À quoi ressemblerait une surchauffe de l’économie aux Etats-Unis ?

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Par Erik Joly et Arthur Jenck, ABN AMRO Private Banking, Belgique

 

La flambée de l’inflation aux États-Unis a vu la croissance annuelle des prix globaux dépasser 4%. Cette flambée est survenue à peu près au pire moment possible pour les investisseurs, ceux-ci s’inquiétant d’une éventuelle surchauffe de l’économie américaine. Des craintes s’étaient déjà accumulées face à un tel scénario en raison : des mesures de relance exceptionnelles, des goulets d’étranglement du côté de l’offre et du rythme rapide de la reprise. Cependant, tout en semblant justifier les inquiétudes exprimées récemment par les économistes de renom Larry Summers et Olivier Blanchard, le bond de l’inflation (jusqu’à présent du moins) reflète des facteurs temporaires liés à la réouverture de l’économie et à la reprise de la demande.

 

Tout comme la pandémie a été un choc exceptionnel pour la demande et l’offre, la phase de reprise l’est aussi. On prévoit une période de rattrapage sous la forme d’une montée des prix pour compenser les déficits pendant la pandémie – peut-être exacerbés par des goulots d’étranglement temporaires du côté de l’offre – mais on ne vit pas ce degré de croissance des prix se maintenir.

 

Pas sans risque

 

Bien que ce scénario de base soit une hausse de l’inflation temporaire, ce scénario bénin comporte deux risques principaux. Il y a le risque qu’une croissance soutenue supérieure à la tendance entraîne une baisse du chômage plus rapide et jusqu’à un niveau inférieur à celui prévu actuellement. Il y a également le risque que la hausse temporaire de l’inflation réelle pousse les anticipations d’inflation à la hausse. Cela exercerait alors une pression à la hausse sur l’inflation réalisée. De ce fait, ce désancrage des anticipations pourrait déclencher un cercle vicieux d’inflation.

La dernière mesure d’enquête de l’Université du Michigan sur les anticipations d’inflation présentait déjà des signes inquiétants – la mesure 5-10 ans a bondi de 0,4 pp à 3,1% en avril, le niveau le plus élevé depuis 2011. De tels pics ne sont pas inhabituels historiquement, mais s’ils se répétaient, cela pourrait bien être l’un des moteurs d’un scénario de surchauffe.

 

À quoi ressemblerait une surchauffe de l’économie ?

 

Supposons hypothétiquement que l’économie américaine surchauffe. Comment un tel scénario pourrait-il se dérouler ? On s’attendrait à ce que cela commence par deux choses. La première est  une croissance rapide qui entraînerait une augmentation insoutenable de la production au-dessus de la tendance. La deuxième est les anticipations d’inflation qui s’envolent. L’économie connaît déjà une croissance très rapide et on peut prévoir un ralentissement de la croissance au second semestre 2021 et un retour à la tendance d’ici la fin de 2022. Cependant, il se pourrait bien qu’une politique de relance excessive entraîne des croissances qui durent plusieurs années. Pour que les anticipations d’inflation s’envolent, il faudrait que les facteurs temporaires susmentionnés se produisent, ou qu’on observe une croissance plus durable des salaires en raison d’un marché du travail tendu. Ces facteurs maintiendraient à leur tour l’inflation – déjà élevée – au-dessus de l’objectif de 2 % de la Fed pendant une période prolongée.

 

Une surchauffe entrainerait nécessairement une réponse de la Fed…

 

Une inflation soutenue au-dessus de 2% ne serait pas une source de préoccupation immédiate pour la Fed, car elle a promis dans son nouveau cadre d’objectif d’inflation moyenne de tolérer de telles conditions pendant un certain temps, afin de compenser les déficits passés par rapport à l’objectif.

 

Cependant, cela finirait par déclencher une réponse plus énergique que celle à laquelle l’économie s’est habituée ces dernières années. Bien que la Fed n’ait pas tout à fait précisé combien de temps elle tolérerait un dépassement de l’inflation, dans un scénario de surchauffe, on peut s’attendre à ce que la Fed commence à resserrer sa politique à la fin de 2022, accélérant le rythme des hausses de taux plus tard en 2023, à mesure qu’il deviendra évident qu’un resserrement progressif est insuffisant pour refroidir l’économie.

 

En fin de compte, on peut s’attendre à un rythme de hausse de taux plus rapide, plus proche des cycles antérieurs à la crise financière mondiale – une hausse de 25 pb à chaque réunion (c’est-à-dire huit par an), les taux devant être relevés bien au-dessus de la neutralité (2,5%), à environ 4% d’ici fin 2024, afin de freiner suffisamment l’économie. Cela pourrait également s’accompagner d’un resserrement de la politique budgétaire.

 

…qui pourrait faire basculer l’économie en récession

 

L’objectif d’une politique monétaire et budgétaire sensiblement plus stricte serait d’organiser un atterrissage en douceur de l’économie américaine, de quoi calmer l’inflation et les attentes inflationnistes. Cependant, les marchés et l’économie s’étant habitués à des taux bas depuis de nombreuses années, un tel changement de politique aurait un impact énorme sur le sentiment des marchés financiers et sur la confiance des consommateurs et des entreprises. Cela rendra difficile la réalisation d’un atterrissage en douceur, et on peut s’attendre à ce que la combinaison d’une politique stricte et d’une réaction profondément négative du marché provoque une faible récession aux États-Unis. Cela pousserait finalement la production en dessous de la tendance, avec un écart de production négatif durable probablement nécessaire pendant un certain temps pour réancrer les anticipations d’inflation à un niveau compatible avec une inflation de 2 %.

 

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