Nous présentons ici une chronique en plusieurs volets de Pierre Nothomb, Deminor
Actionnaires de banques : lorsque l’état intervient
Ceux qui sont les plus à plaindre actuellement sont tout de même les actionnaires de banques. En effet, ceux-ci ont perdu souvent plus de trois quart de la valeur de leurs actions depuis le début de la crise financière en 2007. Le pire qui leur est arrivé est la prise en main de leur dossier par les autorités publiques. Le politique est arrivé comme pompier dans les dossiers bancaires. Il était nécessaire d’agir car les banques étaient incapables de sortir seules de la crise financière, mais souvent le pompier a mis tellement de zèle à arroser la maison, qu’elle n’était plus bonne qu’à être abattue.
Le problème vient du fait que les états n’étaient pas bien préparés pour cette intervention et qu’ils ont fait un amalgame entre banquiers et actionnaires de banque. On a tenté de sauver les premiers au détriment des seconds.
Dans leurs interventions, les gouvernements ont préféré sauvegarder l’épargne et les créanciers plutôt que les actionnaires. Cela était utile, mais rend impossible pour les banques un refinancement sur le marché au moyen d’augmentations de capital. Ce qui était une position justifiable dans un premier temps risque de condamner certaines banques dans un deuxième temps.
La justice : miroir aux alouettes
La justice fait souvent figure de dernier rempart contre les excès du système financier. En effet, on a l’impression qu’on peut s’en remettre à la justice pour défendre nos droits d’actionnaires. La réalité est moins rose, j’en ai peur. Dans le dossier Fortis, en Belgique, les magistrats ont dû travailler sous une pression médiatique et politique de tous les instants. Ce travail doit souvent être effectué dans l’urgence avec très peu de moyens et des équipes réduites. On le voit d’ailleurs dans le dossier Dexia : très peu d’actionnaires lésés comptent encore sur la justice pour défendre leurs intérêts. Les procédures coûtent très cher, durent 10 ans minimum, et se terminent par un classement vertical si les protagonistes ne sont pas décédés entretemps (LHSP, Cofibel/Cofimines).
Malheureusement, la criminalité en col blanc à encore de belles années devant elle car la justice n’est pas équipée pour aller aussi vite et de manière aussi sophistiquée que les fraudeurs.
Certains actionnaires plus égaux que d’autres
Le dossier Dexia est une preuve vivante du fait que certains actionnaires sont plus égaux que d’autres. En effet, quand il s’est avéré que la banque Dexia était en train de sombrer , une société coopérative, ARCO, a demandé au Gouvernement de couvrir les pertes encourues par leurs coopérateurs. Incroyable mais vrai, le Gouvernement a accepté, pour plus d’un milliard d’euros, de rembourser à tous ces coopérateurs le montant nominal de leur participation. Ce qu’il faut dire, c’est que ce groupe est le bras financier du mouvement démocrate-chrétien en Belgique dont l’influence politique est historique. De plus, ARCO a avoué avoir prêté les titres Dexia lors de la crise financière précipitant ainsi la banque un peu plus dans les mains des spéculateurs.
Les agences de notation
Le rôle des agences de notation dans la crise financière est réellement surprenant si on l’analyse dans la durée. Si l’on considère que cette crise n’est que la seconde secousse sismique de la crise bancaire d’octobre 2008, on peut dire que ces agences sanctionnent actuellement ceux-là même (les états souverains) qui ont aidé à sauver les banques de la banqueroute en 2008.
Avant la faillite de Lehmann Brothers, il y avait environ 20 grandes sociétés cotées américaines qui disposaient de la cotation triple A. En revanche, le nombre de SPV (special purpose vehicule) qui avaient reçus le triple A dépassait facilement le millier! Les agences avaient modifié leur business model pour gagner plus d’argent. En fait, elles « vendaient » leur notation. Cela a provoqué la crise des subprimes et l’effondrement du système bancaire. Les états ont été appelés à la rescousse pour reprendre les dettes des banques. Ils l’ont fait jusqu’au moment où le système était « sauvé », et cela en augmentant significativement leur endettement. A ce moment-là, ce sont les agences de notation qui se sont mis à dégrader ces mêmes états, provoquant les séismes financiers, politique et sociaux que nous connaissons aujourd’hui.
Conclusion
Pour conclure cette opinion publiée en épisodes, je pense qu’il est urgent de mettre en place des garde-fous au fonctionnement de certains opérateurs de marché. En effet, ceux-ci poursuivent très logiquement leur activité en tentant de maximiser leur intérêt particulier. Mais le « Prince » ou le « Roi » Adam Smith n’est plus là pour réguler le fonctionnement de ces opérateurs afin de garantir l’intérêt général de l’ensemble (pourquoi les états ne légifèrent pas pour encadrer l’activité des agences de notation par exemple ?). L’état souverain est encore présent, mais il n’a plus les moyens d’intervenir efficacement pour s’assurer que la finalité de certaines opérations de marché est positive pour l’ensemble. En attendant, il convient de considérer le marché des actions comme un marché de plus en plus entre professionnels (B to B), dans lequel celui qui s’y aventure doit avoir la possibilité de perdre une partie importante de son investissement.