
Par Erik Joly, Chief Economist ABN AMRO Private Banking, Belgique
Introduction
En 2014, la Russie a plongé dans une récession sous l’effet conjugué de la baisse des prix du pétrole et des sanctions décrétées par les États-Unis. Depuis, la remontée se fait lente. L’année dernière, la hausse des prix du pétrole a atténué les retombées des nouvelles sanctions, mais des facteurs intérieurs néfastes comme le climat défavorable aux investissements et les inefficacités structurelles mettent toujours un frein à l’économie. La croissance n’aura donc toujours pas de quoi impressionner cette année, mais la stabilité a, dans une large mesure, fait son retour.
Début 2019, l’inflation devrait selon les attentes encore dépasser l’objectif poursuivi, mais la banque centrale russe (CBR) veille au grain et a relevé les taux sans crier gare à deux reprises l’année dernière. De plus, le gouvernement impose toujours un cadre budgétaire strict dans lequel les dépenses et les recettes s’équilibrent à moyen terme, tandis que les recettes supplémentaires induites par un prix du pétrole supérieur à 40 dollars le baril sont ajoutées aux réserves budgétaires. En 2018, le solde budgétaire des administrations publiques s’est révélé positif (0,3 % du PIB), et un excédent est également attendu pour les deux années à venir. Devant la recrudescence de l’aversion au risque dans le sillage de la conjoncture mondiale moins favorable en 2018 et de la remontée des taux aux États-Unis, le rouble en a pris un sérieux coup, mais pas autant que les devises de quelques autres marchés émergents.
Aucune évolution impressionnante attendue en 2019
Une croissance toujours modérée des investissements est attendue. Le climat en matière d’investissements est fragile en Russie du fait de la faiblesse des droits de propriété, de la forte ingérence des autorités dans l’économie et du manque de concurrence. Après son investiture en mai 2018, le président Poutine a signé une série de décrets visant à mettre en œuvre un ambitieux programme de développement. Toutefois, ce programme n’inclut pas les indispensables réformes structurelles. À court terme, il pourrait néanmoins imprimer un élan à l’économie. En dépit des hausses salariales, le revenu réel disponible n’a guère augmenté en 2018. L’inégalité de plus en plus marquée des fortunes s’en trouve exacerbée, tandis que l’endettement et les obligations en termes d’intérêts et de remboursement pèsent de plus en plus lourd. Dès lors, une augmentation significative de la consommation des ménages en 2019 n’est pas prévue : le pouvoir d’achat des particuliers est en effet en déclin, à cause notamment de l’augmentation de la TVA. Bien que la conjoncture économique mondiale semble un peu moins favorable, une légère progression du prix du pétrole en direction de 70 USD pour le baril de Brent pourrait survenir. Dans l’ensemble, une croissance persistante mais lente de l’économie russe est à prévoir (1,5 % par an en 2019 et 2020).
L’inflation atteindra un sommet au cours du premier semestre de 2019
Diverses modifications fiscales et l’augmentation des dépenses publiques vont à l’avenir faire gonfler les prix. L’augmentation de la TVA intervenue au 1er janvier de cette année, de 18 % à 20 %, concerne un tiers du panier de consommation. La dépréciation du rouble induira par ailleurs une pression à la hausse sur les prix. Il semble donc que l’inflation soit appelée à rester supérieure à l’objectif en 2019. L’inflation pourrait culminer à 6 % au premier semestre de 2019, pour ensuite retomber à 4,5 % vers la fin 2019. Malgré l’inflation en hausse, la CBR ne devrait pas procéder à d’autres relèvements des taux en 2019. La forte augmentation de l’inflation au premier semestre de 2019 était déjà prévue lors du relèvement de 25 points de base opéré en décembre. Les risques en présence laissent toutefois présager un potentiel resserrement. Bien que la CBR soit intervenue énergiquement pour maîtriser l’inflation, les prévisions en la matière ne sont pas encore solidement ancrées et il subsiste un risque que l’inflation devienne incontrôlable. Si la prévision d’inflation de la CBR dépasse le sommet attendu de 6 % en mars ou avril 2019, ou si de nouvelles sanctions sont infligées, la CBR devrait réagir par un nouveau relèvement des taux.
La solidité de la position extérieure atténue les risques…
En 2018, les États-Unis ont durci leur attitude à l’égard de la Russie. Les sanctions avaient été imposées en 2014 en réaction à l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, mais d’autres éléments jouent entre-temps un rôle également : l’enquête en cours du procureur Mueller, l’attentat perpétré contre la famille Skripal au Royaume-Uni, le soutien russe en faveur du régime d’Assad et les accusations de cybercriminalité
La balance courante de la Russie affiche un excédent depuis de nombreuses années. L’année dernière, celui-ci représentait 4 % du PIB. La dette extérieure brute est retombée de 668 milliards USD en décembre 2013 à 536 milliards USD, principalement parce que la Russie ne parvenait pas, à cause des sanctions, à lever des fonds sur les marchés des capitaux internationaux, alors que les conditions d’emprunt étaient devenues plus intéressantes au niveau intérieur. La dette extérieure représente 33 % du PIB, ce qui est relativement peu pour un pays émergent. Les réserves en devises couvrent près de 10 mois d’importations et devraient selon les attentes encore augmenter sous l’effet de la règle budgétaire qui prévoit une affectation du surplus des revenus pétroliers aux réserves. Du point de vue stratégique, la Russie met l’accent sur la substitution des importations, l’augmentation du protectionnisme et la réorientation du commerce en direction de l’est. Dans l’intervalle, la CBR s’est dans une large mesure défaite de son portefeuille d’obligations d’État américaines au profit d’un renforcement de sa position en or. Une tendance qui laisse à penser que la Russie se prépare au pire.
… mais les sanctions demeurent l’un des principaux risques
Le caractère imprévisible des sanctions américaines à l’encontre de la Russie nuit toujours à la confiance des investisseurs. En 2019 et 2020, l’ampleur et la sévérité des nouvelles sanctions dépendront dans une large mesure de l’évolution de la politique intérieure des États-Unis et de la position adoptée par le président Trump. Si la proposition de loi visant à protéger la sécurité nationale américaine contre l’agression russe est adoptée dans sa forme actuelle et que les sanctions à l’encontre des obligations d’État russes deviennent une réelle option, l’ambitieux programme de la Russie consistant à lever 13 milliards USD sur les marchés des capitaux internationaux pourrait être sérieusement compromis. Le deuxième risque majeur qui menace la croissance de l’économie russe serait un effondrement des prix du pétrole.
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