Par Pamela Hegarty, BNPP AM
Le secteur technologique a subi une correction spectaculaire et une volatilité élevée ces derniers mois. Le temps est venu de réexaminer les perspectives de l’investissement thématique lié aux technologies de rupture. On peut rester confiants dans les perspectives à long terme de cette thématique de croissance à long terme car de nombreuses entreprises initiatrices, et bénéficiaires, de la transformation numérique offrent de très bonnes opportunités d’investissement.
Passons en revue les facteurs de risque, les opportunités et les principaux sujets faisant débat. Analysons également de plus près le rôle fondamental que peuvent jouer les semi-conducteurs dans le cadre de la transformation numérique.[1]
Les facteurs de risque
Les valeurs de croissance et technologiques restent exposées à plusieurs risques majeurs.
On a assisté à une rotation marquée des valeurs de croissance vers les titres value (ou valeurs de rendement), découlant essentiellement de l’augmentation de l’inflation et des taux d’intérêt. Cette rotation pourrait se poursuivre.
De nombreuses sociétés à forte croissance investissant massivement dans le développement de produits et leur capacité de vente constituent des actifs à long terme dont une partie plus importante des flux de trésorerie anticipés sera générée dans le futur, si on les compare aux valeurs de croissance et aux titres value plus stables. Ces titres ont subi récemment une contraction prononcée de leur multiple cours/bénéfice.
Le risque de récession augmente à mesure que la Réserve fédérale américaine et les autres banques centrales resserrent les conditions financières pour lutter contre l’inflation. En outre, le conflit entre la Russie et l’Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie créent des tendances macroéconomiques défavorables.
Les tarifs douaniers, les mesures mises en place pour lutter contre la pandémie, les pénuries de semi-conducteurs et les goulets d’étranglement du fret sont autant de facteurs qui alimentent les perturbations des chaînes logistiques.
Enfin, le secteur des « Big Tech » est confronté à des risques de concurrence antitrust et à d’autres formes de réglementation.
Les tendances positives
Malgré ces facteurs de risque, il existe de nombreux motifs d’optimisme. Plusieurs thématiques de croissance à long terme font office de catalyseurs de la transformation numérique de l’économie. Les entreprises continueront à investir si elles considèrent cette révolution numérique comme un impératif pour rester compétitives.
Par exemple, l’adoption de l’informatique dématérialisée (cloud computing) ne cesse de s’accélérer. Le cabinet de recherche et de conseil en informatique Gartner a relevé ses prévisions pour 2022 à 500 milliards de dollars, soit 37 % de plus que le niveau prévu en novembre 2020.
On constate également une adoption croissante de l’intelligence artificielle (IA), qui joue un rôle majeur dans la prolifération d’applications, de l’automatisation, de l’Internet des objets (notamment le traitement at-the-edge – à la marge des réseaux – qui traite les données aussi près que possible de leur source pour réduire les délais en minimisant le temps de communication entre les « clients » et les serveurs), et des entreprises de technologie financière (fintech).
Les nouvelles ruptures technologiques engendrent la création de nouveaux produits, services et modèles économiques. Elles accroissent le taux d’efficacité des opérations. En bref, elles transforment notre façon de vivre et de travailler.
Les sujets faisant débat
L’un des principaux débats entre les professionnels du secteur est de déterminer le caractère durable de la demande accrue des deux premières années de la pandémie. Par exemple, la croissance du commerce électronique est en train de renouer avec ses niveaux d’avant-crise puisque les consommateurs ont fait leur retour dans les magasins. La croissance du e-commerce se normalise (le graphique montre les ventes au détail du commerce électronique en pourcentage du total des ventes, en %, trimestriel, désaisonnalisé)
Deuxième sujet majeur, déterminer si les valorisations ont « suffisamment » baissé. Les entreprises initiatrices – et bénéficiaires – de la transformation numérique et des thèmes de croissance qui en découlent vont générer des revenus, des bénéfices et des flux de trésorerie très solides sur le long terme.
Ce sont surtout les multiples des valeurs à forte croissance qui ont le plus souffert, avec une baisse de 72 % à 10,6x, sur la base des données relatives aux entreprises dont les revenus annuels devraient croître au minimum de 30 %. Les valeurs dont la croissance est plus modeste (croissance annuelle du chiffre d’affaires d’au moins 15 %) affichent désormais un multiple de 4,4x, un niveau inférieur de 20 % à la moyenne des 5 dernières années et en ligne avec la moyenne sur 2014-2018.[2]
Hors consensus – Le super cycle des semi-conducteurs
Dans le secteur des semi-conducteurs, les moteurs de croissance à long terme sont si puissants que toute baisse des stocks sera probablement de courte durée. Elle n’affectera probablement pas tous les segments de l’industrie de manière simultanée.
Actuellement, la demande de semi-conducteurs dépasse largement l’offre, malgré les signes de ralentissement des ventes d’ordinateurs personnels et de smartphones. L’industrie pourrait donc être en mesure de faire face à une légère récession sans entraîner d’offre excédentaire.
Les principaux catalyseurs de l’augmentation de la demande de semi-conducteurs sont les tendances de croissance à long terme qui sous-tendent la transformation numérique. Les semi-conducteurs sont au cœur des technologies de dématérialisation, de l’IA, de l’automatisation et de l’Internet des objets. Les marchés finaux du secteur se sont diversifiés, des ordinateurs centraux aux PC et aux smartphones, et maintenant à des applications industrielles, automobiles et de calcul à haute performance très diverses.
Cette diversification permet de réduire la volatilité de la demande, car aucun marché final ne prend le dessus.
Du côté de l’offre, la structure du secteur des semi-conducteurs s’est nettement améliorée. Le développement et le succès du modèle économique du secteur de la fonderie ont démultiplié les innovations et accru la concentration du processus de fabrication sur un nombre restreint d’entreprises.
L’offre de puces mémoire s’est également consolidée pour se limiter à une poignée de fabricants. Ces tendances se sont traduites par des décisions plus stratégiques en matière de capacités de production et par une diminution du risque de surproduction structurelle. L’intensité croissante du capital et la complexité technologique constituent des obstacles importants pour les nouveaux entrants.
L’industrie des semi-conducteurs possède un potentiel de croissance solide et durable, sous l’effet du secteur automobile et des applications de calcul à haute performance (HPC).
Croissance à long terme et valorisations attractives
Ces derniers mois, l’environnement de marché a été difficile pour les investisseurs adeptes des valeurs de croissance et technologiques, en raison de la dégradation des tendances macroéconomiques.
Cependant, la transformation numérique de l’économie va se poursuivre et on peut rester optimistes vis-à-vis des moteurs de croissance à long terme qui sous-tendent cette tendance. Les valorisations semblent plus attractives dans le sillage de la récente correction.
Références
[1] Écoutez également le podcast Talking heads – Garder le cap malgré la volatilité des technologies de rupture – Investors’ Corner (bnpparibas-am.com) avec Pamela Hegarty
[2] Morgan Stanley, Keith Weiss – 15 mai 2022 – « Valuation Views 5-15-2022 » : Bouncing Along the Bottom