Nous aimons tous les gagnants. Une action gagnante, un match gagné, une victoire contre toute attente. Dans pratiquement tous les aspects de la vie, les histoires à succès ont un écho considérable. Et cela est relayé par les médias, qui commentent les succès avec force détails pour un public qui ne demande rien d’autre. Dans le sport, ce sont ceux qui marquent des points qui sont applaudis, les défenseurs restant davantage au second plan, bien que jouant un rôle tout aussi important dans les résultats.
On pourrait faire la même distinction dans l’investissement – la palette des opportunités offensives occultant souvent la discussion sur la défense du portefeuille. En termes de catégories d’actifs, cela peut conduire à une plus forte concentration sur les actifs risqués susceptibles de générer de meilleurs rendements, tels que les actions et l’immobilier, au détriment des actifs défensifs tels que les obligations et les liquidités, qui peuvent aider à protéger le capital et faciliter le trajet de l’investissement.
Notre préjugé naturel à l’égard des histoires à succès est encore plus grand lorsqu’il s’agit des stratégies à adopter dans les catégories d’actifs. La plupart des investisseurs se tournent massivement vers la recherche des gagneurs – achetant des titres dont ils attendent de grandes performances. Il est cependant tout aussi important pour un portefeuille d’éviter les véritables ratés, qui peuvent sérieusement freiner les rendements. Mais il reste très rare d’entendre un investisseur vous demander ce qu’il doit éviter. Et encore plus rare d’entendre quelqu’un vous conseiller sur des actions à éviter. L’action que vous aviez décidé d’éviter et qui perd la moitié de sa valeur n’est pas un exemple aussi intéressant à donner que celle que vous aviez achetée et dont la valeur a doublé.
Néanmoins, éviter les perdants peut avoir un effet extrêmement bénéfique sur le rendement de votre portefeuille. L’arithmétique des pertes peut être brutale si vous avez besoin de combler un déficit partant d’un capital initial plus faible, car cela oblige à rehausser le taux de rendement minimum requis sur toutes les autres actions de votre portefeuille. Lorsque les niveaux de perte sont moins importants, la plus-value requise pour récupérer la mise est relativement similaire. Si vous perdez 10 % sur 100, un gain de 11 % sur 90 suffit pour retrouver l’équilibre. Mais si les pertes sont plus importantes, l’écart se creuse. Un portefeuille accusant une perte de sa valeur de 20 % doit ensuite regagner 25 % pour retrouver son niveau initial. Et un portefeuille dont la valeur chute de 33 % – comme ce fut le cas pour de nombreux indices boursiers en 2008 – doit regagner 50 % pour compenser cette perte.
L’implacable arithmétique des pertes
Perte (%) | Gain (%) requis pour retrouver l’équilibre |
10% | 11% |
15% | 18% |
20% | 25% |
25% | 33% |
30% | 43% |
40% | 67% |
50% | 100% |
60% | 150% |
70% | 233% |
80% | 400% |
90% | 900% |
Au vu de cette cruelle arithmétique, de nombreux investisseurs, dont Warren Buffet, estiment qu’une approche de l’investissement consistant entre autres à éviter les pertes constitue une base solide pour de bons rendements sur le long terme. La première règle appliquée par Buffet en matière d’investissement, et qui contribue à sa réputation, est de ne pas perdre d’argent ; la seconde est de ne jamais oublier la première.
Lorsqu’une entreprise émet un avertissement sur les résultats, la chute du prix de son action peut sérieusement altérer les rendements. En effet, le principe consistant à éviter les entreprises mal gérées – ou les entreprises bien gérées mais dont les perspectives de croissance structurelle s’affaiblissent – est l’un des arguments intuitifs les plus forts plaidant en faveur d’une approche différenciée des placements en actions. Alors qu’il peut être très compliqué de trouver tous les titres gagnants dans la masse, il peut être beaucoup plus simple et efficace d’éviter ceux qui sont manifestement en train de chuter.
Au cours du premier trimestre de cette année, 26 faillites ont été prononcées parmi les sociétés cotées en bourse aux États-Unis, un record depuis 2010. Et il ne s’agissait pas que de sociétés plus modestes : six d’entre elles faisaient état de plus d’un demi-milliard de dollars d’actifs. Beaucoup de ces faillites ont eu lieu dans le secteur lié aux matières premières – exemple parfait de chute inévitable sur les cinq dernières années. Tandis que seules les plus faibles sombrent, même les sociétés plus performantes voient le cours de leurs actions chuter lorsque les perspectives deviennent négatives – comme ce fut le cas dans les matières premières.
Certains commentateurs ont qualifié de « marché baissier tacite » la destruction des actions à laquelle on a assisté sur les marchés boursiers ces cinq dernières années dans le secteur des matières premières. Ce mouvement n’a été masqué que par les bonnes performances dans les secteurs de la technologie, des soins de santé, des médias et des biens de consommation, responsables de la hausse générale des marchés.
