Oui, les grands groupes belges payent bien des impôts !

IMG_0707Il est fréquent d’entendre ou de lire dans la presse des propos qui s’offusquent du fait que les grands groupes holdings belges ne paient pas (ou trop peu) d’impôts. Le raccourci est vite fait : les patrons capitalistes se remplissent les poches au détriment des contribuables. Mais, à y regarder de plus près, la réalité des chiffres est souvent tout autre.

La première source de confusion provient d’une lecture superficielle des comptes de résultats. En général, on se contente d’aller voir uniquement la ligne « impôts payés » dans le compte de résultats de la maison-mère. Mais il faut savoir que le calcul de la base imposable se fait au niveau des comptes sociaux d’une société et pas au niveau des comptes consolidés. Or, pour éviter de taxer une seconde fois un résultat bénéficiaire qui a déjà été taxé au niveau d’une filiale, le système fiscal belge n’impose que 5% des dividendes perçus, sous certaines conditions (notamment pour autant que le dividende ne provienne pas d’un pays avec une très faible fiscalité). Les maisons-mères dont une partie importante des revenus provient de dividendes présentent donc une faible base imposable puisque seule une faible partie de leurs revenus est imposable et peut être encore réduite par des charges déductibles telles que des intérêts débiteurs ou des frais de fonctionnement.

Pour avoir une idée plus correcte de la masse d’impôts réellement payée par un groupe, il est préférable de consulter les comptes consolidés. Mais là aussi, une lecture rapide peut induire en erreur car tout n’apparaît pas nécessairement dans la rubrique « impôts payés ». Pour avoir une idée précise, il faut aller voir dans les annexes des bilans et comptes de résultats publiées dans le rapport annuel. Là, on trouve une rubrique appelée « Rapprochement entre le taux d’impôt applicable et le taux d’impôt effectif». Dans cette annexe, on découvre, en fonction des normes comptables appliquées, les causes qui ont engendré la réduction de ce taux d’imposition pour atteindre le taux effectif. « Pour certaines participations, il y a ce qu’on appelle les mises en équivalence. La contribution de telles participations est alors reprise après les impôts payés par celles-ci. On y retrouve aussi des raisons légales comme l’exemption de la taxation sur les plus-values et sur les dividendes. Ce n’est pas une spécificité belge. On retrouve cette notion dans plusieurs pays européens. L’exonération des dividendes trouve son origine dans la directive européenne « mère-fille ». Il faut aussi tenir compte des pertes reportées ou du fait que certaines sociétés ont déjà été imposées dans d’autres pays que la Belgique avec d’autres taux d’imposition » fait remarquer un observateur du secteur.

En d’autres mots, en fonction du mode de consolidation et de l’importance de la participation de la maison-mère dans la filiale, certaines charges fiscales n’apparaissent pas en tant que telles dans les comptes de résultats des groupes, ce qui peut amener à des conclusions fausses sur le taux d’imposition. Cette annexe démontre les raisons de ce taux d’imposition effectif et permet ainsi de voir en détails des éléments comme les quotes-parts dans les résultats et dans les impôts des sociétés mises en équivalence, l’impact des revenus non-taxables ou encore l’impact des pertes fiscales. Il ne s’agit donc pas de fraudes, de montages fiscaux ou de construction spécifiques mais bien d’une prise en compte au niveau comptable d’une réalité économique.

Par ailleurs, la contribution fiscale globale d’un groupe comporte non seulement les impôts et taxes payés mais également les charges sociales sur le personnel employé (qui, lui-même paie des impôts et des charges sociales) et ce, en fonction de la législation des pays dans lesquels ce personnel est employé. Dire que les grands groupes belges ne payent pas d’impôts n’est donc pas correct et induit, de façon démagogique, le grand public en erreur.

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5 réponses sur “Oui, les grands groupes belges payent bien des impôts !”

  1. Bonjour,
    Dernierement, on apprenait dans la presse que l’EU réclamait au fisc Belges 700 millions d’euro à 35 entreprises ayant bénéficiés de mesures d’assouplissement, dites « rullings » , jugées illegales et defavorable pour la concurrence.
    Votre article est paru un peu avant cette annonce. Je me demadais si d’ailleurs votre avis n’etait pas pour le coup totalement à l’opposé. En effet vous légitimer quelques part le faibles montant payé par de grosses societés belges. Les mêmes qui sont joyeusement dénoncées chaque année dans un palmares dressé par le PTB.
    Aussi, qui à raison? Vous ou le PTB conforté aujourd’hui par l’EU?
    Les scientifiques ont ceci de particulier; la capacité, voire le devoir intellectuel de se remettre en question. Ce n’est pas toujours le cas et les économistes sont parfois les plus refractaires à cette règle. Obsèdés par leur vision, ils se confortent dans des biais de confirmations et de sélections.
    Est-ce que vos positions largement appuyées sur des économistes ont-elles évoluées depuis sur cet article?

