Etre pondéré

Par Etienne de Callataÿ, Chargé de cours invité à l’UCL et aux Facultés de Namur et Senior Fellow de l’Itinera Institute

Souvenez-vous ! Quand le tsunami du 11 mars dernier a frappé la centrale de Fukushima, d’aucuns imaginaient Tokyo (ir)radié de la carte. Quand la grippe A (H1N1) s’est répandue au printemps 2009, la peur d’une nouvelle grippe espagnole a saisi la population et les autorités. Quand la crise financière s’est propagée en Europe, ils n’ont pas été rares ceux qui ont vidé leurs carnets d’épargne d’institutions malmenées en bourse pour dormir sur un matelas de billets. Quand le prix du pétrole a grimpé jusqu’à environ 150 dollars par baril à l’été 2008, des experts ont annoncé un baril prochainement à USD 250. Quand les marchés d’actions avaient déjà derrière eux deux décennies de vive progression, en 1999, des spécialistes ont publié un livre affirmant que les cours allaient être multipliés par 4 en l’espace de quelques années !

Oui, les prévisionnistes se trompent. Oui, c’est l’imprévu qui finit toujours par arriver. Dans ses « Sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur », publiés en 2000, Edgar Morin consacre un chapitre à l’incertitude et l’ouvre par une citation d’Euripide : « Les dieux nous créent bien des surprises : l’attendu ne s’accomplit pas, et à l’inattendu un dieu ouvre la voie ». Mais attention à ne pas commettre de faute de logique : si la prévision tempérée, qu’il s’agisse de croissance économique, d’inflation ou de bourse, a de bonnes chances d’être invalidée, cela ne valide pas tous les scénarios extrêmes, comme le montrent les exemples repris ci-dessus.

Des leçons à tirer de la crise financière, et en particulier en matière de gestion du risque, il faut certainement rappeler celle de la prise en compte des cygnes noirs, selon l’expression de Taleb, ces événements jugés impossibles simplement parce qu’ils n’ont jamais été observés. Toutefois, prenons garde à ne pas accorder un crédit disproportionné à celui qui annonce le scénario le plus éloigné de la vue tempérée, et encore plus à ne pas tout miser, en termes patrimoniaux, sur un scénario extrême.

Allons-nous vers de l’hyper-inflation ou vers la déflation ? Le dollar va-t-il s’effondrer ou l’euro imploser ? Le modèle chinois va-t-il s’effondrer ou dominer le monde ? Il est de bons arguments pour plaider chacun de ces scénarios extrêmes, ce qui incidemment fait la difficulté et donc la richesse de l’analyse économique. Si l’économiste peut se contenter de cerner les contours de ces différents futurs possibles et éventuellement d’y attacher des probabilités, le gestionnaire, lui, se doit de choisir et d’investir en conséquence. Il n’y aurait pas de sens, sauf à vouloir faire plaisir aux intermédiaires financiers, à spéculer sur la chute du dollar et en même temps à se protéger contre la chute de la monnaie américaine. Il faut donc arrêter une position mais cette position se doit d’être tempérée, et cela d’autant plus que l’analyse est ambiguë et que l’individu a une grande aversion aux pertes. Certes, un discours pondéré n’attire pas les médias et ne fait pas les coups fumants dont on se vante dans les dîners mais cela reste, avec la diversification des portefeuilles, le meilleur ingrédient d’une gestion à long terme. Décidément, la sagesse est bien ennuyeuse !