Un pays peut-il être durable ?

Par Petercam

La recherche extra-financière sur les entreprises existe depuis plusieurs années et les classements des sociétés sur base de « best in class approach » sont courants aujourd’hui. Il semblerait toutefois que la crise des dettes souveraines dans la zone euro et la remise en question du statut d’actif sans risque pour les obligations gouvernementales de la zone euro aient été un mal nécessaire pour voir aussi émerger des classements sur les critères extra-financiers des Etats.

Les modèles de durabilité des pays restent donc encore limités; notamment à cause de l’absence d’une définition universelle et de la difficulté d’en établir une.

Néanmoins, les premières leçons de la crise souveraine de la zone euro semblent donner des pistes sur ce que comprend la durabilité financière d’un pays. Ainsi, il apparaît clairement que la dette publique ne peut être considérée seule. Elle doit être analysée en parallèle avec l’importance de la dette privée, des entreprises et de ménages. La balance courante est un élément de durabilité important.

Mais qu’en est-il des critères de durabilité hors du périmètre financier ? Quels sont les autres axes de durabilité d’un pays et existe-t-il un lien entre les deux dimensions ?

En l’absence de définition universelle de durabilité, la durabilité peut reposer sur plusieurs dimensions :

  1. La dimension politique et démocratique : un pays durable respecte ses engagements vis-à-vis des pays tiers et de sa population. La bonne gouvernance du pays assure la mise en place d’institutions adéquates de développement et de contrôle pour garantir le meilleur fonctionnement du pays. Les institutions sont érigées de manière démocratique, la corruption est proscrite et les citoyens sont libres de s’exprimer ;
  2. La dimension environnementale : un pays durable est soucieux de ses ressources naturelles et agit dès lors dans le respect de son environnement. Il considère la planète comme un bien public où chacun a un devoir de respect et de préservation.
  3. La dimension sociale : un pays durable est attentif au bien-être de sa population. A cette fin, les instances de gouvernance assurent une qualité de vie suffisante à tous les niveaux pour l’ensemble de sa population. Elles garantissent la sécurité et l’accessibilité à des soins de santé de qualité.
  4. La dimension future : un pays durable investit dans ses générations futures; d’une part en assurant les meilleures conditions pour les générations futures et d’autre part en leur apportant l’éducation suffisante pour assurer le développement et la gouvernance du pays à l’avenir.
  5. La dimension économique : enfin un pays est durable s’il se donne les moyens d’assurer sa viabilité économique en évitant les endettements excessifs, en assurant une stabilité des prix à sa population et en gérant ses revenus et dépenses en bon père de famille.

Au regard de ces cinq dimensions, sur base d’une cinquantaine critères pertinents (données quantitatives de sources fiables et réputées), plusieurs pays au sein de l’OCDE par exemple se distinguent en tête du classement tels que la Scandinavie ou encore la Suisse. A l’opposé, des pays comme la Grèce, la Turquie ou le Mexique montrent des faiblesses de durabilité, visibles dans les cinq dimensions.

Pouvons-nous dès lors conclure qu’il existe un lien entre durabilité économique – en ce compris capacité à faire face à ses créanciers – et durabilité socio-environnementale ? Si la preuve n’a pu être scientifiquement apportée jusqu’à présent, il est cependant difficile de conclure à un hasard des choses au vu des résultats obtenus.

Pour sélectionner les critères pertinents dans chaque dimension, l’approche s’est voulue la plus objective possible. En effet, en sélectionnant des données quantitatives, comparables pour l’ensemble des pays étudiés et  en provenance de sources fiables et réputées, le biais subjectif du concept de durabilité, induit notamment par l’absence de définition universelle, est sensiblement réduit.

Le défi majeur de la méthodologie retenue est de garantir une force de prédiction au modèle. En effet, les marchés financiers ayant tendance à anticiper les événements, un modèle d’analyse est pertinent s’il anticipe et permet de distinguer des signes avant coureurs. En reposant sur des données historiques, il est difficile d’attribuer une certaine prédiction des facteurs retenus.

Ce manque pourrait être comblé en partie en tenant compte des politiques mises en place ou des traités et conventions signés. Cependant, dans les deux cas, il s’agit d’engagements et les résultats réels ne sont mesurables qu’après un certain temps. Néanmoins, suite aux résultats obtenus, Petercam reste convaincu qu’aborder la durabilité d’un pays au-delà de sa durabilité financière est une valeur ajoutée à l’appréciation d’un Etat et la qualité de son crédit. Avec bientôt 5 ans d’existence du modèle, il est possible d’estimer la dynamique d’un pays dans les différentes dimensions observées. Ainsi, un critère de tendance est également inclus dans le modèle permettant d’identifier le dynamisme d’un pays à se maintenir dans le peloton de tête du classement, ses efforts à améliorer une position moyenne ou au contraire un certain laxisme conduisant à une détérioration relative par rapport aux autres pays dans les différents domaines. De cette manière, certaines tendances sont perceptibles et constituent une source d’information supplémentaire pour l’investisseur sur les engagements réels d’un pays, en tant qu’acteur économique majeur.

