Quel est l’impact des prix du carbone sur les portefeuilles ?

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Par Vincent Juvyns, Global Market Strategist, J.P. Morgan Asset Management

Cela fait des années que les responsables européens s’appliquent à lutter contre le changement climatique. Le lancement en 2005 du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) au sein de l’Union européenne, le tout premier marché du carbone au monde, a été le fondement des efforts politiques de la zone. Depuis, le SEQE a été réactualisé à plusieurs reprises afin d’accompagner les ambitions climatiques croissantes de l’Europe. Les changements s’accélèrent encore puisque l’Union européenne a accepté de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) d’au moins 55 % d’ici 2030.

 

Ces initiatives réglementaires expliquent, au moins en partie, pourquoi les prix des quotas d’émission de CO2 en Europe ont récemment atteint le niveau record de 56 euros par tonne d’équivalent dioxyde de carbone (tCO2e). L’exemple de l’Union européenne est de plus en plus suivi puisque plusieurs pays ont lancé leur propre système d’échange de quotas d’émission.

 

À l’heure actuelle, les prix mondiaux du carbone restent bien inférieurs à ceux observés en Europe. Si les autres pays ne parviennent pas à s’aligner sur ce que l’Union européenne juge acceptable, la question des taxes sur le carbone à ses frontières deviendra de plus en plus une réalité. C’est pourquoi les investisseurs doivent être conscients de l’impact d’une hausse des prix du carbone sur leur portefeuille.

 

Qu’est-ce qui détermine le prix du carbone ?

 

Il existe deux grands types de mécanismes de tarification du carbone. D’abord, la taxe sur le carbone est le moyen le plus direct de fixer son prix. Mais cette ne fixe pas d’objectif prédéfini de réduction des émissions. Ensuite, le système d’échange de quotas d’émission. Ce quota plafonne le niveau total des émissions de GES. Mais il ne fixe pas de prix prédéfini.

L’Union européenne a choisi la deuxième approche lorsqu’elle a créé son SEQE en 2005. Ce dernier est le premier et le plus important système d’échange de quotas d’émission au monde. Il couvre 45 % des émissions de GES de l’Union européenne produites par trois secteurs au sein de l’Espace économique européen : la production d’électricité/chaleur, l’industrie à forte intensité énergétique et l’aviation commerciale. Les entreprises de ces secteurs se voient attribuer un quota d’émissions gratuit. Celles dont les émissions sont inférieures à leur quota peuvent vendre leur excédent à d’autres entreprises du secteur. C’est l’équilibre entre l’offre et la demande d’émissions qui définit un prix du marché.

 

L’Union européenne peut influencer la dynamique de l’offre et de la demande pour augmenter le prix du carbone de trois manières. La première c’est en réduisant le plafond d’émissions. La deuième consiste à élargir le nombre de secteurs soumis au système. Enfin elle peut réduire l’attribution réputée gratuite.

 

Dans sa récente directive, l’Union européenne a décidé que le plafond global d’émissions diminuerait de 2,2 % par an à partir de 2021 (contre 1,74 % auparavant). L’institution européenne est encore en train de décider si elle doit inclure de nouveaux secteurs. Le pourcentage de quotas d’émission gratuits, qui était déjà passé de 80 % en 2005 à 43 % en 2020, doit progressivement diminuer pour atteindre 30 %.

Par conséquent, si une partie de la récente flambée du prix du carbone peut refléter une forte demande de quotas d’émission de la part des entreprises qui répondent à une demande croissante, il existe un fondement structurel à la hausse des prix du carbone provenant des interventions réglementaires.

 

Les autorités de l’Union européenne sont conscientes de l’équilibre délicat qu’elles doivent trouver entre la réalisation des ambitions nationales en matière climatique et la nécessité de ne pas nuire à la rentabilité et à la compétitivité des entreprises par rapport à leurs concurrents internationaux. Encourager les autres pays à suivre les efforts de l’Union européenne commence à porter ses fruits. D’autres régions commencent à lancer leurs propres systèmes d’échange de droits d’émission. Toutefois, le prix du carbone dans ces régions est beaucoup plus bas qu’en Europe.

 

 

Émissions mondiales couvertes par les initiatives de tarification du carbone Prix du système d’échange de quotas d’émissions  Dollar par tonne d’équivalent CO2
% des émissions mondiales de gaz à effet de serre

Source : (graphique de gauche) Banque mondiale, J.P. Morgan Asset Management. SEQE = système d’échange de quotas d’émission. (Droite) International Carbon Action Partnership, J.P. Morgan Asset Management.

