L’une des façons d’aborder les plus-values boursières est de détecter les thèmes perturbateurs qui transformeront l’industrie et d’identifier ensuite les futurs bénéficiaires de cette transformation. Avec le recul, il est relativement aisé d’identifier ces thèmes. Prenez par exemple l’industrie de la musique et vous constaterez qu’elle a été régulièrement perturbée au fil du temps : le vinyle a remplacé la radio, la cassette a ensuite fait son entrée, rapidement détrônée par le CD et, plus récemment, par l’arrivée du numérique, avec la musique en ligne. Il est toutefois beaucoup plus compliqué de prévoir comment les choses évolueront demain.
Il existe en fait une série de biais comportementaux courants qui viennent mettre des bâtons dans les roues de ce type de réflexion latérale. Notre propension à nous ancrer dans nos habitudes et observer le statu quo nous prédispose à croire que le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui ne changera pas beaucoup à l’avenir. Lorsqu’il nous est demandé de regarder de l’avant, nous tombons involontairement dans le piège de la simple extrapolation de la situation dans le même sens.
Imaginez que l’on ait demandé en juillet 2014 aux investisseurs de prévoir le prix du baril de pétrole : ils auraient pour la plupart pronostiqué une baisse ou une hausse de tout au plus 10 % sur le cours de 110 $ de l’époque. Avec un prix de 60 $ en cette fin d’année, nous savons maintenant que très peu auraient eu raison. Toutefois, si nous leur demandions de faire de nouvelles prévisions, ce nouveau prix serait tout aussi profondément ancré dans les esprits et ils n’envisageraient de nouveau pas de hausse ou de baisse supérieure à 10 %. De telles règles générales sont des raccourcis utilisés pour les évaluations complexes en période d’incertitude. Il peut nous arriver d’avoir raison si nous avons de la chance, mais il est plus fréquent de nous tromper lorsque nous faisons appel à ces raccourcis.
Un autre biais comportemental qui empêche l’investisseur de détecter les thèmes perturbateurs est leur habitude de toujours sous-estimer les futurs profits. Une nouvelle technologie telle que l’impression 3D fait actuellement l’objet d’une large publicité et fait figure de nouveauté, mais les progrès successifs dévoilent progressivement un potentiel phénoménal. Les applications s’étendent déjà à la production industrielle et pharmaceutique. Certains experts prédisent même que l’on pourrait imprimer des organes humains en 3D d’ici 10 à 15 ans. D’autres innovations révolutionnaires peuvent être « cachées », bien qu’à la vue de tous, sans que nous puissions évaluer toute l’ampleur de leur impact. Le partage de fichiers en ligne ajoute un peu de confort aux individus mais a un impact négatif considérable sur l’industrie des médias et Uber nous permet d’économiser un peu d’argent, mais au détriment du modèle établi des services de taxi.
Le biais du statu quo affecte également les entreprises et contribue en fait à semer les germes de la destruction créatrice au sein de la profession, les nouveaux pionniers faisant concurrence aux entreprises établies avec de nouveaux produits et de nouvelles façons d’aborder les activités. La « destruction créatrice » est un concept économique analysé pour la première fois par l’économiste Joseph Schumpeter. Il la définissait comme « la mutation industrielle qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement les éléments neufs pour en créer de nouveaux ».
Tout le monde a entendu parler de Boeing, General Motors et Procter and Gamble. Ces entreprises sont anciennes et figuraient déjà au classement US Fortune 500 en 1955. Ce qui est moins ordinaire, c’est qu’elles sont toujours dans cette liste en 2014, aux côtés de nouvelles entreprises telles que Facebook, Google et Target. Combien d’investisseurs auront-ils encore en mémoire American Motors, Studebaker, Collins Radio ou Detroit Steel ? Ils faisaient également partie du palmarès Fortune 500 en 1955, mais plus aujourd’hui. Il ne reste en fait en 2014 plus que 61 entreprises qui figuraient déjà au classement Fortune 500 en 1955. Presque 88 % des entreprises de 1955 ont fait faillite, ont fusionné ou sont sorties de la liste des entreprises Fortune 500. La principale raison en est la destruction créatrice et l’évolution constante du secteur privé.
Ces changements survenant dans le secteur privé sont un signe de santé, confirmant que l’économie de marché se caractérise par l’innovation. C’est également une bonne raison pour préférer les fonds communs d’actions à la constitution d’un portefeuille à partir de quelques actions individuelles. L’impact d’une faillite est douloureux dans ce dernier portefeuille mais ne présente qu’un inconvénient marginal dans un fonds commun qui sait répartir les risques sur une grande diversité d’actions. Les fonds communs d’actions peuvent négocier pour refléter continuellement les changements qui surviennent dans le secteur privé. Les thèmes perturbateurs qui provoquent la destruction créatrice offrent d’intéressantes opportunités d’investissement, les entreprises novatrices ayant tendance à bénéficier d’une croissance rapide.
