Par Nathalie Benatia, BNP Paribas AM
Le risque géopolitique a occupé les esprits tout au long du mois de février avant de se matérialiser le jeudi 24 avec l’offensive armée en Ukraine suivie des annonces de sanctions internationales contre la Russie.
A la hausse des taux nominaux et réels a succédé un mouvement de fuite vers la sécurité, habituel en phase de tensions internationales. Les cours des matières premières (pétrole, gaz naturel, produits agricoles) se sont orientés à la hausse. Le baril de Brent a gagné 10,7 % en février pour terminer au-dessus de 100 dollars, au plus haut depuis septembre 2014. Compte tenu des pays impliqués, le prix du gaz naturel européen s’est envolé de 16,4 % et celui du blé de 21,9 % pour atteindre son plus niveau depuis l’été 2012, la Russie et l’Ukraine représentant près du quart des exportations mondiales de blé.
Marchés émergents en dissonance
Dans ce contexte troublé, où la menace nucléaire a été évoquée à mots couverts, la remontée des cours de l’or est restée relativement modérée fin février (+6,2 % à 1.909 dollars l’once).
Les différences de performances entre les indices actions reflètent soit l’implication directe du pays dans le conflit, soit la proximité géographique. A la bourse de Moscou, qui est restée fermée lundi 28 février, l’indice MOEX a perdu 30 % tandis que le rouble reculait de 26,3 % par rapport à fin janvier après l’annonce de l’exclusion d’un certain nombre de banques du système de messagerie sur les transactions financières Swift et du blocage de fait des réserves de change de la Banque centrale de Russie détenues à l’étranger.
La pondération du marché russe dans les indices internationaux est relativement modeste mais il représente les deux tiers du MSCI Emerging Markets Europe, ce qui explique le recul mensuel de plus de 40 % en dollars de cet indice par ailleurs pénalisé par les difficultés de toutes les places de la région. Les marchés d’Amérique latine ont profité de la hausse du cours des matières premières alors que les places asiatiques, importateurs nets de pétrole, affichent un léger recul. Au total, l’indice MSCI Emerging (en dollars), qui avait résisté pendant une bonne partie du mois, a perdu 3,1 % en février.
Sous-performances des actifs risqués européens
Face à ce conflit qui se déroule sur le sol européen, les indices de la zone euro ont sous-performé les autres grands marchés développés avec une baisse de 6,0 % de l’Eurostoxx 50. La volatilité implicite (VSTOXX) de l’indice a retrouvé son plus haut niveau depuis fin octobre 2020. Le recul des actions américaines a été plus limité (-3,1 % pour le S&P 500) tout comme celui des actions japonaises (-1,8 % pour le Nikkei 225).
Les résultats au titre du 4e trimestre 2021 ont été plutôt favorables mais les perspectives dépendront beaucoup de la capacité des entreprises à faire passer les hausses de coûts au consommateur. Dans ce contexte, les analystes financiers ont eu tendance à revoir leurs attentes à la baisse. Les indicateurs économiques publiés au cours des dernières semaines ont été plutôt encourageants : les enquêtes ont montré une accélération de l’activité en février en lien avec l’amélioration de la situation sanitaire et la levée progressive des restrictions dans les grandes économies occidentales tandis que les données objectives ont confirmé la solidité de l’emploi et de la demande intérieure.
Au niveau mondial, seuls les secteurs de l’énergie et des matériaux de base sont parvenus à progresser et les secteurs défensifs (Télécoms, Consommation non cyclique et Santé) ont enregistré des baisses modestes, surperformant ainsi l’ensemble du marché. Dans la zone euro, les valeurs financières et les secteurs cycliques (consommation, technologie) ont connu les plus forts reculs.
Ralentissement de la croissance, accélération de l’inflation
La crise ukrainienne accroît sensiblement l’incertitude sur les marchés financiers et l’environnement économique au moment où le monde sortait de la pandémie. Bien sûr, la situation géopolitique reste fluctuante à l’heure actuelle et hautement imprévisible. Toutefois, la situation n’a pas fondamentalement changé sur le plan économique : la demande mondiale reste très solide et les contraintes sur l’offre, conséquences de la crise sanitaire, commencent à se desserrer.
Du point de vue économique, l’exposition directe (mesurée par les exportations) de la zone euro à la Russie et à l’Ukraine est limitée. Elle est inégalement répartie selon les pays, comme l’est leur dépendance à l’égard des importations de produits énergétiques en provenance de la région. Un éventuel enlisement du conflit pèserait toutefois davantage sur la confiance des ménages et des entreprises et pourrait limiter la croissance mais la progression de l’activité mondiale devrait rester largement supérieure à son rythme moyen observé avant le Grand confinement.
La situation conjoncturelle ne paraît donc pas avoir radicalement changé. Un élément vient toutefois accentuer une tendance présente avant cette crise et qui avait déjà entrainé des variations plus heurtées sur les marchés financiers. En effet, l’envolée des cours des matières premières (énergie mais aussi produits agricoles) va irrémédiablement entraîner une nouvelle hausse des prix à la production et à la consommation. Les prévisions d’inflation en 2022 des banques centrales, déjà élevées, vont très certainement être revues à la hausse dans les prochaines semaines.
Terminé de rédiger le 8 mars 2022
Consultez aussi le corner Future Makers