Existe-t-il un risque d’avalanche sur la montagne de dettes ?

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Par Wim D’Haese, Head of Investment Advisory chez Deutsche Bank

Ces derniers mois, la majorité des gouvernements et des banques centrales ont eu recours à des mesures de soutien parfois massives afin de maintenir une économie vacillante pour cause de coronavirus. Dans l’intervalle, des pans entiers de l’économie roulent depuis plusieurs mois en quelque sorte sur des roues de secours.

Les citoyens bénéficient, eux aussi, de toute une série de mesures prises à la hâte par les Etats. Même si ce soutien est bien conçu et indispensable pour éviter une récession économique encore plus importante, la question reste de savoir comment maintenir cette accumulation de dettes à un niveau supportable.

Chaque jour un nouveau record du monde

La bonne nouvelle – ou la mauvaise, selon les points de vue – est qu’aujourd’hui, il n’y a théoriquement aucune restriction à imprimer de la monnaie et à émettre des instruments de dette. Une banque centrale peut créer de l’argent d’une simple pression sur un bouton, ce qui fera mécaniquement augmenter la montagne de dettes. Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusque dans les années 1970, c’étaient surtout les réserves nationales d’or et de dollars qui déterminaient la cadence de production de la presse à billets.

La mauvaise nouvelle, c’est qu’au cours de ces dernières décennies, les autorités monétaires et fiscales ont profité de cette possibilité pour contracter des dettes et imprimer de l’argent. À tel point que, ces 50 dernières années, la dette privée et publique cumulée des pays du G7 est passée d’environ 130% à 270% du PIB en 2019. Ce niveau d’endettement élevé du G7 est d’ailleurs représentatif de l’ensemble de l’économie mondiale. Fin 2019, la dette privée et publique totale de tous les pays du monde représentait plus de 300% du PIB mondial. Cette dette correspond donc à la valeur totale de tous les biens et services produits dans le monde pendant une période de plus de 3 ans.

Que faire en cas de reprise en V ?

Imaginons que l’économie se redresse selon un scénario en V (chute rapide et reprise rapide) et que le plus gros risque de contamination ait disparu. Dans ce cas, le ratio dette publique/PIB augmentera cette année d’environ 10 à 15% dans la plupart des pays développés, creusant un trou considérable dans les finances publiques. Une hausse des impôts pourrait le combler. Mais, en même temps, le robinet de liquidités devrait également rester ouvert et les banques centrales devraient financer la majeure partie de leurs mesures en multipliant les achats d’obligations d’État.

Si une embellie se profile en 2021, tant que les banques centrales pourront maintenir des rendements obligataires bas, tant que les taux d’intérêt resteront inférieurs aux taux de croissance et tant que le refinancement de ces dettes ne posera pas de problème, l’endettement élevé pourra donc rester supportable.

Un triple défi est à relever, manifestement. Mais c’est un exercice qui peut fonctionner à plus long terme, comme le montre le Japon. Troisième économie mondiale, le Japon a vu sa dette publique passer de 135% à environ 240% du PIB en 20 ans. Une croissance modérée, combinée à d’importants déficits budgétaires et à une inflation quasi nulle, a contribué à creuser la dette publique. La banque centrale du Japon a elle-même contracté des emprunts à hauteur de plus de 100% du PIB nippon. Malgré cette situation, le Japon parvient à maintenir l’équilibre. Cela s’explique par le fait que le Japon finance la majeure partie de ses dettes à l’échelon national via les banques, les fonds de pension et sa propre banque centrale. En outre, les Japonais sont des épargnants frénétiques et le pays affiche un excédent de sa balance des comptes courants, ce qui le place au niveau des exportateurs nets de capitaux.

Quid en cas de pandémies prolongées et récurrentes ?

Aux États-Unis, les marchés s’attendent à ce que la banque centrale (Fed) intervienne toujours en procédant à des achats directs d’obligations ou en ajustant les taux d’intérêt. Une situation de dettes élevées et de taux d’intérêt bas y est possible si la demande en obligations d’État reste forte et si l’inflation est faible. En revanche, si l’inflation commence à grimper, la demande en obligations d’État diminuera et les banques centrales éprouveront beaucoup plus de difficultés. Il y a alors de fortes chances que la Fed doive encore acheter davantage d’obligations d’État américaines. Non seulement de nouvelles émissions, mais aussi les obligations d’État dont les investisseurs ne veulent plus.

Le bilan en Europe est bien plus complexe. Dans un scénario de pandémie de longue durée et récurrente, les dettes des 4 principales économies de la zone euro passeront de 92% à 148% en 2021. L’Italie présente la situation la plus préoccupante. Dans un scénario négatif, le rapport entre la dette souveraine et le PIB pourrait grimper à un peu plus de 200% d’ici fin 2021. Une question importante est de savoir comment l’Europe restera unie dans un tel cas. Les pays nord-européens vont-ils tolérer le financement de la dette italienne par la BCE en cas de hausse de l’inflation ? L’Italie va-t-elle continuer à accepter le contrôle de sa politique nationale en échange du financement permanent de sa dette ? Quelle que soit la voie empruntée, l’équilibre est relativement instable et l’implication de la BCE porte, pour l’instant, surtout sur l’achat de temps pour une solution plus structurelle.

Et maintenant ?

Continuer à accumuler l’endettement en créant de nouvelles dettes entraînera-t-il une avalanche ? Il n’y a pas de réponse toute faite, car nous nous trouvons en terrain inconnu. À mesure que la dette augmente, elle devrait rendre notre système économique plus vulnérable aux crises financières. Depuis les années 1970 (après la suppression des taux de change fixes par rapport au dollar), les crises financières sont devenues plus régulières. Avant les années septante, il y a eu des crises financières (souvent liées aux périodes de guerre ou d’après-guerre), mais leur fréquence n’était pas aussi élevée que ces 50 dernières années. Bien entendu, cela ne doit pas être considéré comme la cause principale de la montagne de dettes, mais cette perspective historique peut nous donner des pistes de réponse par rapport à ce que nous réserve l’avenir.

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