
Par Vincent Juvyns, Global Market Strategist, J.P. Morgan Asset Management
Le 22 février 2016
Depuis la fin du deuxième choc pétrolier en 1981, les marchés obligataires mondiaux ont connu une période relativement favorable, qui a vu leur capitalisation passer de 10.000 milliards à près de 100.000 milliards[1] de dollars aujourd’hui et les taux des obligations souveraines à 10 ans des principaux pays développés passer de plus de 10% à des niveaux parfois inferieurs à zéro en 2016.
Cette baisse significative des rendements obligataires est à mettre à l’actif des principales banques centrales qui ont réussi à vaincre l’inflation dans les années 80 et 90, à l’instar de la Fed qui, sous l’impulsion de Paul Volcker, porta le niveau des Fed Funds à 20% en juin 1981 et fit ainsi retomber l’inflation à 4,6% en décembre 1989 alors qu’elle dépassait encore les 14% en avril 1980. Plus récemment, c’est en luttant contre la déflation que les banques centrales ont soutenu les marchés obligataires puisque dans le cadre de leurs différents plans d’assouplissement quantitatifs, elles ont injecté plusieurs milliers de milliards de dollars sur les marchés obligataires, ce qui a fait baisser leurs rendements à des niveaux historiquement bas et parfois même négatifs.
Si durant trois décennies les marchés obligataires ont ainsi affiché des performances positives, ils ont aussi connu nombre de périodes de correction plus ou moins longues et la « mort » du rallye obligataire a été pronostiquée à maintes reprises ces dernières années notamment dans le sillage du « taper tantrum » de 2013 et plus récemment de l’élection de Donald Trump.
Bien que les Cassandre aient eu tort jusqu’à présent, il faut cependant admettre que les arguments en faveur de ce scénario sont aujourd’hui plus nombreux que par le passé. Signalons tout d’abord que les indicateurs conjoncturels avancés, à l’instar des PMI manufacturiers, annoncent une accélération de la croissance en 2017, ce que confirment les prévisions du FMI qui s’attend à une croissance mondiale de 3,4% en 2017 contre 3,1% en 2016[2]. Les banques centrales semblent par ailleurs être venues à bout des risques déflationnistes comme l’illustre le bond de l’inflation sous-jacente américaine à 2,3%, la plus forte progression depuis 5 ans des prix à la production en Chine enregistrée en décembre 2016 (+6%) ou encore la remontée de l’inflation européenne à 1,8%, soit son plus haut niveau depuis 3 ans. Enfin, les politiques reflationnistes gagnent en popularité puisque nombre d’états relâchent la bride budgétaire, à l’instar du Japon, dans le contexte des Abenomics, de la Chine, qui a laissé filer son déficit a -4,4% du PIB en 2016, de l’Europe, qui tourne la page de l’austérité, et bientôt des États-Unis.
Compte tenu de ces éléments, on peut raisonnablement estimer qu’aujourd’hui les marchés obligataires sont bien à la croisée des chemins et que l’impact conjugué de la hausse de la croissance, de l’inflation et des déficits, devrait, en toute logique, entrainer une hausse des taux obligataires. Dans un contexte de divergence de politique monétaire et de recherche de rendement cette hausse devrait, à priori, être graduelle et limitée mais le danger, c’est que les principaux indices obligataires, à l’instar du Barclays Global Aggregate qui affiche une duration de 7 ans et un rendement de 1,6%[3], offrent peu de protection aux investisseurs.
Les alternatives existent cependant, à l’instar des obligations d’entreprises à haut rendement, qui malgré d’excellentes performances en 2016, continuent à être attractives dans la mesure où leurs maturités relativement courtes[4] et leurs rendements relativement élevés[5] leurs permettent d’afficher une corrélation quasi nulle avec les taux longs. En outre, en l’absence d’une récession, leurs taux de défaut devraient demeurer sous leurs moyennes historiques comme ce fut le cas en 2016, et ce malgré les déconvenues rencontrées par nombre d’entreprises pétrolières américaines. Signalons enfin que comme les revenus des entreprises sont fortement corrélés avec l’inflation, celles-ci se trouvent aujourd’hui dans une meilleure position pour faire face aux échéances de leur dette. Les obligations convertibles méritent également d’être considérées dans le contexte actuel. Comme les obligations à haut rendement, elles sont peu sensibles aux fluctuations des taux longs comme l’illustre leur performance positive en 2013 lorsque les taux US étaient fortement remontés dans le sillage du « taper tantrum » déclenché par le discours de Ben Bernanke. Enfin, la dette émergente en monnaie locale présente elle aussi un intérêt dans ce contexte de reflation car elle affiche un rendement réel nettement supérieur à celui des obligations d’états de pays développés et bien qu’elle soit généralement sensible aux hausses soudaines du dollar et des taux américains, elle s’accommode en revanche assez bien de la hausse graduelle et mesurée que nous observons actuellement. Par ailleurs, les perspectives conjoncturelles des pays émergents s’éclaircissent pour 2017 car si le rebond des prix des matières premières entraine une hausse de l’inflation dans les pays développés, il est synonyme de hausse de la croissance dans les pays émergents qui en sont les producteurs.
En conclusion, si le retour de l’inflation se confirme en 2017, les investisseurs obligataires devront se montrer flexibles, en s’affranchissant des principaux indices obligataires et en acceptant de troquer leurs risques de taux pour un risque de crédit et/ou de change mesuré, s’ils veulent que leur portefeuille obligataire génère un rendement positif.
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Qu’est-ce que l’inflation, la déflation, la désinflation, la staglflation, la reflation?
[1] Sources: Barclays Capital, BIS, FactSet, J.P. Morgan Asset Management
[2] FMI décembre 2016
[3] Barclays Capital 09/02/2017
[4] EUR HY: 4,1 an et US HY: 4 an – Barclays Capital 09/02/2017
[5] EUR HY: 3,97% et US HY: 5,766% – Barclays Capital 09/02/2017