Plusieurs observations intéressantes peuvent être faites des résultats d’une approche « best in class » intégrant les cinq dimensions de la durabilité d’un pays et démontrent par là la valeur ajoutée et la pertinence d’une telle démarche.

La première observation concerne la pertinence des notations de crédit par les agences reconnues. En effet, lorsque sont mis en parallèle le classement des Etats membres de l’OCDE et leur notation de crédit par S&P par exemple, une certaine stabilité apparaît dans le classement de durabilité alors que les notations de crédit ont connu des modifications substantielles au cours des années écoulées.

Prenons l’exemple de l’Espagne : à l’origine du modèle de durabilité, la péninsule ibérique se classait 22e avec une notation de crédit équivalente à l’époque à AAA par S&P. Dans le dernier classement – septembre 2012 – le pays note une légère amélioration de sa position durable (19e) – expliquée notamment par la dimension sociale où le faible taux de suicide, de ratio de dépendance ou de mortalité infantile en termes relatifs constituent une force du pays – alors que sa note de crédit par la même agence s’est détériorée sensiblement (BBB-).

La Grèce est également un exemple intéressant de la discordance entre la durabilité globale du pays lors de l’introduction du modèle (décembre 2007) et sa notation de crédit. Alors que depuis le début, la Grèce occupe inlassablement la 3e place en queue de peloton, elle a connu une dégradation substantielle de A- à CCC en passant par le statut de Not Rated sur les 3 dernières années. Et dernièrement, na notation a été relevé de 6 crans ( !) laissant supposer une amélioration sensible du débiteur hellénique.

La deuxième observation concerne la tête du classement. Comme expliqué plus haut, s’il n’y pas de preuves scientifiques de corrélation positive entre durabilité socio- environnementale et durabilité économique, force est de constater que les 10 premières positions – à l’exception de l’Islande – ont relativement bien traversé la crise financière. De plus, lorsque de nouvelles études dans les domaines de l’environnement, de la société ou de la gouvernance apparaissent, ce sont souvent les mêmes pays qui arrivent en tête. Simple coïncidence ?

Enfin, le critère de tendance est assez cohérent avec la situation économique d’un pays. La France est un bon exemple. Une grande majorité d’économistes, français et internationaux, est d’avis que le statut AA de la France est contestable, que l’actuelle perception des marchés financiers par rapport à la dette française s’apparente à la perception d’un actif de haute qualité, proche, même si inférieure, au Bund allemand alors que ses données économiques et financières se rapprochent davantage de celles d’une économie telle que l’Italie. Les pouvoirs en place se voient critiquer leur manque de réformes, un certain laxisme qui ne serait corrigé, à entendre certains, que par une mise au pied du mur par les marchés financiers et/ou les agences de notation. Ce manque de dynamisme est également perçu au niveau du classement durable de la République Française. Si le pays ne s’est pas réellement détérioré dans l’ensemble des critères retenus, il n’en reste pas moins que dans une approche relative et comparative, il se laisse facilement dépasser par la meilleure prestation des autres membres de l’OCDE et perd par conséquent plusieurs places dans le classement, 3 au total depuis l’introduction du modèle.

Comme souvent, il aura fallu une crise importante pour montrer les faiblesses de certains modèles économiques et financiers, mono-perspectifs. Or dans un contexte de globalisation de l’économie, avec des enjeux majeurs tels que le défi démographique, la raréfaction des ressources naturelles et le changement climatique, il paraît évident que les Etats, en tant qu’acteurs majeurs de l’économie, ont un rôle central à jouer et contribuent pleinement à la durabilité des systèmes mis en place. Dès lors, pour une économie performante, celle-ci se doit d’opérer dans un cadre démocratique approprié, composé d’institutions de gouvernance de haute qualité. Sans investir dans le bien-être et la connaissance de ses générations actuelles et futures, elle met en péril ses chances de pérennité dans l’avenir. Sans objectif de gestion durable de ses ressources et de son environnement, elle n’a aucune chance de survie face aux enjeux majeurs auxquels la planète devra faire face dans quelques années. Enfin, un manque de respect de ses engagements internationaux (traités, conventions, etc.) démontre une probabilité forte de manque de respect de ses engagements au niveau de ses créanciers. C’est pourquoi, bien que ce soit complexe à mettre en place, il est primordial d’intégrer les pays en tant qu’acteurs économiques et de les analyser selon une matrice intégrant aussi bien les domaines financiers et économiques que les dimensions sociales, environnementales et de gouvernance ; à l’instar de ce qui est de plus en plus courant en matière d’entreprises.