Le recours à l’assouplissement quantitatif (AQ) par la Banque centrale européenne (BCE) figure en tête de la liste de Noël des investisseurs européens. Nombre d’entre eux estiment que le ton conciliant de Mario Draghi signifie que la BCE est sur le point de mettre en place un véritable programme d’achats d’obligations souveraines et selon eux, la question n’est plus de savoir si elle franchira le pas, mais quand. Ce scenario est quelque peu prématuré mais, s’il se concrétise en 2015, il convient de réfléchir aux conséquences concrètes d’un tel programme.
Aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’AQ avait pour objectif de faire baisser les taux d’intérêt tout le long de la courbe des taux. En Europe, les taux à 10 ans souverains sont déjà tombés à des plus bas historiques de 0,8 % en Allemagne, 1,2 % en France et 2,1 % en Espagne et en Italie et on voit dès lors mal l’intérêt d’acheter de la dette souveraine. Les obstacles politiques seraient considérables et, pour les surmonter, Mario Draghi risque de gaspiller de l’énergie pour une récompense somme toute limitée. Par ailleurs, si les entreprises américaines et britanniques dépendent à, respectivement, 88 % et 57 % des marchés de capitaux pour satisfaire leurs besoins de financement, les entreprises européennes dépendent encore à 66% du crédit bancaire (graphique 1).
Graphique 1
Par conséquent, il est nettement plus logique de viser ce canal pour faciliter la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle. C’est précisément ce que la BCE essaie de faire avec ses opérations ciblées de refinancement à plus long terme (TLTRO) et ses achats d’obligations sécurisées et de titres adossés à des actifs (ABS). En outre, une contrainte majeure qui pesait sur le crédit bancaire a été levée avec la fin de la revue de la qualité des actifs (AQR) et des tests de résistance des principales banques européennes.
Les premiers résultats sont encourageants puisque la dernière enquête de la BCE sur les conditions d’octroi de crédit bancaire a mis en évidence une amélioration généralisée, tout comme les chiffres dévoilés récemment par la Banque d’Espagne, qui font état d’une diminution en glissement annuel des créances douteuses au sein des banques espagnoles, une première depuis 2005. De nombreuses banques sont désormais libérées du poids de l’examen de la qualité de leurs actifs et il est fort probable qu’elles rouvrent enfin le robinet du crédit, ce qui devrait avoir des répercussions positives sur leur rentabilité.
Si l’amélioration de l’environnement de crédit constitue incontestablement l’ingrédient déterminant de la relance de la croissance dans la zone euro, on peut se demander pourquoi la perspective d’un plan d’assouplissement quantitatif à l’américaine agite autant les investisseurs.
Au rayon des idées reçues, passons en revue d’autres impressions des marchés à l’égard de l’Europe. Le spectre d’un éclatement de la zone euro a resurgi face à l’érosion du soutien des électeurs aux partis centristes et à la montée des velléités sécessionnistes (en Espagne et en Italie) et des partis contestataires tels que le Front national, Syriza et Podemos. Ce phénomène ne se limite pas à l’Europe continentale : on observe des tendances similaires au Royaume-Uni avec la désaffection à l’égard du Parti travailliste et des libéraux-démocrates au profit du Parti national écossais (SNP) et du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Néanmoins, ces partis n’ont pas réussi à constituer un groupe parlementaire homogène à Strasbourg, ce qui limitera leur capacité à mettre des bâtons dans les roues de la Commission Européenne.
Il faut également se souvenir que les pays de la périphérie ont assaini leurs finances publiques après des décennies de laisser-aller : à présent, ils dégagent tous un excédent budgétaire primaire (hors service de la dette) – à l’exception de l’Espagne – et un excédent de la balance courante.
