Par BNP Paribas Asset Management
La question du « découplage de l’économie chinoise » se pose depuis que la Chine et les États-Unis ont commencé à se livrer une guerre commerciale en 2018, certains grands pays développés poussant à la relocalisation de leur production. Cela a suscité des inquiétudes quant à la démondialisation, l’éclatement des chaînes d’approvisionnement et la décélération des échanges commerciaux et des investissements transfrontaliers. Ces évolutions ont fragilisé les arguments en faveur de l’investissement en Asie, notamment en Chine puisque le pays se trouve au cœur de nombreuses chaînes d’approvisionnement mondiales.
Les restrictions sur les transferts de technologie, entre autres mesures perturbant les échanges, constituent actuellement la plus grande incertitude pour l’Asie. Un tiers de ses exportations concernent des produits électroniques et autres produits technologiques.
La crise de la Covid-19 a aggravé les inquiétudes quant aux perspectives du secteur manufacturier en Asie, en perturbant les chaînes d’approvisionnement mondiales et en créant des pénuries dans tous les domaines, des matériaux de construction aux pièces automobiles en passant par les semi-conducteurs.
Les chaînes d’approvisionnement asiatiques se déplacent
Bien que ces inquiétudes aient incité certaines grandes entreprises à réduire leurs approvisionnements ou leurs activités de production en Asie et à les déplacer ailleurs, on n’anticipe aucun découplage économique à grande échelle, ni de la région ni de la Chine.
Tout d’abord, défiant les prédictions selon lesquelles la guerre commerciale et la pandémie allaient paralyser le commerce bilatéral sino-américain, les échanges ont, en fait, augmenté, passant d’un montant annualisé de 620 milliards de dollars en juin 2018 à 801 milliards de dollars en août 2022.
Cela s’explique en partie par la hausse des expéditions américaines vers la Chine, même si les achats chinois sont restés en deçà de l’accord dit de phase 1 signé en janvier 2020.
Deuxièmement, plutôt que de réduire leur dépendance à l’égard des chaînes d’approvisionnement asiatiques, les importateurs américains ont augmenté leurs importations en provenance de la zone ASEAN. Les flux d’investissements directs étrangers (IDE) vers la Chine ont augmenté ces six dernières années.
Pas de découplage
Une hausse des achats auprès des pays de l’ASEAN ne signifie pas une baisse des achats sur le marché chinois ou un découplage de son économie. Ce changement dans la structure des importations illustre plutôt une stratégie dite « Chine + 1 », dans laquelle les entreprises continuent de produire en Chine pour le marché local tout en transférant une partie de leurs capacités vers l’ASEAN.
La délocalisation est un moyen de gérer les perturbations de la chaîne d’approvisionnement due à des considérations économiques, politiques et, plus récemment, à la Covid-19. Cela se reflète dans l’augmentation des flux d’IDE vers l’ASEAN. La persistance des investissements en Chine conforte un adage de longue date « Investir en Chine pour la Chine » depuis que la politique chinoise des États-Unis est passée d’un engagement constructif à une concurrence stratégique en 2016.
Surtout, une grande part des flux d’IDE vers l’ASEAN provient de la Chine, qui représente aujourd’hui 40 % du total, contre seulement 10 % il y a quelques années. En fait, cela renforce l’intégration de la chaîne d’approvisionnement entre la zone ASEAN et la Chine au lieu de l’affaiblir. Auparavant, les composants étaient expédiés de l’ASEAN vers la Chine, qui les vendait ensuite sur les marchés mondiaux. Ce fonctionnement faisait de la Chine l’usine du monde. Aujourd’hui, le processus semble s’inverser : la Chine fournit à l’ASEAN des produits qui alimentent les exportations de la région vers le monde. Ce changement dans le processus d’intégration de la chaîne d’approvisionnement a étendu l’usine du monde à l’ensemble de l’Asie.
Les conséquences
L’évolution de la chaîne d’approvisionnement en Asie reflète également la stratégie de « double circulation » de la Chine. Pékin entend utiliser sa dynamique de croissance domestique pour stimuler la croissance nationale et régionale. Ce potentiel constitue une base solide pour les investissements à long terme en Asie émergente et en Chine.
D’un point de vue macroéconomique, cette évolution conduira probablement à des liens économiques intrarégionaux forts, contrecarrant ainsi la tendance à la démondialisation. Compte tenu des craintes inflationnistes croissantes et des pressions accrues sur le prix des intrants pesant sur les entreprises, les avantages liés aux coûts d’approvisionnement en Asie, dont les chaînes d’approvisionnement sont davantage intégrées au marché chinois, deviennent plus évidents. Des changements subtils sont apportés actuellement pour faire de l’Asie un centre de production émergent pour les marchés mondiaux. On n’observe guère de signes indiquant un découplage de l’économie chinoise avec les autres pays de la région ni même le reste du monde. Difficile d’échapper à l’Empire du Milieu !