
Par Erik Joly, CIO ABN AMRO Private Banking
Les élections approchent : la coalition de l’ADN de Modi a perdu de sa popularité
Avec près de 875 millions d’électeurs, l’Inde organisera les plus grandes élections au monde en avril/mai de cette année. La question centrale est de savoir si le premier ministre Modi et l’Alliance démocratique nationale (ADN) – coalition de centre-droit- pourront rester au pouvoir. La coalition a en effet perdu une partie de sa popularité depuis son impressionnante victoire en 2014, en particulier dans les zones agricoles. Cette défaite est due entre autres aux problèmes dans le secteur agricole et à la perte d’emplois dans les petites et moyennes entreprises. En réaction, le gouvernement Modi s’efforce depuis quelque temps d’ajuster son agenda politique pour plaire à cet électorat. Modi tente également de redorer son blason de militant anticorruption.
… et devrait perdre sa majorité absolue au parlement
Les récents sondages d’opinion donnent l’ADN (60 % des sièges au parlement) à nouveau victorieuse aux élections, mais elle risque de perdre sa majorité absolue à la chambre basse du parlement. Cela signifierait qu’un éventuel deuxième gouvernement Modi devrait redoubler d’efforts pour convaincre d’autres partis de rejoindre la coalition. Cela impliquerait un ajustement et non un gel du programme de réformes. L’accent devrait reposer davantage sur les programmes d’aide sociale, soins de santé, logement…. Néanmoins, les avancées concernant les questions politiques les plus sensibles (par exemple, la révision des lois dans le domaine du droit du travail et de la propriété foncière) seront plombées par un parlement plus divisé.
Un budget provisoire aux accents populistes
Le 1er février, le ministre des Finances a présenté au parlement un budget provisoire pour l’exercice 2019-2020. Celui-ci table sur un déficit fédéral de 3,4 % du PIB (vs : 3,5 % actuellement), ce qui a permis de dissiper une partie des craintes du marché, à savoir que le gouvernement avait l’intention d’abandonner la voie de l’assainissement des finances publiques. Le budget provisoire pourrait être considéré comme une dernière tentative du gouvernement Modi d’accroître sa popularité juste avant les élections. Il vise en particulier à soutenir la partie de l’électorat dans laquelle Modi semble avoir essuyé la plus grande défaite. Il comprend un nouveau programme de transferts aux agriculteurs, des privilèges spéciaux pour les travailleurs du secteur informel et des déductions pour la classe moyenne. Il ne prévoit que peu ou pas de nouvelles initiatives visant à renforcer l’infrastructure, l’industrie manufacturière ou le secteur financier.
Malgré l’incertitude politique, l’Inde reste le géant à la croissance la plus rapide
Avec une moyenne de 8 %, la croissance économique était élevée au cours du premier semestre de l’année 2018, notamment en raison des effets de base, la croissance ayant été ralentie un an plus tôt par le nettoyage des billets de banque et l’instauration d’une nouvelle taxe sur la valeur ajoutée. Au troisième trimestre 2018, la croissance est retombée à 7,1 %. Les données macroéconomiques mensuelles récentes ont été impactées par la faiblesse actuelle du commerce mondial. Néanmoins, l’Inde est moins dépendante de l’économie mondiale que l’Asie de l’Est, et relativement protégée du conflit commercial entre les États-Unis et la Chine. Le PMI manufacturier reste à un niveau élevé (environ 54). L’indice PMI des exportations a chuté à 52,6 en janvier (décembre : 53,6) mais se maintient à un niveau élevé par rapport au reste de l’Asie émergente. Une augmentation de la croissance annuelle de 7,2 % au cours de l’exercice 2017-2018 à 7,5 % pour l’exercice courant et les deux suivants est à prévoir. Malgré les incertitudes sur les fronts politique et stratégique, l’Inde reste bien placée pour conserver son statut de géant à la croissance la plus rapide.