Il reste toutefois difficile d’identifier les investissements porteurs de la meilleure croissance alors que tout le monde sur le marché cherche à faire de même. Les entreprises dont les perspectives de croissance sont bien établies ont souvent tendance à être évaluées en conséquence. Mais l’achat de ces titres peut toujours être une bonne affaire. Beaucoup d’investisseurs trouvaient l’action Apple chère tout au long des quinze dernières années mais la croissance de l’entreprise et sa capacité à dépasser toutes les attentes du marché grâce à une innovation permanente ont joliment récompensé la plupart des actionnaires.
La clé du succès consiste à anticiper sur ce qui n’a pas de prix, sur la façon dont l’évolution des thèmes perturbateurs va transformer l’industrie et offrir des perspectives de croissance attractives aux entreprises, nouvelles ou établies, capables d’adapter leur modèle d’activité. Certains secteurs connaissent des niveaux beaucoup plus élevés de destruction créatrice que d’autres et le monde technologique est probablement le meilleur exemple de secteur où la perturbation se fait le plus sentir. Le tableau qui suit montre le nombre d’entreprises entrant et sortant du secteur S&P Telecom and Information Technology au cours des 24 dernières années. Au début de cette période, l’Internet n’en était qu’à ses balbutiements et les changements furent considérables durant les années qui suivirent. Google est aujourd’hui l’une des 5 plus grandes entreprises des États-Unis en termes de capitalisation boursière, bien que sa constitution ne date que de 1998 et son entrée en bourse de 2004.
Destruction créatrice dans le secteur technologique
Source : Datastream, novembre 2014.
Les analystes de Fidelity cherchent sans cesse à identifier les thèmes perturbateurs qui auront un impact sur les entreprises qu’ils examinent dans leurs secteurs d’activité ; l’un des thèmes dont les analystes sont convaincus du potentiel perturbateur est le phénomène connu sous le nom d’« Internet des objets », dont l’évolution est très rapide. Si l’on regarde en arrière, on constate que l’informatique est passée par diverses phases identifiables, de l’ordinateur central au PC, à l’Internet et plus récemment à l’informatique mobile. L’Internet des objets pourrait bien être dans ce domaine la prochaine révolution copernicienne, avec d’innombrables appareils connectés dans l’industrie, à la maison, dans l’agriculture, les soins de santé, les sports et les loisirs. Qu’il s’agisse de chaînes de production intelligentes dans les usines, capables d’assurer leur propre optimisation et maintenance, d’appareils portables surveillants nos signes vitaux, d’automobiles qui se conduisent seules et évitent les collisions ou tout simplement de la possibilité de régler votre chauffage central depuis votre smartphone, le monde est manifestement de plus en plus connecté, avec toutes les implications que cela peut avoir pour les modèles économiques de nombreuses entreprises traditionnelles.
Comment les investisseurs peuvent-ils entrevoir quelle sera l’évolution de ce phénomène ? Les opinions de nos propres analystes sont basées sur l’analyse de la façon dont la valeur accordée à l’innovation passe des fabricants de matériel aux créateurs de logiciels utilisés dans les divers secteurs professionnels. Durant la phase de généralisation du PC, la valeur est passée des fabricants tels qu’IBM, Dell et HP aux fournisseurs et créateurs de logiciels tels que Microsoft et aux moteurs de recherche tels que Google. De plus, les vagues successives dans l’évolution de l’informatique ont eu, en gros, un effet multiplicateur de l’ordre de 10 ; la vague du PC fut responsable de plus de cent mille appareils, l’Internet de bureau d’un milliard d’appareils et l’Internet mobile concernera 10 milliards d’appareils. Chaque phase a des répercussions en cascade qui créent des « tsunamis » dans l’économie, avec un impact sur le travail et le comportement des consommateurs et tout laisse penser que l’impact de l’Internet des objets sera phénoménal.
Dans le cadre de cette migration des valeurs, l’analyse de la chaîne des valeurs indique un passage rapide de l’industrie de l’électronique à des bénéficiaires dans d’autres secteurs, à savoir les entreprises capables de maîtriser ces techniques pour améliorer leurs activités, se connecter avec les consommateurs et élargir leurs parts de marché. L’investissement dans les révolutions coperniciennes peut être porteur de valeur réelle si les investisseurs arrivent à faire abstraction de leurs biais comportementaux.
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