Quelles perspectives pour l’Inde ?

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Par Arthur Jenck et Erik Joly, ABN AMRO Belgique

Depuis mi-2018, la croissance économique a fortement ralenti, en Inde passant de 8,0 % en glissement annuel au premier semestre 2018 à 5,0 % au deuxième trimestre 2019. Les facteurs de ce ralentissement sont à la fois internes et externes.

L’Inde est moins exposée à la conjoncture internationale que la Chine ou d’autres pays de l’Est de l’Asie. Pour autant, elle n’est pas immunisée contre le ralentissement du commerce international et de la croissance mondiale. La preuve en est : les investissements affichaient encore une croissance à deux chiffres l’an dernier.  Cette croissance a été ramenée à 3,5-4 % en glissement annuel au cours du premier trimestre de cette année.

Depuis début 2019, l’indice de confiance des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière a baissé de plus de trois points, retombant ainsi à 50,6 points en octobre. La croissance de la consommation privée a également diminué, passant de 7-8 % en 2018 à près de 3 % au deuxième trimestre 2019. La baisse de confiance des consommateurs et l’augmentation des impôts en sont en partie responsables.

Reprise anticipée de la croissance 

La croissance chinoise a également montré des signes de faiblesses. Le gouvernement chinois a réagi en proposant un assouplissement monétaire et un soutien budgétaire. L’Inde a suivi son exemple, comme en témoigne certaines mesures.

Tout d’abord, la Banque Centrale Indienne (RBI) a réduit son taux directeur de 135 points de base pour atteindre 5,15 %. Malgré ces mesures d’expansion, la croissance des crédits est retombée au niveau le plus bas jamais atteint en deux ans, à savoir 8 % en glissement annuel au mois d’octobre. Bien que le fossé entre le taux directeur et l’inflation se soit sensiblement réduit cette année, la marge pour une nouvelle baisse de taux devrait être limitée.

Fin septembre, la ministre indienne des Finances, Nirmala Shitharaman, a annoncé une diminution de l’impôt des sociétés. Le taux moyen d’imposition des sociétés sera ainsi réduit à 25 %. Cela placerait les entreprises indiennes sur un pied d’égalité avec les entreprises de la région. Le manque à gagner de cette réforme devrait s’élever à 21 milliards de dollars. D’autres mesures de soutien sont attendues, en particulier dans le secteur automobile et les sociétés exportatrices. Le déficit budgétaire du deuxième trimestre a atteint près de 93 % du déficit budgétaire total pour l’exercice en cours. Il est donc probable que l’objectif de déficit de 3,3 % du PIB ne soit pas respecté cette année. Il devrait avoisiner les 4 %.

Ceci étant, compte tenu des indicateurs économiques et du contexte international, les prévisions de croissance ont été revues à la baisse. De 7,5 % à 6,0 % pour l’exercice 2019-2020 (avril 2019 à mars 2020) et de 7,5 % à 6,5 % pour l’exercice 2020-2021. Ces révisions impliquent néanmoins une reprise de la croissance par rapport au niveau le plus bas (5 % en glissement annuel atteint au deuxième trimestre), les mesures de soutien devant porter leurs fruits.

Du chemin reste à parcourir sous Modi-II

Le premier ministre Narendra Modi et sa coalition gouvernementale (Alliance Démocratique Nationale, NDA) sont sortis vainqueurs des élections qui se sont tenues en avril/mai de cette année. Cette victoire politique devrait en principe garantir une continuité et favoriser de nouvelles réformes. Durant son premier mandat (2014-2019), Modi s’est concentré sur l’amélioration du climat des entreprises : nouvelle législation sur les faillites et imposition uniforme du chiffre d’affaires, par exemple. Grâce à ces réformes, l’Inde a grimpé au classement Doing Business de la banque mondiale : de 142/189 en 2015 à 63/190 actuellement. En revanche, la dégringolade du pays au dernier classement Global Competitiveness en date (perte de dix places, pour arriver à 68/114) indique qu’il reste de nombreux défis structurels à relever.

Sur le plan du commerce international, l’Inde n’a pas souhaité signer le Partenariat économique régional global (PERG). Cette initiative, entamée en 2012 par les pays de l’ASEAN, est un traité qui porte entre autres sur le commerce de biens et services, les investissements, la coopération économique et technique, la propriété intellectuelle, la concurrence et le règlement des litiges. L’Inde ne tient pas à renoncer à son attitude protectionniste à l’égard de secteurs vulnérables dont l’agriculture et l’industrie où la compétitivité laisse à désirer. De plus, l’Inde se préoccupe d’un accès équitable au marché par rapport à la Chine. À court terme, l’exclusion du PERG est probablement nécessaire, car l’Inde est moins compétitive que la Chine pour l’instant. Toutefois, sur le long terme, cela n’aidera pas l’Inde à se positionner en tant que centre industriel.

La semaine dernière, Moody’s a modifié sa perspective à « négatif », en raison de préoccupations relatives au budget, à la baisse de la croissance et à des faiblesses institutionnelles. Concernant ce dernier point, les inquiétudes portent sur l’indépendance présumée de la banque centrale, notamment suite à un transfert élevé de capital à l’Etat (25 milliards USD).

Conclusion : l’Inde dispose d’un potentiel, mais les risques demeurent.

L’Inde a bel et bien perdu une partie de son attrait. Sa croissance économique a atteint le niveau le plus bas en six ans. Globalement, les données économiques récentes ne sont d’ailleurs pas très prometteuses. Toutefois la croissance pourrait s’accélérer dans les années à venir. L’assouplissement monétaire, les réformes mises en place et la stabilisation de l’environnement externe devraient aider dans ce sens. L’un des principaux risques réside dans les faiblesses du secteur financier, confronté à une économie parallèle (situation illustrée par la faillite de plusieurs organismes de crédit non bancaires) et aux prêts improductifs des banques publiques (concentrés dans le secteur de l’énergie). Les tensions avec le Pakistan entraînent un risque supplémentaire. Les tensions entre les différentes communautés religieuses et les relations avec les minorités restent également présentes.

Ceci étant, l’Inde semble être sur la bonne voie dans la mise en place de réformes structurelles. D’autant qu’elle s’en est donnée les moyens : le déficit budgétaire est relativement faible, son endettement est maîtrisé et les réserves de devises couvrent à présent environ sept mois d’importations et près de quatre fois la dette extérieure à court terme.

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