Par Alain Schockert, Professeur invité à l’Université de Liège
Lorsqu’assis dans mon fauteuil, je regarde, en fin de soirée, à la télé les informations boursières du jour, le journaliste annonce, par exemple, que « sur le marché des OLO à 10 ans, la hausse est de 0,1% », je me demande de quoi on parle. Veut-il dire que le taux OLO à 10 ans, c’est-à-dire le taux des fonds d’Etat belge à 10 ans, a haussé de 0,1% ou veut-il dire que le cours des OLO à 10 ans, a haussé de 0,1%. Ce sont deux situations diamétralement opposées. Si le cours des OLO a monté, cela signifie que le taux a baissé. Et inversement, si le taux des OLO a monté, cela signifie que le cours de ceux-ci a baissé.
Tout épargnant, tout investisseur doit en permanence s’interroger sur l’évolution attendue des taux d’intérêt car ceux-ci ont un impact instantané sur la valeur des actifs financiers, en général, et sur celle des titres à revenu fixe, en particulier. Et tout investisseur averti sait qu’il y a lieu de distinguer le cycle financier du cycle économique. Alors que les indices boursiers dans le monde flirtent avec les sommets de l’Himalaya, l’activité économique évolue sur un mode mineur, même s’il est vrai que les Etats-Unis sont en phase de reprise économique, ce qui est loin d’être le cas en Europe.
L’Etat belge emprunte aujourd’hui à 10 ans à un taux inférieur à 1 %, soit un rendement net pour l’épargnant inférieur à 0,75 %.
Ce taux proche du plancher historique a pour corolaire, les sommets des cours des obligations. Cette situation suscite quelques réflexions :
La théorie macro-économique nous apprend que sur une longue période, le taux d’intérêt réel (c’est-à-dire hors inflation) dans le monde, est de l’ordre de 2%. Certains macro-économistes considèrent que ce taux réel est un peu plus faible. Mais quoi qu’il en soit, cela ne change rien au raisonnement.
En effet, dans le cas présent, le taux de l’OLO 10 ans laisse supposer que les marchés anticipent une déflation de l’ordre d’un pourcent l’an dans notre pays au cours des 10 prochaines années. Est-ce bien raisonnable de croire qu’au cours de la décennie à venir la déflation ambiante se poursuivra ? Certes, le plongeon actuel des prix du pétrole et, dans la foulée, des matières premières, porte les germes d’une baisse des prix à la consommation. Les investisseurs ont tendance à extrapoler le présent et à considérer que la déflation va se poursuivre.
Etant, par définition, dans un monde incertain, rien n’est moins sûr que le climat déflationniste actuel se poursuivra à l’avenir, à long terme.
Si l’inflation resurgit, elle mènera inéluctablement à une hausse des taux d’intérêt. Mais alors que deviendra l’obligation OLO ? Pour faciliter le raisonnement, imaginons qu’une hausse d’un pourcent des taux OLO à 10 ans soit instantanée, le taux passerait de 1 % à 2 %.
Modèle mathématique à l’appui, il s’ensuivrait une baisse de l’ordre de 9 % des cours des OLO 10 ans !
A l’opposé, l’emprunteur tiendra le raisonnement inverse.
De quoi s’interroger sur le moment de survenance de grandes turbulences sur les marchés obligataires.
Ceci n’empêche pas des investisseurs institutionnels de continuer à privilégier des placements obligataires de durée de plus en plus longue car la courbe des taux (« yield curve ») reste positive.
Certes, leur choix ne porte pas exclusivement sur le marché des fonds d’Etat (belges ou autres) mais aussi sur les emprunts émis par des sociétés (les « Corporate bonds »), sociétés qui continuent à se ruer sur le marché obligataire pour y placer leur emprunt à long terme. Dès que les taux se remettront à monter la source risque de se tarir. La question cruciale qui se pose est : quand ?
C’est ce qui conduit les investisseurs à redoubler, dès à présent, de vigilance vis-à-vis du marché obligataire et à préférer plus nettement le marché des actions dont le taux de rentabilité attendu de l’ordre de 10 % pour Euronext Brussels reste relativement très attrayant.
Enfin, la crise financière internationale de 2008 a appris aux investisseurs que ce qui était qualifié jusqu’alors de placements « sans risque », à savoir les fonds d’Etat, n’étaient, en réalité, pas toujours dépourvus de risque. On se souviendra des turbulences qui ont frappé les marchés des fonds d’Etat émis par les pays du Sud de l’Europe. Un moment chahuté par les marchés financiers, notre pays a rapidement suivi le sillage de l’Allemagne, des Pays-Bas …. pour se retrouver dans la classe des bons élèves.
Actuellement, l’avenir incertain de la Grèce dans la zone euro pourrait alimenter des inquiétudes qui ne laisseraient pas les marchés financiers indemnes. C’est ainsi qu’il importe aussi de souligner qu’une obligation d’Etat à long terme, en apparence sans risque, peut devenir un placement risqué. En cas de retour de l’inflation et même si les taux n’ont pas (encore) monté, le pouvoir d’achat au moment du remboursement aura été amputé. Si hausse des taux il y a, la valeur de revente de l’obligation avant l’échéance sera directement affectée, comme l’exemple cité ci-avant le démontre.
Pour conclure, je n’oublie pas la définition de la conjoncture par mon professeur de macroéconomie sur les bancs d’université : « Plus ça change, plus c’est la même chose ». D’où, gare à un retournement des taux d’intérêt !
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