 

Le prix des émissions dans le système SEQE de la Chine repose sur la moyenne des prix de Pékin, Chongqing, Guangdong, Hubei, Shanghai, Shenzhen et Tianjin. Les tonnes d’équivalent CO2 normalisent les émissions pour permettre la comparaison entre gaz. Une tonne équivalente a le même effet de réchauffement qu’une tonne de CO2 sur 100 ans. Les performances passées ne sont pas des indicateurs fiables des performances actuelles ou futures. (Données au 31 mars 2021).

 

Les prix du carbone au niveau international ne sont pas seulement inférieurs à ceux de l’Union européenne, ils sont également inférieurs à ceux nécessaires pour atteindre l’objectif climatique mondial de la neutralité carbone d’ici 2050. Bien que l’estimation soit approximative, on considère souvent qu’un prix compris entre 40 et 80 dollars par tCO2e est nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2°C1.

 

Le prix du carbone sera sans aucun doute l’un des principaux sujets de discussion entre les dirigeants mondiaux, qui se réuniront à l’occasion de la COP26 en novembre. Si l’Union européenne, la Chine et les États- Unis ne parviennent pas à s’entendre sur une voie commune en vue d’une tarification du carbone, l’Union européenne devra peut-être trouver une solution à court terme pour s’assurer que ses efforts en matière de lutte contre le réchauffement climatique ne désavantagent pas les entreprises européennes.

 

Une solution qui semble susciter un intérêt croissant est le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Cette taxe douanière serait conçue pour garantir que l’empreinte environnementale d’un produit soit tarifée de la même manière, qu’il soit fabriqué localement ou importé. Le MACF est l’une des mesures clés discutées dans le cadre du Green Deal de l’Union européenne. Le produit de cette taxe rentrerait dans le budget de l’Union européenne, et serait utilisé pour financer la relance et la transition écologique en Europe. À ce stade, le MACF constitue une menace pour les concurrents de l’Union européenne, dont la crédibilité a été renforcée après que la législation nécessaire a été approuvée par le Parlement européen. Il appartient maintenant à la Commission européenne de décider de son utilisation.

 

Implications en termes d’investissement

 

Les interventions réglementaires vont se multiplier. Elles devraient soutenir les prix du carbone non seulement en Europe, mais aussi à l’échelle mondiale. Résultat, les coûts de base des entreprises devraient augmenter dans un nombre croissant de secteurs.

L’une des principales implications en matière d’investissement est que l’augmentation des coûts des entreprises peut être répercutée sur les prix à la consommation, s’ajoutant ainsi aux pressions inflationnistes croissantes dues aux politiques monétaires et budgétaires accommodantes. Si les entreprises ne sont pas en mesure de répercuter la hausse des coûts, celle du prix du carbone pourraient nuire à la rentabilité.

 

Si le MACF est activé, les entreprises qui exportent une grande partie de leurs produits à forte intensité de CO2 vers l’Union européenne pourraient pâtir de la hausse du prix du carbone, même si leur pays d’origine ne fait pas grand-chose en termes de réglementation en la matière. Le prix du carbone représente donc un risque qu’il convient de surveiller.

 

En plus de l’analyse financière traditionnelle, les investisseurs peuvent chercher à évaluer des paramètres non financiers, tels que l’intensité carbone des entreprises. Réduire l’intensité carbone d’un portefeuille devrait contribuer à améliorer son profil risque/rendement à long terme. C’est ce que nous avons déjà observé ces deux dernières années en comparant les indices MSCI World et MSCI World Climate Change CTB Select, un indice de référence de la transition climatique en vertu du règlement européen sur les indices de référence, qui repondère les titres en fonction des opportunités et des risques liés à la transition climatique.

En effet, l’indice MSCI World Climate Change CTB Select affiche une intensité carbone moyenne pondérée (qui représente le nombre de tonnes métriques d’émissions d’équivalent CO2 par million de dollars de valeur d’entreprise, y compris les liquidités) inférieure de près de 40 % à celle de l’indice MSCI World. De fait, le premier a également surperformé le second de 150 points de base depuis sa création en novembre 2013. Il présente un meilleur ratio de Sharpe sur les trois et cinq dernières années.

 

Les prix mondiaux du carbone étant appelés à augmenter encore à l’avenir, réduire les émissions de GES d’un portefeuille devrait non seulement contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi permettre d’obtenir de meilleures performances ajustées du risque à long terme.

1 Intégrer la transition vers une économie neutre en carbone, le Groupe des Trente, octobre 2020.

 

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