Par Martin Piret Gérard, Associé chez CONSILIUM Gst
L’achat scindé est une technique parfaitement licite de planification successorale fréquemment utilisée en Belgique. On y recourt notamment pour acquérir un bien d’investissement ou une seconde résidence avec ses enfants.
Comment ça fonctionne ?
Au moment d’acheter un immeuble, les parents en acquièrent l’usufruit et les enfants la nue-propriété. De leur vivant, les parents peuvent occuper le bien et en percevoir les éventuels revenus. A leurs décès, les enfants deviennent automatiquement pleins propriétaires du bien et ce, sans devoir payer de droit de succession. En effet, ils deviennent pleins propriétaires du bien suite à l’extinction de l’usufruit et non en leur qualité d’héritier.
Bien souvent, les enfants ne disposent pas des fonds nécessaires pour l’achat de la nue-propriété. Au préalable, les parents leur font donc donation de cet argent. La plupart du temps, cette donation prend la forme d’un don bancaire. De cette manière, on évite de devoir payer les droits de donation. Pour rappel, en ligne directe, ceux-ci s’élèvent à 3,3% en Wallonie et à 3% en Flandre et à Bruxelles.
Correctement encadré, l’achat scindé permet d’éviter en toute légalité les droits de succession. Pour ce faire, il convient toutefois de respecter certaines règles afin d’éviter tout problème avec l’administration fiscale.
Démembrement et fiction fiscale
Afin de limiter l’utilisation abusive de cette technique, la loi fiscale a introduit une règle spécifique à l’article 9 du Code des droits de succession (article 2.7.1.0.7. du Code Flamand de la Fiscalité). En vertu de celle-ci, au décès des parents, l’immeuble est considéré comme se trouvant en pleine propriété dans leur succession et comme recueilli à titre de legs par les enfants. Autrement dit, la valeur de la pleine propriété du bien réintègre fictivement la succession des parents et pourra être soumise aux droits de succession à leurs décès.
L’objectif poursuivi par le législateur est d’imposer l’immeuble qui ne se retrouve pas dans la succession des parents et qui proviendrait d’une opération déguisant une libéralité. Tel serait par exemple le cas si des parents payaient eux-mêmes la nue-propriété au vendeur.
La présomption inscrite à l’article 9 du C. succ. (article 2.7.1.0.7. du CFF) est réfragable. Les enfants peuvent la renverser en prouvant que l’achat scindé ne déguise pas une libéralité à leur profit. Pour ce faire, ils devront pouvoir démontrer qu’ils disposaient des fonds personnels pour acquérir la nue-propriété du bien, qu’ils ont effectivement affecté ces fonds à l’achat de ce bien, et que l’évaluation de l’usufruit a été réalisée correctement.
Achat scindé et donation préalable : position de l’administration
Depuis 2002, la position de l’administration fiscale en matière d’achat scindé précédé d’une donation préalable a fortement évolué. Les derniers rebondissements datent de 2020. Actuellement, la position de l’administration peut être résumée comme suit.
La preuve contraire demandée par l’article 9 du C. succ. (article 2.7.1.0.7. du CFF) pour renverser la présomption de taxation peut être apportée par une donation antérieure des fonds réalisée par les parents à leurs enfants. En d’autres termes, il n’y a pas de libéralité lorsqu’il est démontré qu’il y a eu une donation préalable des fonds avant l’achat scindé.
Par ailleurs, il n’est plus exigé que la donation préalable des fonds soit reçue par acte authentique, ni même qu’elle ait été enregistrée. Il est suffisant de prouver que les fonds ont été donnés avant le paiement par les nus-propriétaires de leur part dans le prix du bien.
Si un acompte est prévu au moment de la signature du compromis de vente, le montant total à payer par les nus-propriétaires doit avoir été donné par les parents avant la signature du compromis. A noter qu’en Région flamande, c’est la date de l’acte authentique qui est considérée comme le moment de référence. Par conséquent, les nus-propriétaires doivent disposer de la totalité des fonds avant la signature de l’acte authentique.
Si les conditions reprises ci-dessus ne sont pas remplies, l’actif immobilier sera réintégré dans la succession des parents et l’administration fiscale pourra réclamer les droits de succession sur le bien immobilier en question.
Conserver un dossier de preuves
La charge de la preuve incombe aux nus-propriétaires. C’est en effet eux qui sont présumés recevoir une libéralité aux décès de leur parent. En pratique, de nombreuses années peuvent s’écouler entre l’achat scindé et le décès des parents-usufruitiers. Afin de pouvoir renverser la présomption au décès des parents, et éviter les mauvaises surprises, il est important que les nus-propriétaires conservent soigneusement un dossier complet de preuves. Ce dossier contiendra notamment l’acte de donation ou le pacte adjoint, les extraits bancaires et le calcul de valorisation de l’usufruit.