Quelle politique monétaire pour la zone euro?

Euro_ECBPar J.P. Morgan AM

Début juin tous les projecteurs seront à nouveau braqués sur la BCE car tant les derniers indicateurs macroéconomiques publiés pour la zone euro que les commentaires récents de plusieurs de ses dirigeants ont alimenté les spéculations quant une nouvelle intervention de la BCE. Si l’économie de la zone euro va mieux, elle demeure néanmoins fragile, comme l’illustre la croissance plus faible qu’attendue au premier trimestre 2014, et gangrénée par une déflation rampante puisque l’inflation s’est établie a 0,7% au mois d’avril, soit bien loin de l’objectif de 2% poursuivi par la BCE.

Si des éléments temporaires expliquent partiellement cette faiblesse, à l’instar de la baisse des prix de l’énergie favorisée notamment par la force de l’euro, des éléments plus fondamentaux en sont également responsables. L’Europe connait en effet un taux de chômage record de 12% et si l’on tient compte des travailleurs à temps partiels souhaitant travailler davantage ou de ceux qui, par découragement, ont cessé de rechercher un emploi, c’est en réalité près de 20% de la population active qui souffre du manque de travail. L’inadéquation entre offre et demande de travail empêche toute inflation salariale et conduit à une détérioration des packages salariaux pour les  nouveaux entrants sur le marché du travail. Si l’Europe n’est pas encore techniquement dans une situation de déflation économique, elle fait malheureusement déjà face à une « déflation sociale » puisqu’avec un chômage des jeunes supérieur à 25% et des contrats de travail au rabais pour les plus chanceux, c’est presque toute une génération qui est sacrifiée sur l’autel de l’austérité.

Il est difficile pour la BCE d’enrayer cette dynamique car son mandat lui empêche d’envisager un programme de « quantitative easing » similaire à celui lancé au États-Unis et qui semble aujourd’hui être le meilleur outil monétaire pour lutter contre la déflation. Malgré ces contraintes, la BCE a jusqu’ici brillamment su exploiter les outils conventionnels à sa disposition mais ceux-ci commencent à montrer leur limites. En effet, la dernière baisse de son taux de refinancement en novembre 2013 n’a pas produit les effets escomptés puisqu’elle a été suivie d’une remontée d’EONIA. Ceci s’explique par le fait que les liquidités excédentaires dans le système financier ont fortement diminué car les banques européennes ont préféré accélérer le remboursement de l’argent qu’elles avaient emprunté dans le cadre des LTRO plutôt que de financer l’économie.

La croissance du crédit bancaire demeure ainsi négative en Europe alors que l’embellie conjoncturelle mondiale induit pourtant une plus grande demande de crédit de la part des entreprises. Certaines voix s’élèvent dès lors pour activer un autre levier monétaire, un taux de dépôt négatif, pour contraindre les banques à ouvrir les robinets du crédit. Vouloir pénaliser les banques parce qu’elles ne prêtent pas assez serait toutefois paradoxal à l’heure où la BCE procède à l’analyse de leur bilan dans le cadre de l’ « asset quality review ». En outre cette mesure  serait contreproductive puisqu’au lieu d’irriguer l’économie réelle avec de l’argent frais elle contribuerait à l’assèchement des marchés monétaires. En effet depuis que la BCE a abaissé son taux de dépôt à 0% en juillet 2012, les fonds monétaires européens ont vu leur encours fondre de plus 20% ce qui prive déjà l’économie réelle de plusieurs centaines de milliards d’euros. Un taux de dépôt négatif signerait l’arrêt de mort des fonds monétaires qui représentent encore près de 13% de l’agrégat monétaire M3 que la BCE aimerait pourtant voir croitre davantage.

