En économie, la courbe de Phillips présente la relation qui existe entre l’inflation et le chômage. Initiée par Alban William Phillips, un économiste néo-zélandais du XXème siècle, cette courbe démontrait au départ une relation négative entre le chômage et la variation des salaires en termes nominaux. Ensuite, elle a été étendue à une relation inverse entre chômage et taux d’inflation, et c’est sous cette forme-là qu’elle est le plus souvent présentée.
Sur base de l’analyse de chiffres du chômage et de l’inflation sur une longue période (1867-1957), Phillips a montré que, lorsque le chômage diminue, les salaires augmentent plus vite, et les prix à leur suite. En revanche, lorsque le chômage augmente, les salaires augmentent moins vite, voire diminuent, et les prix aussi : en cas de chômage important, les salariés ne sont pas en position de force pour demander des augmentations salariales significatives.
Source du graphique : Les yeux du Monde.fr
La courbe de Phillips a parfois été présentée comme un dilemme auquel les autorités seraient confrontées. Elles pourraient choisir entre moins de chômage, mais au prix de plus d’inflation, et moins d’inflation, mais au prix de plus de chômage. Mais cette interprétation du constat de Phillips a montré ses limites dès les années 1970 durant la crise du pétrole durant laquelle nous avons connu à la fois une forte montée de l’inflation et du chômage.
Et aujourd’hui ? Aux Etats-Unis, malgré une amélioration notoire du marché du travail, on ne voit pas de montée significative de l’inflation. La courbe de Phillips s’est donc … aplatie comme le montre le graphique ci-dessous.
Quelles sont les raisons de cette évolution ? Selon la Banque Centrale du Canada, « il s’avère que ceux qui entrent sur le marché du travail aux Etats-Unis, soit pour la première fois, soit après une période sans emploi, ont tendance à gagner des salaires moins élevés que la moyenne des travailleurs, ce qui limite la progression du salaire moyen. Beaucoup de baby-boomers prennent aujourd’hui leur retraite à des salaires bien plus élevés que ceux des nouveaux venus sur le marché du travail »[1]. De plus, les travailleurs expérimentés n’arrivent plus à négocier des hausses de salaires importantes. Avec la globalisation et les progrès technologiques, les travailleurs obtiendraient moins de hausse des salaires malgré un taux de chômage faible et une belle profitabilité des entreprises.
Par ailleurs, les variations salariales n’expliquent pas à elles seules les mouvements de l’inflation. Il faut aussi tenir compte d’autres éléments comme le prix des matières premières, à commencer par le pétrole, et les taux d’intérêt, qui conditionnent la variation des coûts de financement. D’autres facteurs expliquent également que la courbe de Phillips s’est aplatie. Le développement des technologies a poussé le prix de certains biens de consommation à la baisse. La diminution du pouvoir des syndicats, l’accroissement du travail à temps partiel ou des jobs plus flexibles peuvent aussi faire pression sur les salaires. Il ne faut pas négliger aussi que de plus en plus de personnes (essentiellement des jeunes) ont quitté le radar de certaines statistiques en n’étant ni étudiants ni inscrits comme chômeurs ou demandeurs d’emploi. « Cela démontre que l’économie américaine, comme bien d’autres économies avancées, est destinée à avoir des taux de chômage plus bas que par le passé et simultanément une progression plus faible du salaire horaire moyen », note encore la BNC.
Cependant, selon le think-tank Bruegel, il ne faudrait pas enterrer la courbe de Phillips trop rapidement. C’est ce qu’ils démontrent avec la situation en Allemagne avec le graphique ci-dessous.
Source du graphique : Bruegel.org
« L’évolution des salaires et de l’inflation en Allemagne est encore relativement faible, mais il existe des signes encourageants de reprise de la croissance des salaires et, partant, des taux d’inflation. Les capacités inutilisées sont certainement plus faibles en Allemagne qu’ailleurs dans la zone euro. (…) Dans l’ensemble, l’ajustement est lent et les accords salariaux en Allemagne sont certainement assez prudents. Pourtant, la courbe de Phillips est toujours vivante et les salaires s’ajustent » peut-on lire sur le site de ce think-tank[2]. Si le chômage bas ne s’est pas traduit dans la mesure attendue en une hausse des salaires, c’est en raison de la vague migratoire et de la progression du taux d’emploi. Aujourd’hui, toutefois, les conditions semblent réunies pour assister à une hausse plus soutenue des salaires.
Entre la théorie économique et la réalité, il y a donc parfois une marge d’ajustement. C’est dû au fait que d’autres paramètres entrent en ligne de compte, en particulier, dans ce cas, des éléments relatifs à l’offre de travail. L’économie n’est pas constituée que de chiffres et de courbes fixées une fois pour toute mais elle est aussi et avant tout une histoire d’adaptation et de comportements sociaux.
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[1] Source: Banque Nationale du Canada