
La théorie économique considère généralement qu’il n’est pas possible d’avoir un taux d’intérêt négatif. En effet, le taux d’intérêt est considéré comme la rémunération d’un capital prêté et il varie en fonction de différents facteurs : la durée, la qualité de l’emprunteur,… Pour certains économistes, il représente le prix de l’abstinence, c’est-à-dire le prix du renoncement à une consommation immédiate pour épargner. C’est, en somme, le prix du temps. Selon John Maynard Keynes, c’est le prix à payer à un prêteur pour qu’il accepte de renoncer à la liquidité.
Or, aujourd’hui, certains taux d’intérêts sont proches, égaux voire même inférieurs à zéro. Cela va à l’encontre de toute logique économique. « Les actuels rendements négatifs sont certainement une situation sans précédent dans la finance moderne et auront probablement des conséquences inédites sur les investissements », constate Vineer Bhansali, Portfolio Manager chez Pimco. Il est vrai que la situation paraît absurde : vous prêtez, par exemple, 100 € et n’en recevrez à maturité que 95.
Et ce n’est pas de la science-fiction ! A titre d’exemple, citons le cas d’une obligation de Nestlé dont le rendement a été négatif en février 2015. En fait, Nestlé a émis, à cette époque, un emprunt à court terme (échéance 2016) avec un coupon nominal de 0%. Ce prêt a été vendu aux investisseurs au-dessus de la valeur nominale et, de ce fait, un rendement négatif a été généré dès l’émission. Le seul espoir d’un rendement positif pour les investisseurs est que le cours des obligations monte alors que les rendements continuent encore à baisser. Avant l’échéance, ils peuvent dès lors vendre avec profit. Mais cette logique sera mise à l’épreuve en cas de hausse des taux.
Finalement, ces taux négatifs doivent plutôt être considérés comme un loyer, à l’instar de celui payé pour la location d’un coffre-fort dans une banque. On paye pour la sécurité, pour mettre son argent à l’abri. C’est aussi une forme d’assurance. « Avec une obligation à zéro coupon négatif, l’investisseur, comme pour l’acheteur d’une police d’assurance, accepte de payer une prime pour la protection, pour avoir avec certitude un capital diminué de l’intérêt négatif », estime Vineer Bhansali.
Ce gestionnaire prévoit que cette situation aura des implications tant sur les marchés obligataires que sur les marchés des changes, car le cours des devises dépend des taux d’intérêts offerts dans cette devise. Comment, dès lors, intégrer cet élément dans la mesure du risque d’un portefeuille en gestion ? Certains investisseurs avec une aversion au risque accepteront ce sacrifice qu’est un taux d’intérêt négatif car ils donneront la préférence à la perte aujourd’hui d’une somme certaine plutôt que de risquer de perdre davantage, demain, dans une autre forme de placement. Ils préfèreront, sans doute, cette forme «d’assurance ».
Si suffisamment d’investisseurs pensent de cette façon, les taux d’intérêt négatifs pourraient bien devenir un phénomène commun à long terme. « Les rendements négatifs dans la majorité des pays développés sont maintenant une réalité. C’est une autre conséquence des politiques expérimentales que les banques centrales utilisent pour tenter d’orienter l’économie mondiale vers une reprise durable. Dans un univers qui rend possibles de tels rendements négatifs, classer ces investissements au même titre que des polices d’assurance est une bonne première étape dans la construction de portefeuille », considère Vineer Bhansali.
John Maynard Keynes, où es-tu ? Elles semblent bien loin les théories économiques qu’on nous a enseignées.
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