L’une des mesures les plus efficace pour stimuler l’économie réelle consisterait à soutenir les petites et moyennes entreprises qui représentent près de 2/3 des emplois en Europe et pourraient en créer davantage si elles bénéficiaient de conditions de financement plus favorables et d’une monnaie plus compétitive. Pour ce faire, la BCE pourrait s’inspirer de l’approche de la Fed qui est parvenue avec succès à soutenir de manière ciblée le marché immobilier américain en rachetant chaque mois pour 40 milliards de titres adossés a des prêts hypothécaires (MBS). Il entrerait en effet tout à fait dans le mandat de la BCE de restaurer la transmission de sa politique monétaire en lançant un programme d’achats ciblé d’ABS,  avec des prêts de PME comme sous-jacent. Ceci permettrait de ressusciter le marché des ABS en Europe, qui s’est dégonflé de près 65% depuis 2007 et ainsi de relancer le crédit puisque les institutions financières seraient plus disposées à financer les PME si elles ont l’assurance qu’elles pourront sortir partiellement ces prêts de leur bilan sous une forme « titrisée ».

Si la BCE peut donner une impulsion à court terme, ce n’est pas son rôle d’intervenir à long terme sur le marché des ABS et il faut impérativement que les fonds de pensions et les assureurs puissent prendre le relais. La Commission Européenne en est consciente et pourrait assouplir des législations telles que Solvency 2 afin de leur permettre d’investir plus aisément dans des ABS de bonne qualité.

Si cette mesure devrait se révéler efficace pour améliorer la transmission de la politique monétaire, elle n’aurait en revanche qu’un impact limité sur l’autre problème majeur auquel est confrontée la zone Euro, à savoir la surévaluation de sa monnaie. L’implémentation d’un taux de dépôt négatif, comme l’a fait avec succès le Danemark en juillet 2012,  se révélerait utile pour déprécier l’euro mais ce serait une victoire à la Pyrrhus puisque cela déstabiliserait les marchés monétaires. L’autre solution pour faire baisser l’euro constituerait à augmenter la base monétaire mais pour ce faire il faudrait que la BCE se lance dans un large programme d’assouplissement quantitatif et cette idée est loin de faire consensus au sein de l’union car la BCE outrepasserait ainsi son mandat en finançant directement des États membres qui, par ailleurs, n’ont plus besoin de soutien puisque leurs coûts de financement ont récemment atteint des plus bas historiques. Face à cette situation inextricable, une solution pour le moins originale, proposée par l’économiste américain Jeffrey Frankel, est actuellement débattue dans les cercles financiers et pourrait peut-être fédérer davantage de parties. Ce professeur de la Harvard Kennedy School propose en effet d’augmenter la base monétaire en zone euro, non pas en achetant des actifs libellés en euro mais en investissant massivement dans des actifs libellés en dollars à l’instar des bons du trésor américain. Cette opération entre dans le mandat de la BCE puisqu’il s’agit de veiller à la stabilité des prix en intervenant sur les marchés de changes, ce que toutes les banques centrales font et que la BCE a peu fait depuis sa création. Cette opération serait idéale pour faire baisser l’euro par rapport au dollar mais naturellement, cette solution, comme les autres, devrait se heurter à nombre de barrières politiques. Toutefois, l’euro fort étant un problème qui affecte tant la périphérie de l’Europe que son cœur, on pourrait dès lors espérer un large soutien européen à toute mesure permettant de renforcer la compétitivité de l’euro. De l’autre côté de l’Atlantique, les responsables américains pourraient  quant a eux se montrer aussi compréhensifs que lorsque que la Banque Centrale du Japon  a procédé a une dévaluation compétitive du yen en 2013 et ce d’autant plus que la Fed réduit ses achats de bons du trésor mais souhaite éviter toute envolée des taux US, ce en quoi la BCE pourrait lui être utile.

Quel que soit le scenario retenu, la BCE n’a plus une seconde à perdre car la mise en œuvre de ce type de mesures prend du temps et que chaque jour qui passe nous rapproche de l’abîme de la déflation! Aujourd’hui, la BCE doit prendre le risque d’en faire trop pour soutenir l’économie plutôt que trop peu si elle ne veut pas, comme la Banque centrale du Japon, être hantée par le fait d’avoir sous-estimé le risque de déflation et d’avoir fait trop peu trop tard.

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