Ces dernières semaines, des entreprises ont émis des obligations avec un coupon de moins de 2%. Siemens, Linde, BASF et Nestlé, par exemple, ne paieront que 1,5 à 1,75 % d’intérêt ! Jamais, par le passé, ces groupes n’avaient pu se financer à des conditions aussi favorables sur le marché obligataire. Le taux moyen sur les obligations d’entreprises dites de qualité, qui a fluctué autour de 4,6% ces 12 dernières années, bat aujourd’hui des records à la baisse avec 2,3%. À cause de la chute des taux, le cours des obligations d’entreprises existantes a grimpé. Leur rendement en euros avoisine cette année 12 %, et atteint même 22 % pour les obligations à haut risque. Devant des rendements aussi impressionnants, l’investisseur se pose à juste titre la question : y a-t-il encore un avenir dans les obligations d’entreprises ?
Premier élément important dans l’évaluation des obligations d’entreprises : le bilan de l’emprunteur. Aujourd’hui, le bilan d’une entreprise moyenne est plus sain qu’il y a quelques années. Les dirigeants ont mené une politique de prudence après le traumatisme économique de fin 2008. Ils ont réduit leur dette, soupeser chaque dépense, renforcé les matelas de liquidités. Résultat : les entreprises sont mieux à même de parer aux aléas, ce qui diminue leur risque de crédit.
Si le secteur financier a encore du chemin à parcourir, il va dans la bonne direction, du moins du point de vue de l’investisseur en obligations. Les nouvelles réglementations, en effet, ont pour vocation principale de prévenir d’éventuels futurs problèmes. À cette fin, les réserves en capital doivent augmenter substantiellement. Le futur rendement va donc baisser pour les investisseurs en actions, mais les clients des banques seront rassurés. Les détenteurs d’obligations en profiteront aussi, mais l’effet sera partiellement compensé par un fait nouveau : à partir de 2018, ils pourront être appelés à participer au sauvetage éventuel d’une banque.
Paradoxalement, l’avantage des obligations d’entreprises ne se situe pas dans les titres eux-mêmes, mais dans les autres obligations disponibles. L’attrait d’une certaine catégorie d’obligations est en effet un élément relatif. En d’autres termes, il faut comparer les obligations d’entreprises aux autres formules de placement. Le taux d’intérêt sans risque, dont la référence est actuellement l’intérêt des Bunds allemands, est très bas. Même le taux d’une obligation allemande à 30 ans est sensiblement inférieur à l’inflation européen des 12 derniers mois ! En conséquence, les investisseurs cherchent des alternatives. Et comme les spécialistes prédisent que le taux allemand va rester relativement bas durant une période prolongée, la tendance s’accentue. Le taux allemand reflète en effet les prévisions de croissance économique réelle et l’inflation à venir, plus une prime de risque. Or, la crise de la dette ne va stimuler ni la croissance, ni l’inflation. Seule la prime de risque peut encore augmenter, la BCE ayant annoncé sa volonté de tout faire pour sauver l’euro.
Les banques centrales semblent décidées à tout mettre en œuvre pour éviter de nouvelles catastrophes financières. Aussi de nombreux investisseurs troquent-ils leurs obligations d’État, sans risque, contre des obligations d’entreprises. Le surcroît de rendement qu’ils en tirent entretient la tendance. L’offre d’obligations d’entreprises est par ailleurs relativement limitée. Les sociétés ont accumulé des liquidités préventivement, et les banques peuvent obtenir de la BCE des financements peu coûteux en quantités illimitées. Une demande persistante, alliée à une offre limitée, soutient le cours des obligations d’entreprises. Illustration parlante : les obligations à moins de 2 % que nous évoquions ci-dessus ont suscité une demande supérieure à l’offre.
Les risques sont-ils donc totalement absents ? Non, bien entendu. Les taux actuels, très bas, constituent déjà un risque à eux seuls. Après paiement des taxes sur les coupons, le rendement de certaines obligations est négatif ! Ce n’est donc pas une bonne idée d’investir dans ces obligations survalorisées. N’oublions pas non plus que la politique européenne d’économies, si elle ébranle à l’excès la confiance du consommateur, pourrait avoir de graves conséquences et déboucher sur une profonde récession économique. Dans ce cas, les résultats des entreprises en souffriraient, avec des risques de faillite à la clé. Ajoutons que l’investisseur, malgré tous les propos rassurants, reste soumis aux caprices de la décision politique. La réélection de Barack Obama ne changera rien à la grande question : comment résorber dans les prochaines années un déficit budgétaire colossal ? On ne peut exclure, à la fin de l’année, un nouveau choc frontal entre Républicains et Démocrates à propos de l’augmentation du plafond de la dette, comme à l’été 2011. Ce ‘chicken game’ politique risquerait de miner la fragile confiance du consommateur américain. En Europe aussi, de nouvelles étapes importantes sont attendues dans le cadre de l’achèvement de l’union monétaire. Sans compter que la Grèce refera régulièrement la une de l’actualité… Le risque d’un incident mettant le feu aux poudres sur les marchés financiers ne relève pas de la pure fiction.
Investir dans les obligations d’entreprises ne va pas sans risques. Pourtant, ces titres conservent leur place dans un portefeuille d’obligations. Le tout est d’étudier avec réalisme les perspectives de rendement futur. Compter sur un retour des rendements à deux chiffres semble très illusoire. Plus que jamais, il importe de rechercher les émissions les plus intéressantes. Certaines obligations émises par des institutions financières solides dans les pays formant le cœur de l’Europe présentent un attrait certain. De même, des entreprises espagnoles et italiennes offrent encore un rendement intéressant. Il faut savoir qu’une entreprise est parfois pénalisée par son étiquette ‘espagnole’ alors qu’elle opère à l’échelle internationale et ne réalise qu’une petite partie de son chiffre sur le marché domestique.