Par Pictet AM
200.000 personnes viennent s’installer chaque jour en ville. À ce rythme, nous serons près de 70% d’urbains d’ici 2050, contre un peu plus de 50% aujourd’hui1.Par conséquent, la demande en construction va considérablement augmenter, ce qui risque aussi d’aggraver énormément l’empreinte carbone de l’humanité. Les villes sont en effet déjà responsables d’environ trois quarts des émissions de carbone et de la consommation d’énergie du monde2. Autrement dit, les efforts pour stopper le changement climatique pourraient être réduits à néant si nous continuons d’utiliser des techniques de construction et des méthodes de planification traditionnelles. Les forêts pourraient alors apporter une des meilleures solutions à une urbanisation durable.
Le bois pour un monde meilleur
En effet, le bois a de solides références comme matériau de construction durable. Il est utilisé dans la construction depuis des siècles en Asie, en Europe et en Amérique grâce à ses propriétés durables et résilientes et à sa relative facilité de construction.
Toutefois, ces dernières décennies, la part de ce matériau dans la construction a reculé face au béton et à l’acier, considérés comme plus durables, plus résistants à la putréfaction et plus faciles à produire en masse.
Il est donc nécessaire de réadopter à grande échelle cette méthode ancestrale de construction, en particulier si le monde souhaite mettre fin au réchauffement climatique et à la dégradation de l’environnement. Le bois est une solution intéressante et rentable pour réduire les émissions nettes de carbone, en particulier le carbone intrinsèque que le secteur du bâtiment doit impérativement réduire. Par ailleurs, il agit également comme puits de carbone et peut rétablir la biodiversité tout en améliorant la qualité des sols.
Les données ne manquent pas sur les bienfaits du bois
Par exemple, des études indiquent qu’un jeune saule qui atteint une biomasse sèche de 75 kg au cours de ses cinq premières années de croissance capture 140 kg de CO23, ce qui compense les émissions provenant de la consommation d’électricité d’un ménage moyen pendant 10 jours4.
Le bois séquestre le carbone même après son abattage. Chaque mètre cube de bois utilisé à la place de l’acier ou de l’aluminium réduit de 0,9 tonnes en moyenne les émissions de carbone dans l’atmosphère5. Par ailleurs, une bonne gestion des forêts garantit que le bois est issu de sources durables sans épuiser les ressources plantées.
Bousculer les idées reçues
La principale difficulté consiste à définir des stratégies susceptibles d’encourager la construction de bâtiments en bois et de régénérer la sylviculture durable et les économies locales. L’une des idées reçues sur le bois est que ce matériau n’est pas adapté aux bâtiments hauts.
Cependant, les innovations ouvrent des possibilités d’utiliser le bois massif dans les immeubles de grande hauteur. Le bois lamellé-collé (CLT) est un des produits techniques les plus en pointe dans ce domaine. Il s’agit d’un panneau de construction en bois scié, collé et stratifié qui permet aux architectes de construire des gratte-ciels en bois.
Mjøstårnet, actuellement le plus haut bâtiment en bois du monde en Norvège, qui mesure plus de 85 mètres de haut, utilise le CLT. En Suisse, la construction d’un immeuble résidentiel en bois de 100 mètres de haut devrait être achevée en 2026.
On prévoit que le marché mondial du CLT atteindra 2,5 milliards de dollars d’ici à 2027 contre 1,1 milliard de dollars aujourd’hui, soit une croissance annuelle de 15% environ6.
Le risque d’incendie est une autre idée fausse associée aux bâtiments en bois. De fait, le bois est en lui-même résistant au feu. Lorsque les couches extérieures d’une poutre en bois sont carbonisées, elles protègent le noyau contre les dommages pendant une durée prolongée. De plus, de nouvelles technologies telles que le CLT peuvent produire un tissage plus solide et résistant au feu capable de surpasser les structures en acier non protégées sur le plan de la sécurité incendie.
Built by Nature, une organisation basée à Amsterdam dont le but est la mise en valeur de projets innovants, a accordé plusieurs millions d’euros de subventions pour encourager la construction en bois d’œuvre dans les villes. «Le bois massif souffre de nombreuses idées reçues, comme le fait qu’il soit inflammable ou qu’il contribue à la déforestation, par exemple. De nombreuses recherches affirment le contraire et il est important de les diffuser et de dissiper ces mythes», a déclaré sa directrice générale, Amanda Sturgeon.
On constate également le manque de connaissances techniques dans le secteur public et au sein des mairies. Pour surmonter cet obstacle, il faudrait que le secteur forme des animateurs du développement durable afin qu’ils coopèrent avec ce groupe complexe d’acteurs.
Une évolution de la réglementation et de la fiscalité est également nécessaire pour récompenser la performance environnementale des bâtiments, et ce, pour favoriser un changement global. Fait encourageant, certains gouvernements européens promettent d’utiliser davantage de bois et d’autres matériaux durables pour atteindre les objectifs nationaux ou municipaux de neutralité carbone.
La ville d’Amsterdam impose ainsi que 20% de tous les nouveaux projets de construction utilisent du bois ou d’autres matériaux d’origine naturelle à partir de 2025. Le Gouvernement français exige que tous les nouveaux bâtiments publics soient fabriqués à au moins 50% à partir de bois ou d’autres matériaux durables à partir de cette année.
Généralement, en Europe, les bâtiments résidentiels utilisent environ 20% de bois. Cette part chute à seulement 5% pour les bâtiments commerciaux7. «Il faut mettre en place des politiques et des mandats pour donner le dynamisme nécessaire à ce secteur», a déclaré Amanda Sturgeon.
Consultez aussi le corner Thématiques d’investissement
[1] Perspectives de l’urbanisation mondiale des Nations Unies
[2] Seto et al. 2014; ONU-Habitat, 2011
[3] Zuercher, Université de Berne
[4] EPA des États-Unis
[5] Confédération européenne des industries du bois
[6] Markets and Markets
[7] Tomorrow’s Timber