La psychologie des sommets de marché

DSC_2588Par Fidelity

Plusieurs indices de marchés boursiers ont atteint de nouveaux sommets au mois de mars. Le Dow Jones a atteint un niveau record, le Nikkei 225 a passé la barre des 19 000 pour la première fois depuis l’an 2000 tandis qu’au Royaume-Uni, le FTSE100 a dépassé son plus haut niveau datant de 1999. Mais quelle est la signification des sommets de marché ? Et, lorsqu’un marché atteint un nouveau sommet, y a-t-il lieu de s’alarmer comme le suggèrent certains commentateurs ?

Tout simplement : non, bien au contraire. Toutefois, certains biais émotionnels entrent en jeu. Un marché atteignant de nouveaux sommets est considéré en général par les analystes techniques comme un signal favorable, confirmant l’expansion d’un marché haussier et reflétant à son tour l’amélioration des fondamentaux du secteur des entreprises et un regain de confiance des investisseurs. Par définition en effet, un marché haussier est un marché dans lequel chaque pic est plus haut que le précédent. Cela produit inéluctablement des sommets à court terme, à moyen terme et en fin de compte à long terme. Sur de plus longues périodes, nous savons que les marchés boursiers tendent progressivement à la hausse, reflétant la croissance en termes de rendements réels créés au sein du secteur des entreprises pour les actionnaires.

Bien que ceci soit évident à l’échelle des rendements totaux historiques, les 15 dernières années se sont avérées singulières. Le tapage médiatique qui accompagne désormais les nouvelles hausses record se double souvent d’une bonne part de nombrilisme. La raison est entièrement due au fait que la génération actuelle des investisseurs a eu à faire face à deux des pires marchés baissiers de l’histoire, ce en l’espace de dix ans seulement. Les comparaisons inévitables avec 2008 ou 2000 rappellent à la mémoire les douloureux souvenirs des chutes brutales des valeurs des portefeuilles et des actions ayant suivi de tels pics. Statistiquement, il vaut la peine de souligner que la majorité des sommets de marché ne sont pas des pics de marché. Au cours des 15 dernières années, le Dow Jones a établi plus de 150 nouveaux sommets record.

Le problème des examens rétrospectifs est que le dernier sommet est souvent un moment qui a précédé une correction et une consolidation au sein du marché. Cela signifie que les sommets de marché peuvent être psychologiquement déroutants pour certains investisseurs, car ils éveillent des échos émotionnels du passé d’investissement. Deux biais d’investissement sont ici à l’œuvre : le premier est l’inutile ancrage aux niveaux du marché, le second est la dissonance cognitive.

La dissonance cognitive est le sentiment que nous éprouvons lorsque nous sommes en présence de deux idées ou émotions contradictoires. D’une part, la comparaison par rapport à un pic précédent et le souvenir du tourment qu’il a causé peuvent déclencher une prise de décision émotionnelle qui est préjudiciable à la santé du portefeuille à plus long terme. D’autre part, il y a les éléments probants fondamentaux qui soutiennent :

  • que les marchés tendent à la hausse dans le temps ;
  • qu’il n’y a pas les mêmes niveaux de spéculation et d’euphorie sur le marché ;
  • que la tendance haussière actuelle reflète l’amélioration de la situation des consommateurs ;
  • que les marchés développés se redressent progressivement ;
  • et que les secteurs économiques de la technologie, la santé et la consommation continueront d’entraîner un marché à la hausse, soutenu par de hauts niveaux d’innovation d’entreprise et un prix du pétrole bas.

Sous la contrainte de deux idées concurrentes, nous pouvons être tentés de « noyer » le sentiment de dissonance en modifiant une conviction, en négligeant des éléments probants conflictuels ou en cherchant tout ce qui peut soutenir notre point de vue mis en doute.

En réalité, la dissonance cognitive est une sorte de biais perpétuel dans le domaine de l’investissement, puisqu’à tout moment des arguments peuvent être et seront apportés pour justifier la hausse ou la baisse des marchés. Le moyen de gérer la dissonance est de ne pas se laisser entraîner à fuir le malaise qu’elle génère en se retranchant fermement d’un côté du débat. Au contraire, le mieux est de l’accepter et même de l’étreindre en investissant dans la prépondérance des probabilités, en considérant une variété de scénarios, en diversifiant les actifs et, peut-être le plus important, en effectuant des investissements programmés (dollar cost averaging) dans le marché boursier pour nier l’influence de l’arbitrage sur valeur liquidative (market timing) et celle des points d’ancrage inutiles. Investir n’est pas question d’avoir raison ou tort ; il s’agit plutôt de se faire une série d’opinions probabilistes permettant d’avoir plus souvent raison que tort.

Récemment, le Nasdaq a été près de dépasser son plus haut sommet historique de 5 048 points du 10 mars 2000. Il s’agissait alors du fameux pic de la bulle Internet, lorsqu’une fièvre d’investissement a conduit une période de spéculation exubérante sur les actions dot.com. Les investisseurs doivent-ils s’inquiéter 15 ans plus tard ?

Durant les 15 années qui se sont écoulées entre-temps, le Dow Jones a établi plus de 150 nouveaux sommets record, et le S&P a enregistré plus de 110 nouveaux sommets. Et, pendant ces 15 années, nous avons vu une multitude d’innovations et énormément de valeur créée au sein du secteur technologique américain. L’indice Nasdaq est totalement différent de ce qu’il était en 2 000 avec un nombre d’actions cotées 40 % inférieur. Bien qu’il demeure un indice très lié à la technologie, il est désormais moins polarisé sur la technologie et les télécoms que par le passé.

L’indice Nasdaq est actuellement mené par Apple, à l’époque un fabricant d’ordinateurs relativement insignifiant, mais à présent un géant technologique mondial dans différents marchés de l’électronique qui étend ses activités aux vêtements et accessoires connectés, par exemple les montres. Rares sont ceux qui avaient entendu parler de Google en 2000 : fondée en 1998, la société n’avait pas encore établi sa position dominante sur le marché, tandis que Facebook n’avait même pas été lancé. Ces trois sociétés génèrent désormais des milliards de dollars de bénéfices dans le secteur privé américain. Dans un même temps, Microsoft et Intel, deux des poids lourds de l’indice en 2000, sont toujours dans la course et Microsoft est une action très séduisante pour les investisseurs orientés dividende. La technologie a cessé d’être un secteur de croissance risqué, au sein duquel certaines entreprises ne généraient aucun profit, pour devenir un secteur beaucoup plus mûr, fondé sur l’innovation continue, dans lequel les investisseurs peuvent aussi trouver de splendides sources de dividendes.

Par conséquent, lorsque le Nasdaq atteindra son nouveau sommet, comme il le fera inévitablement, il n’y aura pas lieu de s’alarmer : c’est la nature même des marchés boursiers. Les investisseurs las de la bataille ont peut-être oublié la sensation produite par les périodes de hausse, à cause de l’ombre persistante jetée par ces deux marchés baissiers. Pourtant, un tel scepticisme est en réalité favorable à la durée du redressement actuel, car les marchés haussiers sont alimentés par le scepticisme mais expirent pour cause d’euphorie. Un examen de ce marché haussier américain de long terme ramené dans une perspective historique peut fournir aux investisseurs un contexte utile. Commençant en mars 2009, il dure maintenant depuis 60 mois mais reste pour le moment inférieur à la moyenne des marchés haussiers américains d’après-guerre, trois d’entre eux ayant duré plus de 150 mois.

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