Le déficit de la balance courante reste dans les limites
La vigueur de la demande intérieure et l’augmentation des importations pétrolières ont creusé à nouveau le déficit de la balance courante ces dernières années, passant de 0,5 % du PIB en 2016 à environ 2,7 % en 2018. Le gouvernement a pris des mesures pour essayer de contenir le déficit. Les importations d’or se sont fortement contractées l’an dernier, à cause de la dépréciation de la roupie et de restrictions spécifiques à l’importation. Ces mesures et la baisse récente des prix du pétrole devraient à nouveau réduire quelque peu le déficit de la balance courante. Dans l’ensemble, ce déficit se maintient donc aujourd’hui bien en deçà du niveau de 5 % du PIB, et dès lors bien en deçà des niveaux atteints en 2012-2013. Par ailleurs, les réserves de devises ont baissé de 7 % par rapport au sommet atteint en avril 2018. Elles restent toutefois à un niveau confortable. Au cours de la tourmente qui a secoué les marchés émergents l’an dernier, la roupie indienne a subi des pressions. Entre fin 2017 et début octobre 2018, la roupie a perdu environ 12 % par rapport au dollar, une baisse comparable à la dépréciation d’autres devises asiatiques dans les pays présentant des déficits extérieurs (Indonésie, Philippines). Depuis, la roupie s’est légèrement redressée par rapport au dollar.
L’inflation reste faible : le président de la RBI agit rapidement et abaisse les taux directeurs
Au premier semestre 2018, l’inflation de base a augmenté, avant de se stabiliser à un niveau d’environ 6 %. En revanche, l’inflation IPC a fortement baissé depuis mi-2018, en raison de la diminution des prix des denrées alimentaires. Le taux directeur réel a atteint en quatre ans un niveau record de 4,3 % en décembre. La politique monétaire commence à s’assouplir sous l’égide du nouveau président de la RBI : la RBI a décidé d’adapter l’orientation de la politique monétaire d’agressive à neutre et d’abaisser le taux des repo et reverse repo de 25 points de base. Dans la déclaration d’accompagnement, la RBI annonce baser ses décisions futures sur les données macroéconomiques recueillies, ce qui signifie qu’une ou plusieurs nouvelles baisses des taux ne sont pas exclues si l’inflation reste faible et/ou si la croissance est décevante.
Le renforcement du secteur bancaire reste un défi majeur
Des doutes concernant le secteur financier indien – et en particulier le système bancaire parallèle – ont surgi dans le courant de 2018, en particulier après l’apparition de problèmes de paiement dans une grande entreprise de financement immobilier. La nationalisation de celle-ci a permis de limiter le risque de contamination. Le stress subi par cette société symbolise toutefois les problèmes plus vastes au sein du secteur financier indien. Les projets d’infrastructure ont généré un endettement considérable, les banques publiques détiennent une part importante de prêts problématiques et la gouvernance des entreprises et des banques pourrait être améliorée. La RBI prévoit une amélioration progressive de la santé du secteur bancaire au cours des deux prochaines années, en partie grâce à un assouplissement de certaines règles. Les marchés continueront toutefois de surveiller étroitement la crédibilité et l’indépendance de la Banque centrale indienne.
En conclusion
La croissance de l’économie indienne devrait se maintenir à 7,5 % au cours des prochaines années et l’Inde devrait rester le géant à la croissance la plus rapide. Les turbulences générées par les marchés émergents se sont atténuées depuis que la Fed a adopté une attitude plus conciliante et que les inquiétudes concernant le conflit commercial entre les États-Unis et la Chine se sont apaisées. La position extérieure de l’Inde reste gérable et la baisse de l’inflation a permis à la banque centrale d’abaisser ses taux directeurs. Néanmoins, des risques subsistent : incertitude politique liée à l’approche des élections, problèmes du secteur financier et de la manière dont la surveillance bancaire sera articulée. Il est en effet essentiel de renforcer le secteur bancaire et de garantir le rôle intermédiaire que jouent les banques indiennes dans l’indispensable amélioration de l’infrastructure.
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