Une reprise poussive à plein régime : les raisons d’une croissance mondiale toujours hésitante ?

William hand high-rPar William De Vijlder, Directeur de la recherche économique BNP Paribas

J’ai récemment assisté à un événement automobile organisé sur un week-end près de mon domicile, qui mettait à l’honneur les voitures rapides. Je ne m’attarderai pas sur la question de savoir s’il est ou non raisonnable de piloter un engin capable d’atteindre la vitesse limite autorisée une fois la seconde enclenchée (que fait-on dans ces conditions des cinq ou six autres rapports ?), mais, en tant qu’économiste, cela m’a amené à m’interroger.

Ces véhicules représentent-ils une bonne réserve de valeur (certains d’entre eux, qui sont désormais de collection, l’ont certainement été) ? Est-ce une bonne chose pour l’économie (les frais d’entretien étant élevés, la détention d’un de ces bolides soutient en effet les dépenses de consommation) ou une mauvaise (ce sont tous des véhicules importés, voraces en carburant également importé) ? Ce qui m’a fait surtout réfléchir c’est la puissance et l’instantanéité de la réaction dès qu’on appuie sur l’accélérateur. Faisant un parallèle avec les banques centrales et l’impact de leur politique sur l’économie mondiale, j’en conclus rapidement que le pilotage de l’économie n’a rien de commun avec celui d’une voiture de sport : malgré les efforts des banquiers centraux à la barre (et sur la pédale de l’accélérateur), l’économie mondiale n’a pas la reprise attendue.

Il y a, selon nous, plusieurs explications possibles. La première est l’existence de forces contradictoires : aux importantes baisses des taux censées stimuler l’activité s’opposent en effet de puissants facteurs défavorables comme le désendettement forcé des banques et l’austérité budgétaire. La deuxième tient à la persistance des incertitudes : la crise financière mondiale a eu un tel impact que les ménages et les entreprises, comme plongés dans un état de stress post-traumatique, craignent que le moindre choc ne fasse basculer de nouveau l’économie dans la récession. Malgré l’amélioration de l’environnement, la violence et la gravité de la récession sont si présentes dans les mémoires qu’elles continuent d’influencer la confiance et les comportements d’aujourd’hui. La troisième raison est l’accès au financement : une récession, suivie d’une reprise timide, implique inévitablement une hausse des créances douteuses et, partant, une plus grande frilosité des banques en matière de crédit, même si la situation s’est désormais améliorée. Le court-termisme des entreprises, quatrième facteur, joue peut-être aussi un rôle en incitant ces dernières à préférer les rachats d’actions aux investissements industriels. Enfin, cinquième et dernière explication : la diversité des ménages. Il y a de nombreuses années, les manuels de macro-économie ont introduit la notion de ménage représentatif, qui permettait de tirer des conclusions macro-économiques d’une analyse micro-économique (maximisation de l’utilité) en partant de l’hypothèse que tous les ménages agissaient de la même manière. Or, ce concept n’est plus valable aujourd’hui (si tant est qu’il le fut un jour). Les ménages très endettés vont en effet commencer par rembourser leur dette avant de profiter de la baisse des taux pour souscrire de nouveaux emprunts. Ceux dont l’actif net est positif mais insuffisant (par rapport à l’objectif qu’ils s’étaient fixés pour leur départ à la retraite) sont déçus par la faiblesse de la rémunération des dépôts bancaires et des rendements des obligations d’Etat, qui ralentit sensiblement la constitution du capital. Aussi vont-ils, dans un souci de planification de leur retraite, dépenser moins et accroître leur épargne aujourd’hui pour atteindre, demain, leur objectif de patrimoine. Enfin, viennent les ménages qui détiennent d’importants actifs financiers. Ce sont les plus chanceux. Leur patrimoine est suffisamment élevé pour leur permettre de vivre confortablement jusqu’à la fin de leurs jours. Dans ce cas, la baisse des taux n’est pas un problème et ils profiteront même des opportunités ainsi créées pour investir, par exemple, dans les actions, ce dont les marchés financiers ne peuvent que se féliciter. Mais vont-ils pour autant consommer davantage ? Combien de bolides peut-on conduire ? Ces ménages sont, par ailleurs, une minorité (par le nombre).

Nous pouvons dire, en conclusion, que pour prévoir l’impact de la politique monétaire, une approche plus fine s’impose : il n’existe pas de ménage « représentatif » ni d’entreprise « représentative » ; les situations individuelles et les réactions de chacun peuvent être très différentes selon le cas. Il s’ensuit, dans le contexte actuel, que la base est par trop limitée pour que les incitations monétaires mises en place aient un impact notable ; c’est ce qui explique la lenteur et l’atonie de la réaction. Au lieu d’une voiture de sport (5 litres), c’est comme si vous étiez au volant d’un diesel 1200cc : un engin poussif et bruyant à pleins gaz.

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