    1. Merci pour votre commentaire. Il est vrai que le timing des 2 articles était surprenant. Ce que j’ai voulu transmettre par ce post c’est qu’il ne faut pas avoir des propos réducteurs du style « les grands groupes ne paient pas d’impôts ». Il était nécessaire, je pense, de montrer qu’ils en payent à travers leurs filiales et de montrer dans quelle partie du bilan on peut retrouver ces éléments et les explications sur la façon dont ces impôts sont prélevés. En ce qui concerne le montant réclamé par l’EU, il s’agit de montants qui résultent d’un accord qui avait été signé entre l’Etat belge et ces sociétés. Elles n’ont rien enfreint dans le sens où ces accords étaient approuvés par l’Etat mais controversés par l’EU.. Sans tomber dans l’angélisme, il est vrai qu’il y a des « rulings » et que ces sociétés cherchent la voie la moins imposée, mais de là à dire qu’elles ne payent pas d’impôts, il y a une marge à ne pas franchir, selon moi. Finalement, les deux articles ne s’opposent pas mais se complètent. ps: il ne s’agissait pas ici d’opinions appuyées sur des économistes: à nouveau un raccourci un peu rapide! 😉

      1. Merci pour votre réponse cordiale.
        Je vous rejoins sur le faite qu’il ne faut pas tenir de propos réducteur et j’espère que le lecteur aura saisi en ce sens le contenu de votre article. S’il ne doit pas prendre pour argent comptant les propos du style « les grands groupes ne paient pas d’impôts », il ne doit pas non plus tombé dans l’extrême inverse et accepter trop facilement l’argumentation opposée sous couvert d’argument d’autorité avancé par telle ou telle personne de renommée. Nous sommes d’accord, la réalité est certainement à nuancer entre les ultralibéralistes et les partisants du PTB. Par ailleurs, je conviens qu’en effet, les 700 millions résultent d’un accord (rulling) entre ces sociétés et le fisc Belge. Ces sociétés n’ont donc rien enfreint.
        L’Union Européen soutient cependant que la Belgique n’auraient jamais du concéder autant d’avantages fiscaux. La faute est donc attribuée à l’Etat Belges pour son laxisme en matière de fiscalité. Ce qui aurait porté préjudice à la sociétés concurrence. En première lecture, j’avoue que votre article me donnait l’impression de légitimer cette fiscalité laxiste. Mais votre réponse me réconcilie et je suis content de lire que votre avis n’est pas à opposer à cette annonce de l’UE mais qu’il convient de le considérer comme un complément pour que le lecteur puisse se rendre compte d’une réalité plus nuancée. Entretemps, j’apprends que l’UE réclame quelques 200 millions supplémentaire pour un « cadeau » accordé par la Belgique à Duferco: « http://www.lalibre.be/economie/actualite/duferco-la-commission-europeenne-somme-la-belgique-de-recuperer-211-millions-d-euros-569f6c1e3570ed3895340a44?m_i=D1_D5%2B0g4%2BaCUQ_D6_6gj5OuI92eqLSPv9j6NabnkJ%2BmNjDTvPAlWV10NZFQvUVLDdqAD26UMZuOVM%2BGHhaJZ_MClpjLW&utm_source=selligent&utm_medium=email&utm_campaign=&utm_content=&utm_term=_News+Eco+-+20-01-2016_ »

        Au plaisir de vous lire,

        Geofrey

  2. Belle initiative. Ce genre d’article est si rare.. sachant qu’une certaine presse relaie dans l’opinion publique des clichés qui sont vraiment dommageables à l’image de l’entreprise, de l’entrepreneuriat et des risques pris par les actionnaires/gestionnaires.

    Ceci dit, personnellement qu’importe l’ISOC payé. Je suis personnellement partisan de le supprimer totalement dans le contexte d’une mondialisation de la concurrence et du déficit du financement bancaire (tellement vrai pour les PME).

    Pour moi, les sociétés qui emploient des salariés devraient se voir annuler leur ISOC proportionnellement à leur masse salariale/bilan. Tous les CA, bilans et les journalistes devraient relayer et insister sur la « contribution » sociale d’une société. Qu’importe sa base taxable si elle emploie beaucoup d’employés (un important risque quand les affaires sont moins florissantes) et investit dans des infrastructure locale (immobilier, investissements…).

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