Au fil du temps et de leur époque, les économistes ont décrit des phénomènes, ont avancé des explications et en ont déduit des théories. Ces théories ont parfois été revues au regard des événements survenus après l’énoncé de ces règles.
Pour mieux comprendre l’économie et la finance, ou pour se rafraîchir tout simplement la mémoire, nous vous emmenons pour quelques courts voyages au pays des grands économistes. Avec l’éclairage d’Etienne de Callataÿ, chargé de cours invité à l’Université de Namur et Président d’Orcadia Asset Management, nous vous invitons à suivre Thomas Malthus. Voici une courte synthèse de ses idées.
Quelles sont ses principales théories ?
Thomas Malthus est né en 1766 et était pasteur anglican. Il a été confronté à la misère et à la détresse des pauvres dans la commune dont il avait la charge. Son premier livre est intitulé « La crise » : l’occasion d’une mise en perspective qui nous démontre à quel point cette notion de crise ne date pas d’hier.
Dans l’histoire économique, Malthus a donné son nom à la doctrine du « malthusianisme » visant à réguler et contrôler la croissance de la population. Thomas Malthus a rédigé son « Essai sur le principe des populations » dans lequel, avec une bonne dose de pessimisme, il prédit une catastrophe démographique. Il démontre que la population augmente de façon exponentielle (1, 2, 4, 8, 16, …) alors que les ressources alimentaires augmentent de façon arithmétique (1, 2, 3, 4, 5, …). Sur cette base pessimiste, il prédit que les ressources naturelles ne seront pas suffisantes pour nourrir une population de plus en plus importante. Il ne faut cependant pas prendre cette théorie au pied de la lettre d’un point de vue mathématique mais il y a lieu de la considérer plutôt d’un point de vue économique en soulignant l’idée de l’épuisement des ressources naturelles. Nous sommes donc très loin ici des thèses plus enthousiasmantes d’Adam Smith.
Craignant une augmentation de la pauvreté, Malthus a parfois émis des propos étonnants en refusant, par exemple, l’assistance sociale aux démunis. Il préconise ainsi de réguler la croissance démographique par différents moyens. Il veut favoriser la contrainte morale pour encourager les couples sans enfants et condamne la conception hors mariage. La solution à la croissance démographique face à des ressources limitées peut donc venir d’un changement dans le comportement des hommes qui aboutirait à une baisse du taux de natalité. Une autre façon de régler ce problème serait d’améliorer les conditions de production des moyens de subsistance. Il a également proposé d’instaurer un impôt sur les enfants selon leur taille et leur poids ou de donner des cadeaux aux couples sans enfants. Ses théories ont cependant été contestées essentiellement dans la méthodologie utilisée.
Que reste-t-il de l’héritage de Thomas Malthus aujourd’hui ?
Les théories de Malthus ont fait des émules jusqu’au XXème siècle. On a ainsi vu des politiques malthusiennes en Chine où les régulations des naissances ont été drastiques entre 1979 et 2015 avec la politique de l’enfant unique qui instaure une limitation d’un enfant par famille. En Inde, dans les années 60, les pères de famille qui acceptaient de se faire stériliser recevaient un poste à transistors.
Cependant les théories de Malthus ne se sont pas (encore) concrétisées en raison de plusieurs phénomènes. Nous avons connu une révolution verte qui a permis d’accroître les rendements des terres agricoles et une révolution industrielle qui a permis une amélioration et une augmentation de l’utilisation des ressources. On a assisté à une baisse de la natalité dans les pays qui se sont enrichis. Dans ces pays, on constate une diminution de la fécondité naturelle qui pourrait être due à des phénomènes environnementaux et de la fécondité « non naturelle » en raison de l’utilisation grandissante des moyens contraceptifs. Cette baisse de natalité est d’ailleurs inquiétante dans la mesure où elle s’accompagne d’un vieillissement de la population. Un pays comme la Chine se trouve désormais confronté de façon assez aigüe à cette problématique : il pourrait devenir vieux avant de connaître la richesse. Au XXIème siècle, les thèses de Malthus ne se révèlent pas pertinentes, principalement en Europe. Nous connaissons une transition démographique qui implique que la moitié de l’humanité est déjà en-dessous du seuil de remplacement. Le progrès technique, l’exploitation de nouvelles ressources et l’augmentation du recours aux moyens contraceptifs ont ainsi mis à mal les théories de Malthus.
Au XXIème siècle, les thèses de Malthus sont essentiellement associées à la limitation des ressources naturelles. On pourrait attribuer à cet économiste du début du XIXème siècle la paternité de la thèse de la décroissance. Cette thèse estime que nous ne pouvons pas vivre avec une croissance constante et illimitée du PIB dans un monde dont les ressources sont limitées. Aujourd’hui, nous assistons à travers le monde à un ralentissement de la progression démographique et à une diminution de la croissance. Nous ne devons pas compter sur la croissance pour résoudre tous les problèmes économiques.
Cependant, on peut penser que la croissance de l’économie pourrait néanmoins se poursuivre grâce à un meilleur usage des ressources disponibles. Malthus nous invite à nous interroger sur la limite des ressources et sur ses conséquences quant à la manière de nous organiser. Toute croissance n’est pas nécessairement consommatrice de ressources : par exemple, avoir plus de spectateurs dans un cinéma n’exige pas de déployer plus de ressources. Finalement, ce qui compte, ce n’est pas tant la croissance mais plutôt le niveau de bien-être. Produire autant en travaillant 5% de moins correspond d’un point de vue de performance économique à la même chose que produire 5% de plus en travaillant le même nombre d’heures.
Aujourd’hui, les questions que nous pose Malthus sont les suivantes : a-t-on atteint les limites de la croissance et comment pourrait-on mieux utiliser les ressources dont nous disposons ?