Notamment, beaucoup de gestionnaires d’actions dynamiques ont conservé leur sous-pondération en titres liés aux matières premières en raison de la faiblesse générale de la demande, des craintes d’offre excédentaire et du ralentissement évident de la croissance économique chinoise. Détail ironique, la forte croissance des années antérieures (2003-2007) avait provoqué une croissance de cette précieuse ressource et les actions y étant liées représentaient une part importante des indices boursiers. Les investisseurs ayant opté pour des fonds lourdement indexés sur les matières premières en font maintenant les frais. Par exemple, le Brésil, riche en ressources, représentait 15 % de l’indice des marchés émergents MSCI en 2010, pourcentage désormais inférieur à 6 %. Le producteur brésilien de minerai de fer Vale (qui représentait plus de 8 % de l’indice MSCI Brésil mais dont la part est aujourd’hui réduite à 3 %) conduit la descente aux enfers des actions matières premières (voir le tableau).
Vale était une action à éviter avec le ralentissement de la croissance en Chine
Ceux qui investissent dans des fonds indexés doivent en accepter les bons et les mauvais côtés. Vous êtes alors exposé tant à la toxicité des sociétés mal gérées qu’à la croissance des sociétés novatrices. Vous investissez dans les novateurs mais aussi dans les laissés pour compte. Au sens figuré, vous êtes exposé aux Apple de ce monde mais aussi aux HMV (les magasins de musique placés en redressement judiciaire en 2013) ; vous avez Netflix mais aussi Blockbuster (la chaîne de location de vidéos qui fit faillite en 2010).
Les bouleversements techniques novateurs et l’évolution des goûts du grand public forcent les entreprises, et donc les indices du marché, à évoluer en permanence. C’est cette évolution qui offre aux investisseurs actifs tournés vers la recherche l’opportunité de battre les indices boursiers dont la composition est par définition toujours le reflet des succès du passé. Sur le long terme, la part du secteur du gaz et du pétrole dans les indices boursiers du monde a vocation à se réduire avec l’érosion de notre dépendance à l’égard des énergies fossiles et la chute inexorable des coûts de l’énergie renouvelable. Par ailleurs, le secteur de la santé offre des perspectives structurelles positives avec l’allongement de l’espérance de vie au niveau planétaire et l’augmentation des dépenses sanitaires dans les pays en développement. Les soins de santé prendront sans aucun doute une part plus importante dans les indices boursiers du monde au cours des dix prochaines années et les investisseurs adoptant une approche différenciée peuvent structurer leurs portefeuilles de sorte à exploiter ces tendances.
Les comportements en matière de consommation de musique ont changé du tout au tout, passant du support physique au fichier numérique, ce qui a posé un problème aux entreprises fortement orientés vers la consommation ou la lecture de supports de musique physiques tels que le fabricant de systèmes stéréo haut de gamme Bang & Olufsen. Un autre exemple de perdant prévisible et évitable.
Changement dans la consommation de musique – éviter les entreprises exposées à la musique physique
L’arithmétique des pertes est déjà difficile mais il est encore plus difficile de se débarrasser des perdants lorsqu’ils sont déjà dans le portefeuille. Si vous détenez déjà une action dont le cours a commencé à s’effondrer, le biais comportemental peut aggraver la situation. Le biais de l’aversion aux pertes signifie que l’impact des pertes est d’un point de vue émotionnel plus fort que celui des plus-values. Et cela est douloureux. Mais pire encore, s’il est combiné à l’effet de dotation – un attachement émotionnel à ce que nous possédons déjà – il peut déboucher sur une réticence à vendre des titres à perte.
Dans une expérience connue qui a permis de démontrer l’effet de dotation – tiré d’une étude de Daniel Kahneman et Richard Thaler – une tasse a été remise aux participants et l’occasion leur a été offerte de l’échanger contre un autre objet de même valeur, en l’occurrence un stylo. Les chercheurs ont constaté qu’une fois la propriété de la tasse établie, les participants exigeaient de cette tasse un montant environ deux fois supérieur à celui qu’ils étaient prêts à payer pour le stylo.
Quelle est dès lors la signification de cette expérience pour ceux qui détenaient des actions Vale en 2010? Nous savons que nous pouvons être attachés à ce titre en raison de l’effet de dotation – l’action ayant réalisé pour nous de bonnes performances les années antérieures, ce qui signifie qu’elle peut avoir une grande force d’attraction sur notre système émotionnel numéro un. Notre appréciation de cette action peut être déconnectée de la réalité du marché. Cela est particulièrement dangereux si le scénario d’investissement change. Toutefois, en activant notre système rationnel et calculateur numéro deux, nous pouvons réévaluer la thèse depuis les principes de base. C’est en réalisant le travail de recherche requis à tous les niveaux (macro, secteur et action) et en procédant à une évaluation absolue et relative que nous pourrons établir le bien-fondé d’une vente réfléchie et profitable en évitant, ce qui est tout aussi important, les effets négatifs sur les futurs rendements du portefeuille.
Beaucoup d’investisseurs n’ont pas la présence d’esprit d’éviter ce genre d’actions, étant plus préoccupés par la recherche des gagnants. Toutefois, dans un monde en plein bouleversement où les perdants sont identifiables si l’on observe l’évolution de l’industrie et des tendances de la consommation, éviter ces perdants est au cœur d’une stratégie que les investisseurs ne peuvent pas se permettre d’ignorer.
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