Autre source d’anxiété largement partagée par les investisseurs au sujet de la zone euro : la stagnation des bénéfices des entreprises mais, là encore, la perception ne reflète pas la réalité récente. Au second trimestre, les bénéfices des sociétés européennes sont ressortis en hausse de 9% sur un an. La progression des bénéfices s’est accélérée au troisième trimestre : +15 %, soit un taux plus élevé que celui observé aux États-Unis. La tendance devrait se poursuivre en 2015 et en 2016, notamment grâce au rebond des bénéfices des valeurs financières. La récente dépréciation de l’euro continuera de soutenir les entreprises européennes pendant un certain temps car ces dernières réalisent 45 % de leur chiffre d’affaires en dehors de l’Europe.
L’absence préoccupante de réformes structurelles constitue une autre source de lamentations constantes quant aux perspectives de l’Europe. Il ne faut cependant pas oublier que les mesures déjà prises ont permis de resserrer le solde budgétaire primaire de la zone euro de 2,3% du PIB depuis 2011. A titre de comparaison, la consolidation réalisée par le Royaume-Uni est de 0,9%. Voilà qui contredit l’impression d’un manque de réformes significatives.
Évidemment, certains pays doivent faire beaucoup plus. En Italie, par exemple, le Premier ministre Matteo Renzi a soumis au Parlement une réforme du droit du travail, aujourd’hui trop rigide, avant de s’attaquer à la réforme électorale. En France, le gouvernement a baissé les charges sociales qui pèsent sur les entreprises en échange de créations d’emplois. La Belgique et les Pays-Bas ont également procédé à des réformes visant à renforcer la compétitivité de leur marché de l’emploi. L’Allemagne est exhortée à ouvrir son secteur des services à la concurrence mais les progrès qui restent à réaliser ne doivent pas occulter ceux qui ont déjà été accomplis.
En parallèle, l’union bancaire, qui a vu la BCE assumer le rôle de principale autorité de réglementation du secteur bancaire, constitue un changement très important. Dans le cadre de cette révolution bancaire, nous avons assisté à un vaste mouvement de concentration des banques publiques en Allemagne et en Espagne et la plupart des banques publiques espagnoles ont été privatisées. Par ailleurs, l’Irlande, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et la France ont toutes mené des réformes significatives de leurs régimes de retraite.
Tandis que les pays membres continuent de se concentrer sur les réformes structurelles et la réduction de leur déficit budgétaire pour rentrer dans les clous du pacte de stabilité et de croissance, la Commission européenne va désormais s’appuyer sur la Banque européenne d’investissement pour stimuler la demande en Europe en augmentant les investissements dans les infrastructures, auxquels elles prévoit de consacrer 300 milliards d’euros dans les trois prochaines années. Connaissant l’effet multiplicateur des dépenses d’infrastructure sur le PIB, cette initiative soutiendra sans aucun doute l’activité dans la zone euro dans les années à venir. L’avenir de la zone euro s’annonce plus radieux qu’il ne l’est aujourd’hui et les marchés, qui ont une nature prospective, devraient s’en rendre pleinement compte. En outre, les marchés actions européens ne sont pas chers : en effet, le ratio cours/bénéfices prévisionnels de l’indice MSCI Europe ex UK s’établissait à 14 à la fin octobre, soit très légèrement au-dessus de sa moyenne des quinze dernières années (13,9). Si les cours sont conformes aux moyennes historiques, les fondamentaux sont meilleurs en revanche: le ratio d’endettement total des entreprises de l’indice MSCI Europe, qui était en moyenne de 256 % ces vingt dernières années, se situe aujourd’hui à 192 % (graphique 2). Enfin, les investisseurs en quête de revenus seront ravis de constater que les actions européennes affichent un des taux de rendement des dividendes les plus intéressants (3,3 % en moyenne à la fin octobre) parmi les marchés développés. A la lumière de ces éléments, nous estimons qu’il vaut donc la peine de reconsidérer les opportunités d’investissement en Europe et de placer quelques large caps européennes sous le sapin !
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