
Par Georges Hübner, Professeur de Finance, HEC Liège-Université de Liège
Couplé à un scepticisme croissant par rapport aux capacités de gestionnaires dits ‘actifs’ de créer de la valeur pour l’investisseur, l’essor des techniques de gestion systématique automatisée des portefeuilles conduira très bientôt (avant la fin de la décennie) les Exchange Traded Funds (ETF) ou « trackers », ces fonds cotés en bourse qui reproduisent l’évolution d’indices, à supplanter les fonds traditionnels en termes du total de leurs actifs sous gestion.
Les avantages des ETF sont clairs : leur cotation induit que leur prix reflète la confrontation de l’offre et de la demande, tandis que leur structure de commission offre des véhicules d’investissement relativement bon marché. En outre, ils sont soumis à des obligations de transparence qui peut rassurer les investisseurs désireux de s’exposer aux marchés sans contrainte.
Le marché des ETF pèse environ 4.000 milliards de dollars (dont environ 20% investis en Europe) et est en forte croissance. Il reste encore globalement sous contrôle : par exemple, sur son plus gros segment (les indices d’actions US), la capitalisation boursière des quelques centaines d’ETF ne représente encore que quelques pourcents du marché total. Mais pour les indices les plus représentatifs, comme le S&P500 aux Etats-Unis, l’emprise des ETF et des fonds indiciels commence à devenir problématique. Les plus gros fonds détiennent individuellement des pourcentages importants des actions des entreprises de cet indice, tandis qu’ensemble ils représentent un quart des volumes de transactions sur le marché. On assiste déjà à des distorsions artificielles dans la volatilité des titres et on sait déjà que le vrai « flottant » (la proportion des actions effectivement liquides sur le marché) est en forte diminution, ce qui pèse sur la liquidité et donc l’efficience du marché.
En outre, il faut être conscient que tous ces ETF ne se ressemblent pas, et seule une fraction d’entre eux sont réellement comparables à de purs fonds indiciels calqués sur un indice boursier géré de manière passive. D’abord, il y a la méthode de réplication de l’indice. Seule une minorité de ces fonds investissent toutes leurs ressources dans un panier de titres qui représente exactement leur indice sous-jacent. Certains utilisent des méthodes d’échantillonnage plus ou moins sophistiquées pour s’approcher, sans prétendre la reproduire, de la composition de l’indice. D’autres empruntent une approche de réplication synthétique, c’est-à-dire qu’ils détiennent un portefeuille dont ils utilisent les rendements pour les échanger contre les rendements de l’indice avec une contrepartie tierce.
La typologie des sous-jacents des ETF est également en forte évolution. Une proportion croissante de ces ETF tente de répliquer des indices obligataires. D’autres reflètent des « smart indexes », des indices constitués sur base de stratégies particulières. On voit également émerger des ETF basés sur la gestion active, qui n’offrent pas de garantie de transparence sur leurs actifs. Certains ETF sont également fort peu négociés, ce qui peut influencer leur liquidité et donc la fiabilité de leur prix par rapport à leur valeur réelle. Bref, qu’il s’agisse de variantes sur la méthode de réplication ou sur les indices, tous ces phénomènes contribuent à rendre ce marché de moins en moins lisible.
Ces constatations induisent que l’investisseur doit être averti de la réalité des risques associés au marché des ETF. D’une part, l’immense succès des ETF (couplés aux fonds indiciels de type Vanguard) crée un risque systémique lié à la conjonction de la taille de certains de ces paquebots qui, à cause de la concentration de leurs investissements plus ou moins toujours focalisés sur les mêmes actifs, créent une emprise sur les marchés dont on ne peut aujourd’hui pas mesurer les menaces précises, mais qui sont réelles. Ce risque qui pèse sur l’intégrité des marchés financiers est, à l’instar des autres risques systémiques (shadow banking, notionnel des dérivés…) largement subi et peu évitable au niveau microéconomique. D’ailleurs, que l’on ait des ETF ou pas, on n’y échappe pas… Il faut espérer que les autorités macroprudentielles s’empareront efficacement du problème. D’autre part, la diversité croissante et la multiplication des ETF amène un risque opérationnel significatif sur certains d’entre eux.
L’investisseur doit en être conscient et tenter de les minimiser à travers sa « due diligence». Les dimensions à évaluer sont nombreuses :
- type de marché (par exemple les marchés obligataires corporate sont moins liquides et plus fragiles que les marchés actions),
- type de réplication (un continuum qui va de full synthétique à réplication physique totale),
- qualité de l’émetteur,
- lisibilité de la stratégie,
- taille de l’ETF,
- ratio d’emprise,
- mode de réinvestissement des flux,
- tracking error,
- frais…
Il existe aujourd’hui des services d’investissement automatisés à faibles coûts qui permettent d’investir dans des ETF sélectionnés après une sévère due diligence. Dans les marchés financiers modernes, même les stratégies considérées comme passives demandent à l’investisseur de faire preuve de discernement et d’esprit critique !
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