non plus chose aisée pour l’analyse. D’une part, il est courant d’être confronté au commentaire « mais ils font tous cela » et d’autre part, étant donné la difficulté de mesurer certains aspects une certaine prudence est de rigueur dans la comparaison des performances de sociétés concurrentes.

Contraintes et limites

L’intégration de critères extra financiers dans le processus d’investissement a dès lors ses limites. Principalement l’accès à l’information. Si les fournisseurs de données extra-financières foisonnent, il faut reconnaître un fort biais vers les plus grandes capitalisations boursières, disposant de plus de ressources et moyens pour fournir l’information requise. Etant donné la charge de travail que les questionnaires des agences extra-financières peut entrainer, il n’est pas surprenant de voir les plus grandes capitalisations se démarquer en termes de quantité et qualité d’information fournie. Ce manque de reporting des plus petites sociétés peut être perçu a priori comme un manque de transparence et être donc pénalisé par les agences de notation.

Enfin, les indices de référence en la matière tendent également à représenter davantage les grandes capitalisations boursières. La disponibilité d’information est en grande partie l’explication de cette observation. Pour une question de réputation, les grandes sociétés veulent aussi faire partie de ces univers de référence et de cette manière le système s’auto alimente et amplifie le biais des grandes capitalisations. Cependant, il faut noter l’émergence d’indices sur de plus petites capitalisations, dont la méthodologie et les critères sont plus adaptés à leur profil et leurs moyens et ressources disponibles. C’est une question de temps à nouveau pour voir les univers de plus petites capitalisations être aussi représentés que ceux des plus grandes capitalisations.

Conclusion

Pour conclure, si les défis d’intégration de critères extra-financiers dans le processus d’investissement sont nombreux, il n’en reste pas moins que replacer la société dans son contexte global, avec ses enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance, est largement justifié et la valeur ajoutée ne sera que de plus en plus visible au fil du temps.

Le court-termisme des investisseurs dicte encore fortement sa loi aux marchés financiers et se confronte aux enjeux de demain. Cependant, tous les espoirs sont permis que l’investissement réalisé dans une optique de long terme et plus durable prenne le dessus. Les investisseurs, mais également l’ensemble des acteurs économiques, sont aujourd’hui dans une période de transition durant laquelle les conséquences des modèles développés jusqu’ici sont étudiées pour une réelle remise en question et pour construire la finance de demain.


Intégrer les critères extra-financiers dans un processus d’investissement d’actions : quelle valeur ?

2/1/2013

Le monde des investisseurs, en particulier celui des actions, est assez familier avec les ratios financiers de type bénéfice par action, rendement global, etc. Qu’en est-il des critères extra-financiers ? Il s’agit ici des éléments qui n’interviennent pas directement dans les bilans et comptes de résultats des entreprises. Quand ils sont communiqués, ils se retrouvent davantage dans les annexes des bilans voire même dans un rapport à part entière, appelé le rapport extra financier quand il existe. Ce rapport est bien moins connu des investisseurs actions, notamment des analystes et des gérants et pourtant il n’en est pas moins intéressant.

Une vue globale sur la société

Le monde financier revient à une optique globale de la société, c’est-à-dire que celle-ci s’inscrit dans un contexte global, relativement complexe et fortement interconnecté. Le rôle de l’entreprise ne se limite pas à délivrer des bénéfices, payer des taxes, faire des provisions de risques et de pensions et réaliser une performance boursière. De par son activité, elle joue un rôle à part entière vis-à-vis de ses employés, clients, fournisseurs, régulateurs et ceci dans un environnement global, soumis à des enjeux majeurs tels que le changement climatique, le défi démographique et la rareté des ressources, énergétiques, agricoles et autres.

Cependant, ce rôle et cet impact ne sont pas aisément mesurables et quantifiables. Les critères extra-financiers découlent souvent du domaine de l’intangible, d’où la difficulté de mesure objective. De plus, l’approche extra-financière est relativement récente et ses outils et méthodes ne sont pas encore matures. A l’opposé, l’analyse financière a maintenant une expérience de plus de 100 ans et a connu de fortes évolutions notamment en matière de standards et de normes.

En effet, chaque secteur a ses spécificités propres et requiert des connaissances pointues. La garantie que les méthodologies utilisées sont parfaitement comparables n’est pas toujours assurée puisque les repères et standards dans les matières doivent encore évoluer.

Parallèlement, les organismes de contrôle, les auditeurs, etc. n’ont pas encore acquis toutes les connaissances suffisantes dans ces domaines pointus pour valider et certifier des comptes extra-financiers avec la même garantie de contrôle et de conformité qu’ils ne pourraient le faire pour les bilans et comptes de résultats. Il faut ici aussi laisser le temps au temps pour les formations, les connaissances et les évolutions des normes et standards à adopter en la matière. Il y a donc encore du chemin à parcourir comme cela a été le cas pour les rapports financiers. Rappelons combien il paraissait difficile voire impossible d’établir des comptes consolidés il y a quelques années. Aujourd’hui, il paraît invraisemblable qu’une multinationale ne rapporte pas de comptes consolidés.

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