Par Anthony Bailly et Vincent Imeneuraët, Gestionnaires Actions Européennes chez Rothschild & Co AM
La dégradation sanitaire en fin d’année a éclipsé la normalisation des taux enclenchée en 2021. Deux sujets ont tour à tour animé le marché en 2021 : l’inflation et la situation sanitaire. À chaque fois que l’inflation revenait sur le devant de la scène, poussant les taux à la hausse, le style Value a surperformé.
Cela a été le cas sur la première partie de l’année où, jusqu’à mi-mai, le marché a joué la thématique du “reflation trade”, ou encore en septembre avec l’annonce du tapering. En revanche, à chaque résurgence du risque sanitaire (4ème vague au cours de l’été, puis 5ème vague à l’automne), c’est le style Croissance qui l’a emporté, entraînant une surperformance de la Croissance sur la Value à fin novembre.
Neutralité des styles
Durant le mois de décembre, ces deux sujets se sont neutralisés : l’apparition du variant Omicron renforçait les inquiétudes sanitaires, tandis que la disparition du caractère “transitoire” du vocable de la Fed au sujet de l’inflation marquait l’accélération du resserrement monétaire annoncé en septembre. Au final, malgré un mois de décembre où le style Value a retrouvé une dynamique favorable, le style Croissance a surperformé de 3,4% le style Value sur l’année 2021, les investisseurs favorisant les titres à forte visibilité, par crainte de l’impact de possibles mesures de restrictions en début d’année sur la croissance économique en 2022.
Inflation et situation sanitaire : où en sommes-nous ?
Sur le plan sanitaire, même si la propagation du variant Omicron se poursuit de façon fulgurante à travers le monde, sa moindre dangerosité et le degré élevé de vaccination dans les économies occidentales laissent penser que la situation reste maîtrisable. Il est possible de “vivre avec le virus”. C’est en tous cas le biais pris par les marchés en ce début d’année, ces derniers ayant clairement choisi de se focaliser sur les messages envoyés par les banques centrales. Et particulièrement celui de la Fed dont les Minutes, publiées le 5 janvier dernier, ont été explicites en évoquant l’accélération du tapering avec une réduction du bilan plus tôt qu’anticipé.
Cela se traduit par l’accélération du mouvement qui a débuté mi-décembre, caractérisé par une hausse des taux souverains, via la composante des taux réels alors que les anticipations d’inflation s’érodent légèrement dans le sillage du reflux de certaines matières premières à l’exception du pétrole. La hausse des taux réels, dont doutaient les investisseurs, se concrétise donc en ce début d’année. Elle pourrait être la thématique majeure de 2022. On connait la corrélation forte qui existe entre les taux (surtout réels) et le style Value, et c’est ce qui explique la forte rotation observée en ce début d’année.
Et quid des fondamentaux ?
Les fondamentaux solides ne sont pas encore reflétés dans la valorisation des secteurs Value.
Ces fondamentaux sont :
- Un contexte macroéconomique qui reste bien orienté. Le consensus de croissance économique de la Zone euro se situe aujourd’hui autour de 4,3%, ce qui reste bien supérieur à sa croissance potentielle (autour de 1-1,5%). Cette croissance est soutenue par l’excès d’épargne accumulée des ménages (environ 6 points de PIB en Zone euro), par la reconstitution de stocks par les entreprises, par les investissements nécessaires à la remise à niveau de l’appareil productif et enfin par le déploiement du plan de relance de la Commission européenne.
- Des attentes de croissance de BPA (bénéfices par action) trop conservatrices pour 2022. Malgré ce contexte macroéconomique porteur, le consensus attend une progression de seulement 7% des BPA sur l’Euro Stoxx pour 2022. Cela correspond au niveau d’attente le plus faible des 30 dernières années. Cela impliquerait un pincement sur les marges dû à une forte hausse du coût des intrants (matières premières, et hausse des salaires).
Cette vision, notamment pour les secteurs cycliques et financiers, peut être remise en cause pour les raisons suivantes :
- La forte progression des résultats a permis aux sociétés Value de renforcer leur bilan et laisse envisager la poursuite de la progression de leurs marges Les fondamentaux des sociétés sont solides, en particulier pour les secteurs de la banque, de l’énergie, de l’automobile et des matières premières qui affichent les plus fortes progressions de bénéfices en 2021. Ceci s’explique certes par des bases de comparaison favorables, mais aussi par des résultats supérieurs aux attentes, lors de chaque saison de publication. Les valeurs cycliques et financières sortent de cette crise avec, pour la plupart, des bilans renforcés et des bases de coûts fortement abaissées, laissant encore présager d’un levier opérationnel important.
- Une dynamique économique et des coûts de l’énergie non intégrés à certains secteurs En outre, le consensus attend une croissance nulle sur les BPA du secteur bancaire, alors que ce dernier devrait mécaniquement être amélioré par la hausse des taux, par les volumes de crédit portés par la dynamique macroéconomique et par les programmes d’actions. De même, la hausse des prix de l’énergie (gaz, pétrole et électricité) ne parait pas intégrée dans les attentes de croissance de résultats des sociétés des secteurs de l’énergie et des services aux collectivités.
- Une valorisation toujours plus attractive. La performance des secteurs Value en 2021 n’a pas reflété la forte hausse de leurs bénéfices, dégradant encore la valorisation relative du segment Value en 2021. Le potentiel de révision additionnel à la hausse des attentes de résultats en 2022 rend donc particulièrement confiant sur la performance à venir du segment Value, dont la décote de valorisation est sur son point bas historique (les P/E restent inférieurs à 10x pour la plupart des secteurs).
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